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CHÀN

— Loc. prov. Tu ne l’aurais pas pour une chanson bien chantée, Se dit pour faire entendre qu’une chose est d’un assez haut prix, qu’on ne la cédera pas facilement. Il Cest la chanson de Ricochet, dont on ne voit pas la fin, C’est toujours la même chose, le même refrain. Cetle locution a vieilli, il Iln’aura qu’un double ; il ne chante qu’une chanson. Comme il n’a. pas fait ou dit gjrand’chose, il ne sera pas bien rétribué. Locution également vieillie.

Il L’air ne fait pas la chanson, L’apparence n’est pas la réalité : Vous en avez l’air, mais l’air n’est pas t-A chanson. On oppose air et chanson, c’est-à-dire apparence et réalité, dans beaucoup de locutions analogues : Il en a /’air, mais non la chanson. // en à Ftan et la chanson, etc. Il Le ton fait la chanson, C’est la manière de dire les choses qui en détermine le sens : Souveftt non signifie oui : lb ton

PAIT LA CHANSON.

— Éplthètoa. Agréable, charmante, douce, . jolie, tendre ; aimable, légère, frivole, ingénieuse, spirituelle, vive, badine, satirique, caustique, mordante, gaie, joyeuse, folâtre, falote, bouffonne, étourdissante, désopilante, gaillarde, égrillarde, grivoise, licencieuse, obscène, amoureuse, pastorale, champêtre, rustique, villageoise, grossière, naïve, triste, plaintive, erotique, anacréontique, bachique.

— Encycl. La chanson, en un sens tout à fait général, est l’interprétation de tous les mouvements de l’âme et de toutes les passions ; elle exprime toutes les impressions reçues ; elle consacre et célèbre tous les événements, particuliers ou nationaux ; elle embrasse tous les sujets, que ces sujets soient badins ou sérieux, gais ou tristes, heureux ou malheureux. Mais c’est là, ce nous semble, donner au mot chanson une extension trop grande ; c’est lui attribuer.de nombreuses acceptions qu’il est mieux de réserver à d’autres mots.

En Grèce, il est vrai, un seul mot, nomos, signifiait à la fois loi et chanson ; c’est, nous dit Aristote, qu’alors les événements de l’histoire et les lois se transmettaient par des chants. Nous disons des chants et non des chansons.

Les premiers Grecs, les Grecs de l’âge mythologique et mystique, chantaient les vers d’Orphée ou de Linus, réunis autour de la table du festin, nous dit Plutarque. Mais c’est en l’honneur des dieux qu’ils élevaient leur voix ; or ce ne sont pas des chansons que l’on adresse à la Divinité, soit à table, soit dans un temple païen ou chrétien ; ce sont des hymnes, des cantiques, des noèls, etc.

Ce ne Sont pas des chansons non plus, mais des hymnes encore, que chantent les soldatsconduits par Tyrtée ou par Napoléon, les citoyens qui démolissent la Bastille. La chanson de Roland n’est pas plus une chanson que la Marseillaise.

Dans tous les pays et à toutes les époques, chaque corps d’état a eu son chant particulier, qui, à certaines solennités, a chaque réunion générale et périodique, est dit en chœur par la. corporation. En Grèce, le chant des tisserands s’appelait 1£tisse, celui des meuniers Epinoste ou Epimulie, celui des vendangeurs Epilène, celui des berceuses Calabancalises et Mumine ; Théocrite a rapporté celui des moissonneurs, Aristophane celui des éplucheuses de graines, Athénée celui des esclaves qui puisaient de l’eau, etc. ; mais tous ces chants sont des chants populaires et non pas des chansons.

Ne sont pas non plus des chansons les chants que, sous le balcon de leurs belles, soupirent les troubadours en s’accompagnant de la vielle, les Italiens en s’accompagnant de la guitare, Garât ou les frères Lionel en se faisant accompagner du clavecin. Remarquons de même que ta chanson ne doit pas être confondue avec 1 ode, avec les vaux-de-vire, avec la coin Îilamie, avec le dithyrambe et la scolie. Que e lecteur se reporte donc à ces mots : chant,

HYMNE, CANTIQUE, NOËL, ROMANCE, COMPLAINTE, ODË, VAOX-DE-VIKE, DITHYRAMBE, SCOLIE, etc.

Ici nous n’avons à nous occuper que ce la chanson proprement dite, genre essentiellement léger, liernis a dit :

Fille aimable de la Polie, La chanson naquit parmi noua. Souple et légère, elle se plie Au ton des sages et des fous.

Eh bien, nous ne sommes pas de l’avis du Berrtis : la chanson n’éelôt que sur les lèvres des fous, des gais viveurs, tout au moins des enfants sans souci ; elle n’est l’interprète que du plaisir, du contentement intérieur ; elle est légère, gracieuse, souriante, court vêtue, effrontée même, et dit : foin des sages ! Voilà pourquoi, Voltaire ayant écrit : « Il n’y a point de peuple qui ait un aussi grand nombre de jolies chansons que le peuple français, » La Harpe a pu ajouter : à Et cela, parce qu’il n’y en a pas de plus gai. » Cependant, nous ne réduisons pas la chanson a une simple improvisation de table, nous n’en faisons pas seulement une invocation à Momus ou à Bacchus, un chant d’orgie ; répétons-le, la chanson- est ou peut être effrontée et court vêtue, mais elle peut n’être aussi que souriante, gracieuse ; elle est l’interprète du plaisir, mais peut l’être aussi du -contentement intérieur ; on dit des chansons durant lo festin, tenant en main une coupe pleine de falerne ou de Champagne ; mais le muletier espagnol et le chamelier arabe, le berger d’Écosse et le nègre de Sego

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ont leurs chansons aussi, qu’ils improvisent pour emplir et charmer leur solitude. Nous insistons sur le mot charmer, car le sujet de l’improvisation ne doit jamais être triste, sans quoi il sortirait du cadre de la chanson ; ce sont des chansons, quand ce ne sont pas des complaintes ou des légendes, que disent les enfants lorsque, se tenant par la main, t)s dansent sur l’herbe.

Nous n’irons plus au bois, etc.

Donc, voilà bien délimité le domaine de la chanson : il commence à Anacréon, finit à Désaugiers et à Béranger ; à Pierre Dupont et à Nadaud. Il est grand, même ainsi réduit ; il est charmant surtout, ce domaine avec ses myrtes verts, ses roses... et ses pressoirs ; il est enchanteur... Cependant, parcourons-le a grands fias, ne pouvant lui consacrer que peu de ignés.

Quoi qu’en ait dit Bernis dans le quatrain que nous venons de citer, la chanson n est pas née chez nous ; elle est âgée, elle a des rides ; mais d’elle on peut dire ce que Platon disait de sa maitresse : «Dans ses rides niche l’amour ; » l’amour et la gaieté. Elle est âgée, mais non pas vieille, car la Folie ne vieillit pas. Elle est âgée comme le monde ; et, en effet, qu’est-ce que la chanson dans sa plus simple expression ? C’est un cri résultant d’une impression éprouvée par le cœur, d’une sensation quelconque ; c est la voix, s’élevant ou s’abaissant suivant la nature de cette impression ou de cette sensation.

Donc la chanson, ou mieux (à cet état simple les deux mots sont synonymes) le chant est naturel a l’homme, quoi qu’ait prétendu J.-J. Rousseau, et, avec Chateaubriand, on peut dire : « Les nommes chantent d’abord, ensuite ils écrivent. ■

De ce premier bégayement cadencé, de ce premier souffle poétique, nous ne savons rien ; mais ne pouvons-nous le deviner, le préjuger d’après ce que.nous voyons chez ces tribus où n’a point pénétré la civilisation et qu’on retrouve à l’état primitif, en leur enfance encore ? M. Xavier Marmier, dans son Voyage au pâle nord, a rapporté la chanson suivante, qu’un jour il entendit fredonner à une paysanne finlandaise endormant son enfant dans son berceau d’écorce de bouleau :

« Dors, petit oiseau de la prairie ; dors doucement, joli petit rouge-gorge,

■ Dieu t’éveillera quand il en sera temps.

Le Sommeil est à la porte et dit : « N’y « a-t-il pas ici un doux enfant qui voudrait dormir ?

Un petit enfant enveloppé dans ses langes, un bel enfant qui repose dans sa couverture de laine ? »

Dors, petit oiseau de la prairie ; dors doucement, joli petit rouge-gorge. » — Un peu moins naïve et un peu plus attendrie, cette poétique berceuse ne serait plus une chanson ; de ce nom nous ne pourrions pas appeler le petit poëme tant vanté et si gracieux, en effet, de Clotilde de Surville.

O chier enrontelet, vray pourtraict de ton père...

Sans aller jusqu’en Finlande, dans nos provinces, l’écho, parfois encore, apporte à nos oreilles étonnées et charmées quelqu’une de ces chansons qui, par leur simplicité, leur naïveté, leur prosodie primitive, dont toute la règle consiste en une certaine cadence, un certain rhythme instinctif, semblent vous rappeler ces chansons des peuples du premier âge. En voici une rapportée par M. Emile Souvestre, et qui, mieux ce nous semble que celle de Xavier Marmier, vient à l’appui de notre thèse. « Le long de la Loire, dit notre auteur, nous avons souvent entendu les laboureurs arauder leurs attelages, c’est-à-dire les encourager, par un chant que les bœufs semblaient écouter, sinon comprendre. Nous avons recueilli un de ces rans champêtres adressé par un jeune paysan à sa double paire de bœufs rouges et noirs ; le voici dans toute sa naïveté : lié ! Mon rougeaud, Mon noiraud,

Allons ferme, a l’houstcau (au logis).

Vous aurez du r’nouveau (du regain).

L’bon Dieu aim’ les chrétiens !

Le blé a graine ben !

Les gens auront du pain !

Mes mignons, c’est vot’ gain.

Nos femm’ vont ben chanter.

Et les enfanta s’ront gais ! Hé ! Mon rougeaud. Mon noiraud,

Allons ferme, à l’iiousteau,

Vous aurez du r’nouveau.

Certes, ajoute E. Souvestre, on peut dire ici, de même que pour la chanson d’Alceste :

La rime n’est pas riche et le style en est vieux ;

mais il y a, ce me semble, quelque souffle poétique dans ce cantique joyeux du pauvre laboureur sentant qu’il ramène à la ferme, avec ses gerbes, les chant3 des femmes et la gaieté des enfants, et confiant à ses humbles compagnons de peine que toute cette prospérité est leur gainl »

Oui, telle dut être la chanson chez les premiers peuples : expression spontanée, ou plutôt explosion au dehors d’un sentiment de joie, ou tout au moins de satisfaction intérieure.

Mais bientôt la chanson particulière, isolée,

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personnelle, ne peut plus suffire aux hommes, qui tous les jours se rapprochent davantage, se resserrent, mettent en partage leurs travaux et leurs peines aussi bien que leurs plaisirs. De là les chants qui célèbrent la naissance, le mariage, la mort, tous les grands événements de la vie. Mais ce ne sont plus alors des chansons, ce sont de vrais poèmes : hymnes, épithalames, etc.

La famille s’étend, elle devient tribu, elle devient nation ; les besoins, les intérêts s’étendent avec elle, et l’action de la poésie se fait de plus en plus sentir ; les chants, après avoir célébré les événements privés, consacrent les événements publics, sociaux, nationaux, les dieux, la guerre, etc. De plus en plus nous nous éloignons de la chanson.

Point de chanson chez le peuple hébreu, auquel les prêtres ne permettent que des chants sévères, des hymnes sacrés, des cantiques.

Point de chanson non plus (du moins elles ne sont point parvenues jusqu’à nous) au premier âge de la Grèce. La patrie d’Anacréon a d’abord Orphée, Linus, qui lui apprennent des hymnes encore, des hymnes au moyen desquels les premiers législateurs enseignent aux hommes à craindre les dieux, à accepter des lois et à leur obéir. Ensuite viennent les chants guerriers, héroïques ; à Orphée et àLinus succèdent Homère et Tyrtée. Mais en ce beau pays de Grèce, où tout était fait pour l’amour et par l’amour, en cette heureuse contrée embaumée des parfums pénétrants de la mer, sous ce ciel étoile, toujours pur, en ce coin de terre favorisé des dieux, devait bientôt naître la chanson. Après les cantiques sacrés d’Orphée et les chants guerriers d’Homère, voici venir Terpandre, qui invente la scolie. La scolie, c’est-à-dire le chant oblique, tortueux, parce que, dit Plutarque, elle est difficile à chanter ; mais mieux, d’après Artémon, à cause de la position respective des convives. C’est presque déjà le temps heureux, joyeux de Périclès. Les débauchés sont placés en rond autour de la table du festin ; on a fuit honneur à la bonne chère ; on est las ; les coupes sont vides ; la conversation commence à languir ; on se laisse aller sur sa chaise longue : on est presque maussade. ■ Allons, s’écrie l’amphitryon se relevant sur son coude, l’heure de la chanson est venue... » Et l’un des convives se couronne de roses, prend en sa main une branche de myrte, et, ayant fait emplir les coupes, chante. C’est le roi du festin, et sa royauté dure autant que sa chanson. Quand il en a dit le dernier vers, il passe à son voisin sa couronne de roses, sa branche de myrte, son diadème et son sceptre, et celui-ci, roi à son tour, à son tour chante. Arion invente le dithyrambe, et la scolie célèbre l’amour et Bacchus ; la chanson est erotique et bachique.

Jusqu’alors la lyre ne s’était mariée qu’aux paroles nobles, élevées, sacrées ; elle n’avait aidé qu’à porter jusqu’aux dieux les accents religieux de l’hymne ; mais les esprits sont devenus sceptiques, et l’on s’avise d’essayer l’instrument divin pour accompagner les scolies, et la lyre bientôt a remplacé la branche de myrte.

Dire de quelqu’un : Il chante au myrte ! c’est lui adresser une" grosse injure, lui dire vous êtes un ignorant, un homme grossier, vous êtes de Thèbes ou de Tanagre, et non d’Athènes, puisque vous ne savez point faire résonner la lyre. Mais bien peu devaient s’attirer pareil reproche ; car alors la musique était, comme toutes les autres branches de l’art, amoureusement aimée, cultivée. « La musique, dit Platon, est la partie principale de l’éducation, parce que le nombre et 1 harmonie, s’insinuant de bonne heure dans l’âme, s’en emparent et y font entrer avec eux la grâce et le beau. • La musique était enseignée aux vierges sévères de Sparte, comme aux folles courtisanes de Lesbos. C’est que nous sommes à cette époque, en cet âge d’or, où, descendus du ciel, rayonnèrent sur la terre, qui en est encore éblouie, la beauté, l’amour et l’art, au temps où régna Aspasie, où chanta Anacréon I

Les odes d’Anacréon ne sont pas des odes, pas plus que celles d’Horace, pas plus que ne sont des élégies les élégies de Catulle, de Tibulle et de Properce ; chacune des fantaisies de l’aimable vieillarddeTéos est unechanson, une vraie chanson, faite pour être accompafnée par la lyre sur le mode phrygien, pour tre chantée dans les festins par de gais convives, aux cheveux parfumés et pailletés d’or. Nous venons de dire, en parlant d’Anacréon, l’aimable vieillard de Téos. De Téos, nous ne savons pas s’il fut, pas plus que nous ne pouvons assurer qu’il était descendant, lui lo Fou, de Solon le sage, comme on l’a dit ; mais vieillard, il ne l’a jamais été. Il fut jeune jusqu’à sa dernière heure, insoucieux, enjoué ; quand le moment fut venu pour lui de passer la barque, c’est avec le sourire sur les lèvres qu’il s’apprêta à se présenter devant le fatal nocher de l’Achéron. C’est pourquoi Anacréon est le dieu de la chanson ; c’est pourquoi ses chansons sont restées des modèles toujours imités, jamais égalés.

Nous ne devons ni ne pouvons donner en cet article toutes les chansons célèbres, pas plus qu’il ne nous est permis d’y conter la vie des chansonniers. Chansons et chansonniers ont leur place à part dans notre dictionnaire. Mais il faut, c’est un devoir ce nous semble, faire ici une exception, et redire quelques vers de celui que nous venons d’appeler le

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dieu de la chanson. Que de traductions s’offrent à nous I Choisissons celle de M. Rédaret de Saint-Remy, un des moins connus des tri» ducteurs du gracieux poète ; mais celui qui, ne s’écartant pas du rhythme de son modèle, traduisit en vers et en forme de chanson ses petits chefs-d’œuvre, et fit mieux connaître et goûter l’ami, l’excellent ami de Bathyle. Noua ne citerons que quelques vers, ceux d’abord auxquels le traducteur a donné pour titre : le Prij ; de la vie :

Que m’importe, roi de Lydie, Gyges, ta faveur, ton trésor ? Non, vous n’avez rien que j’envie Rois assis sur vos trônes d’or.

Parfumer ma barbe ODdoyante, Des roses sentir la fraîcheur, M’endormir au sein d’une amante, Voila mon souci, mon bonheur.

Mortel, du beau jour qui t’eclaire Jouis, le temps est incertain, Et c’est toujours une chimère ’

De compter sur le lendemain.

Joue et bois, jouis de la vie, De peur qu’en te brisant le cœur La vieillesse ou la maladie Ne te dise : Arrête, buveur !

Et cette autre, non moins gracieuse et intitulée : Il faut boire :

La terre boit les eaux des cieux, Et de la terre rafraîchie L’arbre boit le suc précieux. Et prend une nouvelle vie.

L’eau boit l’air au gouffre profond ; À l’envi le soleil s’enivre ; Sans boire les feux d’Apollon Phébé même ne saurait vivre.

Laissez-moi boire nuit et jour ; Tout boit dans la nature entière ; Amis, quand je bois à mon tour, Pourquoi me faites-vous la guerre 1

Nous le disions tout à l’heure, Anacréon est toujours imité ; il restera inimitable. Qu’on en juge ; voici une imitation flagrante, presque une traduction :

On dit que tout boit dans ce monde : La terre boit l’eau des étangs, À son tour le soleil boit l’onde...

On devine la fin du couplet. Quelle distance, du chantre de Téos au chansonnier parisien ! C’est celle de la mollesse à la lassitude, de la

trace à un nonchalant énervement, du sourire la grimace.

Rome est la sœur cadette d’Athènes ; mais Rome est d’abord une aventurière, ne sachant que manier les armes et s’en servir contre les bêtes fauves et ses voisins. Tout à coup enrichie, elle ressemble à un parvenu ; au temps de César, on peut encore, soulevant la robe dé pourpre et d’or des nouveaux enrichis, reconnaître le peuple pasteur et guerrier de Romulus. En ce temps, seul Catulle est poète, parce qu’une muse, Lesbie, lui est apparue et lui a révélé la poésie. Catulle chante ; U chanto de vraies chansons, oubliant que César passe le Rubicon. Pour lui, le monde est limité a son lac de Sermione ; sa vie.est celle de son amante ; toute occupation, toute préoccupation est etdoit être en son amour. Il se couronne de roses, il emplit sa coupe d’or de vieux falerne, et, attirant contre sa poitrine la tête blonde de Lesbie, il chante :

Vï’tiamtM, mea Lesbkt, atque amemnt,

Jiumoresque senum severiorum

Omnss unrus œstimemus assis. (Eleg. v.)

« Vivons, ma Lesbie, vivons et aimons, et,

?uant aux murmures des vieillards austères,

aisons-en cas comme d’un sou. • | Puis viennent Tibulle, qui, sur le coin de la table de Manlius, fait des chansons aussi, et les chante aux pieds de Délie, de Sulpicia, de ’ Néera et de Némésis ; Properce qui, dans j l’alcôve de Cynthie, roucoule ses cadences amoureuses ; Ovide, qui choisit pour pupitre les genoux de Julie, la fille d’Auguste. Cependant Ovide, Properce, Tibulle, Catulle même, font des chants d’amour surtout, ils ne sont que par occasion chansonniers.

Mais voici venir Horace, Horace, fils d’Anacréon. Nous voudrions croire à la transmigration des âmes et dire Anacréon lui-même. On a beaucoup ergoté contre Horace, contre son peu de civisme, son manque de patriotisme. Et d’abord Horace, quand il accepta, comme tout, le monde, la servitude, était un vaincu de Philippes ; il était • honteux et sans aile «^épître à Florus) ; comme Virgile, il avait vu la tête de son ancien ami d’Athènes, de Brutus, jetée aux pieds de la statue de César ; s’il a aidé l’hypocrite empereur à faire des citoyens romains des esclaves, à faire oublier les vieilles institutions romaines si chèrement achetées, c’est parce qu’il était aveuglé, comme le chantre de Mantoue, c’est qu’il était converti sincèrement au nouvel ordre de choses, c’est qu’il avait foi en Auguste et qu’il l’aimait. Du reste, nous parlons ici d’un chansonnier ; pourquoi irions-nous chercher en lui le soldat ou le politique ? Notre Horace ne comprend la vie que loin de Rome, sous les frais ombrages de Tibur, accoudé sur sa chaise longue, tenant en main la coupe pleine d’un « vieux vin de quatre ans. » Près de lui est une facile beauté, autour de lui de vrais amis, et sur ses lèvres un chant anacréontique : « Vois-tu comme le Soracte se dresse tout