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remarquer dans cet alphabet que le ta est une voyelle ayant le son nu, que À ne se prononce pas et n’a qu’une valeur étymologique ; que c’A correspond au ch dur des Allemands ; que z, au milieu des mots, a le son de s, dv. Toute la grammaire bretonne repose sur un mécanisme extrêmement sensible du système phonétique, connu sous le nom de système des lettres notables ; c’est-à-dire qu’il y a un certain nombre de lettres qui se changent, au contact de certaines autres lettres, en des sons différents. Ce procédé phonétique, qui est éminemment indo-européen, n’a été conservé avec un tel degré de généralité que dans la langue sanscrite. Les consonnes muables du breton sont b, k, d, g, gw, m, p, t, s ; elles ont pour équivalents la double série correspondant terme à terme : », g, z, c’h, w, v, b, d, s, et p, c’A, t, k, kw, —, f, z. On reconnaît facilement dans ce tableau le principe sur lequel repose la triple série des douces, fortes et aspirées du grec, des sourdes, sonores, douces et aspirées du sanscrit. Voici quelques exemples de permutation : baz, bâton, précédé de l’article ar, devient ar vaz ; mez, honte, précédé de dré, par, devient dré vez ; den, personne, précédé de gwall, méchant, devient gwall zen, etc.

Le breton a un article défini, qui, selon la consonne initiale du mot qui le suit, revêt les formes ami, aretal, et un article indéfini eunn, eitr et eut. Les noms se déclinent au moyen de particules qui leur sont préposées sans faire corps avec eux. Le pluriel est généralement caractérisé par l’addition du suffixe ou et iou, et dans certains dialectes, o, io et eu, ieu. Ainsi, gwélé, lit, fait au pluriel gwéléou, et dotu, balle, fait doluiou. Les noms peuvent alfueter trois genres : le masculin, le féminin, ou le neutre. Les substantifs sont susceptibles de donner naissance à des diminutifs caractérisés par la terminaison ik. Les adjectifs sont absolument invariables. Le comparatif se forme en ajoutant oc’h, et le superlatif en ajoutant a au positif ; kaer, beau ; kaëroc’h, plus beau ; et ar kaëra, le plus beau. Les noms de nombre cardinaux deux, trois et quatre, ont des formes spéciales pour le masculin et le féminin. La numération rigoureusement décimalé s’effectue à partir de onze, en joignant le nombre un à dix, Les-pronoms personnels, possessifs, démonstratifs, interrogatifs, relatifs et indéterminés sont en grand nombre. Les verbes se distinguent en actifs, passifs et neutres. Les temps sont au nombre de trois : passé, présent et futur ; les modesau nombre de quatre : impératif, indicatif, subjonctif et infinitif. Il y a trois verbes auxiliaires, à l’aide desquels s’effectue la conjugaison : beza, être ; kaout, avoir ; ôber, faire. Il y a un certain nombre de verbes irréguliers. Les adverbes, les prépositions, les conjonctions et les autres particules complètent la grammaire bretonne, et régularisent sa construction. L’usage en est beaucoup plus développé dans la langue actuelle qu’il ne l’était dans les anciens textes. La syntaxe est régie par des lois rigoureuses, qui contribuent beaucoup à donner à l’idiome un caractère d’exactitude et de précision qui ne permet pas de le reléguer, comme l’ont fait quelques auteurs trop dédaigneux, parmi les vulgaires patois.

Littérature bretonne. Dès la plus haute antiquité, la langue bretonne a eu ses improvisateurs, ses poètes populaires, et, de nos jours encore, la Bretagne a ses chants nationaux, qui se transmettent dans les familles et qui se distinguent par des images vives, des tours heureux, une teinte mélancolique et rêveuse, caractère spécial de la poésie des peuples septentrionaux. On y remarque un sentiment juste de la mesure ; les vers, souvent rimes, ont jusqu’à quinze syllabes, et sont quelquefois partagés en deux hémistiches. Nos trouvères et les premiers poètes de la littérature anglaise ont fait beaucoup d’emprunts aux chants nationaux de la Bretagne ; ils furent même traduits en langue Scandinave, et la bibliothèque d’Upsal possède une de ces traductions sous le titre de Variœ Britonum fabulœ. M. de la Villeinarqué a recueilli un grand nombre de ces chants dans son Barzaslireiz. On y remarque, entre autres, les Séries (Ar-Rannou), qui se rattachent à la mythologie druidique ; la Prédiction de Gweiictilan, où l’on voit les druides lutter contre l’envahissement du christianisme ; la Danse du glaive, invocation au dieu Héol ; Merlin devin, où le gui de chêne et l’œuf rouge du serpent marin jouent un grand rôle ; Lez-Breiz et Noménoé, souvenirs des luttes contre les Francs ; la ballade de la Tête à la crinière de lion (Dufuesclin) ; celle de Janne-lik-Flamm (Jeanne e Montfort), etc. ; les Lois du bon Boël, écrites vers l’an 510 ; des tragédies sacrées et des comédies du xve et du ’xvie siècle ; un poème des Quatre fins de l’homme, par un moine du même temps. Plus récemment, on a vu paraître une traduction en vers bretons des odes et des épîtres d’Horace, le poëme de Michel Morin, etc. Pour plus de détails, consulter les savants ouvrages de M. Hersart de la Villemarqué, qui a donné récemment une édition et une traduction du Grand mystère de la Passion, et à qui la langue bretonne devra plus qu’à tout autre le rang qu’elle occupera toujours dans l’estime des pnilologues.

— Econ. rur. Race bovine bretonne. Une des races bovines françaises qui s’est le mieux conservée pure de tout mélange est celle que l’on trouve dans la Bretagne. Tous les ani BRET

maux qui la composent présentent à peu près les caractères suivants : taille petite ; corps bien proportionné, quoique un peu long ; encolure et tète fines ; mnmbres grêles, mais bien d’aplomb, et garnis sur la jambe et l’avant-bras de muscles très-forts ; couleur pie, ordinairement noire et blanche, quelquefois, mais plus rarement, rouge et blanche ; cornes noires, minces, arquées et relevées. La race bretonne pure occupe la plus grande partie des cinq départements dont se compose la province ; cependant, on trouve dans quelques localités de la Loire-Inférieure, de l’Ille-et-Vilaine et des Côtes-du-Nord un certain

nombre de bêtes à corne, dont les caractères sont absolument différents. Indépendamment de ces exceptions, la race bretonne présente trois variétés bien distinctes : 1° La variété ou sous-race morbihannaise, très-légère, très-mignonne, ayant à peine 1 m. de haut ; 2° la variété dite léonnaise, qui habite le nord-ouest de la province, composée d’animaux assez forts, tantôt rouges, tantôt pies ; 3° vers le centre, dans les vallées fertiles des environs de Carhaix, on trouve la.variété carhaisienne, qui ressemble pour la taille à la précédente, tandis qu’un certain nombre d’individus se rapprochent par la couleur et les cornes de la sous-race nantaise.

La race bretonne est excellente laitière ; sa viande est fine, courte et très-agréable au goût. Elle est d’une extrême sobriété, trouve à se nourrir au milieu des landes et des bruyères, et s’engraisse facilement dans des herbages où la plupart de nos autres races pourraient à peine vivre. Malgré leur petite taille, les vaches bretonnes sont éminemment propres au travail. Il faut convenir, cependant, que cette petitesse de taille est, par elle-même, un défaut considérable, puisqu’il est de fait qu’il y a plus d’avantage à nourrir deux ou quatre vaches de taille moyenne que quatre ou huit de très-petite taille. Il serait donc utile d’améliorer, sous ce rapport, la race bretonne ; mais il faut que cette amélioration soit subordonnée à la production du lait ; agir autrement, ce serait certainement tourner le dos au progrès. La Bretagne étant presque partout un pays mal disposé pour l’engraissement, c’est k développer les qualités laitières que doit s’attacher l’éleveur. Avec ce bon sens pratique qui les caractérise, les paysans bretons savent apprécier leurs ressources et les qualités de leur bétail ; aussi cherchent-ils rarement à croiser leurs vaches. Quelques cultivateurs venus d’autres contrées n’ont pas été retenus par les mêmes considérations : ils on tenté, à diverses reprises, des croisements avec des taureaux suisses, nantais, normands et anglais. En général, ces essais n’ont que médiocrement réussi ; s’il était possible d’arriver par ce moyen à un bon résultat, ce ne pourrait être qu’en employant la race normande ou la rai.-e anglaise de Durham.

Race ovine bretonne. La Bretagne n’est pas assurément un pays à moutons ; les troupeaux qu’on y entretient sont très’-négligés et de peu de valeur. Dans les cinq départements qui la composent, et dans celui de la Manche, on rencontre deux sortes de moutons : les uns ont la tête fine, tantôt sans cornes, tantôt avec des cornes très-grosses, qui forment des spires allongées. Leur laine est lisse, rude, disposée en longues mèches noires, brunes, rousses ou grises. Ces animaux, d’une taille fort petite, habitent les montagnes des Côtes-du-Nord, du Finistère et du Morbihan, ou bien les landes de la Loire-Inférieure, de l’Ille-et-Vilaine et les coteaux de la Manche. Les autres, plus forts de taille, ont une laine commune, d’une couleur noire ou blanche assez uniforme. On les trouve surtout dans les contrées fertiles des bords de la mer. La race des moutons bretons est certainement une des plus chétives qui existent en France ; mais il faudra renoncer à la changer ou a la transformer, tant qu’on n’aura pas trouvé le moyen de la mieux nourrir. Tout ce qu’on peut faire en attendant, c’est de chercher à améliorer sa laine, et à lui donner un peu plus de corps par un bon choix de reproducteurs.

Race chevaline bretonne. La production chevaline de l’ancienne province de Bretagne est très-variée : au nord, sur tout le littoral, depuis Fougères jusqu’à Brest, on élève des chevaux communs, recherchés dans le commerce pour le service du roulage et des diligences ; le département du Finistère fournit, au contraire, des animaux que l’on vend pour les attelages de luxe ; enfin, dans quelques vallées du Morbihan et des Côtes-du-Nord, on élève d’excellents chevaux de selle. Malgré cette diversité de production, les chevaux communs, surtout ceux de diligences, sont les seuls que l’on désigne généralement sous le titre de race bretonne proprement dite. Cette race, qui se conserve assez pure malgré les importations d’étalons de luxe fuites jadis par les états de la province, et renouvelées de nos jours par les particuliers et par l’État, peut être ainsi caractérisée : corps épais, long et trapu, côte ronde, poitrine ample, garrot épais et bas, encolure forte ; tête allongée, saillante au-dessus du nez, large au front et subitement rétrécie au-dessous des yeux ; croupe courte, avalée et présentant de chaque côté, vers les lombes, comme un arc de cercle, ’ qui s’étend de la pointe de la hanche jusque vers le plan médian du corps. Les membres sont souvent faibles dans les rayons supérieurs ; les épaules, courtes et droites, sont mal disposées pour les-allures allongées

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et les avant-bras, ainsi que les jambes, sont étroits, minces et courts, tandis que les tendons ne rachètent point par leur force leur excès de longueur ; les articulations, les genoux et les jarrets manquent également de largeur ; la taille varie beaucoup, suivant les localités. En résumé, la force des membres ne répond pas k la puissance du tronc, ni la disposition ries rayons osseux à l’énergie du tempérament.

Les chevaux bretons de diligences ont le poil gris dans leur jeunesse ; mais ils blanchissent en vieillissant. Les plus beaux individus sont élevés dans les arrondissements de Brest, de Morlaix, de Lannion, et dans les environs de Trébahu, de Plouescat, de Sain t-Pol-de-Léon, de Paimbœuf. Quoique disséminés sur tout le littoral, les chevaux communs, plus particulièrement propres au roulage, se trouvent

surtout à l’extrémité de la presqu’île, dans les cantons de Lesneven, de Goueznou ; dans le département des Côtes-du-Nord, vers Tréguier, Lannion, Paimpol, et, à l’ouest, du côté de Saint-Malo et de Fougères. Ces animaux ont les membres forts, la croupe massive, les pieds amples et les crins abondants ; ils sont solides, et peuvent mener de grosses voitures. Dans les Côtes-du-Nord et le Finistère, on trouve des chevaux à poil truite et à jambes très-sèches, que beaucoup de personnes considèrent comme le type de la race.

Les bidets et les doubles bidets, que l’on trouve en grand nombre sur la partie méridionale de la province, dans les landes des cinq départements, et principalement en allant de Brest à Nantes, ou en se dirigeant de Nantes vers Rennes, présentent, malgré leur taille plus petite, presque tous les caractères ■ desdiligenciers bretons. Ils rendent, du reste, les mêmes services. Leur poil est bai ou alezan, avec des crins tantôt rouges, tantôt blanchâtres.

Le commerce et l’élevage des chevaux sont très-actifs en Bretagne ; on évalue à environ 12,000 le nombre des poulains exportés tous les ans de l’arrondissement de Morlaix. Les jeunes animaux sont plusieurs fois déplacés avant d’être livrés à leurs maîtres définitifs. « Ce sont d’abord, dit M. Magne, les éleveurs des environs de Morlaix qui les achètent, à l’âge de six. ou sept mois, dans l’arrondissement de Brest ; ils tes conservent six mois, un an, et les revendent à des confrères des Côtesdu-Nord, d’Ille-et-Vilaine, etc. Ceux-ci les nourrissent encore quelque temps, et les vendent ensuite pour aller dans la Sarthe, dans l’Orne ou dans l’Eure-et-Loir. C’est dans ces derniers départements que se complète l’élevage de la plupart des poulains exportés de la Bretagne. Les animaux vont, en quittant ces pays, terminer leur existence chez les maîtres de poste et les entrepreneurs de diligences des diverses parties de la France. »

Malgré leurs qualités, les chevaux bretons, ainsi que nous l’avons dit plus haut, ne sont pas exempts de quelques défauts de conformation assez graves. Presque tous pèchent par les allures et le tempérament ; leur trot n’est pas allongé, et ils manquent de vivacité en quittant les fermes où ils sont nés. Ils sont particulièrement sujets àlafiuxion périodique. On comprend donc la nécessité d’améliorer la race par le choix des reproducteurs, par le croisement, et surtout par l’amélioration des terres et le perfectionnement de l’agriculture. Ces moyens, employés déjà sur plusieurs’ points, ont parfaitement réussi ; le dernier sera le plus difficile à obtenir. Espérons néanmoins que l’utile exemple donné récemment par M""* la princesse Bacciochi ne restera pas sans résultat. En voyant des landes incultes, défrichées par ses ordres il y a à peine quelques années, former aujourd’hui un magnifique domaine, il n’y aura pas de propriétaire qui ne prenne le parti d accomplir dans ses propriétés une semblable transformation. Ce jour-là seulement, l’élevage du cheval dans la vieille Armorique aura fait un pas réellement décisif ; jusque-là, on aura beau n’employer que des reproducteurs de choix, faire les croisements les mieux entendus, les choses resteront ce qu’elles sont, parce que les animaux manqueront d’une nourriture abondante et réparatrice.


Bretonne (BIOGRAPHIE), 2 vol. in-4o à deux colonnes ; Vannes, 1847-1857, par M. Levot, conservateur de la bibliothèque de la marine, à Brest, avec la collaboration d’écrivains bretons. Cet ouvrage, par ordre alphabétique, publié en vingt-quatre livraisons, est un des meilleurs de ce genre édités en province. Ce n’est pas qu’il échappe complètement aux défauts ordinaires à ces sortes de livres, qui ne sont pas assez sévères dans le choix des noms : on trouve dans ce Panthéon de laBretagne un certain nombre de notices d’un intérêt médiocre, et concernant des hommes presque inconnus, même de leurs compatriotes ; mais il se recommande par une érudition de bon aloi, par le scrupule des recherches, par l’esprit de tolérance libérale qui a présidé à la direction de cette œuvre importante. Quinze cents notices, dont plusieurs (Abailard, Charette, Chateaubriand, Duguesclin, Fauché, La Chalotais, Le Sage, etc., etc.) sont des études complètes, mises au jour en dix ans, témoignent du zèle laborieux de M. Levot et de ses collaborateurs, qui ne se sont pas contentés de copier les biographies générales, mais qui ont voulu reviser les travaux de leurs prédécesseurs, corriger leurs erreurs

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réparer leurs omissions et élever à la Bretagne un monument digne de cette grande province. La Société académique de Nantes a décerné, en 1858, une médaille d’or à M. Levot. (Voir, pour une analyse détaillée de la Biographie bretonne, deux articles de M. Doneaud insérés dans la Revue des provinces de l’Ouest, de Nantes, 6e année, p. 107 et 172.)


Bretons (LES), poème par Auguste Brizeux. L’auteur était allé faire un voyage en Italie ; il avait senti qu’il manquerait des couleurs à sa palette de poëte, s il négligeait de faire connaissance avec la nature méridionale et les splendeurs artistiques de l’Italie ; mais on n’emporte pas la patrie à la semelle de ses souliers : Brizeux s’en était bientôt aperçu, et son poëme de la Fleur d’or garde les traces des comparaisons perpétuelles auxquelles il n’avait pu empêcher son esprit et son cœur de se livrer, entre le caractère indolent et rêveur des Italiens, les merveilles éblouissantes de leur climat, leurs richesses artistiques, et les mœurs simples et graves, l’esprit sérieux et réfléchi, les beautés austères du paysage de son pays natal. Il l’aimait tant, sa chère Bretagne, qu’il n’avait qu’un rêve, c’était, comme dit M. Ratisbonne, de « l’embaumer tout entière dans un beau poème, » avant que ce qu’il appelait l’esprit nouveau, c’est-à-dire la civilisation moderne, eût fait invasion, avec son odieux prosaïsme, dans la vieille et sainte Armorique. Il fit l’épopée rustique des Bretons :

O landes 1 ô forêts ! pierres sombres et hautes, [côtes. Bois qui couvrez nos champs, mers qui battez dos Villages où les morts errent avec tes vents, Bretagne ! d’où te vient l’amour de tes enfants ? Des villes d’Italie où j’osai, jeune et svelte, [Celte, Parmi ces hommes bruns montrer l’œil bleu d’un J’arrivais, plein des feus de leur volcan sacré. Mûri par leur soleil, de leurs arts enivré ; Mais dès que je sentis, ô ma terre natale ! L’odeur qui des genêts et des landes s’exhale, Lorsque je vis le flux et reflux de la mer, Et les tristes sapins se balancer dans l’air, Adieu les orangers, le marbre de Carrare ! Mon instinct l’emporta ; je redevins barbare, Et j’oubliai les noms des antiques héros. Pour chanter les combats des loups et des taureaux.

Brizeux aura eu la joie peu commune de réaliser son rêve d’une façon plus brillante peut-être qu’il n’avait osé l’espérer. G. Planche dit que le poëte avait pour ambition d’être l’Hésiode des chaumières de la Bretagne ; il a été plus que cela : il a gravé, sur un marbre qui bravera le temps, l’histoire des mœurs, des coutumes de son pays ; il en a décrit les animaux et les hommes, les sites et le ciel ; il a retracé le tableau des costumes, des travaux, des jeux de l’Annorique ; il a pris le Breton à sa naissance et l’a conduit jusqu’à sa mort, en le faisant voir dans toutes les conditions qu’il peut prendre. Depuis le pêcheur jusqu’au soldat, depuis le laboureur jusqu’au prêtre, il nous fait parcourir toute l’échelle sociale. Il n’est pas jusqu’aux vieilles légendes du pays qu’il ne ressuscite à nos yeux. Les tableaux se succèdent, plus vigoureux et plus vivants les uns que les autres ; le pathétique s’y mêle à la grâce, et la simplicité au grandiose. Parmi ces morceaux qui se détachent aisément de l’ensemble, il en est un qui peut soutenir la comparaison avec ce que la poésie moderne a

produit de plus puissant et de plus beau ; c’est celui des Lutteurs, que nous regrettons de ne pouvoir citer qu’en partie :

On les vit d’un air grave entrer dans la prairie. C’étaient des hommes francs, tels qu’en fait leur palis se prirent la main en ennemis courtois, [trie. Et firent tous les deux un grand signe de croix. Debout, pied contre pied et tète contre tète, Comme s’ils attendaient que leur ame fût prête, Ils restèrent ainsi tellement engagés Qu’en deux blocs de granit on les eût dit changés. Leur front tendu suait et montrait chaque veine. Leur poitrine avec bruit rejetait leur haleine, Tout leur corps travaillait, pareil a. ces ressorts Qui semblent, pour s’user, faire de longs efforts. Puis, afin : l’en finir, sur la terre qui tremble, L’un par l’autre emportés, ils bondissent ensemble ; Mais par un nœud de fer l’un & l’autre liés, Toujours ils retombaient ensemble sur leurs pies. Le peuple, hors de lui, criait ; un large espace S’ouvrait, et teur à tour se fermait sur leur trace. Et moi, poëte errant, conduit à ces grands jeux, Un frisson de plaisir coûtât par mes cheveux. Dans nos vergers bretons, sous nos chênes antiques C’était un souvenir des coutumes celtiques. Déjà si j’aimais bien mon pays, dès ce jour Je sentis dans mon cœur croître encor mon amour.

Le poème des Bretons abonde en scènes do cette valeur, et toutes sont reliées entre elles, autant pour rompre la monotonie que pour répandre un semblant d’intérêt dramatique sur l’ensemble, par une histoire pay sannesque, dont les héros, Loïc et Lilès, avaient déjà figuré dans le poëme de Marie. Loïc est amoureux d’Anna, mais il étudie au presbytère pour prendre la soutane, et Anna recule devant la responsabilité de dérober un serviteur à Dieu. Lilès, lui aussi, aime Anna, mais le sort ne lui a pas été favorable ; il est conscrit et ne

fiossède pas de quoi payer un remplaçant. De à quelques incidents, quelques péripéties qui ne réussissent qu’à demi, il faut le dire, à éviter l’écueil contre lequel vient échouer

presque infailliblement, à notre époquej tout essai de poésie- épique, c’est-à-dire l’ennui « qui naît de 1 uniformité. • Tel qu’il est, le poëme

des Bretons doit être, suivant nous, préféré à celui de Marie, auquel il est supérieur autant

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