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français, ont donné une fin touchante à ces trois excellents comédiens liés d’une inaltérable amitié : « Gros-Guillaume, qui jouait à visage découvert, eut la hardiesse de contrefaire un magistrat à qui une certaine grimace était familière, et il le contrefit trop bien, car il fut décrété, lui et ses compagnons. Ceux-ci prirent la fuite ; mais Gros-Guillaume fut arrêté et mis dans un cachot : le saisissement qu’il en eut lui causa la mort ; et la douleur que Gauthier-Garguille et Turlupin en ressentirent les emporta dans la même semaine. » Ceci remonterait à l’année 1634, mais il paraît qu’il ne faut pas ajouter une foi complète à cette histoire. Quoi qu’il en soit, il est à peu près prouvé que les trois amis se suivirent d’assez près dans la tombe. Gauthier-Garguille mourut le premier, à la fin de 1633, et, dès 1634, nous voyons Guillot-Gorju le remplacer à l’Hôtel de Bourgogne. Quant à ses deux confrères, il n’en est plus question sur ces planches, où ils avaient été si fort applaudis. Citons encore, parmi les acteurs de cette époque, Pierre Lemessier, dit Bellerose, mort en 1670 ; il entra à l’Hôtel de Bourgogne en 1629, et devint le chef de la troupe. Jusqu’en 1643, époque de sa retraite, il brilla dans les premiers rôles tragiques et comiques ; on lui doit les créations de Cinna et du Menteur. Jean Farine, dont on ignore le véritable nom, et qui jouait dans la farce ; Alison, qui jouait les servantes et les nourrices, les femmes ne paraissant pas encore sur la scène ; Julien Joffrin de l’Epy, dit Jodelet, qui jouait les valets avec le plus grand succès dès 1610 dans la troupe du Marais, et qui passa à l’Hôtel de Bourgogne en 1634, fameux dans les pièces de Scarron ; Lecomte, dit Valeran, qui joua longtemps les premiers rôles avec Marie Venier Delaporte, l’une des premières actrices qui aient paru sur la scène française ; la Beaupré, la première femme qui se soit montrée sur les planches, et qui créa la soubrette dans la Galerie du Palais, de Corneille, en 1634, N’oublions pas Deslauriers, dit Bruscambille. Ce dernier vécut et resta à l’Hôtel de Bourgogne jusque vers 1634. Son rôle consistait principalement à paraître sur la scène pour haranguer l’auditoire, à la façon du badin du vieux théâtre avec ses monologues ; à amuser les spectateurs en attendant que les jeux commençassent, ou à combler l’intervalle de deux pièces par un intermède de haute fantaisie. Plus d’une fois même il harangua la foule au dehors, car le théâtre sur lequel se produisait Corneille avait des parades à la porte, comme les saltimbanques de nos jours. Bruscambille était fertile en bons mots et traits bizarres. L’obscénité se mêle assez souvent à ses prologues, qui donnent aujourd’hui une singulière idée des spectateurs de ce temps-là. Nous citerons un morceau d’une de ses harangues au parterre : « Je vous dis donc que vous avez tort, et même grand tort, de venir, depuis vos maisons jusqu’ici, pour montrer l’impatience qui vous est naturellement habituelle… c’est-à-dire pour n’être entrés à peine dans ce lieu de divertissement que, dès la porte, vous criiez à gorge déployée : « Commencez ! commencez ! » Et que savez-vous, messieurs, si le seigneur Bruscambille aura bien étudié son rôle avant que de paraître devant l’excellence de Vos Seigneuries ?… Nous avons bien eu la patience de vous attendre de pied ferme, et de recevoir votre argent à la porte, de meilleur cœur pour le moins que vous nous l’avez présenté ; de vous préparer une jolie décoration de théâtre, une belle pièce toute neuve, qui, sortant de la forge, est encore toute chaude ; mais vous ne voulez pas nous donner le loisir de commencer méthodiquement une pièce qui doit divertir les individus de Vos Excellences ; mais c’est encore bien pis quand on a commencé ; l’un tousse, l’autre crache, l’autre pette, l’autre rit, l’autre au théâtre tourne le cul ; il n’est pas jusqu’aux laquais qui n’y veulent mettre leur nez, tantôt en faisant intervenir des gourmades réciproques, tantôt en lançant avec des sarbacanes des pois au nez de ceux qui ne peuvent mais de leurs folies… Vous répondrez que le jeu ne vous plaît pas ; c’est là où je vous attendais, pour vous prouver que vous êtes d’autant plus fous d’y venir nous apporter votre bel et bon argent. Ma foi, si tous les ânes mangeaient du chardon, je n’en voudrais pas fournir la compagnie qui est devant moi à cent écus par an… Je vous entends venir avec vos sabots neufs. Il faudrait, pour vous ragoûter, faire voler quatre diables en l’air, vous infecter d’une puante fumée de poudre, et faire plus de bruit que tous les armuriers de la heaumerie n’en font, etc. » Par ces derniers mots, Bruscambille veut parler de ces représentations infernales, appelées diable à quatre, qui plaisaient infiniment à la bonne compagnie de l’époque. On voit par la harangue de Bruscambille, la seule ou à peu près qui se puisse décemment citer, quelles ténèbres avaient à percer le génie des Molière et celui des Corneille. Sorel, dans son Histoire de la maison des jeux, nous apprend que les acteurs de l’Hôtel de Bourgogne ne dédaignaient pas d’aller appeler le monde au son du tambour jusqu’au carrefour Saint-Eustache. Quelques mots encore sur les comédiens de cette première période de l’art dramatique en France. Plus haut, nous avons vu Guillot-Gorju, qui de son vrai nom s’appelait Bertrand Harduin de Saint-Jacques, remplacer Gauthier-Garguille sur les planches de l’Hôtel de Bourgogne. Deux autres gais compères dont on ne connaît que les sobriquets typiques, Gringalet et Goguelu vinrent à ses côtés compléter un nouveau trio comique ; mais il faut bien l’avouer, sauf Guillot-Gorju, qui avait de la littérature, et mourut en 1648, après avoir exercé la médecine, les successeurs de Turlupin et de Gros-Guillaume n’atteignirent pas à l’éclat de ces maîtres du burlesque. La plupart des comédiens dont nous venons de rappeler les noms ont laissé des traces de leur verve gauloise, et nous avons de quelques-uns d’entre eux des facéties qui sont demeurées célèbres. Tous jouaient avec des masques, à l’exception de Gros-Guillaume, qui se couvrait le visage de farine, dont il savait lancer adroitement la plus grande partie à ses interlocuteurs en remuant les lèvres. Ceux qui ramassèrent le sceptre tombé de ses mains firent de même.

Nous permettra-t-on quelques détails destinés à compléter la physionomie que présentait la salle de l’Hôtel de Bourgogne ? L’usage des violons à l’orchestre existe dès l’an 1616 ; un arrêt du Conseil du 30 avril 1673 fixera le nombre des voix de la comédie à deux, et celui des violons à six, au lieu de six voix et de douze violons que les comédiens avaient auparavant. Il n’y a dans la salle que très-peu de loges et un parterre où les spectateurs sont debout. Cependant la cour ne dédaigne pas de s’y rendre. On y indique ses places en y mettant, dans toute leur simplicité, des chaises. On ne paye ordinairement, comme nous l’avons dit plus haut, que dix sols aux galeries, et cinq sols au parterre ; mais le taux s’élève peu à peu. Dès 1652, on voit les galeries coûter cinq livres dix sous. On lit dans une affiche en vers du comédien de Villiers, pour la pièce d’Amaryllis, celle de Duryer, jouée en 1650 :


Venez, apportez votre trogne
    Dedans notre Hôtel de Bourgogne ;
    Venez en foule, apportez-nous
    Dans le parterre quinze sous,
    Cent dix sous dans les galeries.

Le mot de la Beaupré que tout le monde connaît prouve surabondamment que les auteurs admis à écrire pour MM. les comédiens recevaient d’assez maigres honoraires : « M. Corneille nous a fait un grand tort : nous avions ci-devant des pièces de théâtre pour trois écus, que l’on nous faisait en une nuit ; on y était accoutumé et nous y gagnions beaucoup. Présentement, les pièces de M. Corneille nous coûtent bien de l’argent, et nous gagnons peu de chose. » C’est surtout à Hardy que la comédienne faisait allusion. Hardy recevait trois écus pour chacun de ses ouvrages. Quant à Corneille, vers la fin de sa carrière, alors que sa haute renommée le faisait traiter beaucoup mieux que la plupart des autres poètes ses contemporains, il ne toucha jamais plus de deux mille livres pour cinq actes de tragédie. Le théâtre de l’hôtel du Bourgogne, comme celui du Marais, formait une sorte de république, ayant à sa tête un président choisi par les comédiens et parmi eux. Dans cette association, où chacun était égal en droits, les profits et les pertes étaient partagés en commun. La troupe avait un assez grand nombre d’officiers chargés d’emplois spéciaux et distincts. Il y avait d’abord les hauts officiers, faisant ordinairement partie du corps de la troupe, et non gagés ; puis les bas officiers, rétribués par la compagnie. Les hauts officiers étaient le trésorier, le secrétaire et le contrôleur ; les bas officiers ou gagistes, le concierge, le copiste, remplissant aussi les fonctions de souffleur, non pas en se tenant, comme aujourd’hui, dans un trou au milieu de la rampe, mais à l’une des ailes du théâtre ; les violons, le receveur au bureau, les contrôleurs des portes, l’un à l’entrée du parterre, et l’autre à celle des loges ; les portiers, en pareil nombre, et postés aux mêmes endroits que les contrôleurs : après les défenses rigoureuses du roi d’entrer sans payer, ce que MM. les mousquetaires prétendaient faire, la charge de portier, rendue surtout nécessaire par les scènes de désordre qui se produisirent aux époques de troubles civils, disparut peu à peu des théâtres. En 1674, l’hôtel de Bourgogne n’en avait plus qu’un à sa porte d’entrée, et, pour le reste, des soldats du régiment des gardes suffisaient. Ensuite venaient les décorateurs, les moucheurs de chandelles, charge souvent remplie par les décorateurs eux-mêmes. Les moucheurs de chandelles devaient s’acquitter rapidement de leur charge afin de ne pas faire languir l’auditoire entre les actes, et avec propreté, pour ne lui pas donner de mauvaise odeur. « L’un, dit Chappuzeau, mouche le devant du théâtre, et l’autre le fond, et surtout ils ont l’œil que le feu ne prenne aux toiles. Pour prévenir cet accident, on a soin de tenir toujours des muids pleins d’eau et nombre de seaux. Les restes des lumières font partie des petits profits des décorateurs. » Parmi les bas officiers, on comptait encore les assistants, que nous nommerions aujourd’hui comparses, les ouvreurs (et non les ouvreuses) de loges, de théâtre et d’amphithéâtre, l’imprimeur et l’afficheur, sans oublier le chandelier. Quand le roi venait voir les comédiens, l’éclairage était fourni par ses officiers. Les chandelles furent remplacées par des lampions à la rampe et de la cire aux lustres. Quinquet n’était pas encore né.

Nous n’entrerons pas ici dans des détails sur les pièces représentées à l’Hôtel de Bourgogne, puisqu’il devra en être parlé quand nous aborderons l’étude de notre théâtre en général. Nous savons déjà par ce qui précède que les pères de la scène française s’y essayèrent, traçant la voie à Corneille et à Molière, et que Corneille lui-même y occupa le premier rang. Racine y fit jouer ses chefs-d œuvre. Citons Quinault, Boursault, Montfleury, Poisson, vers le même temps.

Cependant plusieurs théâtres rivaux s’étaient élevés dans Paris. Il est vrai qu’ils n’eurent qu’une durée éphémère, même celui du Marais, où furent joués les premiers ouvrages de Corneille, même celui qu’on appelait l’Illustre Théâtre, établi dans le jeu de paume de la Croix-Blanche, au faubourg Saint-Germain, dirigé par les Béjart (1645), et où débuta Molière. Molière, ayant parcouru la province, revint jouer à Paris en 1650, à l’hôtel du prince de Conti, essayant, sans réussir encore, de fixer sa troupe dans la capitale. Huit ans après, il obtint la faveur de représenter ses comédies devant Louis XIV, qui, charmé, lui concéda le Petit-Bourbon, où il devait alterner avec les Italiens. En 1660, les acteurs dirigés par lui passèrent au Palais-Royal et prirent le titre de Comédiens de Monsieur. Le théâtre du Palais-Royal allait rivaliser avec l’Hôtel de Bourgogne, mais seulement pour la comédie ; quant à la tragédie, c’est à l’Hôtel de Bourgogne qu’étaient les meilleurs acteurs et qu’on donnait les meilleurs ouvrages en ce genre. Cette différence de jeu fit naître de la jalousie entre les deux troupes. Les Grands Comédiens, ainsi s’appelaient les acteurs de la rue Mauconseil, désertant la comédie et abandonnant surtout la farce, accaparaient presque toutes les productions tragiques des auteurs en renom. Les chefs-d’œuvre de Corneille, depuis le Cid jusqu’à la Mort de Pompée, y virent pour la première fois le feu de la rampe. Là furent applaudis tous ceux de Racine, depuis Andromaque jusqu’à Phèdre, dans l’intervalle de 1667 à 1677. Un succès prodigieux saluait ces œuvres immortelles, interprétées par des acteurs de premier ordre. Aussi les deux théâtres se lançaient-ils des épigrammes que l’on retrouve dans quelques pièces de l’époque. On connaît les traits mordants qui égayèrent aux dépens des Grands Comédiens les spectateurs de l’Impromptu de Versailles.

La mort de Molière, en 1673, fut on ne peut plus favorable à la prospérité de l’Hôtel de Bourgogne. Baron fils, ce grand comédien, abandonna la troupe formée par son père adoptif, et entra dans celle de la rue Mauconseil, entraînant dans sa défection La Thorillière, Beauval et sa femme. Pour surcroît d’infortune, Lulli obtint la permission de faire représenter ses opéras dans la salle du Palais-Royal, et, en peu de jours, la veuve de Molière et ses infortunés camarades se trouvèrent sans protecteur, sans théâtre, et privés de leurs meilleurs artistes. Ce fut alors qu’en cette extrémité ils allèrent humblement demander asile à l’Hôtel de Bourgogne. Ils n’y trouvèrent que mépris et duretés, et un refus cruel leur fut signifié de la part de ceux qui étaient désormais à l’abri des atteintes du fin stylet de l’Impromptu de Versailles.

Dans cette situation, les acteurs, derniers débris de la troupe de Molière, entrèrent en arrangement avec le marquis de Sourdeac, propriétaire du théâtre abandonné par l’Opéra et situé rue des Fossés-de-Nesle (aujourd’hui Mazarine), vis-à-vis la rue Guénégaud. Ils l’achetèrent moyennant 30,000 livres. Le roi, songeant à la protection qu’il avait accordée à Molière, vint au secours de ses anciens camarades en ordonnant la suppression du théâtre du Marais et en faisant incorporer ses meilleurs sujets dans la troupe du Palais-Royal, que l’on appela depuis la troupe de Guénégaud, laquelle, d’après les registres, se trouva composée ainsi : les sieurs de Lagrange, de Brie, du Croisy, Hubert ; Mlles Molière, Lagrange, de Brie, Aubry, du Palais-Royal ; Rosimont et Angélique du Croisy, nouveaux engagés ; les sieurs Laroque, Dauvilliers, Dupin, Verneuil, Guérin d’Estriché, et Mlles Dauvilliers, Dupin, Auzillon, Guyot, du théâtre du Marais. On verra tout à l’heure que ces détails ont leur utilité. À ce tableau opposons l’état de la troupe de l’Hôtel de Bourgogne en 1673 : les sieurs Hauteroche, Lafleur, Poisson, Brécourt, Champmeslé, La Thuillerie, La Thorillière, Baron, Beauval ; Mlles Beauchâteau, Poisson, d’Ennebaut, Brécourt, Champmeslé, La Thuillerie et Beauval ; seize sujets. Floridor s’était retiré l’année précédente ; Beauchâteau et Montfleury étaient déjà morts à cette époque. Tels étaient les comédiens français d’un mérite reconnu que Paris possédait lorsque la troupe de Molière reconstituée vint s’établir rue Guénégaud. Le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne souffrit de cette concurrence. Munis de leurs privilèges, les comédiens s’opposaient à toutes les entreprises théâtrales qui tentaient de s’établir ; mais la protection royale avait soustrait Molière et ses successeurs à leurs prétentions. D’ailleurs, leurs exigences ayant soulevé plusieurs démêlés fort désagréables, on supprima, en 1677, la confrérie de la Passion et ses privilèges. Les revenus de cette confrérie furent appliqués aux Enfants-Trouvés. L’anarchie régnait alors parmi les sociétaires de l’Hôtel de Bourgogne. Champmeslé et sa femme quittèrent la compagnie en 1679 pour passer à la salle Guénégaud, où devait s’opérer, l’année suivante, par ordre du roi, la réunion complète de tous les comédiens français. L’Hôtel de Bourgogne, avant cette fusion, avait rendu enfin hommage au génie de son rival en jouant l’Ombre de Molière, pièce due à l’acteur Brécourt, le transfuge du Palais-Royal. Nous n’avons pas à suivre ici la fortune des Grands Comédiens, dont l’histoire est désormais liée à celle de la Comédie française, la troupe du roi, comme s’intitulait la troupe de Guénégaud, en recevant dans son sein les acteurs de la rue Mauconseil, ayant pris le nom de Comédie française, qui lui est resté et auquel nous renvoyons le lecteur.

Les comédiens italiens dont nous avons précédemment parlé, et qui s’étaient tour à tour montrés aux théâtres du Petit-Bourbon, du Palais-Royal et de la rue Guénégaud, furent forcés d’abandonner cette salle en 1680, après la réunion qui vient d’être rappelée ; ils allèrent exploiter seuls celle de l’Hôtel de Bourgogne. Leurs représentations durèrent jusqu’en 1697, époque où le roi fit fermer leur spectacle pour avoir joué la Fausse Prude et voulu, sous ce titre, peindre, disait-on, Mme de Maintenon. Dominique, leur fameux arlequin, était mort avant cette catastrophe. L’Hôtel de Bourgogne ne rouvrit ses portes qu’au bout de dix-neuf ans, le 1er juin 1716, et l’on vit une nouvelle troupe, venue d’Italie, s’y établir après avoir débuté le 18 mai précédent par l’Ingano fortunato au Palais-Royal, où ils continuèrent de jouer tous les samedis jusqu’à la mort de Madame. Les acteurs qui la composaient étaient Lelio Riccoboni, Mario Baletti, Vicentini, Thomassin (le fameux arlequin), Flaminia Baletti, Sylvia, etc. L’ouverture de l’Hôtel de Bourgogne se fit par la Folie supposée, en présence du régent, et ces acteurs étrangers s’intitulèrent comédiens italiens de S. A. R. le duc d’Orléans. Mais, après la mort de ce prince, ils firent graver sur l’Hôtel de Bourgogne les armes de France, avec cette inscription en lettres d’or sur un marbre noir : Hôtel des comédiens italiens ordinaires du roi, entretenus par Sa Majesté, rétablis à Paris en l’année 1716.

Outre les anciens canevas italiens qu’on attachait aux murs, derrière les coulisses, et que les acteurs consultaient au commencement de chaque scène, on joua bientôt des ouvrages en vers, tels que Mérope, tragédie de Maffei, qui avait pour but d’essayer le goût du public sur les ouvrages sérieux (11 mai 1717). Les billets délivrés pour la représentation de Mérope portaient ces mots : Per chi l’entende, « Pour ceux qui l’entendent. » Malgré leurs soins et leurs efforts, les Italiens ne parvenaient pas à fixer le public français, étranger à la langue employée par eux. Le succès d’une pièce d’Autreau, écrite en français, et intitulée le Port à l’Anglais, attira pendant deux mois de suite la foule chez eux (25 avril 1718). Cet essai fut suivi de plusieurs autres non moins heureux. Fuzelier et quelques autres auteurs vinrent renforcer Autreau. À la troupe s’étaient adjoints le fils de Dominique et {Mlle Lalande. Le 13 juillet 1721, les comédiens italiens, abandonnant l’Hôtel de Bourgogne, allèrent représenter, le 25 du même mois, à la foire Saint-Laurent, sur le théâtre construit par leurs soins, Danaé, comédie en trois actes et en vers français. Le prologue représentait la façade de l’Hôtel de Bourgogne, portant cette inscription : Hôtel à louer. La troupe italienne se faisait foraine pour vivre. Elle revint pourtant à la rue Mauconseil, où peu à peu les comédies françaises l’emportèrent sur les canevas italiens. Outre Fuzelier et Autreau, d’Allainval, Marivaux, Romagnesi, Riccoboni, Dominique fils, Boissy, Sainte-Foix, etc., écrivirent une foule de joyeux et spirituels ouvrages qui firent la vogue du théâtre. En 1762, on réunit à la troupe italienne celle de l’Opéra-Comique ; les deux troupes jouèrent ensemble, pour la première fois, dans les Trois Sultanes de Favart ; à dater de ce moment, le répertoire s’enrichit des ouvrages d’Anseaume, Favart, Sedaine, Monval, etc., mis en musique par Duni, Philidor, Monsigny, Grétry, Dulayrac, etc. En 1779, les pièces italiennes furent supprimées, et l’on congédia tous les comédiens italiens, à l’exception du célèbre Carlin et de Camerani, qui abandonna son emploi de Scapin pour les fonctions de régisseur. Ainsi l’ariette facile et enjouée de Duni, l’harmonie de Philidor et la mélodie expressive de Monsigny l’emportaient sur la batte d’Arlequin, les grimaces de Pierrot et les infidélités de Colombine. L’Opéra-Comique, longtemps persécuté, jusqu’à sa réunion, par la comédie italienne elle-même, absorbait maintenant sa persécutrice. Les derniers ouvrages représentés à l’Hôtel de Bourgogne, dont Mme Favart, morte beaucoup trop tôt, avait fait les délices, et que Favart continuait toujours d’alimenter de bonnes pièces et d’excellents acteurs, les derniers ouvrages représentés rue Mauconseil furent les drames de Mercier, dont un surtout, Jeuneval (1781), se vit accueilli par un orage épouvantable de bravos et de huées, les pantomimes et les petites comédies de Florian, les gais vaudevilles de Piis et de Barré, les opéras-comiques de Marsollier, de Desforges, de Sedaine, etc. Grétry, Monsigny, Dalayrac avaient travaillé en même temps à agrandir le cadre de l’Opéra-Comique. Leurs chefs-d’œuvre, interprétés par les Dugazon, les Clairval, les Trial, les Michu, les Dorsonville, les Laruette, etc., avaient décidément fait oublier le genre des Italiens.

Depuis longtemps la salle Mauconseil ne suffisait plus à contenir la foule passionnée à l’excès pour un genre de musique éminemment