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d’Amsterdam a trois tableaux de cet artiste : une Vue d’hiver, prise du côté de l’Y à Amsterdam, signée : /. Beerestraaten ; les Ruines de l’ancien hôtel de ville d’Amsterdam après l’incendie de 1652, et la Bataille navale de 1666 entre les /lottes hollandaise et anglaise, toile de 2 m. 60 de large, * très-remarquable, dit M. Viardot, par sa vigoureuse couleur à la Rembrandt ; « ces deux, derniers tableaux, signés : 1. Heerstraaten. Au musée de Berlin figure une Vue d’hiver, avec des patineurs sur un canal, signée : /. Beerstraeten fer.it (iGG4). Un tableau du même genre figure au musée Van de* Hoop, à Amsterdam. La galerie de Dresde a deux, marines : une Tempête et une Côte escarpée ; la galerie Suermondt, une marine, signée : /. Beerstraate fecit (1662) ; le musée royal de Madrid, un Effet d’hiver, que le catalogue, rédigé par M. Madrazo, d’il être signé : Beextraate, et être l’œuvre d’un artiste hollandais, dans les tableaux duquel Adrien Van de Yelde peignit de nombreuses figures.

BÉÈSE s. m. (bé-è-zo). Bot. Genre de la famille des cyperacéos. Syn. û’hypœlylre.

BEESHA s. m. (bi-cha). Bot. Grande et belle graminée des Indes orientales, que l’on a longtemps prise pour un bambou, et qui produit un fruit gros et charnu : Le genre iikksua se distingue surtout par son fruit trèsgros et charnu. (A. Richard.)

BEESKOW, ville de Prusse, province de Brandebourg, régence et à 28 kil. S. — O. de Francfort-sur-1 Oder, sur la rive gauche de la Sprée ; 3,500 hab. Fabriques de toiles et de draps, tanneries, brasseries.

BEESTON, petite ville d’Angleterre, dans le comté et à 5 kil. S.-O. de Nottingham, sur le chemin de fer de Derby à Lincoln ; 3,100 hab. Fabrication de dentelles et d’ouvrages en osier. Il Nom de plusieurs autres paroisses et villages d’Angleterre ; un. dans le comté de Chester, un autre dans le comté de York, à 3 kil. de Leods.

BEETHOVEN (Louis van), un des plus grands musiciens qu’ait produits l’Allemagne, si féconde en illustres compositeurs, né à Bonn, le 17 décembre 1770, mort à Vienne, le 20 mars 1827. Son génie apparaît plus grand encore quand on se représente que, successeur d’Haydn et de Mozart, il sut se frayer une voie nouvelle dans l’art musical, dont ces deux maîtres semblaient avoir porté la perfection jusqu’à ses plus extrêmes limites. Le premier cri de Mozart avait été un bégayement musical, son premier jouet un violon, dont il s’était servi en maître à l’âge de quatre ans. Bien différent fut Beethoven : il fallut recourir aux moyens violents pour le forcer à étudier un art qui devait rendre son nom immortel. Cette résistance, il est vrai, ne fut pas de longue durée, et bientôt le clavecin devint son confident et son ami ; à lui seul il confiait les chagrins qui déjà l’éloignaient de la maison paternelle, dont l’ivrognerie et la brutalité de son père faisaient un enfer ; à lui il confiait les idées neuves et originales qui débordaient de son sein, et qu’il traduisait dans de précoces et brillantes improvisations. D’ailleurs, toute sa vie, son instrument fut l’ami préféré à qui il raconta tous ses secrets, et qu’il chargea d’exprimer les sentiments de son âme. Aux femmes qu’il a aimées il parlait par le moyen de son piano, il leur faisait comprendre soit la tendresse qui l’inondait, soit la jalousie dont il était dévoré. À l’égard de ses amis mêmes, il n’avait pas de langage plus expressif. Pendant son séjour à Vienne, une dame chez laquelle il allait très-souvent ayant perdu son fils et se trouvant dans une extrême affliction, Beethoven cessa de s’y rendre durant quelque temps ; un jour, on le vit reparaître ; alors, prenant la main de la mère désolée, il la mit sur son cœur, et il lui dit : « Ce que je sens là, je ne puis vous le dire, mais le clavecin va parler pour moi. » Puis il se livra à une improvisation qui fit éclater la pauvre mère en sanglots, et, se levant, il s’en alla sans dire un mot.

L’improvisation fut toujours chez Beethoven un des côtés merveilleux de son talent, et, dans maintes circonstances, il en donna d’éclatantes preuves. On sait le jugement que Mozart porta sur lui, alors qu’il était presque encore enfant. Le célèbre compositeur, voyant avec quelle facilité ce jeune homme de dix-sept ans se jouait des difficultés et triomphait des pièges qu’il lui avait tendus, dit à ses amis réunis dans une chambre voisine : « Faites attention à ce jeune homme ; vous en entendrez parler quelque jour. » Les musiciens se livraient alors beaucoup plus à l’improvisation qu’aujourd’hui ; souvent, dans les salons des princes protecteurs des arts, on assistait à de brillants tournois, où la palme était quelquefois partagée entre les deux champions également vainqueurs. Dans les premiers temps de son séjour à Vienne, Beethoven eut plusieurs fois occasion de briller dans ces luttes d’harmonie. On raconte même que le musicien Steibelt, qu’il avait éclipsé, déclara qu’il ne mettrait plus les pieds dans un salon où Beethoven se trouverait : c’était l’histoire de Voltaire, refusant les dîners où il devait rencontrer Piron, dont il craignait la langue maligne et acérée.

La mort de son père décida Beethoven à quitter Bonn, où il avait une place d’organiste, mais où aucun avenir ne s’ouvrait devant lui. Il était appelé à Vienne par ses protecteurs, entre autres le comte de Waldstein. Il désirait lui-même entendre le célèbre Haydn, et achever ses études musicales sous la direction de celui dont le nom retentissait dans toute l’Allemagne. Mais les lumières de ce maître furent de peu d’utilité au jeune compositeur, à qui Haydu, qui était livré tout entier à la composition de ses dernières symphonies, ne put donner que quelques leçons incomplètes. Beethoven s’aperçut un jour du peu de soins que l’illustre professeur apportait à son éducation musicale ; il le quitta brusquement et resta longtemps brouillé avec lui. Il lui fallut chercher un autre professeur, car il ne connaissait pas le contre-point et ne savait que très-imparfaitement l’harmonie ; il s’adressa à Albrechtsberger, homme très-savant, mais sec et pédant. Ces deux natures étaient donc profondément antipathiques : Beethoven, volontaire, tout de spontanéité et de premier mouvement, ne pouvait s’accoutumer aux formules étroites de son maître ; aussi négligea-t-il ses enseignements pour étudier et chercher par lui-même ; mais cette méthode lui prenait un temps considérable, et fut cause que son éducation musicale resta toujours imparfaite.

Dès son arrivée à Vienne, Beethoven eut la bonne fortune de trouver des protecteurs ; à cette époque, l’existence des plus grands artistes était précaire et dépendante. Mozart venait de mourir, laissant à peine de quoi se faire enterrer ; c’est à la généreuse protection du prince Esterhazy qu’Haydn dut de pouvoir produire ses chefs-d’œuvre. On aura une idée des progrès qui se sont accomplis, sinon dans l’art, du moins dans le bien-être des artistes, quand on aura mis en regard les 20,000 fr. que rapportent aujourd’hui des partitions à peine médiocres, avec les quelques écus que Don Juan valut à Mozart.

Le prince de Lichnowski fut le premier à accueillir le jeune compositeur ; il le logea chez lui et lui fît une pension de 600 florins. « Malgré de petites mésintelligences, écrivait Beethoven à Wegler, pour lui rendre compte de sa position, le prince s’est montré mon ami le plus chaud, et cela n’a fait que raffermir notre amitié. » Ces petites mésintelligences étaient causées par le caractère brusque, la mauvaise humeur du musicien, plus encore que par certaines vivacités du prince ; mais la princesse de Lichnowski, qui était elle-même musicienne distinguée et très-habile pianiste, faisait servir sa délicatesse de femme et son cœur d’artiste à calmer les mécontentements de son mari : sa bonté pour son favori était inépuisable. Le comte de Rasumoffsky fut aussi un des protecteurs de Beethoven, qui écrivit pour lui le quatuor le plus parfait qu’on eût entendu jusqu’alors. Le comte était non-seulement amateur, mais il était lui-même bon exécutant ; il tenait à avoir les artistes les plus renommés, dont il s’assurait le concours par des pensions viagères. Beethoven, heureux de trouver de si grandes ressources à sa disposition, se mit à composer des quatuors, des trios, des symphonies, où il étudia les détails de l’instrumentation, dont il devait porter si loin la science, et dans laquelle il devait introduire des éléments nouveaux. Si, d’abord, il ne put échapper à l’influence d’Haydn et de Mozart ; si des traces d’imitation sont visibles dans ses premiers quatuors et ses premières symphonies, bientôt son originalté se dégagea, et la Symphonie héroïque fut une révolution aussi bien dans l’art instrumental que dans la manière de Beethoven. On sait l’histoire de cette symphonie, qui jette un jour trop curieux sur les opinions et la manière de penser de Beethoven, pour ne pas être rapportée ici. Beethoven n’était pas seulement un grand artiste ; comme toutes les fortes natures, il était philosophe et penseur, et on pouvait lui appliquer le mot de Quintilien : Pectus est quod disertum facit. Homère, Platon, Virgile, Tacite étaient les auteurs qu’il lisait sans cesse, et il disait que dans Plutarque il avait appris la résignation. Un jour il écrivait à son ami, le docteur Wegler, ces lignes qui montrent bien la trempe de son âme et la nature de son esprit. « Ce que je puis vous dire, c’est que vous me trouverez non-seulement grandi comme artiste, mais encore meilleur comme homme, et, si la prospérité revient dans mon pays, je ne ferai valoir mon art qu’au profit des pauvres. Ô moment heureux ! combien je me réjouis de me rapprocher de toi et même de te faire naître. » À cette imagination vive, à ce cœur honnête, le général Bonaparte apparaissait comme un héros, non-seulement à cause de ses brillantes victoires, mais aussi pour avoir ramené l’ordre en France et s’être mis à la tête d’une république. L’idée républicaine plaisait à Beethoven ; il l’avait puisée dans Platon, dont il faisait une lecture assidue. Aussi, quand le général Bernadotte, alors à Vienne, proposa à Beethoven d’écrire une symphonie en l’honneur du premier consul, le grand artiste accepta avec enthousiasme. L’œuvre fut bientôt terminée, la partition était copiée, et, elle allait être expédiée à Paris, quand le musicien apprend que son héros vient de se faire empereur ; il rentre chez lui, met son œuvre en pièces et ne veut plus en entendre parler. « Allons ! dit-il, celui-là est un ambitieux comme tous les autres. » Ce ne fut que quelques années plus tard, que ses amis le décidèrent à tirer sa symphonie de l’oubli ; à la place du second morceau, qui était la marche triomphale, qui depuis a formé le finale de la Symphonie en ut mineur, il mit une marche funèbre pour pleurer la perte de ses espérances, et l’appela Symphonie héroïque, avec cette devise : Pour rappeler le souvenir d’un grand homme.

Ici commence la période la plus féconde et la plus brillante du talent de Beethoven ; son individualité s’était caractérisée : plus aucune trace d’imitation ; l’inspiration coulait à pleins bords, large et puissante, sans les taches et les obscurités qu’un mysticisme philosophique devait répandre sur les œuvres de sa dernière manière. Alors virent le jour les Symphonies en si bémol, en ut mineur, les quatuors de l’œuvre 59, l’opéra de Fidelio et diverses œuvres pour piano, qui sont appelées à vivre aussi longtemps que l’art musical. C’est à ce moment, où il avait trouvé la célébrité, où tous applaudissaient à ses productions, c’est alors qu’il vit s’accroître l’infirmité redoutable, qui était comme la goutte de poison versée dans sa coupe de triomphateur. Déjà à trente ans il avait ressenti les premières atteintes de la surdité, et il écrivait à son ami Wegler : « Je puis vous dire que je passe ma vie assez tristement depuis deux ans ; je vais peu dans le monde, parce qu’il m’est impossible de dire aux hommes : Je suis sourd ! Si je m’occupais d’un autre art que la musique, cela m’irait encore ; mais, dans le mien, c’est une terrible situation. » Cette phrase est le secret de toute la vie de Beethoven, et c’est là la douleur cachée qui va attrister la dernière partie de sa carrière ; à cette cause, il faut attribuer sa brusquerie, sa misanthropie, et ce que sa musique renferme parfois de bizarre et d’obscur.

Pour se faire une idée de la souffrance morale qu’éprouve le malheureux artiste, condamné désormais à la solitude, pour comprendre à quel point cette infirmité l’attristait et quel long martyre a dû être son existence, il faut lire le curieux testament qu’il écrivit à cette époque (6 octobre 1808), alors qu’il se croyait arrivé à cette dernière heure, qui ne devait sonner pour lui que vingt ans plus tard. « Ô hommes, qui me croyez haineux, intraitable ou misanthrope, et qui me représentez comme tel, combien vous vous trompez ! Vous ignorez les raisons qui font que je vous parais ainsi. Dès mon enfance, j’étais porté de cœur et d’esprit au sentiment de la bienveillance ; j’éprouvais même le besoin de faire de belles actions ; mais songez que, depuis six années, je souffre d’un mal terrible qu’aggravent d’ignorants médecins ; que, bercé d’année en année par l’espoir d’une amélioration, j’en suis venu à la perspective d’être sans cesse sous l’influence d’un mal dont la guérison sera fort longue, et peut-être impossible. Pensez que, né avec un tempérament ardent, impétueux, capable de sentir les agréments de la société, j’ai été obligé de m’en séparer de bonne heure et de mener une vie solitaire. Si quelquefois je voulais oublier mon infirmité, oh ! combien, j’en étais durement puni par la triste et douloureuse épreuve de ma difficulté d’entendre ! Et, cependant, il m’était impossible de dire aux hommes : Parlez plus haut ; criez, je suis sourd. Comment me résoudre à avouer la faiblesse d’un sens qui aurait dû être chez moi plus complet que chez tout autre, d’un sens que j’ai possédé dans l’état de perfection et d’une perfection telle qu’elle s’est rencontrée chez peu d’hommes de mon art ! Non, je ne le puis. Pardonnez-moi donc, si vous me voyez me retirer en arrière, quand je voudrais me mêler parmi vous ; mon malheur m’est d’autant plus pénible qu’il fait que l’on me méconnaît. Pour moi, point de distraction dans la société des hommes, dans leur ingénieuse conversation ; point d’épanchement mutuel. Vivant presque entièrement seul, sans autres relations que celles qu’une impérieuse nécessité commande ; semblable à un banni, toutes les fois que je m’approche du monde, une affreuse inquiétude s’empare de moi ; je crains à tout moment de faire apercevoir mon état... » Et plus loin : « Pourtant, lorsque, en dépit des motifs qui m’éloignaient de la société, je m’y laissais entraîner, de quel chagrin j’étais saisi quand quelqu’un, se trouvant à côté de moi, entendait de loin une flûte et que je n’entendais rien ; quand il entendait chanter un pâtre et que je n’entendais rien ! J’en ressentais un désespoir si violent que peu s’en fallait que je ne misse fin à ma vie ! L’art seul m’a retenu ; il me semblait impossible de quitter le monde avant d’avoir produit tout ce que je sentais devoir produire. C’est ainsi que je continuais cette vie misérable, avec une organisation si nerveuse, qu’un rien peut me faire passer de l’état le plus heureux à l’état le plus pénible. Patience ! c’est le nom du guide que je dois prendre et que j’ai déjà pris ; j’espère que ma résolution sera durable jusqu’à ce qu’il plaise aux Parques impitoyables de briser le fil de ma vie. »

Dès ce jour, en effet, il vécut dans une retraite à peu près absolue, triste, morose, changeant à chaque instant de logements, en ayant souvent trois et même quatre à la fois, pour échapper aux admirations importunes qui le poursuivaient sans cesse. Si parfois il éprouvait quelque besoin de société, un incident survenait qui lui rappelait sa surdité et le replongeait plus que jamais dans la solitude.

Pourtant la gloire était venue, mais la fortune n’avait pas jugé à propos de lui servir d’escorte ; sa position pécuniaire était même moins heureuse que quelque temps après son arrivée à Vienne, époque à laquelle il écrivait : « Mes compositions me rapportent beaucoup, et je puis dire que j’ai plus de commandes que je ne peux en réaliser. On ne marchande pas avec moi, je fais mon prix et l’on me paye. » Or, voici ce que Beethoven appelait être bien payé : il demande 20 ducats pour son Septuor, et autant pour sa première Symphonie. Aujourd’hui, la moindre romance d’un café chantant se vend un prix plus élevé. Mais, à ce moment, les contrefaçons de ses œuvres couraient partout ; lui-même était obligé d’écrire pour démentir des productions que des éditeurs peu scrupuleux tronquaient sans intelligence. En outre, il était exploité par sa famille, qui devait être pour lui une source si grande d’ennuis et d’embarras. Ses deux frères s’étaient complètement emparés de son esprit ; ils s’étaient établis ses caissiers, et faisaient servir sa défiance à éloigner ses meilleurs amis. Quand on essayait de lui montrer le tort que lui causaient ces obsessions et le joug auquel les siens le soumettaient : « Ce sont mes frères, répondait-il en pleurant, » et il leur pardonnait leur tyrannie et leur avidité. Une curieuse lettre de son frère Charles, publiée pour la première fois dans l’ouvrage de Schindler, montre la facilité avec laquelle il se laissait gouverner, et combien ses indignes parents craignaient peu de compromettre son nom. « Cher monsieur, écrivait ce digne frère à un éditeur qui avait demandé quelques manuscrits originaux, pour le moment nous n’avons qu’une symphonie et un grand concerto de piano. Le prix de chaque ouvrage est de 300 florins. Voulez-vous trois sonates pour piano ? Nous ne pouvons vous les donner pour moins de 900 florins, le tout en monnaie de Vienne. Ces sonates ne pourront être livrées que toutes les cinq ou six semaines, car mon frère ne s’occupe plus de telles bagatelles ; il n’écrit plus qu'oratorios, opéras, etc... Nous avons encore deux adagios pour le violon, avec accompagnement d’instruments, qui coûteraient 135 florins ; de plus, deux petites sonates faciles qui sont à votre service, moyennant 280 florins. » Ne croirait-on pas qu’il s’agit ici d’une denrée coloniale, plutôt que d’œuvres nées de l’inspiration ? Cet exemple a d’ailleurs été suivi ; seulement, aujourd’hui, ce sont les artistes ou les écrivains qui débattent eux-mêmes le prix de leur marchandise. Beethoven, dont tous les éditeurs de l’Allemagne avaient indignement pillé les œuvres, n’avait guère pour vivre que le produit des concerts qu’il donnait, où il faisait exécuter ses œuvres nouvelles, jouant lui-même tant que sa surdité lui laissait encore cette latitude. Mais cette ressource était précaire et incertaine ; d’un autre côté, son génie impatient, son humeur brusque, ne lui permettaient pas de s’astreindre à donner des leçons. À peine avait-il consenti à en donner à l’archiduc Rodolphe, qui lui témoignait beaucoup d’amitié et de sympathie, et qui avait fini par l’accepter tel qu’il était, le dispensant de l’étiquette, très-rigoureuse dans ses salons. Un jour Beethoven lui avait dit devant tout le monde : « Prince, je vous estime et vous vénère autant que personne au monde ; mais je ne puis m’habituer aux détails de cette gênante et minutieuse étiquette qu’on s’obstine à m’enseigner ; je supplie Votre Altesse de m’en dispenser. » La cour, de son côté, ne faisait pas plus pour Beethoven qu’elle n’avait fait pour Haydn et pour Mozart, insoucieuse qu’elle était des génies qui illustraient l’Allemagne, et qui, pesaient moins à ses yeux que la plume attachée au chapeau du dernier chambellan. Ses envieux, le génie n’en a jamais manqué, n’auraient pas permis qu’il fut placé à la chapelle de la cour. Déjà on avait crié bien fort quand l’archiduc l’avait choisi pour son professeur. « Un novateur ! un républicain ! » disaient les courtisans en levant les bras au ciel. Dans cette situation, Beethoven se montra enfin décidé à accepter la place de maître de chapelle, qui lui était offerte par Jérôme Napoléon, roi de Westphalie. En apprenant cette nouvelle, l’archiduc Rodolphe, le prince de Lobkowitz et le prince Kiwsky, sentirent la perte irréparable qu’allait faire la ville de Vienne. Ils se réunirent pour instituer une pension au grand artiste, et signèrent l’acte suivant, qui n’honore pas moins leur cœur que leur esprit. « Les preuves journalières que donne M. Louis de Beethoven de son talent extraordinaire et de son génie comme compositeur de musique, font naître le désir de le voir surpasser encore l’attente générale, comme l’expérience, jusqu’à ce jour, donne lieu de l’espérer. Mais comme il est reconnu que, pour pouvoir se consacrer entièrement à son art, l’artiste d’un grand talent doit être libre de tout souci pour son existence, et affranchi de toute occupation assujettissante, afin de donner un libre cours à son inspiration, les soussignés ont résolu de faire en sorte que les besoins de la vie ne mettent point Beethoven dans l’embarras ; en conséquence ils s’engagent à lui servir une pension de 4,000 florins. » La seule condition imposée à Beethoven était de ne pas quitter le sol de l’Autriche. Malgré la bonne volonté de ses protecteurs, les dernières années de Beethoven n’en furent pas moins attristées par de misérables soucis d’argent : sur ces 4,000 florins, 600 avaient été retranchés, puis la dépréciation du papier monnaie fit tomber la pension à peu près au tiers de sa valeur nominale. Aussi, vers la fin de sa carrière, on le voit écrivant à son élève Ries : « Cette sonate a été composée dans des circonstances bien pénibles, car il est triste d’être obligé d’écrire pour avoir du pain. C’est là où j’en suis mainte-