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exportation de laine, coton, soie, tabac, cire, gomme, garance, etc., et de blé et maïs, certaines années seulement ; en importation de charbons, fers, métaux, verreries, étoffes, ^et, en général, de tous les produits manufacturés européens. Dans ce mouvement, effectué par 3,000 bâtiments de tout tonnage, la France entre pour environ un cinquième, proportion que notre commerce et notre marine doivent tendre et tendent en effet à augmenter tous les jours. Malgré la richesse des productions naturelles du pays qui l’entoure, Beyrouth n’était, il y a vingt-cinq ans, qu’une ville de 15 à 20,000 âmes ; elle n’attira sérieusement l’attention du commerce européen qu’à la suite des événements de 1840, et depuis, elle n’a fait que grandir et prospérer. L’importance de Beyrouth s’est surtout accrue dans ces dernières années par l’établissement d’une route carrossable qui la relie à Damas, riche centre de consommation, d’entrepôt et de production. La construction de cette route, difficile il bien des points de vue, a duré quatre ans. Depuis son achèvement, la route est sillonnée en tout temps par de nombreux convois de chariots, de diligences et autres voitures, qui, en rendant les communications plus fréquentes, plus sûres et moins coûteuses, facilitent les relations des diverses populations, multiplient les transactions commerciales et sont un élément puissant de richesse et de civilisation. L’initiative de cette grande entreprise est due à M. le comte Edm. de Perthuis, ancien officier de la marine française, qui sollicita et obtint de la Porte, en 1857, la concession de la route, créa, pour la construire, une société de capitalistes, français pour la plupart, et dirigea les travaux avec une rare et persévérante énergie. Ajoutons que Beyrouth va être prochainement dotée d’un port vaste et sûr, dont le gouvernement turc a fait étudier les plans, et qui sera probablement exécuté par une compagnie française. Une fois qu’ellei en sera pourvue, la ville de Beyrouth, naturellement appelée à de brillantes destinées commerciales, pourra disputer à Alexandrie le surnom de Marseille du Levant.

Beyrouth est située sur une langue de terre triangulaire, dont la base s’appuie au pied du Liban occidental, tandis que la pointe se projette d’environ 4 à 5 kil. dans la mer. Vers le sud, elle présente des grèves sablonneuses ; vers le nord, des rochers déchiquetés qui plongent dans une mer profonde. C’est sur le côté nord que s’élève, sur le milieu du promontoire, la ville actuelle, resserrée dans une étroite enceinte de murailles, et présentant, comme la plupart des villes d’Orient, un dédale de ruelles en pente plus ou moins roide. En dehors de la villeproprementdite, s’étend, sur un charmant amphithéâtre de collines, une riche ceinture de villas riantes et bien bâties, avec de vastes jardins dont la végétation est des plus énergiques, mais dont l’étendue a été, à une certaine époque, sérieusement menacée par l’invasion des sables. Un système de plantation de pins, dû à l’émir Fakhr-ed-Din, a eu l’heureux effet de l’arrêter. La ville proprement dite ne renferme pas de monuments ni d’antiquités. De vastes substructions, cachées en terre, et que de temps à autre on découvre en creusant pour établir les fondations des maisons modernes, des colonnes éparses et quelques fragments de mosaïque, voilà tout ce qui reste de la Berytus des anciens et de la brillante colonie romaine Julia-Augusta-Felix. Les souvenirs du moyen âge sont plus considérables. C’est d’abord l’enceinte des fortifications, qui, formée tantôt de constructions régulières et imposantes, tantôt de pans de murs chancelants, en harmonie avec les misérables habitations du quartier arabe, offre dans ses contours capricieux les aspects les plus pittoresques. Ces remparts n’ont pas de caractère architectural bien défini ; les fondations semblent appartenir à l’antiquité, tandis que le couronnement est de l’époque moderne ; mais l’ensemble remonte évidemment au temps des croisades : on y trouve un mélange du style chrétien et du style sarrasin du xne et du xme siècle. De distance en distance, des tours massives surmontent et défendent les portes de la ville. Une de ces tours, de forme carrée, sans ornements caractéristiques à l’extérieur, s’élève du côté de la mer ; elle a eu particulièrement à souffrir du feu des Anglais, en 1840. Une autre construction du moyen âge est la grande mosquée ; bâtie par les croisés au xne siècle, et dédiée par eux à saint Jean : le porche, actuellement obstrué par des constructions privées, est percé d’une baie ogivale et décoré de colonnettes ; l’intérieur de l’édifice est divisé en trois nefs par deux rangées d’arcades appuyées sur des chapiteaux romans ; la nef centrale est voûtée en berceau ; trois absides terminent les nefs, et un clocher uadrangulaire isolé s’élève devant la porte de l’Est. Le palais du gouverneur, construit au xvie siècle par l’émir druse Fakhr-ed-Din, conserve quelques traces de magnificence ; mais l’appareil et l’ornementation n’ont rien du style arabe de la belle époque. On trouve, en dehors de la ville, sur la route de Tripoli, une mosquée en briques, dont on fait remonter la construction à l’époque des croisades, et près de laquelle la tradition place le combat de saint Georges et du dragon. À l’embouchure du Nahr-el-Keb (le Lycus des anciens), à trois lieues de Beyrouth, on voit, sur les rochers qui bordent la route, une belle

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inscription latine en l’honneur de Marc-Auréle et une série de bas-reliefs qui ont exercé la sagacité de bien des archéologues : on en trouvera la description au mot Nahr-el-Klb. En remontant la gorge dans laquelle coule la rivière, à l’E. de Beyrouth, on remarque, sur la rive méridionale, les restes d’un aqueduc qui amenait autrefois dans cette ville les eaux d’une fontaine abondante. « Il parait avéré, dit Robinson, que cet aqueduc était considérable ; pour arriver à Beyrouth, il traversait une partie du golfe, et était composé d’une rangée d’arcades, double suivant certains écrivains, simple selon d’autres. Il se continuait à travers une masse rocheuse dans laquelle on lui avait creusé une voûte, et arrivait enfin h la ville par la plaine. On en trouve des vestiges jusqu’à Beyrouth. »

Beyrouth s’élève sur l’emplacement de l’ancienne Beryius, importante ville maritime de la Phénicie. Son histoire, dans l’antiquité phénicienne, n’offre rien qui mérite d’être mentionné. Sous le règne de Démétrius Nicator, elle fut détruite par Tryphon, usurpateur dii trône de Syrie, en l’an 140 av. J.-C. À l’époque romaine, elle fut prise par Agrippa, qui y établit la 5" et la 8e légion, et l’embellit de plusieurs monuments. La ville prit dès lors le nom de Colonia Julia-Augusta-Felix-Beryius, et fut mise en possession des droits de cité romaine. Cette ville fut, sous la période romaine, le siège d’écoles dont la célébrité s’étendit dans toute la Syrie. Beyrouth joua un rôle important pendant les croisades ; les historiens de cette époque la désignent quelquefois sous le nom de Baurim. Assiégée et prise par Baudouin, en 1110, reprise en il87 par Saladin, elle tomba bientôt sous la domination des émirs druses. L’un d’eux, Fakhr-ed-Din (dont on a fait en français Fakardin), l’entoura de murailles flanquées de tours carrées. Ces fortifications n’empêchèrent pas Beyrouth d’être aisément conquise, en 1840, par Ibrahim-Pacha. C’est à la suite de cette expédition, si menaçante pour l’empire ottoman, et qui faillit allumer une guerre européenne, que Beyrouth fut bombardée par les Anglais. Les fortifications de la ville, du côté de la mer, portent encore les traces de cette exécution militaire.

BËYS (Charles de), poète, né à Paris en 1610, mort en 1659. Il montra de bonne heure d’heureuses dispositions pour la poésie, s’acquit une assez grande réputation, et compta parmi les apologistes de son talent Colletet et Scarron. Beys mena une vie de plaisir, s’adonna avec excès au vin et finit par voir sa santé complètement altérée. Soupçonné d’être l’auteur de la Miliade, violente satire dirigée contre le cardinal de Richelieu, il fut jeté à la Bastille ; maie étant parvenu à. prouver que cette œuvre n’était pas de lui, il fut rendu k la liberté. On a de Beys des comédies, dont les principales sont : Céline ou les frères rivaux (1636), Y Hôpital des Fous (1635) ; la Jaloux sans sujet (1635) ; les Illustres Fous (1652). Ses Œuvres poétiques ont été publiées à Paris (1651, in-8o).

BEYSSER (Jean-Michel), général français, né à Ribeauvillé en 1734, exécuté à Paris en 1794. Il servit d’abord comme chirurgien dans l’armée hollandaise, aux Indes. Rentré en France, il se distingua dans les guerres de ia Vendée et s’y éleva au grade de général. Dénoncé deux fois comme entretenant des rapports avec les ennemis de la République, il se justifia une première fois ; mais il fut ensuite condamné a mort et guillotiné.

BEYTBÉes. f. (bè-té). Bot. Genre de plantes de la famille des lihacées, fondé sur une seule espèce, qui croit dans les îles Sandwich.

BEYTZ (Joseph-François, baron de), magistrat et savant belge, né à Bruges, mort en 1832. Étant entré dans la magistrature, il devint substitut du procureur général, conseiller pensionnaire et greffier en chef dans sa ville natale ; puis, après la réunion de la Belgique a la France, il fut nommé membre du conseil des Cinq-Cents. Il prit une part active aux délibérations de cette assemblée, s’opposa aux événements du 18 brumaire, fut proscrit pour ce motif ; mais, rappelé bientôt après, il fut nommé successivement préfet de Loir-et-Cher, procureur général à La Haye (1810), et premier président à Bruxelles. Il conserva ce dernier poste jusqu’en 1814, rentra alors dans la vie privée et se livra aux études les plus diverses et les plus abstraites. Il fut un des partisans les plus chaleureux de la révolution de 1830 en Belgique. On a de lui des Discours et divers ouvrages manuscrits.

BEZ s. m. (bèz). Techn. Fragment do sel

u’on trouve dans la cendre des fourneaux

e salines.

BEZABDA, nom d’une forteresse élevée par les Romains sur une petite île formée par le Tigre, à environ soixante milles du point de jonction des affluents est et ouest de ce fleuve. Elle s’appelait anciennement Phœnicia, suivant Ammien-Marcellïn, ce qui ferait supposer qu’elle avait été l’objet d’un établissement de la part d’un peuple sémitique, avant l’occupation romaine. Cette île, d’environ trois milles de circonférence, était située sur le territoire appartenant à la tribu des Zabdènes. Cette indication nous permet de supposer que le ’ mot Bezabda est la forme latinisée d’un terme syriaque Belh-Zabda, la maison, le lieu de

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demeure de la tribu Zabda. Sous le règne de Constance, Bezabda renfermait une garnison de trois légions renforcées d’un con-ingent d’archers indigènes. Dans l’an 360 de notre ère, elle fut assiégée et prise par le roi persan Sapor, après une résistance désespérée. Le vainqueur, irrité, fit passer la garnison’et les habitants au fil de l’épée, sans distinction d’âge ni de sexe. Constance échoua dans la tentative qu’il fît de recouvrer cette place importante. L’Ile porte aujourd’hui le nom arabe 3e Djezîra ibn’Omar, littéralement Vile du fils d’Omar, et elle offre encore des ruines importantes, qui pourraient être pour l’archéologie l’objet de fouilles fécondes.

M. Jules Oppert, le savant assyriologue, qui a visité cette île lors de son expédition scientifique en Mésopotamie, nous a donné à cet égard, dans la relation de ce voyage, de nouveaux et intéressants détails. Il nous apprend d’abord que le nom ancien de Bezabda se retrouve dans les historiens syriaques sous la forme de Gozartha-Zabdi. Ces mots syriaques, dit-il, sont très-importants, en ce qu’ils nous fournissent le moyen de reconnaître le nom antique de la localité à laquelle une secte rattache même la légende du déluge. Il en rapproche la ville de Zabatûni, dont il est fait mention dans les inscriptions de Ninive.

BEZAN s. m. (be-zan). Comm. Toile do coton du Bengale.

— Homonyme. Besant.

BEZANT s. m. V. BesXnt.

BEZARA, ville de la Palestine, à l’O. de la tribu d’Aser, à 15 kil. S. de Ptolémaïs, près de la mer et sur le territoire phénicien.

BEZARD (François-Simon), conventionnel. Il fut envoyé à la Convention par le département de 1 Oise, et il y vota la mort de Louis XVI. Il fit aussi partie du conseil clés Cinq-Cents et du Tribunat. En 1811, il lut nommé conseiller à la cour impériale d’Amiens ; mais, en 1815, il fut forcé de quitter la France comme régicide.

BEZARD (Jean-Louis), peintre contemparain, né à Toulouse en 1800, élève de Pierre Guérin et de M. Picot. Il remporta le premisr grand prix de Rome, en 1829 (le sujet du concours était Jacob refusant de livrer son fils Benjamin). Après son retour de" Rome, il exposa, en 1836, le Martyre de saint Saturnin, pour lequel il obtint une médaille de lrc classe. Parmi les ouvrages de cet artiste qui ont figuré depuis aux divers Salons, nous citerons : la Méchanceté’ régnant sur la terre, Saint Sébastien, l’Ange et l’enfant, tableau inspiré par la poésie de Reboul (1837) ; Saint Eutrope et Méphistophélès (l83s) ; les Sept œuvres de miséricorde (1839) ; Saint Roch priant pour les pestiférés, l’Assomption et Henri de Bourbon à la tombe de Fleurette (1S40) ; la Calomnie (1842) ; Saint Michel délivrant une <2me(1843) ; l’Ange de saint Matthieu (1845) ; les Sept sacrements, commande du ministère de l’intérieur (1852) ; les Méchants (1855) ; le Quinze août et la Paix, dessins (1857). M. Bezard a exécuté en outre d’importants travaux de peinture murale dans diverses églises de Paris, notamment à’Sainte-Elisabeth (les Bonnes œuvres et les Mauvaises œuvres), à Saint-Eustache (chapelle de Saint-Louis de Gonzague), à Sainte-Clotilde (chapelle de Saint-Joseph). Il a fait aussi, pour la cathédrale d’Agen, quelques peintures remarquables dont il a exposé les dessins aux Salons de 1859 et de 1S61 (les Saints Martyrs d’Agen, la Nativité, la Jtésurrection). Ces diverses compositions religieuses sont généralement bien conçues et dessinées avec pureté ; mais ce qui leur manque, c’est le laisser-aller, la verve, la chaleur, qui distinguent les œuvres faites d’inspiration. M. Bezard a obtenu des rappels de médaille de lrc classe en 1857 et en 1859 ; il a été nommé chevalier de la Légion d’honneur en 1860.

BÉZARÈS. V. Bederrois.

BEZBOBODKO (lecomte Alexandre), homme d’État russe, né dans la petite Russie, mort en 1799. Secrétaire général du comte Roumiantzoff pendant la guerre contre la Turquie, il se fit remarquer par l’élégance de ses dépêches, par la souplesse de son esprit, et conquit la faveur de l’impératrice Catherinequi lui donna le portefeuille de l’intérieur en 1780. Il fit preuve de talent dans ce poste difficile ; mais il eut bientôt a lutter contre l’influence de Potemkin et du favori Platon Zouboff. Tombé en disgrâce, il rentra en faveur à l’avènement de Paul Ier, qui le fit prince et l’employa dans diverses négociations importantes contre la France. Bezborodko était un des sept chefs du vieux parti moscovite. Amateur passionné des beaux-arts, il avait formé a grands frais une magnifique galerie de tableaux, qui subsiste encore et où se trouvent les seize plus beaux tableaux de Vernet.

BEZDAN, ville de l’empire d’Autriche, en Hongrie, comitat de Bacs-Bodrogh, à 15 kil. N.-O. de Zombor, près de la rive gauche du Danube ; 6,750 bab.


BÈZE, commune de France (Côte-d’Or), arrond. et à 27 kil. N.-E. de Dijon ; 1,135 h. Industrie très-active : forges d’acier de fusion, acier fin pour les arts, fours anglais ; fabriques de limes, étrilles, clous, etc. ; tanneries, huileries.


BÈZE, petite rivière de France. V. Baise.


BÈZE (Théodore de), l’un des chefs du parti calviniste, et l’un des piliers de l’Église réformée, suivant l’expression de Bayle, né à Vézelay le 24 juin 1519, mort en 1605. Son père était bailli de Vézelay. Son oncle, conseiller au parlement de Paris, voulut prendre soin de son enfance et de son éducation, et l’envoya étudier à Orléans auprès d’un savant allemand, Melchior Wolmar, qui lui fit faire des progrès rapides, et en même temps jeta dans son esprit les premières semences du protestantisme, dont il avait déjà nourri Calvin. Il étudia quelque temps le droit, pour se conformer aux désirs de sa famille, mais s’occupa surtout de littérature, et composa ces fameuses poésies latines, ces Poemata juvenilia qui lui furent tant reprochés par les catholiques lorsqu’il fut devenu un personnage dans le parti calviniste, et dont nous nous occuperons plus loin. Plongé dans le tourbillon des plaisirs de Paris, il oublia longtemps le serment qu’il s’était fait à lui-même, dans ses enthousiasmes d’adolescent, d’embrasser publiquement la Réforme ; c’eût été embrasser la persécution et l’exil, il ne l’ignorait point. D’un autre côté, le plus brillant avenir s’ouvrait devant lui ; déjà pourvu de riches bénéfices ecclésiastiques, sans être encore engagé dans les ordres, accueilli dans les sociétés élégantes, classé parmi les célébrités littéraires du temps, il n’avait qu’à s’abandonner au cours de la vie et de son heureuse destinée. Mais, malgré la frivolité romanesque de son caractère, il avait conservé au fond du cœur la bonne semence, comme il le dit lui-même ; ses résolutions n’étaient qu’ajournées. On comprend qu’un jeune homme de son caractère, cavalier brillant, poëte à succès, gentilhomme d’un esprit étincelant et d’une vie légère, ne se résigne pas en un jour à renoncer à la fortune, aux honneurs et aux plaisirs. Calvin, pauvre et austère, entra de plain-pied dans la Réforme ; de Bèze eut à briser d’abord les liens qui l’attachaient à la vieille Église et à la vielle société ; sa conversion fut un combat. Après tout, cette victoire de la conscience sur l’intérêt et les passions nous paraît assez remarquable et n’est pas le fait d’une nature vulgaire. À la suite d’une maladie assez grave (1548), de Bèze prit la résolution énergique de ne plus ajourner ce qu’il considérait comme un devoir ; il quitta tout : biens, famille, amis, patrie, et se retira à Genève, où il fit profession publique de la religion, et où il épousa une demoiselle Claudine Denosse, qui l’avait suivi, et avec laquelle il vivait maritalement depuis plusieurs années. Après une sorte de pèlerinage à Tubingue, pour visiter son vieux maître Wolmar, il accepta une chaire de grec à Lausanne. À partir de cette époque, il consacra toute son activité et ses talents à la cause de la Réforme. Il débuta dans son rôle public par une adresse à Charles-Quint, dans laquelle il cherchait à entraîner ce prince dans le protestantisme. Cet écrit, plein de mesure, de force et d’habileté, mit Théodore de Bèze, dans l’opinion des chefs du parti, à la place que lui avait marquée d’avance le coup d’œil de Calvin. Celui-ci avait, en effet, deviné ce génie naissant ; il ne le perdait pas de vue un seul instant, et il le formait à son rôle futur par une correspondance active, où se discutaient les plus graves intérêts de la Réforme. Pendant un séjour de neuf années à Lausanne, de Bèze publia plusieurs de ses ouvrages, et il avait acquis un tel renom d’éloquence et de capacité, que, vers la fin de cette époque, il fut chargé successivement de deux missions à Worms, puis à la cour des princes d’Allemagne, pour réclamer leur intervention auprès du roi de France en faveur des Vaudois persécutés et des protestants qui encombraient les prisons de Paris. Nul n’était plus propre que lui à ces négociations. Homme du monde, éloquent, érudit, avec les dehors les plus séduisants, il restera le diplomate du parti, i) en portera la pensée et la parole en tous lieux.

De retour à Genève vers 1558, il fut admis aux fonctions du ministère ecclésiastique et adjoint à Calvin comme professeur de théologie. Bientôt les protestants français le demandèrent à l’Église de Genève pour travailler à la conversion du roi de Navarre, Antoine de Bourbon. Il partit pour Nérac, où ses prédications eurent un plein succès, parut ensuite avec éclat au colloque de Poissy (1561), réclama énergiquement auprès de Catherine de Médicis la punition des auteurs du massacre de Vassy, et prononça à ce sujet ces fières paroles : « L’Église de Dieu est une enclume qui a déjà usé beaucoup de marteaux. » Il désirait vivement retourner à Genève ; mais la guerre civile ayant éclaté en France, le prince de Condé et les chefs protestants le demandèrent encore une fois à la république. Il se résigna et suivit la fortune de son parti jusque sur le champ de bataille de Dreux, où le prince de Condé fut fait prisonnier. Une courte paix lui rendit sa liberté, et, au commencement de 1563, il alla reprendre ses travaux à Genève. L’année suivante, son maître Calvin étant mort, il fut appelé à lui succéder dans ses charges, et fut dès lors regardé comme le chef de la communion calvinlste en France et à Genève. Doué d’une activité infatigable, il n’avait pas sans doute le génie du fondateur de l’Église de Genève ; mais il possédait dans une haute mesure les qualités nécessaires pour remplir un poste où le principal devoir était de poursuivre l’œuvre