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devait changer la face de tous les peuples ; elle s’étendit rapidement de l’Assyrie jusqu’en Égypte, où elle trouva de puissants promoteurs parmi les prêtres. Ces prêtres novateurs introduisirent dans les temples de nouvelles effigies de dieux représentés chauves et rasés, et ils fascinèrent tellement les esprits par la superstition, que chaque Égyptien s’empressa de se débarrasser, non-seulement du poil du menton, mais de celui de tout le corps, comme d’une superfluité impure. Dès lors une loi religieuse assujettit la nation à une tonte générale, à l’instar d’un troupeau de moutons. Il faut pourtant observer qu’une pareille loi ne devint rigoureusement obligatoire que dans les circonstances où l’on était en deuil de la mort du bœuf Apis. Dans les autres cas, on pouvait rester velu en toute sûreté de conscience. Il suffisait d’avoir la précaution de se couper de très-près la barbe, qu’il n’était pas permis de laisser pousser deux jours de suite, excepté lorsqu’un nouvel Apis avait paru.

« Mais pendant que les Égyptiens traitaient la barbe avec tant de mépris, le ciel, sans cesse attentif à placer le bien à côté du mal, appela chez eux les Israélites qui savaient apprécier ce qu’elle valait. Ce peuple, quoique esclave de l’autre, ne cessa point de porter la barbe en présence de ses oppresseurs ; il est certain que sa persévérance à cet égard contribua beaucoup dans la suite à le soustraire à sa captivité ; car, je vous le demande, Moïse et Aaron auraient-ils pu opérer sa délivrance s’ils eussent été blancs-becs ? Non, non ; croyons-en le témoignage d’un docte rabbin qui nous assure que le Seigneur avait communiqué une vertu divine à leurs barbes, comme il attacha plus tard une force miraculeuse à la chevelure de Samson, et ne nous étonnons plus, après cela, qu’Israël, malgré l’inconstance de son caractère, ait toujours considéré la barbe, soit comme un gage de salut, soit comme un objet de religieuse vénération, et qu’il ait entrepris une guerre exterminatrice pour en venger l’honneur outragé. David mit à feu et à sang le pays des Ammonites qui avaient eu l’insolence de couper la moitié de la barbe à ses ambassadeurs. Jugez de ce qu’eût fait le roi dans son indignation, s’ils eussent poussé le sacrilège jusqu’à la leur couper tout entière.

« C’était alors l’époque brillante de la barbe. Quel éclat elle répandit dans le Jourdain jusqu’aux bords de l’Eurotas ! Nommerait-on une gloire qui ait été séparée de la sienne ? La barbe obtint des Grecs enthousiastes les honneurs de l’apothéose. Elle flotta majestueusement sur la poitrine de leurs dieux, comme un attribut de la puissance céleste. Elle s’arrondit avec grâce autour du menton de Vénus, adorée dans l’île de Chypre sous le nom de Vénus barbue ; elle fut consacrée à la miséricorde, en mémoire de l’usage des suppliants qui pressaient dans leurs mains pieuses la barbe de ceux dont ils cherchaient à émouvoir la compassion ; elle figura dans plusieurs lois au même titre que les choses saintes et inviolables ; elle para les héros, plus redoutables avec elle, d’un lustre non moins beau que celui des trophées ; elle devint même une décoration glorieuse décernée aux veuves argiennes qui, sous la conduite de la noble Télésilla, avaient vengé le meurtre de leurs maris, en chassant de leur ville les armées réunies des deux rois de Sparte, Démarate et Cléomène. Le décret rendu à ce sujet établissait que ces veuves, en se remariant, auraient le droit de porter une barbe feinte au menton, quand elles entreraient dans la couche nuptiale. Ce décret, cité par Plutarque, est assurément un des plus remarquables qui aient jamais été faits. Il suffirait seul pour prouver combien les Grecs étaient plus sages que nous dans le choix des insignes qu’ils accordaient à la valeur. Ces insignes, ils les prenaient parmi les attributs de la virilité, tandis que nous allons les chercher parmi les ornements des femmes. Nous n’offrons que des rubans à nos héros ; ils donnaient des barbes à leurs héroïnes.

« Parcourez les fastes de la Grèce, vous n’y trouverez point d’événement célèbre où la barbe n’ait été mêlée. On pourrait démontrer que l’influence de la barbe fut une des premières causes de la civilisation, des beaux-arts et de la philosophie, qui jetèrent tant de splendeur sur cette contrée favorisée du ciel. La barbe, compagne inséparable des législateurs et des sages, relevait admirablement leur dignité et leur prêtait cet ascendant qui subjuguait les hommes ; la barbe se jouait parmi les cordes de la lyre des poëtes jaloux de chanter ses louanges ; la barbe était le signe caractéristique des philosophes, dont le mérite se mesurait sur la longueur. Y eut-il jamais sous le soleil rien de plus magnifique et de plus respectable que les barbes de Minos, de Nestor, de Musée, d’Homère, de Lycurgue, de Pythagore, de Thalès, de Solon, d’Anacréon, de Miltiade, d’Aristide, de Thémistocle, de Périclès, d’Hippocrate, de Socrate, de Platon, etc., etc. ? On disait avec raison : Tant vaut la barbe, tant vaut l’homme ; et il est à remarquer que, pendant le temps où cet adage fut en honneur, la Grèce occupa le premier rang parmi les nations. On peut même croire qu’elle n’en aurait point été dépossédée, si elle n’eût pas adopté la sotte coutume de se raser. Ce qu’il y a d’incontestable, c’est que son asservissement par les Macédoniens date de cette innovation, introduite, à ce que dit Athénée, par un mauvais citoyen dont le nom s’est perdu dans le sobriquet flétrissant de korsès, qui signifie tondu ou rasé Réfléchissez à cet événement, peuples de la terre, et gardez-vous bien de faire repasser vos rasoirs !!!

« Oui, c’est un fait digne de la plus sérieuse considération, que la barbe se montra constamment auprès du berceau des empires, et le rasoir auprès de leur tombeau. L’histoire universelle, qui offre tant de contradictions sur d’autres points, n’a jamais varié sur celui-ci. Je pourrais en rapporter mille preuves irréfragables, mais il serait trop long de les chercher au milieu des matières diverses qu’elle embrasse, matières dont la totalité, suivant l’abbé Langlet, ne formerait pas moins de trente mille volumes de mille pages chacun. Je prierai mes bénévoles lecteurs de m’en croire sur parole, et je me bornerai à leur citer l’exemple des Romains. Ce grand peuple portait la barbe lorsqu’il expulsa les Tarquins, et l’on sait que, dans la suite, les sénateurs aimèrent mieux se faire massacrer sur leurs chaises curules que de la laisser profaner par les mains des Gaulois. L’attachement qu’elle inspirait, accru par un trait si sublime, dura quatre siècles et demi. Ce ne fut que vers l’an de Rome 454, que des barbiers pénétrèrent dans cette ville, arrivés de Sicile, à la suite de Ticinus Menas. Des barbiers ! quel cortège pour un consul ! les ombres héroïques des vieux Romains en frémirent d’indignation dans leurs sépulcres, mais leurs enfants dégénérés applaudirent à la nouveauté insensée, et livrèrent avec empressement l’honneur de leurs mentons au tranchant du rasoir. Cependant, afin de détourner le courroux des dieux barbus de l’Olympe, qu’une telle conduite ne pouvait manquer d’irriter, ils eurent soin de leur consacrer les poils abattus. Cet acte religieux du dépôt de la barbe, fut renouvelé depuis par tous ceux qui se firent raser pour la première fois, et chacun se piqua d’y joindre autant de luxe et de magnificence que son rang le lui permettait. Les historiens nous apprennent que Néron, en pareille circonstance, monta les cent degrés de la colline sacrée, à l’instar d’un triomphateur, pour aller déposer au Capitole, sur l’autel de Jupiter, les premiers poils de sa barbe, enfermés dans un vase d’or, orné de perles du plus grand prix. Espérait-on compenser la perte de la barbe par un appareil pompeux ? Il eût été bien plus avantageux de la conserver au menton que de la faire figurer auprès des dépouilles opimes. C’est ce que pensèrent plusieurs empereurs, et ils s’efforcèrent de la rétablir. Les plus célèbres de ces réformateurs furent Adrien et Julien, surtout ce dernier, qui signala son avènement au trône en chassant mille barbiers du palais impérial, et qui accabla les misopogons (ennemis de la barbe) des traits de la satire. L’empire alors brilla d’un reflet de son antique splendeur ; mais, hélas ! ce n’était que l’éclat d’un flambeau près de s’éteindre. Les misopogons et les barbiers reparurent, et, peu de temps après, les soldats du Nord, qui portaient de longues barbes, vinrent soumettre les Romains rasés.

Tantœ molis erat romanam radere gentem !

« Les Francs, qu’on vit s’élever parmi ces conquérants et fonder une monarchie qui ne tarda pas à dominer sur les autres, les Francs, passionnés d’abord pour les seules moustaches, comprirent bientôt que ce relief incomplet ne pouvait suffire à leur figure martiale. Ils laissèrent croître leur barbe, et avec elle crût leur pouvoir. Elle devint chez eux, aussi bien que la chevelure, un attribut de la liberté, et il n’y eut presque point de relations sociales ni d’affaires importantes où elle ne fût appelée à jouer un rôle. S’agissait-il, par exemple, d’attacher à des contrats de vente ou de donation un caractère spécial de validité, les vendeurs ou les donateurs offraient trois ou quatre poils de leur barbe, qui étaient insérés dans les sceaux des titres remis aux acquéreurs ou aux donataires. Voulait-on témoigner des égards ou de l’affection à quelqu’un, s’engager à le protéger, le recevoir en adoption, lui accorder une investiture ; tous ces actes se confirmaient par l’attouchement de la barbe, qui les rendait plus sacrés. Les traités politiques même étaient sanctionnés par ce moyen. Aimoin rapporte que Clovis, voulant conclure. une alliance avec Alaric, roi des Wisigoths, lui envoya des ambassadeurs pour le prier de venir toucher sa barbe. On croit que cet attouchement se faisait tantôt avec les mains et tantôt avec des ciseaux ; mais, en ce cas, le fer n’avait pas une action destructive. Il ne tranchait que l’extrémité des poils pour leur donner une forme régulière. Celui qui était chargé de cette opération, où l’on retrouve quelques traits de ressemblance avec la cérémonie du dépôt de la barbe, alors en usage chez plusieurs peuples chrétiens, prenait le titre et les obligations de parrain ou père adoptif. Il se faisait suppléer quelquefois par un prêtre qui récitait des prières dont les formules existent dans le Sacramentaire de saint Grégoire. Les poils coupés étaient enveloppés dans de la cire sur laquelle on imprimait l’image du Christ, et ils étaient remis ensuite au parrain qui les déposait dans un lieu consacré, comme une dépouille vouée à Dieu, Cette destination religieuse des rognures de la barbe était bien préférable à celle que les Grecs, les Romains et les Lombards du même temps donnaient à la barbe entière, en l’envoyant en présent, lorsqu’ils voulaient offrir des gages précieux d’estime et de dévouement, que Paul Diacre appelle les assurances d’une amitié inviolable. Les Francs tenaient trop à leur barbe pour en faire cadeau à un homme, quel qu’il fût ; d’ailleurs c’était pour eux une espèce d’infamie d’avoir la barbe tout à fait coupée, et la peine la plus terrible que Dagobert put infliger à Sadragrésil, duc d’Aquitaine, après l’avoir fait fustiger, fut de ne pas lui laisser un poil au menton.

« Il existait alors une indissoluble union entre le diadème et la barbe, et l’on sait que la première formalité pour opérer la déchéance des rois consistait à leur raser la tête et le visage. Charlemagne eut grand soin d’ordonner, dans ses Capitulaires, qu’aucun de ses descendants ne fût exposé à cet outrage régicide, et certes une telle précaution était très-digne du grand homme qui faisait trembler tout l’Occident devant sa barbe, surtout lorsqu’il jurait par sa barbe et par saint Denis. Les paladins qui, sous son règne, se signalèrent par tant d’exploits, attachaient la plus grande gloire à conserver intact le poil de leur menton, et à couper celui des mentons de leurs adversaires. Un de ces paladins portait sur ses épaules, comme un trophée, un manteau tissu de ce poil moissonné par son glaive ; un autre couchait sur un lit d’honneur dont les matelas en étaient garnis, et cela était mille fois plus beau que de reposer sur des lauriers. Mais on doutera peut-être de la vérité de ces deux traits, parce qu’ils ne sont consignés que dans des livres de chevalerie. Et, quand même ils auraient été imaginés à plaisir, ce que je suis bien loin de penser, ils serviraient du moins à prouver de quelle haute considération la barbe jouissait en ces temps héroïques. Ses honneurs et ses prérogatives se maintinrent jusqu’au XIIe siècle. Il faut dire pourtant que, dans cet intervalle, la manière de la porter subit diverses modifications. Tantôt on la façonna en triangle, tantôt en losange et tantôt en trapèze, selon les lois de la plus exacte géométrie ; quelquefois on l’arrangea de telle sorte que la face humaine eut l’apparence de celle d’un bouc. On lui donna aussi la forme d’un hérisson ; dans ce dernier cas, elle était confondue avec les moustaches et taillée pour faire une bordure circulaire à la bouche. Enfin, on l’amoindrit considérablement, afin qu’elle échappât aux bulles d’interdiction lancées contre elle par le pape Grégoire VII. Cet implacable ennemi de toutes les puissances de la terre ne pouvait ménager la barbe ; mais devait-il être égaré par la haine qu’il lui portait jusqu’à devenir l’imitateur du plus grand adversaire de la papauté, de Photius, patriarche de Constantinople, qui s’était séparé de l’Église romaine, et avait excommunié la barbe du pape Nicolas Ier ? Quel étrange spectacle que celui d’un pontife prenant pour modèle un eunuque schismatique ! Cependant ses violentes persécutions n’eurent pas tout leur effet. Les ecclésiastiques qui, par état, renonçaient aux pompes du monde, furent les seuls qui se firent raser entièrement. Un archevêque de Rouen trouva mauvais que les séculiers, malgré les défenses de Grégoire, conservassent un privilège que n’avait plus le clergé. Il fulmina des mandements contre ce reste de barbe, et ordonna de l’abolir sous peine d’excommunication. Les dévots obéirent ; les autres furent indignés : on se disputa, on s’arma des deux côtés, et l’on vit naître une guerre civile de la barbe. Enfin, Louis VII, dit le Jeune, docile aux volontés sacerdotales, se fit raser publiquement par Pierre Lombard, évêque de Paris, malgré les représentations d’Éléonore, sa femme, qui s’écria, dans son dépit, qu’elle avait cru épouser un roi, et qu’elle n’avait épousé qu’un moine. Les courtisans, toujours singes du prince, imiteront Louis, et l’on n’aperçut plus que des mentons pelés. C’est alors que commença à se former une corporation de barbiers qui choisirent, dans la suite, saint Louis pour leur patron, sans doute à cause de la faveur spéciale que ce monarque avait accordée à son barbier Labrosse, indigne parvenu, qui fut pendu sous le successeur de son maître.

« Une des plus belles actions de Philippe de Valois fut de restaurer la barbe. Sous son règne, on poussa le luxe jusqu’à la parfumer, à l’orner de paillettes d’or et à la galonner, c’est-à-dire à y suspendre des glands dorés nommés galands, ce qui, d’après certain étymologiste dont je cite l’opinion sans l’adopter, pourrait bien avoir introduit le terme de galanterie, car, dit-il, les dames se montraient jalouses de caresser des barbes si bien arrangées. Ce noble usage cessa dans le siècle suivant. Les barbiers redevinrent nombreux et puissants. On sait la grande fortune d’Olivier le Daim, barbier de Louis XI ; on sait aussi comment il expia son élévation. Ce misérable fut pendu comme l’avait été Labrosse, et tous les deux l’avaient bien mérité.

François Ier, qui aspirait à tous les genres de gloire, n’oublia pas celle de la barbe, honteusement négligée après Philippe de Valois. Les détracteurs de ce roi chevalier ont prétendu qu’il ne laissait croître la sienne que pour regagner en poils ce qu’il avait perdu en cheveux, depuis qu’un tison lancé d’une fenêtre par le capitaine de Lorge, comte de Montgommery, lui avait endommagé le crâne ; mais il est certain qu’il agit ainsi par un autre motif. Il sentait toute la valeur de la barbe, et, ce qui le prouve sans réplique, c’est qu’il fit vendre le droit de la porter. Une ordonnance, rendue par lui, en 1533, envoyait ramer sur les galères les bohémiens, les vilains, et tous ceux qui oseraient la porter sans y être autorisés et sans payer la redevance imposée. Il est vrai que la barbe dont il est question n’était pas une barbe roturière. Elle était une prérogative du costume de cour, et elle équivalait à un titre de noblesse.

« Sous Henri IV, on vit paraître des barbes de toutes les espèces. Il y en avait de façonnées en toupet, en éventail, en feuille d’artichaut, en queue d’hirondelle. Mais aucune d’elles ne valait la barbe grise du bon Béarnais sur laquelle lèvent de l’adversité avait soufflé. Ô la plus vénérable des barbes ! maudite soit la langue qui ne proférera pas tes louanges !

« Quel dommage qu’un aussi grand roi que Louis XIV n’ait pas eu pour la barbe les mêmes égards que pour la perruque ! C’est un des plus grands reproches qu’on puisse lui adresser.

« Tel fut le sort de la barbe chez les principales nations. Il serait trop long de raconter celui qu’elle éprouva chez les autres. Je dirai cependant qu’aucun peuple n’eut jamais pour elle un plus grand amour que les Espagnols et les Portugais. C’était une passion qui conservait quelquefois sa force après le trépas. Je n’exagère point. Voici ce que don Sébastien de Cobarruvias raconte à ce sujet : « Cid Rai-Dios, gentilhomme castillan étant mort, un juif, qui le haïssait, se glissa furtivement dans la chambre où le corps reposait sur un lit de parade ; il se mettait déjà en posture de lui tirer la barbe, lorsque le corps se leva soudain, et dégainant à moitié son épée qui se trouvait près de lui, causa une telle frayeur au juif qu’il s’enfuit comme s’il eût eu cinq cents diables à ses trousses. Le corps se remit ensuite sur le lit comme auparavant. »

« La barbe avait alors autant de prix que l’or et les diamants. Un moyen sûr de se procurer de l’argent était d’emprunter sur sa barbe ou sur ses moustaches, comme fit le grand Albukerque. Un telle hypothèque offerte aux prêteurs les plus intraitables faisait sur eux effet d’un talisman. Oh ! pourquoi sa vertu n’est-elle plus la même aujourd’hui ? Ces maudits barbiers ont tout gâté. Ce sont eux sans doute qui, pour engager tout le monde à se faire raser, ont inventé le dicton : Prêter sur la barbe d’un capucin , c’est-à-dire prêter sans garantie ; mais les barbiers passeront, je l’espère, et la barbe restera. Déjà son règne a recommencé parmi nous, et ce qui présage qu’il sera glorieux, c’est qu’il a été ramené par la jeune France. Honneur à ces incomparables jeunes gens qui ont si bien préludé à la restauration de la barbe par la guerre contre les perruques ! quelle gloire pour eux d’être barbus dans un siècle où les barbons n’ont point de barbe !

« Mais ce n’est point assez. La réforme qu’ils ont faite en appelle une autre. Le costume actuel ne saurait convenir à la majesté de la barbe. Ils doivent le supprimer. Puissent-ils adopter celui de ces héros du moyen âge dont nous admirons les portraits dans ces précieuses tapisseries qui décoraient jadis les lambris des palais des rois et des châteaux des grands seigneurs ! Oh ! qu’il me tarde de voir luire ce jour heureux où les habits étriqués des fashionables seront remplacés par les magnifiques vêtements de Geoffroi le Barbu et de Baudoin à la belle barbe ! »

Bibliographie. Outre les ouvrages cités dans le cours de cet article, on peut encore consulter sur cette matière : Le Blason des barbes de maintenant (sans date, in-8o) ; Enopoqonérythrée, ou Louange des barbes rouges, par Pierre l’Eguillard (Caen, sans date, in-12) ; la Nobilita dell’ arte de barbieri, de Domenicho Burchiello (Florence, 1552, in-8o) ; Dialogus de barba et coma, Ant. Hetman (Anvers, 1586, in-8o) ; Éloge de la barbe de Jean Bechman ; Pogonologie ou Discours facétieux des barbes, par Regnault d’Orléans (Rennes, 1589, in-8o) ; Physiologia barbœ humanœ, M. A. Ulmus (Bononiæ, 1603, in-fol.) ; le Guidon des barbiers, par Gui Saulnier, médecin de Lyon (XVIIe siècle) ; Beni sperati barba defensa (Leipzig et Dresde, 1690, in-12)  ; De barba liber singularis, F.-G. Pagenstecher (1715, in-8o) ; Barbalogie ou Dissertation sur la barbe, par J. Vanetti (Reveredo, 1759) ; la Pogonotomie ou l’Art d’apprendre à se raser soi-même, par J.-F. Perret, coutelier à Paris (1769, in-12) ; Mémoire pour servir à l’histoire de la barbe de l’homme, par Dom Aug. Fangé (Liège, Broncart, 1775, in-8o) ; Pogonologie ou Histoire philosophique de la barbe, par J.-A. Dulaure (Constantinople et Paris, Lejay, 1766, in-12 de 210 pages avec fig.) ; la Pogonotomie ou l’Art d’apprendre à se raser soi-même, par le sieur Dusuel (Paris, 1789, in-12). Voir en outre le tome IV, page 405, de la seconde série du recueil intitulé : The repertory of arts, manufactures and agriculture, etc.

— Anecdotes. Un vieillard interrogé pourquoi il portait sa barbe si longue, répondit : « C’est afin que je ne fasse rien qui soit indigne d’elle. »

Diogène portait une très-belle barbe. Ayant rencontré un jour un Athénien qui venait de couper la sienne, il lui dit en colère : « Crois-tu donc que la nature se soit trompée et qu’elle t’ait fait homme plutôt que femme ? »

Un prédicateur célèbre, Jean-Pierre-Camus, évêque de Belley, chaque fois qu’il montait en chaire, divisait sa barbe en autant de tresses qu’il y avait de points à son sermon et