Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 2, part. 1, B-Bd.djvu/125

Cette page n’a pas encore été corrigée

BAL

BAL

BAL

BAL

121

Viens, cher enfant, suis-moi dans l’ombre : Je t’apprendrai des jeux sans nombre : J’Ai de magiques fleurs et des perles encor, Ma mère a de beaux habits d’or.

— N’entends-tu point, mon père (oh ! que tu te dépêches). Ce que le roi murmure et me promet tout bas ?

— Endors-toi, mon cher fils, et ne t’agite pas ; C’est le vent qui bruit parmi les feuilles sèches.

Veux-tu venir, mon bel enfant ? Oh ! ne crains rien ! Mes filles, tu verras, te soigneront si bien !

La nuit, mes filles blondes

Mènent les molles rondes...

Elles te berceront.

Danseront, chanteront.

— Mon père, dans les brumes grises, Vois-tu ces filles en cercle assises ? — Mon fils, mon fils, j’aperçois seulement Les 32’jles gris au bord des flots dormant.

Je t’aime, toi ; je suis attiré par ta grâce ! Viens, viens donc ! Un refus pourrait t’être fatal !

— Ah ! mou père, mon père ! il me prend... il m’em Le roi des aulnes m’a fait mal ! • [brasse...

Et le père frémit et galope plus ’fort ; Ikserre entre ses bras son enfant qui sanglote... Il touche à sa maison : son manteau s’ouvre et flotte... Dans ses bras, l’enfant était mort !

Trad. de M. E. Deschamps.

LE DIEU ET LA. BAYADERE.

Mahadoch, le maître de la terre, venait la visiter pour la sixième fois. Il consentait à devenir l’égal des hommes, pour éprouver les mêmes peines et les mêmes plaisirs : habitant parmi les mortels, il se soumettait a leur destinée ; il se faisait homme pour juger les hommes, pour les punir et pour le3 récompenser.

Lorsqu’après avoir visité une ville en voyageur attentif, il avait forcé le puissant à respecter le faible, le dieu continuait sa route.

Il s’éloignait, un soir, d’une des villes de l’Asie ; et comme il passait devant la dernière habitation, il en vit sortir une jeune et belle fille. Il la, salua gracieusement ; elle lui rendit son salut, et vint avec empressement à sa rencontre : « Eh 1 qui es-tu ? lui dit le dieu. — Une bayadère, et tu vois là le temple de l’Amour. » Elle déploie alors toutes ses grâces ; elle danse devant lui en s’accompagnant de cymbales. Les cercles variés qu’elle décrit, la souplesse de ses mouvements, le charme de ses attitudes attachent l’œil du voyageur ; la jeune danseuse l’entoure d’une guirlande de fleurs, l’attire doucement vers sa maison ; elle l’y entraîne : « Bel étranger, lui dit-elle, ma demeure ^va devenir pour toi resplendissante de lumière. Es-tu fatigué, je vais laver tes pieds, soigner tes blessures ; tu trouveras ici tout ce que tu pourras souhaiter, le repos, les jeux et les plaisirs. •

Elle cherche à calmer les souffrances apparentes du dieu qui sourit doucement. Il voit avec joie un cœur sensible, dont le vice même n’avait pu altérer la bonté.

Il exigea d’elle un service d’esclave ; elle remplissait ses ordres avec un zèle infatigable. Mais ce qu’elle faisait d’abord par simple prévenance devint bientôt un besoin de cœur. Ainsi que l’arbre qui fleurit apporte insensiblement des fruits, son âme, soumise par un charme irrésistible, devait ressentir l’amour.

Mais, voulant lui faire subir toutes les épreuves, le dieu, habile à les multiplier, la fait passer tour à tour par les séductions du plaisir, les transports d une passion brûlante et les angoisses de la douleur.

Lorsqu’il lui donne le premier baiser, un trait enflammé déchire son âme ; elle comprend tout son malheur et pleure pour la première fois. Elle se jette aux pieds du dieu ; non qu’elle espère un tendre retour ; tout espèce d’intérêt est loin de sa pensée ; elle succombe aux sentiments qu’elle éprouve et s’évanouit.

Bientôt la nuit viendra étendre le voile du mystère sur les moments de bonheur que promet la beauté.

Mais, hélas 1-qu’ils furent de courte durée 1 La jeune Indienne croit que l’hôte qu’elle chérit repose sur son sein ; elle veut l’éveiller : le froid de la mort a glacé les sens de celui qu’elle adore. En vain elle le presse sur son cœur ; en vain elle l’appelle des noms les plus tendres. Il n’est plus !... et déjà l’on prépare un bûcher pour recevoir sa dépouille mortelle) et déjà les Drames font entendre des chants de mort ! Dans son désespoir, elle court, se précipite à travers la foule. « Qui es-tu ? lui diton, pourquoi troubles-tu cette cérémonie funèbre ? »

Elle franchit les obstacles, se jette sur le corps de son bien-aimé ; l’air retentit de ses cris : « C’est mon époux que je redemande ! ’ c’est lui que je veux suivre au tombeau ! Fautil que je voie ses formes ravissantes dévorées par les flammes 1 II était à moi ; c’est mon bien que je réclame : hélas 1 pourquoi mon bonheur a-t-il duré si peul •

Les prêtres impassibles continuaient leurs chants : « Nous conduisons au tombeau la vieillesse qui se refroidit après avoir éprouvé de longues souffrances ; nous y portons également la jeunesse frappée tout à coup à l’entrée de sa "brillante carrière.

Cesse tes clameurs, jeune femme : celui que tu pleures n’a pas été ton époux. N es-tu pas une bayadère ? à ce titre, tu n’as aucun devoir à remplir.

L’ombre seule suit le corps dans le paisible royaume de la mort,

Et l’épouse seul y suit l’époux : c’est son

devoir et sa gloire à la fois. Brames, que les trompettes retentissent et accompagnent les chants sacrés I

Recevez, ô dieux 1 l’ornement de la terre ; accueillez le sacrifice de la jeunesse : que les flammes s’élèvent jusqu’à vous ! >

C’est ainsi que l’insensibilité des prêtres repousse l’infortunée. Mais, bravant leur sévérité, elle s’élance malgré eux, et se précipite au milieu du bûcher. Le jeune dieu, qui veille sur elle, la reçoit dans ses bras et enlève au séjour céleste celle qu’un amour pur, un dévouement sans bornes et le repentiront purifiée, et rendue digne d’une étemelle félicité. Trad..de Mme panckoucke.

Les ballades d’Uhland sont des chants lyriques et des imitations de quelques fragments des romanceros espagnols.’

Ces chants patriotiques furent publiés à l’époque où. la domination de Napoléon pesait lourdement sur l’Allemagne. Lamuse d’Uhland s’inspira de l’humiliation de la patrie pour maudire le conquérant étranger. Après la campagné de Russie, il ne put voir son pays foulé aux pieds par les armées de l’Europe, sans lancer encore de terribles imprécations contre celui qui était la cause de tant de maux. Comme chez nous, les chansons de notre Béranger, ces poésies remuaient tout cœur allemand et allumaient contre nous des haines terribles. Elles se répandirent d’abord en feuilles volantes et pénétrèrent même sans le secours de la presse dans toutes les parties de la grande patrie germanique.

Alors que les rois étaient courbés sous la main toute-puissante de Napoléon, ils cherchèrent dans les peuples un appui contre son despotisme, et ils leur promirent des libertés, des constitutions ; mais, le danger passé^ ils oublièrent leurs promesses. La lyre d’Uhland vibra encore avec puissance pour les leur rappeler. Ses romances, fruit d’importantes études sur l’histoire poétique du moyen âge, sont remarquables par la plus exacte reproduction des mœurs et de la couleur locale de l’époque. Indépendamment de ce mérite, elles se placent au premier rang parmi les compositions de ce genre et rivalisent parfois avec celles de Goethe lui-même. Le style en est vif et élégant, et la pensée, pleine de clarté, de profondeur et quelque peu mélancolique, doit surtout plaire au caractère allemand.

MARIE LA FAUCHEUSE.

« Bonjour, Marie, aux champs la première toujours ! Tu me rappelles Ruth, la moissonneuse antique : Si tu fauches le pré, de cette heure en trois jours, Je te veux pour époux donner mon fils unique. •

Le fermier, orgueilleux et riche, l’a promis. Marie, oh ! comme bat Eon cœur plein d’allégresse ! Ses yeux sont plus brillants, ses bras mieux affermis. Comme bruit sa faux ! comme l’herbe s’abaisse !

Midi brûle ! l’épi s’incline dans le champ ; La soif cherche la source, et le sommeil l’ombrage ; L’abeille seule encor butine en bourdonnant ; Marie est sa rivale et poursuit son ouvrage.

Le soleil fuit ; la cloche éveille les échos ;

En vain le voisin crie : Assez pour la journée !

En vain partent faucheurs, et pâtres, et troupeaux :

Marie aiguise encor sa faucille obstinée.

Et voici la rosée, et l’étoile reluit ;

L’herbe fume ; on entend le rossignol qui chante.

Marie est insensible au barde de la nuit ;

Ètle agite toujours sa faucille tranchante.

Ainsi’du soir à l’aube et de l’aurore au soir, Se nourrissant d’amour en douce confiance. Le troisième soleil se lève : — Oh ! venez voir, Marie heureuse enfin et pleurant d’espérance !

« Bonjour, Marie, en quoi ! tout fauché ! noble ardeur ! Ah ! je veux te payer dignement sur mon âme. Quant à mon fils... tu pris pour grave un mot rieur : Insensés et naïfs les cœurs qu’amour enflamme ! •

Il dit, et passe... Hélas ! pauvre Marie ! Alors Ton cœur brûlant se glace et ton beau corps chancelle. Sans voix et ton esprit brisé dans ses ressorts. On te trouva sur l’herbe, 6 faucheuse fidèle !

Plus d’une année encor, muette et sans raison, Elle vécut de miel et d’eau, la malheureuse !... Ah ! creusez son tombeau sous le plus vert gazon : On ne rencontre plus tant aimable faucheuse ! Trad. de M. N. Martin.

LA FILLE DE L ORFEVRE.

Un orfèvre était assis dans sa boutique au milieu des perles et des pierres précieuses. « Hélène, dit-il à sa fille, le joyau le plus pur que j’ai trouvé jusqu’à ce jour, c’est pourtant toi, ma chère enfant. » Un beau chevalier entra. « Bonjour, gracieuse enfant, bonjour, mon cher orfèvre. Je viens te prier de faire une magnifique couronne pour ma douce fiancée. »

Lorsque la couronne fut terminée, riche et tout étinoelante, Hélène, plongée dans la tristesse, ne sévit pas plus tôt seule, que, suspendant à son bras la somptueuse parure :

« Ah ! bienheureuse, pensa-t-elle, la fiancée qui doit porter cette couronne I Si seulement ce beau chevalier daignait m’offrir une couronne de roses, que je serais joyeuse 1 »

Peu de temps après, le chevalier entra. Il examina la couronne avec une grande attention. « Mon cher orfèvre, dit-il ensuite, je te prie de faire maintenant une bague de diamants pour ma douce fiancée. »

Lorsque la bague fut terminée, Hélène, plongée dans la tristesse, ne M vit pas plus tôt seule, qu’elle la mit à son doigt.

f Ah ! bienheureuse, dit-elle, la fiancée qui

doit porter cet anneau ! Si seulement ce beau chevaliftr daignait m’offrir rien qu’une boucle de ses cheveux, que je serais joyeuse 1

Peu de temps après le chevalier entra ; il examina l’anneau avec une grande attention. « Mon cher orfèvre, dit-il ensuite, tu as finement travaillé cet anneau que je destine à ma douce fiancée I,

« Mais pour que je voie comment ces bijoux lui siéront, approche un peu, gracieuse enfant : permets-moi de t’essayer cet ornement fiançai de ma bien-aimée : elle est belle comme toi. »

C’était un ^dimanche matin ; aussi la jeune fille avait-elle.revêtu sa plus belle robe pour aller à l’église.

Toute rouge d’une aimable pudeur, elle s’arrêta-devant le chevalier. Celui-ci lui posa sur la tête la couronne d’or, lui mit au doigt le petit anneau, puis, lui serrant la main :

« Douce Hélène, chère Hélène, dit-il, tout ceci n’est pas un jeu : c’est toi qui es la charmante fiancée à qui je destinais cette couronne d’or et cet anneau. »

Trad. de M. N, Martin.

  • »

LE ROr AVEUGLE.

Pourquoi tous ces guerriers du Nord assemblés sur la grève ? que veut le roi aveugle, le vieux roi dont le front se couronne de cheveux blancs ? Courbé sur son bâton qui plie, il pousse des cris douloureux ; il appelle, et l’écho de l’île lui répond au delà du bras de mer.

« Rends-moi, tâche brigand, rends-moi ma fille que tu retiens captive dans le creux de ce rocher. Le jeu de sa harpe, ses chants si doux étaient le bonheur de ma vieillesse. Tu l’as ravie aux danses sur la verte rive : honte à jamais à toi 1 Sous ton crime s’affaisse une tête grise. »

Soudain au bord de la caverne apparaît le brigand à stature colossale, à l’œil farouche. Il brandit son épée menaçante et en frappe son bouclier.

« À quoi bon tes nombreux archers, puisqu’ils souffrent ce rapt ? À quoi te servent ces guerriers, si pas un d’eux n’ose combattre pour ta fille ? »

Cependant les guerriers restent muets, aucun ne sort des rangs. Vainement le roi se tourne vers eux, dans sa détresse, il s’écrie :

■ Je suis donc tout à fait s’eull »

Mais son fils serrant la main du vieillard : « » O mon père, permets-moi de combattre, je sens mon bras si plein de force.

— O mon fils, l’ennemi a la taille des géants ; personne encore n’ose se mesurer contre lui. Mais un noble sang bouillonne dans tes veines, je le sens à l’étreinte de ta main. Prends donc ma vieille épée, c’est le prix des sealdes : si tu succombes, les flots engloutiront le malheureux vieillard. •

Écoutez 1 c’est le frémissement de l’aulne, le murmure de la barque sur les flots. Le vieil aveugle lève la tête pour aspirer le son. Puis tout se tait à l’entour, jusqu’à ce que du bord opposé s’exhalent un retentissement de boucliers et de glaives, et des clameurs furieuses que répète un écho sourd.

Tout à coup le vieillard s’écrie dans la joie :

« Oh l dites-moi, que voyez-vous ? C’est mon épée, je la reconnais à ce bruit perçant ! Le brigand a succombé, il a reçu sa sanglante récompense ! Gloire à toi, le vainqueur entre tous, le vaillant fils du roi. »

Puis le silence recommence. Le roi relève la tête pour aspirer le son.

« Qu’entends-je venir sur la mer ? C’est^un bruit de rames, un clapotement de vagues.

— Voici qu’ils abordent, voici ton fils armé du glaive et du bouclier ; voici ta Gunild aux cheveux d’or.

— Dans mes bras ! s’écrie le vieillard ; et sa voix roule et retentit de la colline sur la grève. j Maintenant ma vieillesse sera pleine de joie et ma tombe glorieuse ! O mon tifs ! place à ma droite ma bonne épée, et toi, ma Gunild, chante moi le chant du cercueil. »

Trad. de M. N. Martin.

D’autres écrivains allemands se sont également rendus populaires par leurs ballades ; contentons-nous de citer Karl Simrock, Kerner, et surtout Zedlitz, l’auteur de la fameuse Revue nocturne. Nous allons donner ici quelques-unes de leurs ballades.

LES QUATRE FRERES.

Desséchés comme des squelettes, dans la maison de la démence, il y en a quatre ; de leurs lèvres blafardes ne tombe pas une parole. L’un est assis en face de l’autre, et leur regard devient toujours plus terne et plus morne.

Mais quand sonne l’heure de minuit, les cheveux se dressent sur leurs têtes, et chaque fois ils répètent sourdement en chœur : ■ Dies irœ, dies illa, solvet sœclum in favilla. »

C’étaient autrefois quatre mauvais sujets qui ne se plaisaient qu’aux orgies et aux querelles. En braillant des chansons obscènes, ils avaient passé la sainte nuit de Noël. Les conseils d’amis dévoués, les exhortations de leur père même restaient sans effet.

En mourantencore, le vieillard avaitdit à ses quatre garnements : « La mort froide n’est-elle pas un avertissement pour vous, et ne savezvouspas qu’elle emporte tout ici-bas IDies iras, dies ûla, solvet sœclum in favilla. »

Il dit et expira ; mais eux n’en furent pas émus. Il put jouir de la paix éternelle, mais eux, comme vers l’échafaud, étaient poussés dans le tourbillon du monde, près de l’enfer, loin du ciel.

Et dans les orgies et dans les plaisirs se passèrent de nouveau de longues années. Ils n’avaient aucun souci de la misère d’autrui, et leurs cheveux ne blanchirent pas pour si peu. Gais compagnons, n’ayez aucune crainte, Dieu et le diable ne sont qu’une fiction.

Un jour, minuit avait déjà sonné, ils rentraient en chancelant d’un festin. Et voilà que dans la prochaine église retentit le chant des fidèles, n Cessez vos criailleries, chiens que vous êtes ! » crient-ils, à pleins poumons, et ils se précipitent, lès misérables, dans la nef. Mais là, comme au jugement dernier, retentit ce chœur sévère : Dies irœ, dies illa, solvet sœclum in favilla.

Et leurs bouches restent entr’ouvertes, mais nulle parole ne peut en sortir. La colère de Dieu les a frappés. Chacun est immobile comme la pierre, leurs cheveux blanchissent, leurs joues pâlissent. La folie a troublé ces intelligences.

Desséchés comme des squelettes, dans la maison de la démence, il y en a quatre ; de leurs lèvres blafardes ne tombe pas une parole. L’un est assis en face de l’autre, et leur regard devient toujours plus terne et plus morne.

Mais quand sonne l’heure de minuit, les cheveux se dressent sur leurs têtes, et chaque fois ils répètent •sourdement eu chœur : tDies irœ, dies illa, solvet sœclum in favilla. » Justin Kerner.

LE3 SEPT VIERGES DE PIERRE.

Sur un frêle bateau, le soir d’un jour serein, Folâtres passagers, nous descendions le Rhin.

Tout à coup le patron nous cria de l’arrière :

— Garde à vous ! car voici les sept vierges de pierre ;

Ces vierges, dont le nom fait peur aux matelots. Sont sept rochers dardant leur crête au sein des ilôts*.

Près de Wesel vivaient sept sœurs riches et belles, Mais toutes sept aussi coquettes et cruelles.

Leur seul plaisir était de captiver les cœurs. Puis de les torturer par leurs dédains moqueurs.

Comment dire les noms de toutes les victimes ? Le Rhin cache leurs os au fond de ses abîmes.

Dieu voulut les punir ; Dieu doit punir un jour Tout cœur lâche qui feint ou qui trompe l’amour.

De ces beaux corps sans flamme, aux cœurs déjà de pierre, Dieu fit ces sept rochers, où l’eau coule en poussière.

Depuis ce temps, malheur, s’il porte un cœur cruel ; Malheur à tout bateau passant devant Wesel’ !

Fatalement poussé contre les rocs sauvages, De morts et de débris il jonchera ces plages.

Notre patron à peine achevait ce récit,

Qu’une vieille en tremblant s’écria : — Dieu merci !

J’eus trois époux ; hélas ! tous trois sont dans la bière ! On ne dira donc pas que mon cœur fut de pierre.

— Dieu soit loué ! bravo ! répond maint passager ; En fut-il autrement, nous courions grand danger !

— Ne craignez rien, répond une blonde à l’œil tendre. Tout cœur bien assiégé doit finir par se rendre.

— Bravo ! dit un voisin, un galant passager ;

En fut-il autrement, nous courions grand danger !

À son tour, une enfant : — De peur que l’on échoue, J’ai baisé doucement mon cousin sur la joue.

— Bravo ! disent en chœur patron et passagers ; Nous pouvons maintenant braver tous les dangers !

Karl Simrock. Trad. de M. N. Marti».

LA REVUE NOCTURNE.

La nuit, vers la douzième heure, le tambour quitte son cercueil, fait la ronde avec sa caisse, va et vient d’un pas empressé.

Ses mains décharnées agitent les deux baguettes en même temps ; ilbat ainsi plus d’un bon roulement, maint réveil et mainte retraite.

La caisse rend des sons étranges, dont la puissance est merveilleuse ; ils réveillent dans leurs tombes les soldats morts depuis, longtemps ;

Et ceux qui, aux confins du Nord, restèrent engourdis dans la froide neige ; et ceux qui gisent en Italie où la terre leur est trop chaude ;

Et ceux que recouvre le limon du Nil ou le sable de l’Arabie : tous sortent de leurs tombes et prennent en main leurs armes.

Et vers la douzième heure, le trompette quitte son cercueil, sonne du clairon, va et vient sur son cheval impatient.

Puis, arrivent sur des coursiers aériens tous les cavaliers morts depuis longtemps : ce sont les vieux escadrons sanglants couverts de leurs armes diverses.

Les blancs crânes luisent sous les casques ; les mains qui n’ont plus que leurs os, tiennent en l’air les longues épées.

Et vers la douzième heure, le général en chef sort de son cercueil ; il arrive lentement sur son cheval, entouré de son état-major.

Il porte un petit chapeau ; il porte un habit sans ornements ; une épée pend à son côté.

La lune éclaire d’une pâle lueur la vaste plaine. L’homme au petit chapeau passe en revue les troupes.

Les rangs lui présentent les armes ; puis

16