Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 2, part. 1, B-Bd.djvu/123

Cette page n’a pas encore été corrigée

BAL

BAL

BAL

BAL

1Î9

ailes ; nous lui jetterons un lien au pied et il tombera par terre. Aucun repentir ne nous fléchit ; nous poursuivons sans relâche le coupable, nous le poursuivons jusque dans l’empire des ombres, et là nous ne l’abandonnons , pns encore. »

En chantant ainsi, les Euménides dansent leur ronde funèbre. Un silence de mort pèse sur toute l’assemblée, comme si la divinité était là présente ; et le chœur, poursuivant sa marche, s’en retourne à pas lents et mesurés dans le fond du théâtre.

Tout à coup on entend sur les gradins les plus élevés une voix qui s’écrie : « Regarde, regarde, Timothée, les grues d’ibycus. » Au même instant on vit comme un nuage passer sur l’azur du ciel, et une troupe de grues poursuivre son vol.

Ibycus ! ce nom ravive les regrets de tous les spectateurs, et ces paroles volent de bouche en bouche : « Ibycus, que la main d’un meurtrier égorgea et que nous avons pleuré ! Qui parle de lui ? Quel rapport y a-t-il entre lui et ces oiseaux ? »

Et les questions redoublent ; un pressentiment rapide passe dans tous les esprits : «Faites attention, s’écrie la foule, à la puissance des Euménides. Le poète religieux sera vengé ; l’assassin vient de se trahir lui-même. Saisissez celui qui a parlé d’ibycus, et qu’il soit jugé..

Celui qui avait prononcé ces paroles imprudentes aurait voulu les retenir ; mais il était trop tard ; ses lèvres pâles, son visage effrayé, révèlent son crime. On l’arrache de son siège, on le traîne devant le juge. La scène est transformée en tribunal, et l’éclair de la vengeance frappe le meurtrier.

LE TROUBADOUR.

À Aix-la-Chapelle, au milieu de la salle antique de son palais, Rodolphe, dans tout l’éclat de sa puissance impériale, était assis au splendide banquet de son couronnement. Le comte palatin du Rhin servait les mets sur la table, celui de Bohême versait les vins pétillants, et les sept Electeurs s’empressaient de remplir les devoirs de leur charge auprès du maître de la terre.

Et la foule joyeuse du peuple encombrait les hautes galeries ; ses cris d allégresse s’unissaient au bruit des clairons ; car l’interrègne avait été long et sanglant, et un souverain arbitre venait s’asseoir sur le premier trône du monde ; le fer n’allait plus frapper aveuglément, et le citoyen paisible ne craindrait plus les vexations arbitraires de la puissance.

L’empereur saisit la coupe d’or, et promenant autour de lui des regards satisfaits : « La fête est brillante, le festin splendide, tout ici charme le cœur de votre souverain ; cependant je n’aperçois point de troubadour qui vienne émouvoir mon âme par ses chants harmonieux et par les sublimes leçons de la poésie. Tel a été mon plus vif plaisir dès l’enfance, et l’empereur ne dédaigne point ce qui fit les délices du chevalier. »

Et voilà qu’un vieillard traverse le cercle des princes, s’avance vêtu d’une robe traînante ; ses cheveux sont blancs comme la neige.

« Quels chants seront dignes du sublime empereur ? s’écrie-t-il. Quels sont les accents qui vont s’échapper des cordes de ma lyre ? b aut-il que le troubadour célèbre ce qu’il y a de noble et de grand sur la terre ; ce que l’âme désire, ce que rêve le cœur ?

— Je ne prescris’ rien au troubadour, répond Rodolphe en souriant ; il appartient à

" un plus haut seigneur : il obéit à l’inspiration. » Tel que l’orageux aquilon dont on ignore l’origine ; tel que le torrent dont la source est cachée, le chant du poète jaillit des profondeurs de son âme et réveille les nobles sentiments assoupis dans le fond des cœurs.

Et le troubadour, après un brillant prélude, chante ainsi : « Un noble chevalier chassait dans les bois le rapide chamois ; un écuyer le suivait, portant les armes de la chasse ; et au moment où le chevalier, monté sur son fier coursier, allait entrer dans une prairie, il entend de loin tinter une clochette... C’était un prêtre, précédé de son clerc, et portant le saint viatique.

« Et le comte mit pied à terre, se découvrit humblement la tête et adora avec une foi ardente le Sauveur du monde. Mais un ruisseau qui traversait la prairie, grossi par les eaux d’un torrent, arrêta les pas du prêtre, qui, déposant à terre l’hostie sainte, s’empressa d’ôter sa chaussure pour atteindre l’autre rive.

— Que faites-vous ? s’écria le comte avec surprise.

— Seigneur, je cours chez un mourant qui soupire après la céleste nourriture, et la planche fragile qui servait à passer le ruisseau a cédé à la violence des vagues. Cependant il ne faut pas que le mourant perde l’espérance du salut.

Alors le noble comte lui présente la bride éclatante et le fait montei sur son coursier. Ainsi le prêtre pourra consoler le malade qui l’attend, et ne manquera pas a son devoir sacré. Et le chevalier poursuit sa chasse, monté sur le cheval de son écuyer, tandis que le ministre des autels achève son voyage. Le lendemain matin, il ramène au comte l’agile coursier en lui exprimant sa reconnaissance.

— Dieu me garde, s’écrie le comte avec humilité, de reprendre jamais pour le combat

ou pour la chasse un cheval qui a porté mon Créateur ! Si vous le refusez pour vous-même, qu’il soit consacré au service divin ; car je l’ai donné à celui de qui je tiens l’honneur, les biens, le corps, l’âme et la vie. — Eh bien ! puisse Dieu, le protecteur de tous, qui écoute les prières du faible, vous honorer dans ce monde et dans l’autre comme aujourd’hui vous l’honorez 1 Vous êtes un puissant comte, déjà célèbre par vos exploits ; six aimables filles fleurissent autour de vous : puissent-elles apporter six couronnes dans votre maison et perpétuer votre auguste race ! »

Ici le vieillard se tut, la voix tremblante d’une indicible émotion ; et l’empereur assis se reconnaît dans le chevalier généreux ; puis, cherchant à recueillir ses souvenirs, il examine attentivement les traits du troubadour, qui lui rappellent soudain ceux du prêtre, et il cache avec son manteau de pourpre ses yeux humides de larmes. Tous les regards se portent alors sur le prince, et chacun bénit les décrets de la Providence.

  • *

LA CAUTION.

Méros cache un poignard sous son manteau et se glisse chez Denys de Syracuse : des satellites l’arrêtent et le chargent de chaînes... « Qu’au rais-tu fait de ce poignardJ ? » lui demande le despote furieux. « J aurais délivré la ville d’un tyran ! — Tu expieras ce crime sur la croix.

— Je suis prêt à mourir ; je n’implore point ma grâce, mais si tu veux m’accorder une faveur, je te demanderai trois jours de délai pour unir ma sœur à son fiancé. Mon ami sera ma caution, et si je manque à ma parole, tu pourras te venger sur lui. »

Le roi, souriant d’un air railleur, répondit après un instant de réflexion : « Je t’accorde trois jours ; mais songe que si tu n’as reparu, ce délai expiré, ton ami périra- pour toi, et tu seras libre. »

Méros court chez son ami : « Le roi veut que j’expie sur la croix ma malheureuse tentative ; cependant il m’accorde trois jours pour assister au mariage de ma sœur ; sois ma caution auprès de lui jusqu’à mon retour. »

Son ami l’embrasse en silence et va se livrer au tyran, tandis que Méros s’éloigne. Avant la troisième aurore il avait uni sa sœur à son fiancé, et il revenait déjà plein d’inquiétude et en grande hâte, de peur de dépasser le délai fatal.

Mais une pluie terrible entrava la rapidité de sa marche ; les sources des montagnes se changent en torrents, et les ruisseaux deviennent des tieuves. Appuyé sur son bâton de voyage, Méros arrive au bord d’une rivière, il voit soudain les grandes eaux rompre le pont qui joignait les deux rives, et en ruiner les arches avec le fracas du tonnerre.

Désolé d’un tel obstacle, il s’agite en vain sur les bords., jette au loin d’impatients regards, invoque du secours ; point de barque qui se hasarde à quitter la rive pour le conduire où son devoir l’appelle ; point de batelier qui se dirige yerslui, et le torrent s’enflait comme une mer.

Il tombe sur la rive et pleure en levant les mains au ciel : « 0 Jupiter ! apaise ces vagues mugissantes. Le temps fuit, le soleil parvient à son midi ; j’arriverai trop tard pour délivrer mon ami 1 ■

La fureur des vagues ne fait que s’accroître, les flots se succèdent, et les heures s’écoulent... Méros n’hésite plus, il se précipite au milieu du fleuve irrité, lutte courageusement, et fend les ondes de ses bras vigoureux. Les dieux le prennent en pitié.

Il a gagné l’autre rive, il précipite sa marche en rendant grâces au ciel... Quand tout à coup, du plus épais de la forêt, une bande de brigands se jettent sur lui, avides de meurtre, et lui ferment le passage avec des massues menaçantes.

« Que me voulez-vous ? s’écrie-t-il, je ne possède que ma vie, que je dots même au tyran. » Pâle de teneur, il ajoute : « Ayez pitié de mon ami. ° Puis, saisissant une massue, il tue trois des brigands, et les autres prennent aussitôt la fuite.

Le soleil est brûlant ; Méros sent ses genoux se dérober sous lui, brisés par la fatigue." o O toi, qui m’as sauvé de la main des brigands et de la fureur du fleuve, me laisseras-tu périr ici, .et livrer à la mort celui qui m’aime 1... Qu’entends-je ? serait-ce un ruisseau que m’annonce ce doux murmure ? » Il s’arrête, il écoute ; une source claire et limpide a jailli d’un rocher voisin. Le voyageur se baisse, ivre de joie, et rafraîchit ses membres brûlants.

Et déjà le soleil perçait le feuillage, reflétant le long du chemin les formes des arbres en ombres gigantesques. Dans sa course rapide, Méros rencontre deux voyageurs, et les entend se dire entre eux : > À présent, on doit le mettre en croix 1 ■

Le désespoir lui donne des ailes, la crainte l’aiguillonne encore... Enfin, les tours lointaines de Syracuse apparaissent aux rayons du soleil couchant ; il rencontre bientôt Philostrate, le fidèle gardien de sa maison, qui le reconnaît et frémit.

« Fuis donc ! il n’est plus temps de "sauver ton ami ; sauve du moins ta propre vie... En ce moment il expire ; d’heure en heure il t’attendait sans perdre l’espoir, et les railleries du tyran n’avaient pu ébranler sa confiance.

— Eh bien I s’il est trop tard, ai je ne puis

le sauver, je partagerai du moins son sort : que le monstre sanguinaire ne puisse pas dire qu’un ami a trahi son ami ; qu’il frappe deux victimes, et qu’il croie encore à la vertu. »

Le soleil commence à s’éteindre. Méros parvient aux portes de la ville, il «perçoit la croix et la foule qui l’environne ; on enlevait déjà son ami avec une corde.

Il se précipite dans la foule, et se fraye un

Eassage : « Arrête, bourreau, me voici ! cet omme était ma caution. » Le peuple admire... Les deux amis s’embrassent en pleurant de douleur et de joie ; nul ne peut être insensible a un tel spectacle ; le roi lui-même apprend avec émotion l’étonnante nouvelle, et les fait amener devant son trône.

Longtemps il les considère avec surprise : « Vous avez subjugué mon cœur... La vertu n’est donc pas une chimère... J’ai à mon tour une prière à vous adresser... Daignez m’admettre dans votre amitié, et que nos trois cœurs n’en forment plus qu’un seul. »

Ce beau sujet ou plutôt cet hymne à l’Amitié, a été chanté par toute l’antiquité ; Diodore deSicile, Plutarque, Jamblique, Porphyre, Cicéron, etc., en ont parlé dans leurs ouvrages. Voici la version du savant Barthélémy, auteur du Voyage d’Anacharsis.

Dans une des îles de la mer Egée, au milieu de quelques peupliers antiques, on avait autrefois consacré un autel à l’Amitié. Il fumaitjour et nuit d’un encens pur et agréable à la déesse. Mais bientôt, entourée d’adorateurs mercenaires, elle ne vit dans leurs cœurs que des liaisons intéressées et mal assorties. Un jour, elle dit à un favori de Crésus : «.Porte ailleurs tes offrandes ; ce n’est pas à moi qu’elles s’adressent, c’est à la Fortune. • Elle répondit à un Athénien qui faisait des vœux pour Solon, dont il se disait l’ami : « En te liant avec un homme sage, tu veux partager sa gloire et faire oublier tes vices. » Elle dit à deux femmes de Samos, qui s’embrassaient étroitement auprès de son autel : ■ Le goût des plaisirs vous unit en apparence ; mais vos cœurs sont déchirés par la jalousie, et le seront bientôt par la haine. •

Enfin, deux Syracusains, Damon et Pythias, tous deux élevés dans les principes de Pythagore, vinrent se prosterner devant la déesse : « Je reçois votre hommage, leur dit-elle ; je fais plus, j’abandonne un asile trop longtemps souillé par des sacsifices qui m’outragent, et je n’en veux plus d’autre que vos cœurs. Allez montrer au tyran de Syracuse, à l’univers, à la postérité, ce que peut l’Amitié dans des âmes que j’ai revêtues de ma puissance. »

A leur retour, Denys, sur une simple dénonciation, condamna Pythias à la mort. Celui-ci demanda qu’il lui fût permis d’aller régler des affaires importantes qui l’appelaient dans une ville voisine. Il promit de se présenter au jour marqué, et partit après que Damon eût garanti cette promesse au péril de sa propre vie.

Cependant les affaires de Pythias traînent en longueur. Le jour destiné à son trépas arrive ; le peuple s’assemble ; on blâme, on plaint Damon, qui marche tranquillement à la mort, trop certain que son ami allait revenir, trop heureux s’il ne revenait pas. Déjà le moment fatal approchait, lorsque mille cris tumultueux annoncèrent l’arrivée de Pythias. Il court, il vole au lieu du supplice ; il voit le glaive suspendu sur la tête de son ami ; et, au milieu des embrassements et des pleurs, ils se disputent le bonheur de mourir l’un pour l’autre. Les spectateurs fondent en larmes ; le roi lui-même se précipite du trône, et leur demande instamment de partager une si belle amitié.

LB PLONGEUR.

« Qui de vous, chevaliers et vassaux, oserait plonger dans cet abîme ? J’y lance une coupe d’or ; le gouffre obscur l’a déjà dévorée ; mais celui qui me la rapportera l’aura pour récompense. »

Le roi dit ; et, du haut d’un rocher escarpé suspendu sur la vaste mer, il a jeté sa coupe dans le gouffre de Charybde : « Quel est le brave qui osera plonger au fond de cet abîme ? »

Les chevaliers et les vassaux qui l’environnent ont entendu, mais ils se taisent ; tous jettent les yeux sur la mer indomptée, et aucun ne se laisse tenter par l’appât de la récompense. Le roi s’écrie une troisième fois : o Nul de vous n’osera donc affronter le péril ? »

Tous encore gardent le silence ; mais voilà qu’un jeune page, à l’air doux et téméraire, sort du groupe indécis des vassaux. Il jette sa ceinture et son manteau, et toute la cour, hommes et femmes, admirent son courage avec effroi. « Et comme il s’avance sur la pointe du rocher en mesurant l’abîme, Charybde rejette l’onde, qui, un instant dévorée, s’élance de sa gueule profonde avec le fracas du tonnerre.

Les eaux bouillonnent, se gonflent, se brisent et grondent comme si elles obéissaient à la puissance irrésistible du feu ; l’écume poudreuse rejaillit jusqu’au ciel, et les flots sur les flots s’entassent, comme si le gouffre ne pouvait s’épuiser, comme si 1» mer enfantait une mer nouvelle 1

Mais enfin sa fureur s’apaise, et, parmi la blanche écume, apparaît sa gueule noire et béante comme les portes de l’enfer ; l’onde tourbillonne de nouveau et s’y replonge en aboyant.

Vite, avant le retour des flots, le jeuné homme s’incline devant le monarque, se recommande à. Dieu, et... l’écho répète mille cris d’effroi I Les vagues l’ont entraîné, la gueule du monstre semble ’se refermer mystérieusement sur l’audacieux plongeur... Il ne reparaît pas !

L’abîme, calmé, ne rend plus qu’un sombre murmure, et mille voix répètent en tremblant : « Adieu, jeune homme au noble cœur ! >■ Toujours plus sourd, le bruit s’éloigne, et l’on attend encore avec inquiétude, avec frayeur.

Quand tu y jetterais ta couronne, et que tu dirais : « Qui me la rapportera l’aura pour récompense et sera roi... » un prix si glorieux ne me tenterait pasl Ame vivante n’a redit les secrets du gouffre aboyant 1

Que de navires, entraînés par le tourbillon rapide, ont péri dans ses profondeurs ; mais les flancs de l’avide tombeau n’ont revomi que des mâts et des vergues brisés.

Et le bruit des vagues résonne plus distinctement, approche de plus en plus, puis éclate.

Mais, voyez : du sein des flots noirs s’élève comme un cygne éblouissant ; on distingue un bras nu, et puis de blanches épaules qui nagent avec vigueur. C’est lui ! Sa main gauche élève en triomphe le vase précieux !

Il respire longtemps et salue la lumière du ciel. Un joyeux murmure voie de bouche en bouche : à II vit ! il nous est rendu ! le brave jeune homme a triomphé de l’abîme et du tombeau ! >

Et il s’approche ; la foule radieuse l’environne ; il tombe aux pieds du roi et lui présente le prix de son imprudente valeur.

Le prince appelle son aimable fille ; elle remplit la coupe jusqu’aux bords d’un vin pétillant ; le page boit et s’écrie :

« Vive le roil Heureux ceux qui respirent à la douce clarté du ciel 1 le gouffre est un séjour terrible ; que l’homme ne tente plus les dieux, et ne cherche pas à voir ce que leur sagesse environna de ténèbres et d’effroi.

J’étais entraîné d’abord par le courant avec’la rapidité de l’éclair lorsqu’un torrent impétueux, sorti du cœur du rocher, se précipita sur moi ; cette double puissance me fit longtemps tournoyer comme le jouet d’un enfant, et elle était irrésistible.

■ Dieu, que j’implorais dans ma détresse, me montra une pointe de rocher qui s’avan^ jait dans l’abîme ; je m’y accrochai d’un mouvement convulsif, et j’échappai à la mort. La coupe était là ; suspendue a des branches de corail, qui l’avaient empêchée de s’enfoncer à des profondeurs infinies.

Car, au-dessous de moi, il y avait encore comme des cavernes sans fond, éclairées d’une lueur rougeâtre, et, au milieu de l’éternel silence qui règne dans cet empire, mon œil aperçut avec effroi une foule de salamandres, de reptiles et de dragons qui s’agitaient dans une ronde infernale.

C’était une masse confuse et dégoûtante de raies épineuses, de chiens marins, d’esturgeons monstrueux, d’effroyables requins, hyènes des mers, qui me menaçaient de leurs dents cruelles et aigutis.

Et j’étais là suspendu, éloigné de tout secours, entouré de figures immondes, seul être sensible parmi tant de monstres difformes, dans une solitude affreuse où nulle voix humaine ne pouvait pénétrer.

Et je frémis d’horreur... car les monstres s’avancèrent pour me dévorer... Dans mon effroi, j’abandonnai la branche de corail où j’étais suspendu : au même instant, le gouffre vomissait ses ondes mugissantes : ce fut mon salut ; elles me ramenèrent au jour. »

Le roi montra quelque surprise, et dit « La coupe t’appartient, et j’y joindrai cette bague ornée du diamant le plus précieux, ai tu tentes encore l’abîme, et tu me rapportes des nouvelles de ce qui se passe dans les profondeurs de ce terrible séjour. •

À ces paroles, la jeune princesse, tout émue, supplie son père de sa bouche caressante : « Il a fait pour vous ce que nul autre n’eût osé faire. Si vous ne pouvez mettre un frein aux désirs de votre curiosité, que vos chevaliers surpassent en courage le jeune vassal. •

Le roi saisit vivement la coupe, et, la rejetant dans le gouffre : • Si tu me la rapportes encore, tu deviendras mon plus noble chevalier, tu seras mon successeur, et celle qui, inspirée d’une si tendre pitié, tremble et me supplie pour toi, deviendra ton épouse. ■

Une ardeur divine s’empare de l’âme du page, dans ses yeux étincelle l’audace : il voit la jeune fille rougir, pâlir et tomber évanouie. Un si digne prix tente son courage, et il se précipite soudain de la vie à la mort.

La vague rugit et s’enfonce... Bientôt elle remonte avec le fracas du tonnerre... Chacun se penche etyjette un regard plein d’anxiété : le gouffre engloutit encore et revomit les vagues qui s’élèvent, retombent et rugissent...

Aucune d’elles ne ramène le plongeur I...

« *

LA BATAILLE.

Telle qu’un sombre nuage qui porte une tempête, la marche des troupes retentit dans les vertes campagnes, une plaine immense se déroule a leurs yeux, c’est là qu’on va jeter les dés d’airain. Tous les regards sont baissés, ] e cœur des plus braves palpite, les visages sont pâles comme la mort ; voilà le général qui parcourt les rangs : — Halte i — Cet ordre