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gontalement pendant le jour ; la nuit, on Itisse.simplement retomber la porte. À l’intérieur, des nattes servent de cloison. Toutefois, les maisons des riches et les pagodes sont construites plus solidement ; elles ont un plancher ou un carrelage, des murs en briques, des façades à panneaux ciselés. Devant la porte d’entrée, il y s toujours une table basse, servant à la fois de lit de repos, de te.ble à manger et de siège d’honneur pour les étrangers, qui y trouvent constamment dj thé et du bétel. Au fond, la place d’honneur est réservée à l’autel des ancêtres, et des palmiers, des instruments de pêche ou de labour, des jarres sont suspendus tout autour. Le lit est formé d’un cadre de bois recouvert de nattes et monté sur des tréteaux. Il est difficile de se faire une idée exacte du caractère et de l’intelligence des Annamites d’après les récits des voyageurs. Sontils doux, dociles et craintifs ? Sont-ils violents et féroces envers les faibles, lâches et rampants devant les forts ? Leur courage est-il naturel, ou bien se montrent-ils braves seulement lorsqu’ils savent qu’un châtiment, souvent plus cruel que la mort, les punirait du leur défaillance ? Dans un autre ordre d’idées, sont-ils doués d’une intelligence ouverte ou prime-sautière ? Faut-il attribuer leur proverbiale ignorance à la paresse ou au défaut de moyens naturels ? Ce sont là autant de points sur lesquels les nombreuses études publiées jusqu’à ce jour sur les Annamites sont en complète contradiction. Il faut attendre, pour les juger, que nous les connaissions mieux.

Langue et littérature. L’Annara a pour la Chine une respectueuse admiration, et c’est de l’empire du Milieu qu’il a reçu ses institutions politiques, sociales et religieuses. À la cour de Hué, on parle le pur mandarin, et l’on écrit tous les actes officiels à l’aide de caractères chinois. De là la pauvreté de la littérature annamite, qui consiste exclusivement en chansons, en contes populaires et en proverbes. Leurs chansons, ou, pour mieux dire, leurs • chants populaires », sont formés d’une Série innombrable de strophes, ordinairement composées de trois vers, les deux premiers de six pieds, rimant ensemble, et le troisième de deux pieds, ne rimant avec rien ; ces strophes n’ont aucune relation entre elles ; « le chanteur, dit M. Villard dans son Étude sur la littérature annamite, les approprie plus ou moins justement, mais toujours comme il lui plaît, soit à la situation d’esprit dans laquelle il se trouve, soit au goût des auditeurs qu’il veut divertir ou charmer. » Les unes sont philosophiques, les autres satiriques ; d’autres enfin sentimentales. Là, cest un galant passionné qui s’écrie :

L’amour qu’on a pour ses parents a des limites, L’amour qu’on a pour sa maitresse n’en a pas.

Ailleurs, c’est une malheureuse abandonnée qui déplore la cruauté de son infidèle : On ! mon mari, comment pouvez-vous me délaisser ? Les poissons nagent dans l’étang et les oiseauxgazouillent dans les arbres ! Profondément affligée, les larmes coulent à flot de mes yeux ;

Elles pénètrent le ciel, elles pénètrent la terre. Pénétreront-elles votre cœur ?

On possède aussi des fragments d’une oraison funèbre prononcée, sous le règne de l’empereur Già-Long, par le général Nguyen-Phuoc, à la mémoire des braves morts dans une expédition qu’il commandait en personne ; mais le monument principal de la littérature annamite, c’est l’épopée de Luc-Vân-Tién, que les enfants eux-mêmes psalmodient sans la comprendre. C’est l’histoire d’un homme du peuple qui veut s’élever, par la philosophie, au-dessus de ses semblables ; il supporte avec patience et courage de longues années d’épreuves, de souffrances et de tribulations, et enfin arrive à l’immortalité, « en gagnant par sa vertu et ses mérites la couronne royale, c’est-à-dire le mandat du ciel.»

Ainsi, bien que le chinois soit la langue des mandarins et des lettrés, il existe une langue annamite, concise, euphonique et originale, indépendante du chinois par son appareil phonétique et par ses racines (v. chinois, au tome IV du Grand Dictionnaire) Mas comme, en chinois, le genre et le nombre s’indiquent par l’adjonction à la racine principale de racines exprimant le masculin ou le féminin, le singulier ou le pluriel, l’adjectif se place toujours après le substantif qu’il qualifie ; dans les verbes, la notion de temps ou de mode s’exprime par l’emploi simultané de la racine sur laquelle pivote la phrase, et d’autres racines, dont le sens général est celui du passé, du futur, etc. Le vocabulaire se composant d’un nombre de mots très restreint, on a recours à des intonations musicales pour multiplier le sens des mots. Enfin, l’écriture est idéographique et dérive des signes chinois, mais elle a subi des modifications et des additions sensibles.

Histoire. Le Tonkin est le berceau de la race annamite, dont la tribu mère est désifnée par les Chinois sous la dénomination e Giao-Ky. Cette expression, suivant l’interprétation la plus répandue, signifierait

Pieds-fendus et indiquerait l’écartement considérable du gros orteil, qui est un des signes caractéristiques du type annamite. Suivant l’orientaliste Des Michels, elle aurait le sens

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de peuples limitrophes ou de région frontière. Les annales du Céleste-Empire mentionnent l’existence des Giao-Ky, Comme nation, plus de deux mille ans avant notre ère, et nous apprennent que le Tonkin portait alors le nom de Nam-Giao. De bonne heure, l’Annam excita les convoitises des Chinois, qui le réduisirent au i« siècle avant J.-C ; en 968, une insurrection générale, couronnant plusieurs révoltes partielles, éclata au Tonkin, et le chef indigène Dinh-bô-linh jeta les bases d’une dynastie nationale annamite. Des recherches de M. Castonnet-Desfosses il résulte que, de 96S à 1508, vingt-huit rois, appartenant à quatre dynasties, occupèrent successivement le trône : les deux premières ne firent que passer ; la troisième, celle des Ly, régna de 1010 à 1225 et transmit le pouvoir à la famille Kan, qui le garda jusqu’en 1402. Quoique indépendants en tait, les monarques annamites continuèrent à recevoir des fils du Ciel l’investiture et le sceau et à leur envoyer des tributs ; mais tout porte à croire qu’ils finirent par se dispenser de cette formalité, car ils eurent à repousser, à la fin du xiie siècle, une invasion de Célestes. Ils furent moins heureux en 1408, lorsque la dynastie chinoise des Mings entreprit et mena à bonne fin la conquête du pays jusqu’au fleuve Rouge. Malheureusement pour les vainqueurs, les habitants du Tonkin, soumis à un régime inique et vexatoire, s’insurgèrent à la voix du général l.ê-Lo’i, qui chassa les garnisons chinoises et se fit proclamer roi (MS7). La dynastie des Le régna jusqu’au xviii6 siècle et fit de Hanoï sa résidence ; elle se soumit d’elle-même à la formalité de l’investiture impériale, afin de s’assurer la neutralité bienveillante du puissant État qui l’avoisinait au N. Un des successeurs de Lê-Lo’i s’empara de deux provinces du Ciampa, royaume dont le territoire embrassait à peu près la basse Cochinchine actuelle ; quelque trente ans plus tard, des colons annamites vinrent s’y établir. Au xvie siècle, la puissante famille des Mac disputa la couronne à la dynastie des Le ; une guerre civile ensanglanta le Tonkin de 1529 à 1591, et, durant cette longue période de troubles, il y eut simultanément deux souverains annamites. Grâce au général Nguyen-Dzo, les Le restèrent cependant maîtres du trône. Ce Nguyen-Dzo, devenu chua ou régent, fut en réalité le seul détenteur effectif du pouvoir suprême. En 1600, le roi Lê-Duy-Dam divisa ses États en deux vice-royautés, à la tête desquelles il plaça les seigneurs Trinh et Nguyen. C’était un véritable démembrement de la monarchie annamite, dont

le résultat fut d’affaiblir progressivement la vieille dynastie Lé, jusqu’à ce qu’elle disparût complètement. À la fin du xvme siècle, elle fut en effet renversée par une formidable insurrection. « En Cochinchine, écrit M. Castonnet-Desfosses, vivait une famille puissante qui comptait un grand nombre de partisans. Elle pensa bientôt à s’emparer du pouvoir, fit appel aux mécontents, renforça son armée de tous les brigands qui infes-taient le pays, et, en 1772, elle commença la guerre. Les rebelles s’appelaient Tay-Son ; ils avaient pris ce nom, qui signifie « Montagnards de l’Ouest ■, en souvenir des montagnes où ils avaient obtenu leurs premiers succès. La fortune favorisa les rebelles. Hué tomba au pouvoir des Tay-Son, ainsi que la plus grande partie de la Cochinchine. Le prince Giâ-Long en fut bientôt réduit à posséder la ville de Saïgon et le territoire qui en dépendait. Les Tay-Son, qui avaient aussi pris le titre de roi, songèrent bientôt à envahir le Tonkin ; en 1785, ils étaient maîtres du pays et leur principal chef se fit reconnaître roi à Hanoï. Le roi légitime, Lê-Chien-Thong, prit la fuite et se cacha chez

les paysans ; sa mère et son fils aîné, qui était l’héritier présomptif de la couronne, parvinrent, après de nombreux dangers, à gagner le territoire chinois. La reine mère parvint à toucher ljempereur de Chine, et ce dernier se détermina à envoyer une armée au secours du roi Lê-Chien-Thong... Les troupes chinoises entrèrent dans rAnnam sans rencontrer trop de résistance et arrivèrent à Hanoï ; le roi Lê-Chien-Thong remonta sur son trône ; à peine avait-il repris possession du pouvoir qu’il fut attaqué par les Tay-Son ; il fut vaincu et les débris du corps expéditionnaire chinois s’empressèrent de quitter le pays. La nouvelle de cette défaite laissa fort indifférente la cour de Pékin, qui garda la neutralité et donna même l’investiture aux Tay-Son. ■ C’en était donc fait de la dynastie des Le, Le roi Lê-Chien-Thong se réfugia sur le territoire impérial, où il mourut au bout de deux ans (1791), et tout parut annoncer que les Tay-Son allaient régner sur l’Annam. Mais Giâ-Long, le descendant des vice-rois du Ciampa, fut assez heureux pour les en empêcher. Il avait chargé l’évêque d’Adran, Pigneau de Béhaine, de se rendre en France, en qualité d’ambassadeur, et ce missionnaire était parti de Cochinchine en 1785 avec le fils de Giâ-Long, deux mandarins et trente Annamites ; à Versailles, il avait décidé Louis XVI à signer avec le monarque détrôné (28 novembre 1787) une convention, aux termes de laquelle le roi de France promettait vingt bâtiments de guerre, sept régiments, de l’argent et des munitions au prétendant annamite, qui devait ’nous, céder en échange la baie deTourane et quel 5

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ques Iles, plus une armée de 40.000 hommes, au cas où nos possessions en Asie seraient menacées. Un malentendu avec le gouverneur de Pondichéry, puis la Révolution, ne permirent pas de donner suite à cet accord ; mais l’évêque ramena en Cochinchine, avec lui, quelques officiers français, qui instruisirent les soldats indigènes, élevèrent des fortifications à l’européenne, livrèrent d’heureux combats aux usurpateurs, prirent le Ciampa (1789) et la Cochinchine centrale (1793-1801), et aidèrent Già-Long, proclamé empereur, grâce à l’appui de leurs armes, à s’emparer du Tonkin. Giâ-Long fut un des plus habiles, des plus tolérants et des plus remarquables despotes asiatiques.- il eut le bon esprit d’écouter avec bienveillance les conseils de nos compatriotes, devenus ses ministres, organisa une armée et une flotte redoutables, promulgua un code d’après la législation chinoise, relia tous les chefs-lieux de ses provinces par une route royale, qui partait des frontières de la Chine pour aboutir à celles du Cambodge, sur une longueur de plus de 1.666 kilom. Il régna jusqu’en 1820. Ses successeurs, Minh-Mang (1820-1841), Tien-Tii (1841-1847), Tu-Duc (1847-1883), Se montrèrent aussi pleins d’animositô à l’égard des missionnaires que lui-même les avait favorisés ; ils en vinrent même à oublier tout à fait ce que leur dynastie devait à la France, et, en 1856, Tu-Duc accueillit si insolemment M. de Montigny, envoyé par nous en mission auprès du monarque annamite, que le gouvernement de Napoléon III, d’accord avec l’Espagne, se résolut à intervenir. À la suite d’incidents que nous n’avons pas à rappeler ici (v. Cochinchine, au tome IV du Grand Dictionnaire), un traité signé à Saïgon le 5 juin 1862 nous assura la possession des trois provinces méridionales de Giâ-Dinh, de Binh-Tuong, de Bien-Hoa et de 111e de Poulo-Condor. Si Tu-Duc avait consenti à signer ce traité désavantageux, c’est qu’il était alors menacé de perdre le Tonkin, où avait éclaté une insurrection en faveur de Lê-Phung. prétendant de la famille des Le. Ce prince, converti au christianisme et élevé dans un séminaire du delta du fleuve Rouge, débarqua dans l’Indo-Chine occidentale accompagné seulement de cinq chrétiens et de soixante émigrés païens. Il parvint aisément à soulever les Tonkinois, remplis de haine contre Tu-Duc : ils ne pardonnaient pas à leurs vainqueurs de les avoir faits leurs vassaux après avoir été leurs alliés. Tous les hommes en état de porter les armes s’enrôlèrent sous ses drapeaux.

Au bout de huit mois de luttes, le prétendant, vainqueur dans plusieurs combats, s’était emparé de la flotte de Tu-Duc ; deux préfectures étaient tombées en son pouvoir, et il était maître dans tout le Tonkin orienta], jusqu’aux approches d’Haï-Dzuong ; à Bac-Ninh, la rébellion était également victorieuse. Tu-Duc, effrayé, envoya, pour combattre Lê-Phung, son beau-père, Nguyen-Dinh-Tân, gouverneur du Nara-Dinh. Ce haut mandarin tut complètement battu, et il éprouva une telle rage de ses défaites qu’il se vengea cruellement, atrocement sur les chrétiens. Il faisait, dit-on, creuser des fosses qu’il recouvrait de planches après y avoir jeté les chrétiens ; tous les huit jours, on rouvrait les charniers et l’on en retirait les cadavres. En un mois, si l’on s’en rapporte aux récits des missionnaires, plus de dix mille catholiques auraient péri brûlés, noyés, décapités ou écrasés par les éléphants. Nguyen-Dinh en aurait enterré un grand nombre jusqu’au cou, pour leur faire trancher la tête par les bourreaux. Lê-Phung, victorieux, dépêcha des ambassadeurs à Saïgon : il voulait s’allier aux Français, maîtres déjà d’une partie de la Cochinchine ; il demandait, en conséquence, des secours au contre-amiral Bonard, réclamant seulement une démonstration navale sur la côte ; en retour, il aurait accepté le protectorat de la France sur le Tonkin. Tu-Duc, pris entre deux feux, commença par s’avouer vaincu du côté de la Cochinchine et signa le traité du 5 juin 1862, puis il tourna toutes ses forces contre les rebelles, maîtres alors du Quang-Yen, ia. Haï-Dzuong et du Bac-Ninh, moins les capitales de ces trois pro- : vinces, mais dont l’armée se trouvait atfai- | blie par le désaccord survenu entre les ’ généraux. Tu-Duc chargea de la répression I son meilleur soldat, Nguyen-Tri-Phtiong, dont nous autres, Français, avions pu apprécier l’habileté et la valeur devant Tourane et tes lignes de Khi-Hoa. Dès son arrivés, Nguyen fit afficher une proclamation dans laquelle il promettait amnistie aux Tonkinois qui abandonneraient le parti des insurgés. Lê-Phung assiégeait, à ce moment, la ville de Haï-Dzuong. Trahi par une partie de ses soldats, il se retira avec quelques troupes fidèles dans les provinces du nord et réussit à s’emparer de Thaï-Nguyen et de Thuyen-Quan ; mais, malgré ces quelques succès partiels, il ne tarda pas à voir que ses forces étaient épuisées. « À la fin, dit M. Romanet du Caillaud, désespérant d’arracher directement le Tonkin à la dynastie des Nguyen, il résolut de porter la guerre au foyer même de cette dynastie ; il embarqua donc sur sa flotte les débris de son armée et fit voile pour la rivière de Hué : il voulait, en occupant la moderne capitale de l’Annam, en s’emparant de la personne de Tu-Duc, finir la guerre

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d’un seul coup. Malheureusement, une tempête détruisit sa flotte. Lui-même fut jeté sur les côtes de la province de Quang-Binh avec quelques-uns de ses partisans. Durant quelques jours, il put se cacher. Enfin, il fut découvert, conduit à Hué et condamné à subir la peine du lang-tri, c’est-à-dire à avoir les membres coupés, les entrailles arrachées et, en dernier lieu, la tête tranchée. • Débarrassé de son compétiteur, Tu-Duc eut à réprimer un certain nombre de conspirations. En 1864, son beau-père, Nguyen-Dinh-Tân, à la tête d’un certain nombre de conjurés, résolut de faire massacrer les chrétiens et les missionnaires de l’intérieur, puis d’expulser les Français de Saïgon : si Tu-Duc avait résisté, on l’eût détrôné et remplacé par un autre prince de la famille royale. Le complot fut découvert et facilement étouffé. En 1866, nouvelle conjuration, nouvel insuccès. Le roi, se défiant de son entourage, rappela du Tonkin Nguyen-Tu-Phuong, aussi fidèle à la monarchie annamite qu’hostile à l’influence française, et il lui confia le ministère de la guerre. Cependant, en Basse-Cochinchine, la cour de Hué fomentait constamment des troubles, à la suite desquels l’amiral de Ha Grandière dut annexer à nos premières possessions les provinces de Viuh-Long, de Chau-Doc et de Ha-Tien.

À la désolation produite par les massacres des chrétiens et les incendies de leurs villages, aux troubles causés en haut lieu par les conspirations incessantes, à la pénurie des finances et aux ravages de la peste, un nouveau fléau s’ajouta dès l’année 1865. Des bandes chinoises, composées d’anciens partisans des Taï-Pings vaincus par les mandarins mandchoux, se réfugièrent dans les montagnes septentrionales du Tonkin, sous le commandement d’un certain Ouâ-Tsong. Elles ne tardèrent pas à envahir le3 vallées, à piller et à brûler les villages, à réduire en esclavage les femmes et les enfants ; elles ruinèrent Cao-Bang, Tuyen-Quan, Lang-Son, Thaï-Ngnyen, Bac-Ninh, Son-Tay et vinrent s’établir en face de Hanoï ; elles furent bientôt grossies par l’adjonction de malfaiteurs annamites qui, profitant de l’effroi produit par l’invasion, se donnèrent, aussi eux, pour des rebelles chinois. Vainement, Tu-Duc avait essayé de chasser cette nuée de brigands dans la région montagneuse : il n’y avait pu réussir, et, en désespoir de cause, il avait fait appel au vice-roi des deux Quang. Une armée de Chinois s’abattit alors sur le Tonkin : loin de combattre les pillards, elle fit cause commune avec eux, et Tu-Duc dut intervenir de nouveau auprès du vice-roi pour le prier de rappeler les périlleux auxiliaires qu’il lui avait envoyés. Mais, peu de temps après, revenant à sa première idée et trouvant sans doute avantageuse à sa dynastie la ruine des Tonkinois, il demanda une seconde fois des secours à la Chine, et une armée de cinq mille hommes vint camper aux environs de Bac-Ninh. Les rebelles, devant cette nouvelle intervention du gouvernement chinois, ne purent s’entendre sur les mesures à prendre pour y résister, et ils se scindèrent en deux groupes, les PavillonsNoirs et les Pavillons-Jaunes (v. pavillon). Ces derniers devinrent plus tard nos alliés, tandis que les Pavillons-Noirs et leur chef Lu-Vinh-Phuoc passaient aux gages des Annamites pour nous faire échec.

On trouvera au mot Tonkin le récit des événements qui amenèrent la France à intervenir dans les affaires annamites, du voyage de Dupuis en 1873, de la conquête du Delta par Garnier, de son évacuation par M. Philastre, et de la signature des traités de 1S74. Il suffit de rappeler ici que, ces traités étant en quelque sorte demeurés nuls et non avenus pour la cour de Hué, le commandant Rivière fut envoyé à Hanoi pour exiger leur stricte observation. Co vaillant officier ayant trouvé la mort dans une sortie contre les Pavillons-Noirs, il fallut bien, cette fois, se décider à agir vigoureusement (juin 1883). Tels furent les débuts de cette expédition du Tonkin qui devait diviser en deux camps les hommes politiques français : d’un côté, ceux qui voient dans les colonies une source de profits et de dé* bouchés pour notre commerce ; de l’autre, ceux qui considèrent les possessions lointaines comme une source de dépenses sans compensations.

Pendant que le général BouBt agissait dans le Delta du fleuve Rouge, l’amiral Courbet reçut l’ordre d’attaquer Hué. Tu-Duc, en effet, venait de mourir subitement, et le choix de son successeur donnait lieu à de sérieuses difficultés. Or, les hommes les plus compétents émettaient l’avis que la question du Tonkin ne.recevrait aucune solution efficace sans une intervention à Hué, d’où partaient les ordres de résistance donnés aux mandarins annamites du Delta, en même temps que les subsides et les encouragements aux Pavillons-Noirs. Dès lors, ne convenait-il pas de profiter des troubles résultant de la mort du roi et de la transmission des pouvoirs pour se porter rapidement sur la rivière de Hué, enlever les forts qui commandent la passe, et de là dicter des conditions ? Cette opinion prévalut dans le conseil, tenu la 30 juillet 1883 à Haïphong, entre le commissaire général civil Harmnnd, le général Bouet et l’amiral Courbet. Le 15 août, l’esi-kdre du Tonkin et des bâtiments envoyés

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