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et à revers le reste de la frontière du N.-E. Les fortifications de Metz sont : 1° une ceinture bastionnée couverte par une ligne de redoutes, de lunettes, et par deux forts considérables : le fort Moselle ou de la Double-Couronne à l’O. et le fort Bellecroix ou Steinmetz à l’E. ; 2° une ceinture d’ouvrages détachés, embrassant les deux rives de la Moselle ; sur la rive droite : le fort Saint-Julien ou Manteuffel, le fort des Bordes ou Zastrow, le fort de Queulen ou Gœben, le fort Saint-Privat ou Prince-de-Wurtemberg ; sur la rive gauche : le fort de Saint-Quentin, ou Prince-Frédéric, le fort Manstein, le fort de Plappeville ou Alvensleben, le fort de Voippy ou Kameke et le fort Saint-Eloy. Strasbourg est entouré d’un cordon de douze forts détachés, dont neuf sur la rive gauche : Fransecky, dans la forêt de la Wantzenau ; Moltke, sur la hauteur, près de Reichstedt ; Roon, entre Mundolsheim et Souffelweyersheim ; Kronprinz, à Niederhausbergen ; Grosherzog-von-Baden, à Oberhausbergen ; Bismarck, dans la plaine de Wolfisheim ; Kronprinz-von-Sachsen, sur le plateau de Lingolsheim ; Von-der-Thann, à Graffenstaden ; Werder, à Illkirch ; sur la rive droite : Blumenthal, près d’Auenheim ; Bose, entre Kehl et Appenweier ; Kirchbach, entre Lundheim et Marlen. Aujourd’hui, l’Alsace-Lorraine est parcourue par trente-trois lignes de chemins de fer, qui sont pour la plupart des voies stratégiques et commerciales.

Histoire. Nous avons fait, au tome XVI du Grand Dictionnaire, l’histoire de l’Alsace-Lorraine depuis le mois d’octobre 1870 jusqu’au moment où l’évêque de Strasbourg, M. Raess, déclara devant le Reichstag allemand, le 18 février 1874, que les Alsaciens-Lorrains catholiques n’avaient en aucune façon la pensée de mettre en question le traité de Francfort.

Le langage de M. Raess excita une émotion telle, que dans le clergé de Strasbourg lui-même il se trouva des ecclésiastiques pour blâmer hautement la prétention de l’évêque de parler au nom de ses coreligionnaires. Quinze jours plus tard, les abbés Guerber et Winterer soumirent au Reichstag une demande d’abrogation du régime dictatorial imposé à l’Alsace-Lorraine par la loi du 29 [ ? ] décembre 1871. Cette motion, qui était une protestation indirecte contre toute mesure d’exception, réunit une minorité de 138 voix (centre catholique, Danois, Polonais), mais 196 suffrages la repoussèrent, à la suite d’un discours de M. de Bismarck. « Nous n’avions pas espéré, dit le chancelier, que les orateurs qui ont porté la parole dans cette enceinte salueraient nos institutions avec enthousiasme. Il faut se faire aux institutions étrangères : quand deux siècles auront passé sur l’annexion de l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne, la comparaison tournera au bénéfice de l’Allemagne, qui est la mère-patrie de l’Alsace-Lorraine : nous en avons eu la preuve aujourd’hui même dans l’aisance avec laquelle les députés alsaciens— lorrains manient la langue allemande. Nous avons eu besoin de l’état de siège dans le nouveau pays de l’empire. Je n’ai pas le droit de diminuer dès maintenant les pouvoirs du président suprême. En France, vingt-huit départements sont en état de siège (c’est quarante-trois départements que M. de Bismarck aurait dû dire). Il est incontestable que la France laisserait subsister l’état de siège en Alsace. Si le vœu que ces messieurs ont laissé entendre dans leur première motion de redevenir Français était rempli, ils se trouveraient immédiatement, au moins pour les deux départements allemands, sous le régime complet de l’état de siège. J’ajoute : sous un état de siège appliqué avec moins de ménagements, et derrière lequel, au lieu des Vosges, sont en perspective Lambessa et la Nouvelle-Calédonie. Nous n’avons pris l’Alsace que pour un boulevard destiné à nous protéger contre les passions des peuples latins. Nous avons dû ·rogner la pointe qui pénétrait profondément dans les chairs de l’Allemagne ; car c’est précisément dans cette pointe qu’habite une population qui, pour l’humeur guerrière et la haine contre les Allemands, ne le cède en rien aux Français. Nous avons appris à connaitre, dans les guerres, l’effet des épées alsaciennes combattant contre les Allemands, qu’elles traitaient en ennemis. J’espère que, désormais, dans le métier des armes, nous apprendrons à apprécier l’amitié des Alsaciens. S’ils veulent protester, ils auraient dû protester avant la guerre. Mais, comme ils ont aidé à cette guerre, comme cette guerre a été déchaînée sur nous avec leur concours, ils doivent en subir les conséquences. Quiconque a contribué, même pour la part la plus minime, à cette guerre criminellement provoquée, doit avant tout se poser cette question : Ai-je fait alors mon devoir ? Je vous prie de repousser la proposition. Ainsi vous attesterez que vous êtes satisfaits de l’administration des nouveaux pays d’empire. »

Ainsi, M. de Bismarck, pour justifier le maintien de la dictature en Alsace-Lorraine, puisait les plus solides de ses arguments dans la politique du gouvernement de l’ordre moral, qui maintenait quarante-trois départements en état de siège, bien que la guerre fût terminée depuis bientôt quatre ans !

Mais, en dépit des votes hostiles du Reichstag et du régime de compression sous lequel gémissaient les provinces annexées, les Alsaciens-Lorrains ne modifiaient en aucune façon leur attitude gallophile. Le gouvernement essaya d’un autre moyen, et, tout en maintenant une sorte de dictature analogue à l’état de siège, il parut vouloir déférer, dans une mesure assez faible d’ailleurs, aux vœux des annexés. Par une lettre datée du 29 octobre 1874, l’empereur Guillaume autorisa le chancelier, toujours muni de pleins pouvoirs en Alsace-Lorraine, à créer un comité consultatif de trente membres, pris, par voie de délégation, au sein des trois conseils généraux du pays. Le comité, ou Landesausschuss, devait donner son avis sur les projets de lois concernant les affaires locales, qui n’étaient pas réservées par la Constitution au pouvoir législatif (y compris le budget provincial) ou aux délibérations des conseils généraux. Dans la pensée de M. de Bismarck, cette délégation était destinée à remplacer le parlement demandé par les autonomistes et à faire échec aux protestataires du Reichstag. En effet, les conseillers généraux étant soumis à la prestation d’un serment politique, les membres du parti français, formant les quatre cinquièmes ou tout au moins les trois quarts du corps électoral, se trouvèrent écartés des conseils, et la délégation qui sortit de ces assemblées ne pouvait être que tout à la dévotion du gouvernement impérial. Dans ces conditions, le parti de la protestation se trouvait encouragé à continuer la lutte ; mais, aux élections de 1877, dans six collèges sur quinze, les candidats autonomistes l’emportèrent sur leurs concurrents indépendants. Les quatre élus de la Lorraine appartinrent tous au parti de la protestation. Sur les cinq élus de la Haute— Alsace, l’un reçut le mandat spécial de demander au Reichstag de faire voter la province conquise sur la question de nationalité ; le second fut nommé comme « autonomiste se rapprochant du parti de la protestation pure » ; les trois derniers, tous ecclésiastiques, représentaient la nuance « cléricale— française » ; enfin, les six députés de la Basse-Alsace étaient autonomistes. La comparaison des élections du l0 janvier 1877 avec celles de 1874 est singulièrement instructive. En 1874, les députés avaient été classés dans le Parlaments Almanach sous les deux dénominations de « parti français » et de « parti du centre ». La première de ces dénominations désignait les hommes qui, ne reconnaissant pas l’annexion, refusaient de prendre part aux travaux du Reichstag ; la seconde s’appliquait à ceux qui appartenaient au parti clérical et allaient au Parlement pour défendre les intérêts de leurs commettants, et tout spécialement pour combattre la politique religieuse de M. de Bismarck : les premiers étaient au nombre de six, et l’on comptait neuf des seconds. En 1877, il s’était opéré dans les idées une modification profonde. La question religieuse ayant été rejetée à l’arrière-plan, les évêques de Strasbourg et de Metz ne furent pas réélus, et le nombre des curés députés se trouva réduit à trois. Cette fois, on ne s’était généralement préoccupé que de cette question : faut-il ou non prendre part à la discussion de nos affaires au Parlement impérial ? Et, suivant qu’ils répondirent affirmativement ou négativement, les candidats furent classés ou comme protestataires ou comme autonomistes. En résumé, les indépendants furent ceux qui refusèrent de faire aucune démarche, de prendre part à aucun débat impliquant reconnaissance de l’état de choses créé en 1871, tandis que les autonomistes, soutenant qu’un parti qui s’abstient est un parti qui abdique, jugeaient dangereux de laisser passer toute l’administration aux mains des Allemands sans se mêler à aucune discussion. Une occasion ne tarda pas à se présenter, qui mit en présence les représentants des deux partis entre lesquels se partageait la population annexée.

Le Landesausschuss, composé comme il l’était, avait depuis 1874 rendu à M. de Bismark d’inappréciables services. Au lieu de porter seul toute la responsabilité de ses actes, le gouvernement en faisait endosser une grande part à cette prétendue représentation du pays d’empire. Désireux d’empêcher la reproduction trop fréquente des débats, soulevés constamment au Reichstag par les Alsaciens-Lorrains, le chancelier résolut de faire attribuer au docile Landesausschuss une partie des pouvoirs du Reichstag sur les affaires d’Alsace-Lorraine. Il présenta donc au Parlement un projet en vertu duquel les lois concernant spécialement ce pays pourraient être décrétées par l’empereur, avec l’assentiment du conseil fédéral, sans acceptation préalable du Reichstag, dans le cas où le Landesausschuss aurait donné un avis favorable. La discussion fut signalée par les discours de MM. Bergmann et Schneegans, autonomistes alsaciens— lorrains, et par ceux de MM. Guerber· et Simonis, du parti de la protestation. Ces deux derniers parlèrent contre le projet, en exposant leurs griefs contre l’administration et la composition de la délégation provinciale, qui ne pourrait être considérée comme la représentation réelle du pays que si elle émanait d’élections directes. Au contraire, MM. Bergmann et Schneegans, aux applaudissements de la Chambre, parlèrent en faveur du projet, qui, dans leur opinion, servirait de base à des progrès futurs. Se plaçant au point de vue de la conciliation et de la politique pratique, M. Schneegans caractérisa ainsi le groupe autonomiste : « Nous ne sommes ni un parti gouvernemental ni un parti d’opposition systématique, mais un parti qui veut marcher en avant. Aussi longtemps que le gouvernement marchera en avant, nous l’appuierons. » Le projet, adopté par le Reichstag, fut promulgué le 2 mai 1877.

À la suite des élections de 1878, qui firent gagner deux ou trois sièges aux protestataires, les députés autonomistes présentèrent une motion ainsi conçue : « Plaise au Reichstag inviter le chancelier de l’empire à faire en sorte que l’Alsace-Lorraine reçoive un gouvernement autonome, résident dans le pays même. » En présence de cette proposition, les députés indépendants lurent une déclaration dont voici les termes : « Les représentants élus de l’Alsace et de la Lorraine, se trouvant en face d’une motion qui a pour but, au moins d’après sa teneur, l’établissement d’un gouvernement indépendant en Alsace-Lorraine, ont trop conscience de le situation douloureuse faite à leur pays pour pouvoir se prononcer contre cette motion. Si le gouvernement de l’Alsace-Lorraine est destiné à être indépendant, il en résulte comme conséquence naturelle que le siège doit en être établi au sein du pays même. Nous avons à plusieurs reprises fait ressortir cette nécessité. Mais nous avons, en outre, la ferme conviction qu’on n’arrivera à aucun résultat favorable sans le concours d’une représentation du peuple sortie du suffrage universel direct et munie de pouvoirs constitutionnels suffisants. Cette assemblée, nous l’avons déjà demandée dans une session précédente. Elle est à nos yeux la base indispensable d’une autonomie vraie et sérieuse. Sous la réserve de ces déclarations, nous voterons pour la motion de MM. Schneegans et consorts. Quant aux propositions éventuelles que pourra faire le gouvernement, nous en ignorons le sens et la portée, ·et cependant l’avenir de notre pays dépendra des résolutions qui seront prises. Notre devoir, comme représentants du pays, ainsi que l’honneur de l’Alsace et de la Lorraine, nous commandent, dans cette situation, de rester dans l’expectative et de réserver expressément et solennellement les droits de notre pays. » La motion Schneegans ne reçut aucune solution, mais elle fournit à M. de Bismarck l’occasion de faire connaitre son avis sur les provinces annexées. Son auteur, se plaçant sur le terrain du traité de Francfort, qui devait, selon lui, être le point de départ, accepté sans arrière-pensée, du développement normal de l’Alsace-Lorraine, avait dit : « Le pays d’empire ne doit pas être un mur de séparation entre l’Allemagne et la France, mais plutôt un pont sur lequel les deux peuples et les deux civilisations se tendront la main pour la réconciliation et l’action commune. » — « Je ne puis nier, répartit M. de Bismarck, que le développement tout entier de l’orateur n’ait produit sur moi une impression en majeure partie agréable ; elle l’eût été encore plus si M. le député s’était abstenu, à la fin de son discours, d’adresser du côté de Paris un appel qui ne peut trouver ici aucun écho, et de représenter son pays natal comme une sorte de pays neutre à l’avenir, où les sympathies françaises auraient les mêmes droits que les sympathies allemandes. Cet amour partagé, messieurs, nous ne saurions 1’accepter… Mais je suis tout prêt à recommander au conseil fédéral d’accorder au pays d’empire le plus haut degré d’autonomie compatible avec la sûreté militaire de l’empire. C’est là le mot en quelque sorte fatidique qui exprime le seul principe d’après lequel nous pouvons et devons agir. » Peu de temps après, le chancelier tint en effet parole et présenta au conseil fédéral, qui l’adopta avec modifications, le plan d’une nouvelle organisation politique du pays d’empire. Au sommet de la hiérarchie fut placé un lieutenant impérial (statthalter), délégué direct de l’empereur, nommé et révoqué par lui, résidant à Strasbourg, et n’ayant à rendre compte de sa gestion qu’au monarque lui-même. Au—dessous du statthalter, l’administration responsable fut représentée par un ministre secrétaire d’État, ayant pour auxiliaires quatre sous-secrétaires d’État, entre lesquels on répartit les divers départements ministériels. Latéralement, un conseil d’État reçut des attributions analogues à celles que ce corps exerce suivant la législation française, à l’exception toutefois du contentieux administratif qui resta dévolu au corps spécial existant depuis 1871 sous le nom de Conseil impérial. La loi du 4 juillet 1879, qui promulgua cette nouvelle organisation, la compléta en portant à 58 le nombre des membres du Landesausschuss : 34 élus, comme par le passé, par les conseils généraux (10 par le ·conseil du Haut-Rhin, 11 par celui de Lorraine, 13 par celui du Bas-Rhin), 4 par les conseils municipaux (et dans leur sein) de Strasbourg, Mulhouse, Colmar et Metz ; 20 par les 20 cercles, suivant des prescriptions spéciales. Les délégués ne pourraient exercer leur mandat qu’après avoir prêté serment. L’empereur, ou plutôt M. de Bismarck, nomma le maréchal de Manteuffel statthalter d’Alsace-Lorraine, et M. Herzog ministre secrétaire d’État.

Le nouveau régime entra en vigueur le 1er octobre 1879. Les élections pour le renouvellement de la délégation, qui suivirent de près, furent, en Lorraine, toutes hostiles à 1’Allemagne ; en Alsace, les voix se partagèrent entre les autonomistes et les protestataires. Des divisions ne tardèrent pas à se produire entre M. de Manteuffel et M. Herzog. Celui-ci, inféodé à la politique de répression et de germanisation à outrance, fut bientôt obligé de résigner ses fonctions, pour n’avoir pu s’entendre avec son supérieur hiérarchique, partisan d’une administration conciliante ; son successeur fut M. Hofmann, ministre d’État prussien. « Le maréchal, raconte un Alsacien, apportait à Strasbourg de tout autres idées que son ministre sur le régime qui convenait aux frères reconquis. Entièrement dépourvu, par origine et par éducation, des préjugés bureaucratiques, il aspirait à faire la conquête morale de l’Alsace-Lorraine, et, pour atteindre ce but, il se fiait de préférence à la douceur, à la satisfaction des amours-propres particuliers et des intérêts privés, et par-dessus tout à sa séduction personnelle. Toujours en tournée, il promena son sourire à travers les deux provinces, tint table ouverte, prodigua les aumônes, opposa une indulgence dédaigneuse aux critiques et aux manifestations tant que celles-ci restaient platoniques, et surtout ne ménagea pas les avances et les flatteries aux membres des divers clergés, aux grands propriétaires et aux industriels, à tous les hommes influents ; en un mot, aux directeurs présumés de l’opinion publique. Comment, avec sa toute-puissance, ses vues en apparence judicieuses, ses éminentes qualités personnelles, une bonne foi incontestable, a-t-il non seulement échoué dans la réalisation de son programme de conciliation, mais encore détruit en partie l’œuvre de son prédécesseur et fait reculer de plusieurs années la germanisation de l’Alsace-Lorraine ? » Il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, lorsque le maréchal arriva à Strasbourg, la majorité de la population ne croyait plus à la possibilité d’obtenir une véritable autonomie. En second lieu, il ne comprenait rien, lui, dévot du droit divin et de l’absolutisme, à la manière de voir d’une population imbue d’idées démocratiques. Enfin, la comparaison de l’Allemagne et de la France, si rapidement relevée de ses désastres, ne tournait pas à 1’avantage de l’empire. Dès la réunion du Landesausschuss, en décembre 1880, les délégués critiquèrent avec vigueur les abus de 1’administration germanique, et les protestataires, malgré les avances du statthalter, se montrèrent aussi intraitables qu’aux premiers jours de l’annexion. Les autonomistes eux— mêmes, vu l’état de l’opinion publique, ne purent se rallier franchement ni faire profession de loyauté à l’Allemagne.

Les élections au Reichstag qui eurent lieu en octobre 1881 constituèrent la manifestation la plus éclatante que l’Alsace-Lorraine eût faite encore depuis les événements qui l’avaient séparée de la patrie française. En 1877, les autonomistes avaient gagné du terrain, grâce aux fallacieuses promesses des vainqueurs ; en 1878, le mouvement protestataire s’était accentué ; en 1881, le parti français avait tellement grandi, en nombre et en influence, que les autonomistes, désillusionnés sans doute, ne présentèrent aucun candidat. Dans les rues de Strasbourg, on distribuait ostensiblement des billets ainsi conçus : « En votant pour M. Kablé, nous votons contre l’annexion de l’Alsace-Lorraine à l’empire allemand. Vive la France ! Signé : La Revanche ». Cédant à l’impatience, froissé dans son amour— propre, déçu cruellement dans ses espérances, le maréchal de Manteuffel montra alors son mécontentement par une série de mesures violentes : suppression de la « Presse », organe de la protestation, dissolution du corps des pompiers strasbourgeois, expulsion des compagnies d’assurances françaises, maintien de l’administration municipale de Strasbourg sous le régime discrétionnaire. Il décréta enfin l’interdiction de la langue française dans les délibérations du Landesausschuss. Peu après (septembre 1883) il annulait les ordonnances antérieures, qui avaient exempté les autorités de Thionville et de Metz et les membres du tribunal de cette dernière ville de se servir de l’allemand dans 1’exercice de leurs fonctions. La loi· du 31 mars 1872, en vertu de laquelle l’allemand était devenu la langue officielle de l’Alsace— Lorraine, à partir du 1er juillet de la même année, autorisait le chef du gouvernement des provinces annexées à laisser le français en vigueur dans les cercles de Thionville et de Metz, et, en général, dans les cantons où la majorité de la population ne faisait pas usage de l’allemand ; la circulaire du 5 décembre 1877 avait accordé à diverses parties du territoire la jouissance de cette faveur jusqu’au 1er janvier 1883 ; enfin, une décision prise, le 21 décembre 1882, par le statthalter lui-même, avait prolongé indéfiniment l’application de cette mesure bienveillante. Désormais, le français serait interdit sans aucune exception dans tous les actes de la vie ·publique. Peu après, M, Antoine, délégué de la circonscription rurale de Metz, protestant contre l’interdiction de la langue française dans les délibérations du landesausschuss, s’écriait bravement : « … Que demandions-nous tous ? Une législation uniforme dans ce