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si curieusement décrit. Jusqu’à quel point l’habitude de se créer, comme il l’a dit lui-même, « des paradis artificiels, » à l’aide de la funeste drogue orientale, altéra-t-elle sa santé, c’est ce qu’il serait difficile de préciser. Ses amis l’ont toujours chaleureusement défendu d’avoir poussé jusqu’à l’abus l’usage de l’opium et du haschich ; mais sa maladie offrit la plupart des symptômes observés dans l’intoxication causée par ces dangereuses substances, de même que celle de Fernand Boissard, le fondateur du club des haschichins. À Bruxelles, Baudelaire travailla peu ; à peine écrivit-il quelques courtes pièces de vers, qui ne sont pas les meilleures de son œuvre. « Les premiers symptômes du mal, dit Th. Gautier, se manifestèrent par une certaine lenteur de parole et une hésitation de plus en plus marquée dans le choix des mots ; mais comme Baudelaire s’exprimait souvent d’une façon solennelle et sentencieuse, appuyant sur chaque terme pour lui donner plus d’importance, on ne prit pas garde à cet embarras de langage, prodrome de la terrible maladie qui devait l’emporter et qui se manifesta bientôt par une brusque attaque. Le bruit de la mort de Baudelaire se répandit dans Paris avec cette rapidité ailée des mauvaises nouvelles, qui semble courir plus vite que le fluide électrique le long de son fil. Baudelaire était vivant encore, et la nouvelle n’était que prématurément vraie ; il ne devait pas se relever du coup qui l’avait frappé. Ramené de Bruxelles par sa famille et ses amis, il vécut encore quelques mois, ne pouvant parler, ne pouvant écrire, puisque la paralysie avait rompu la chaîne qui rattache la pensée à la parole. L’idée vivait toujours en lui, on s’en apercevait bien à l’expression des yeux, mais elle était prisonnière et muette, sans aucun moyen de communication avec l’extérieur, dans ce cachot d’argile qui ne devait s’ouvrir que sur la tombe. À quoi bon insister sur les détails de cette triste fin ? Il n’est pas de bonne manière de mourir ; mais il est douloureux, pour les survivants, de voir s’en aller sitôt une intelligence remarquable, qui pouvait longtemps encore porter des fruits, et de perdre sur le chemin de plus en plus désert de la vie un compagnon de sa jeunesse. »

Les Œuvres complètes de Baudelaire ont été recueillies en une édition définitive (Michel-Lévy, 1871-1872, 7 vol. in-18). Elles se composent de : Fleurs du mal (1 vol.) ; Petits poèmes en prose et Paradis artificiels (1 vol.) ; Histoires extraordinaires et Nouvelles histoires extraordinaires, traduites d’Edgard Poë (2 vol.) ; Curiosités esthétiques (1 vol.) ; l’Art romantique (1 vol.) ; Aventures d’Arthur Gordon Pym, Eurêka, traductions d’Edgard Poë (1 vol.). Il a été, de plus, publié sur le poëte des Fleurs du mal un volume intitulé : Charles Baudelaire, souvenirs, correspondance, bibliographie, suivis de pièces inédites (Paris, Pincebourde, 1872, in-8o).


BAUDELIER s. m. (bô-de-lié — rad. baudet). Celui qui transporte le bois à dos de bêtes de somme.


BAUDELOT (Émile), savant français, né à Vendresse (Ardennes) en 1834, mort à Nancy en 1875. Il étudia la médecine à Paris, où il passa son doctorat en 1858, puis il s’occupa d’une façon toute particulière d’anatomie et de physiologie et prit en 1863 le grade de docteur ès sciences. Élève de M. Blanchard, il travailla avec lui jusqu’en 1865, se livra à d’intéressants travaux d’histologie et y montra à la fois une grande pénétration d’analyse et un esprit hardi et généralisateur. À la mort de M. Le Rebaullet, doyen de la Faculté des sciences de Strasbourg, Baudelot fut appelé à le remplacer comme professeur d’anatomie comparée, et son enseignement eut un plein succès. « Quoique d’une organisation délicate, dit M. Figuier, Baudelot avait un caractère énergique. Pendant la guerre de 1870-1871, il servit comme aide-major dans le corps d’armée du général Ducrot. Il fut ensuite attaché aux ambulances de Haguenau. Il revint à Paris en 1871, Après la prise de Strasbourg, qui raya de notre nationalité les Facultés de cette ville, Nancy remplaça Strasbourg comme ville universitaire. Le dédoublement de la chaire d’histoire naturelle de la Faculté de Nancy fit choisir Baudelot pour enseigner l’anatomie comparée et la zoologie. » Baudelot avait un esprit délicat, plein de sincérité et de droiture. Travaillant sans cesse, il avait amassé un grand nombre de matériaux. On a de lui : plusieurs mémoires, notamment sur les Fonctions de l’encéphale des poissons, sur la Détermination des caractères en anatomie comparée, travail qu’il laissa inachevé ; un recueil de Recherches sur le cerveau des poissons ; des Recherches sur l’appareil générateur des mollusques gastéropodes (1863, in-4o), etc.


BAUDEMENT (Théophile-Charles-Étienne), érudit, né à Paris en 1808, mort dans la même ville en 1874. Il commença par donner des leçons particulières, puis il devint secrétaire d’Augustin Thierry (1835). Attaché en 1843 à la bibliothèque Mazarine, il passa dix ans plus tard à la Bibliothèque nationale, où il remplit les fonctions de conservateur des imprimés. Baudement collabora au Journal de l’instruction publique, à la Législature (1843), à la Revue contemporaine, à l’Athenaeum français, au Bulletin du bibliophile, etc. Il a traduit et annoté, dans la Collection Nisard : Ovide, Tibulle, Publius Syrus, Cicéron, Suétone, Florus, Jules César, Eutrope, Sextus Rufus, Frontin, Modestus, Censorinus, Julius Obsaequens. On lui doit, en outre, le Rabelais de Huet (1867, in-12), les Églogues de Huet (1870, in-8o).


BAUDET (Louis), littérateur français. V. Baude, dans ce Supplément.


  • BAUDIN (Charles), amiral français, mort en 1854. — Il était fils de Baudin des Ardennes, et non de Nicolas Baudin. Sous le Consulat, il demanda et obtint de faire partie de l’expédition qui s’organisa au Havre pour l’exploration des terres australes, et qui se composait de la corvette le Géographe et de la flûte le Naturaliste. En 1848, le gouvernement provisoire nomma le vice-amiral Baudin commandant de l’escadre de la Méditerranée. Lorsque éclata, le 15 mai suivant, la fameuse insurrection de Naples, Baudin se trouvait devant cette ville avec 8 vaisseaux de ligne et plusieurs frégates. Peu après, il contribua, par ses énergiques représentations, à mettre un terme au moins momentané aux excès de la réaction victorieuse. Son nom est resté

dans la mémoire de tous les vaincus qui cherchèrent un asile sous le pavillon français et que l’amiral Baudin parvint à soustraire à la mort ou au bagne. Au mois de septembre suivant, d’accord avec l’amiral anglais William Parker, il mit un terme aux horreurs dont Messine était le sanglant théâtre et il prévint, par son intervention spontanée, le retour de semblables excès lors de la reprise de Palerme en avril 1849. À cette époque, Baudin quitta le service actif. Il revint à Paris, fut nommé, en 1852, président du conseil des travaux de la marine, en 1854 amiral, et il mourut le 7 juin de cette même année.


BAUDIN (Désiré-Pierre), ingénieur français, né en 1809. À dix-sept ans, il fut admis à l’École polytechnique, d’où il sortit parmi les premiers, puis il entra dans le service des mines et devint ingénieur. Nommé ingénieur en chef de première classe en 1850, il a été depuis inspecteur général. M. Baudin est officier de la Légion d’honneur. Outre un certain nombre de notices, on lui doit : Précis historique sur les mines de houille de Brassac depuis leur ouverture jusqu’en 1836 (1842, in-8o) ; Description historique, géologique et topographique du bassin houiller de Brassac (1851, in-4o, avec atlas in-fol.).


  • BAUDIN (Jean-Baptiste-Alphonse-Victor), médecin et homme politique français, né à Nantua (Ain) le 20 avril 1811, tué à Paris le 3 décembre 1851. — Il fit de brillantes études aux collèges de Saint-Amour et de Lyon, puis il suivit les cours de médecine dans cette dernière ville (1828). Son père, qui était chirurgien, avait peu de fortune. Pour alléger les charges que ses études faisaient peser sur sa famille, il obtint son admission dans un hôpital militaire et fut envoyé au Val-de-Grâce en octobre 1830. Élevé dans les idées républicaines, le jeune étudiant partagea son temps, à Paris, entre l’étude des questions politiques et sociales et l’étude de la médecine. Il devint alors un adepte du saint-simonisme, ce qui le fit mal noter de ses chefs. Malgré le dévouement dont il fit preuve pendant l’épidémie cholérique de 1832, il fut éloigné de Paris et envoyé à l’hôpital militaire de Toulon. De là, il passa en Algérie, en qualité de chirurgien d’un régiment de zouaves, dans lequel servait Cavaignac. Dès qu’il le put, Alphonse Baudin quitta la chirurgie militaire, revint à Paris, s’y fit recevoir docteur et s’y établit comme médecin. Là, il se lia avec plusieurs hommes éminents du parti républicain, notamment avec Lamennais, se fit affilier à des sociétés secrètes, devint franc-maçon et, grâce à une grande facilité d’élocution, il fut un des orateurs les plus écoutés des réunions maçonniques. Ce fut avec une joie profonde qu’il accueillit la révolution de 1848. Il parla souvent dans les clubs et y fut applaudi. Le 18 mai, Baudin fut arrêté pour avoir fait partie de la foule qui avait pénétré le 15 mai dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, mais on le relâcha presque aussitôt. Nommé par les électeurs de l’Ain représentant du peuple à l’Assemblée législative pur 40,739 voix, en mai 1849, Alphonse Baudin alla siéger à la Montagne. Lors de l’expédition de Rome, il signa chez Ledru-Rollin la demande de la mise en accusation de Louis-Napoléon Bonaparte et de ses ministres, ainsi que le manifeste de la Montagne et l’appel au peuple (13 juin). Quelques jours après, il interpella le ministre de l’intérieur au sujet de perquisitions faites par la police dans un local affecté aux réunions des représentants de la Montagne. Le 8 janvier 1850, il prononça un remarquable discours au sujet du projet de loi qui conférait aux préfets la faculté de nommer et de révoquer les instituteurs communaux et proposa de voter l’enseignement primaire gratuit et obligatoire. À trois reprises différentes, le 29 octobre 1849, le 3 avril et le 6 juillet 1850, le représentant de Nantua prit la parole pour réclamer la levée de l’état de siège imposé à la 6e division militaire dans laquelle le département de l’Ain se trouvait compris, et pour signaler les abus de pouvoir commis à la faveur de ce régime exceptionnel. Esprit alerte, prompt à la riposte et plus prompt encore à l’attaque, il n’avait pas toujours la patience de supporter silencieusement les outrages contre la République et le sens commun. Placé au sommet de la Montagne, d’où sa voix tombait stridente et railleuse au milieu des discussions, il avait le talent particulier d’agacer, d’irriter le président Dupin, qui ne se faisait pas faute d’ailleurs de lui infliger les pénalités les plus rigoureuses inscrites dans le règlement. À la séance du 16 mai 1851, lors de la discussion du projet de loi qui conférait au préfet du Rhône les attributions de préfet de police dans les communes constituant l’agglomération lyonnaise, Baudin, par son langage énergique, se fit rappeler deux fois à l’ordre et finalement retirer la parole par une délibération de l’Assemblée. Lors du projet de loi organique sur l’Assemblée nationale, il réclama avec véhémence contre la disposition de cette loi qui attribuait à l’autorité le soin de désigner les individus aptes à être gardes nationaux.

À cette occasion, il prononça un discours éloquent, vibrant, d’une conviction profonde, et le dernier qu’il devait faire à l’Assemblée : « Nous agirons, s’écria-t-il, nous vivrons, nous mourrons s’il le faut avec et pour la vile multitude. » Quelques mois plus tard, en revenant de l’Ain, où il était allé passer les vacances de la législature, Baudin s’arrêta à Dijon, Là, dans une réunion d’amis, il fit cette déclaration prophétique : « Notre mandat est de défendre la République. Demain, je serai à Paris, et si elle est attaquée, je jure ici de me faire tuer pour sa défense. »

Lorsque, le 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte commit contre l’Assemblée nationale l’attentat qui devait avoir de si terribles conséquences pour la France, Alphonse Baudin se réunit aux quelques députés qui résolurent de soutenir jusqu’au bout la grande cause de la République et de la liberté et, s’il le fallait, de mourir pour elle. Le matin du 3 décembre, une douzaine de représentants de la Montagne se trouvaient à la salle Roysin, en face de la rue Sainte-Marguerite ; il y avait Baudin, Briller, Bruckner, de Flotte, Dulac, Maigne, Malardier, Schoelcher, Esquiros, Madier de Montjau et quelques autres. La troupe, sous les ordres du général Marulaz, stationnait sur la place de la Bastille. Plusieurs centaines d’ouvriers circulaient dans le faubourg, il était environ huit heures ; la barricade, ou plutôt l’ombre de barricade, n’existait pas encore. Les représentants, ceints de leur écharpe, sortent tous de la salle Roysin et se mettent à parcourir le faubourg ; ils essayent de faire passer une étincelle de leur colère patriotique dans le cœur des ouvriers qui étaient là mêlés à leurs femmes. Mais les paroles les plus vibrantes ne trouvaient point d’écho ; on voyait l’indifférence sur presque tous les visages : le faubourg gardait rancune des fatales journées de Juin. C’est alors qu’une femme du peuple, qui était dans le groupe et qui paraissait très-exaltée, dit en s’adressant aux représentants : « Ah ! vous croyez donc que nos hommes vont aller se faire tuer pour vous conserver vos 25 francs ! — Attendez un peu, répliqua Baudin avec un sourire amer, vous allez voir comment on meurt pour 25 francs. »

Les représentants comprirent dès lors que tout était perdu et qu’il ne leur restait plus qu’à protester énergiquement et à mourir pour le droit s’il le fallait. La fermeté de cette attitude, parut ranimer un instant le patriotisme des ouvriers ; trois ou quatre voitures de maraîchers passaient en ce moment au coin de la rue Sainte-Marguerite. En un instant elles furent arrêtées, on détela les chevaux ; une dizaine d’insurgés coururent chez un charron du voisinage, un omnibus traîné à bras parut bientôt, et une barricade commença à s’élever. Quelque temps après, le général Marulaz, prévenu qu’une sorte de résistance s’organisait dans le faubourg, envoya plusieurs compagnies sous les ordres d’un chef de bataillon. Celle du capitaine Petit marchait en tête. Le premier rang apparut bientôt à une distance d’environ 300 mètres. Les représentants, sans armes, mais ceints de leur écharpe, viennent se placer résolument devant la barricade ; derrière se tiennent les insurgés, deux à trois cents hommes armés d’une vingtaine de fusils qui avaient été enlevés à un poste. Sept des représentants marchent vers les soldats, tandis que Baudin, comprenant l’inutilité de cette démarche, escaladait la barricade et s’enveloppait dans un drapeau, attendant fièrement la mort. Cependant les représentants continuaient à marcher au-devant de la troupe. Les soldats s’arrêtent instinctivement. Schoelcher prend la parole et dit : « Nous sommes représentants du peuple ; au nom de la Constitution, nous réclamons votre concours pour faire respecter la loi du pays. Venez à nous, ce sera votre gloire. — Taisez-vous, s’écrie le capitaine, je ne veux pas vous entendre ; j’obéis à mes chefs, j’ai des ordres ; retirez-vous ou je fais tirer. — Vous pouvez nous tuer, nous ne reculerons pas. — Vive la République ! vive la constitution ! » répondent d’une seule voix les représentants.

L’officier fait apprêter les armes et commande : « En avant ! » Plusieurs des représentants, croyant la dernière heure venue, mettent le chapeau à la main, comme pour saluer la mort, et poussent un nouveau cri de : « Vive la République ! » Mais l’officier ne commande pas le feu. Neuf rangs de soldats passent successivement, marchant vers la barricade et se détournant des représentants. Ceux-ci continuent de les adjurer de se joindre à eux. Cependant quelques soldats, plus impatients que les autres, repoussent les représentants. Un fourrier couche en joue Bruckner ; mais, sur un mot calme et digne de celui-ci, il relève son fusil et le décharge en l’air. Au même instant, un soldat repousse Schœlcher avec l’extrémité du canon de son fusil, cherchant à l’éloigner et non à le blesser, comme l’a dit Schœlcher lui-même. Tout à coup une balle part de derrière la barricade : un militaire tombe mortellement frappé. La troupe, qui n’était plus qu’à trois ou quatre pas, riposte par une décharge générale ; Baudin tombe foudroyé.

Le 5 décembre, le corps de l’héroïque défenseur du droit fut conduit au cimetière Montmartre, escorté par son frère Camille Baudin et par une centaine de personnes.


Baudin (PROCÈS DE LA SOUSCRIPTION). Dix-sept ans s’étaient écoulés depuis la mort du représentant du peuple Alphonse Baudin. L’Empire avait accompli son œuvre d’étouffant despotisme. Cependant l’esprit public commençait à se réveiller de sa longue torpeur. Un ardent besoin de liberté se manifestait dans la partie intelligente de la nation. Le gouvernement, né dans le crime et dans les proscriptions, avait accumulé faute sur faute, et les moins clairvoyants commençaient à comprendre vers quelles catastrophes marche un peuple qui, volontairement ou non, abdique entre les mains d’un seul. Ce fut au milieu de cette disposition des esprits que M. Ténot publia sur le coup d’État, sous le titre de : Paris en décembre 1851 (1868), un remarquable ouvrage, dans lequel il mit en relief la grande figure de Baudin. Tous les journaux libéraux reproduisirent le passage de ce livre où sont relatés les événements de la rue Sainte-Marguerite. Aussi pouvait-il sembler naturel que les démocrates parisiens songeassent, à l’occasion de la fête des Morts, à déposer des couronnes sur le tombeau de Baudin. Cependant le bruit se répandit qu’en prévision de manifestations politiques les cimetières de Paris devaient être fermés le 2 novembre. Le journal le Réveil, du 29 octobre 1868, déclarait, dans une note signée Ch. Quentin, qu’un pareil bruit devait être sans fondement, et il ajoutait : « On ne peut empêcher un peuple de s’honorer lui-même en honorant la mémoire de ceux qui lui ont légué de grands exemples, de ceux qui, comme Godefroy Cavaignac, ont usé leur vie aux luttes de la liberté, de ceux qui, comme Baudin, sont tombés martyrs en défendant la loi. »

Les cimetières restèrent ouverts le 2 novembre 1868.

Comme d’habitude, une foule nombreuse se porta au cimetière Montmartre ; la grande ombre de Godefroy Cavaignac reçut les hommages accoutumés. Le nom de Baudin fut prononcé ; on parla de se porter à sa tombe… Mais grand fut l’étonnement : on ignorait où reposait le corps de ce héros. Un gardien du cimetière y conduisit les visiteurs, et arracha de ses mains les herbes parasites qui cachaient le nom de l’ancien représentant du peuple.

Une fois découvert, le tombeau fut bientôt entouré d’une foule compacte. M. Émile de Girardin, qui se rendait à une sépulture de famille, ayant été aperçu, est accosté et invité à prononcer quelques paroles. Il s’y refuse. M. Ch. Quentin, rédacteur du Réveil, reçoit la même invitation ; il décline tout d’abord, mais, sur de nouvelles instances, il consent à dire quelques mots chaleureux sur la tombe de Baudin. Après lui, un inconnu prêche hardiment l’insurrection et fait appel à la violence ; puis M. Gaillard fils lut une pièce de vers, et M. Abel Peyrouton, avocat, dit quelques paroles, dont les suivantes seules furent entendues : « Que la vie de Baudin nous serve d’exemple, et qu’au moment du combat son nom nous serve de stimulant ! »

Le lendemain, l’Avenir national publiait quelques lignes de M. Peyrat, son rédacteur en chef, et une lettre de M. Delescluze, du Réveil, annonçant qu’une souscription était ouverte dans les bureaux de ces deux journaux pour l’érection d’un monument à Baudin. Le ministère public intervint alors (7 novembre). Des poursuites furent dirigées contre M. Peyrat ; l’Avenir national contenant les premières listes de souscription fut saisi. Ces rigueurs n’arrêtèrent pas ce journal. Le Réveil, la Revue politique, l’Électeur, la Gironde, l’Indépendant du Centre, le Démocrate de Vaucluse et plusieurs autres feuilles de Paris et de la province publièrent également des listes de souscription. Les hommes les plus considérables du parti libéral, sans distinction de drapeau, envoyèrent leurs adhésions. C’est ainsi qu’on vit figurer sur les listes les noms de Victor Hugo, de Louis Blanc, de Quinet, de Jules Favre, de Prévost-Paradol, de Berryer, etc. L’adhésion de ce dernier produisit surtout une vive sensation. Le 11 novembre, il adressa à l’Électeur la lettre suivante :

« Monsieur le Rédacteur,

« Le 2 décembre 1851, j’ai provoqué et obtenu de l’Assemblée nationale, réunie à la mairie du Xe arrondissement, un décret de déchéance et de mise hors la loi du prési-