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parlaient les nouveaux conquérants ; à la place des noms gaulois et romains, les lieux habités, lorsqu'ils commencèrent à se relever de leurs ruines, adoptèrent des dénominations franques. C'est alors que l'ancien Argentoratum s'appela Stratiburg, et que tout le pays encadré par la chaîne des Vosges, le Rhin, la Lauter et les dernières ramifications du Jura, prit le nom d'Alsace (Elsass), de l'El (Ill, Alsa), l'un des affluents les plus considérables du Rhin. Mais les Francs ne restèrent pas longtemps sans être troublés dans leur conquête. Chassés, en 451, par les Huns, que commandait Attila, ils reparurent et durent subir encore le joug des Alemans, qui, en 494, s'emparèrent de l'Alsace. Mais ces peuples envahisseurs ne formaient point, dans leurs conquêtes rapides, d'établissements comme les Francs. Ils furent d'ailleurs vaincus, deux ans plus tard, par Clovis à Tolbiac (496), et à ce moment commença pour la contrée une période de calme. Thierry, fils de Clovis, continua, en effet, l'œuvre de son père et, pour mieux garantir l'Alsace des Alemans, alla chercher ceux-ci au delà du Rhin pour en faire ses tributaires. Jusqu'après le règne de Charlemagne, le pays n'eut plus à subir d'invasion.

L'influence chrétienne commençait à se faire sentir sur l'Alsace, et l'Église acquérait chaque jour une puissance plus marquée. Le clergé y possédait des biens considérables qu'accrurent encore les libéralités de Dagobert II ; ce prince, qui passa une grande partie de son règne dans ces contrées, où il possédait treize palais et quinze à dix-sept villas royales, telles que Colmar, Schelestadt, Kirchheim, couvrit l'Alsace d'une multitude de couvents et d'abbayes. Sous le règne de Childéric II, vers 675, Ethicon, duc d'Alsace et d'Alémannie, accentua davantage encore, par sa conversion éclatante au christianisme, ce mouvement qui portait les populations vers une religion nouvelle. Ce n'était pas le premier duc qui eût paru dans l'histoire d'Alsace ; les Mérovingiens avaient donné à cette contrée des ducs particuliers, qui s'étaient affranchis de toute redevance en donnant au pays une existence indépendante. Gundon avait été le premier parmi ces petits souverains. Mort vers 656, il avait eu pour successeur Boniface, qui fonda l'abbaye de Munster et fut dépouillé de son duché par le roi Childéric, en faveur d'Ethicon (Athicus, Athich ou Athalrich) . Celui-ci est resté fameux dans l'histoire alsacienne par ses fondations pieuses. Plusieurs maisons souveraines des plus illustres de l'Europe le comptent dans leur généalogie, à ce que prétendent plusieurs savants généalogistes, Schoeplin en tête. Sa ligne masculine se mêle aux ducs de Lorraine, aux comtes de Flandre, de Paris, de Roussillon, de Bade, de Brisgau et à la maison de Habsbourg ; sa ligne féminine à plusieurs empereurs d'Allemagne et à la dynastie de Hugues Capet par Robert le Fort.

Le fils du duc Ethicon, Adelbert, continua la politique chrétienne de son père et fonda comme lui des églises et des couvents.

Luitfrid succéda à son père Adelbert vers 720 et fut le dernier duc de cette dynastie. Vers le milieu du VIIIe siècle, au moment où s'éteignit la race mérovingienne, la dignité ducale fut, on ignore sous quelle influence, enlevée à cette illustre maison, et, pendant quelque temps, l'Alsace demeura soumise à la simple administration des comtes. En 821, Lothaire Ier, fils de Louis le Débonnaire et déjà désigné empereur dans le partage que ce prince avait fait de son vivant entre ses trois fils, épousa Irmengarde, fille de Hugues, héritier de Luitfrid. Hugues prit part, en 830, à la révolte de son gendre contre le vieux Louis le Débonnaire, qui fut un instant détrôné. Rétabli au bout de peu de temps dans son empire, Louis se vit de nouveau attaqué par son fils ; les armées des rebelles se rencontrèrent avec celle de l'empereur entre Bâle et Colmar, dans une plaine que les historiens de cette époque appellent Rotfeld ou le Champ-Rouge, et qui est aussi connue sous le nom de Champ-du-Mensonge. C'est là que les princes, ayant entamé avec leur père des négociations perfides, en profitèrent pour corrompre son armée et s'emparer de sa personne. Le malheureux Louis le Débonnaire fut déposé, enfermé dans un monastère et Lothaire proclamé à sa place. Mais bientôt, les frères de Lothaire, mécontents, replacèrent une fois encore leur père sur le trône. En 835, le comte Hugues, qui avait suscité ces rébellions, mourut, laissant à son fils, Luitfrid II, son titre et ses domaines.

Après la mort de Louis le Débonnaire, en 841, ses trois fils reprirent les armes. Charles et Louis se déclarèrent contre Lothaire et gagnèrent sur lui la sanglante bataille de Fontenay , après laquelle ils consacrèrent leur union par le serment célèbre de Strasbourg (842). Obligé de se soumettre, Lothaire cousentit en 842, dans l'assemblée de Verdun, au partage qui consomma le démembrement de l'empire de Charlemagne. Au mois d'août 843, l'Alsace fut incorporée au royaume de Lorraine (Lotharingen), qui échut à Lothaire. Mais , quelques années plus tard, en 856, elle fut enlevée par Louis le Germanique à son neveu, Lothaire II, qui, après l'avoir recouvrée, la céda volontairement à son oncle. Charles le Chauve et Louis le Germanique, oublieux du fraternel serment de Strasbourg, se disputèrent sur le tombeau de Lothaire ce riche héritage et aboutirent, en 870, au traité d'Héristal, qui adjugeait à Louis, roi d'Allemagne, le Nordgau et le Sundgau, c'est-à-dire les deux comtés qui constituaient l'Alsace sous les Carlovingiens, puis Strasbourg et les couvents de Murbach, de Massevaux, de Munster, de Marmoutier, d'Ebersheimmünster, de Hanau, d'Erstein et de Saint-Étiennede Strasbourg. Louis II, empereur et roi d'Italie, à qui ce lot eût dû revenir, s'en vit ainsi frustré. L'Alsace passa ensuite successivement, après la mort de Louis le Germanique, à Charles le Chauve, à Louis II de Germanie et à l'empereur Charles le Gros, sous lesquels Hugues le Bâtard, fils de Lothaire Il et de Waldrade , exerça dans la contrée l'autorité ducale. Mais Hugues voulait rentrer en possession des domaines de son père. Il s'allia avec les Normands, et fit de Godefroi, leur chef, son beau-frère. Malheureusement, ses desseins furent déjoués ; Charles le Gros fit assassiner Godefroi et crever les yeux à Hugues, qui fut enfermé au monastère de Prum, où il mourut en 883. Charles le Gros fut dépossédé par la diète de Francfort, qui le déclara déchu du trône (novembre 887). Sa femme, l'impératrice Richardis, d'un esprit cultivé, a laissé de gracieux souvenirs en Alsace , où elle fonda le monastère d'Andlau.

Arnould succéda à Charles le Gros dans la Germanie et les pays de Lorraine et d'Alsace. Cette dernière province passa ensuite à son fils naturel, Zventibold (896), qui se fit détester par ses cruautés et souleva contre lui les seigneurs lorrains et alsaciens. Battu par eux en 900, dans une bataille livrée sur les bords de la Meuse, il fut déposé et son frère Louis IV lui succéda. Louis IV se comporta sagement et s'interposa plusieurs fois, dans les conflits religieux, entre les habitants et le clergé. Il mourut en 912 , et, comme il ne laissait pas d'enfants, la branche carlovingienne allemande fut éteinte. Conrad, duc de Franconie, s'empara alors de l'Alsace. Reprise par Charles le Simple, cette province tomba, en 925, au pouvoir de Henri l'Oiseleur. Ce fut sous son règne qu'une invasion des Huns désola la contrée. Le comte Luitfrid IV, l'un des plus puissants seigneurs et le dernier des comtes alsaciens de la race d'Ethicon, fut tué en combattant contre eux. Sa mort leur livra l'Alsace, qu'ils ravagèrent cruellement, et où leur nom s'est conservé dans celui de la ville d'Huningue. Le roi de France, Louis d'Outre-mer, reprit l'Alsace en 939 ; mais l'empereur Othon Ier ne tarda pas à la lui enlever, et, depuis cette époque jusqu'à la conquête de Louis XIV, l'Alsace resta séparée de la France.

La dynastie saxonne exerça sur le sort de l'Alsace une influence toute-puissante au point de vue catholique. Depuis Louis le Débonnaire, les évêques de Strasbourg avaient pris une part active à la politique. Depuis Charles le Chauve, les ducs et les comtes qui, dans l'origine, gouvernaient les provinces au nom des empereurs, s'en étaient attribué peu à peu la possession, qu'ils avaient rendue héréditaire dans leurs familles. Ce fut donc pour contre-balancer cette souveraineté de fait, qui ne laissait à l'empereur qu'un droit nominal de suprématie féodale, que la dynastie saxonne favorisa l'accroissement de la puissance ecclésiastique : les évêques de Strasbourg furent mis à la tête du gouvernement intérieur de leur ville épiscopale ; ils eurent les attributions exercées par les comtes. « Dans la ville d'Argentina, appelée aussi Strazeburg, est-il dit dans la lettre-privilège qui conférait ces droits, personne ne pourra exercer l'autorité judiciaire, si ce n'est le fondé de pouvoir, l'avoué (advocatus) de l'évêque. »

Depuis son annexion à la Germanie, l'Alsace avait été unie au duché de Souabe, et l'on donnait toujours aux seigneurs chargés du gouvernement de la contrée le titre de duc de Souabe ou d'Alémannie. Cependant, au commencement du XIe siècle, à ce qu'il semble, l'Alsace fut érigée en un comté spécial ; mais, à partir de cette époque, la province, mêlée aux querelles de l'investiture, entra dans une période néfaste. Comme les empereurs de la maison de Saxe, ceux de Franconie, qui dominèrent alors, s'appliquèrent à mettre sur le siège épiscopal de Strasbourg des prélats dévoués à leur cause. Lorsque les papes, voulant affranchir l'Église du droit que se réservaient les princes allemands de nommer et les papes et les évêques, eurent fait décider par le concile de 1059 que le choix des pontifes serait confié aux cardinaux, Henri IV, irrité, s'arma contre Rome. Grégoire le Grand tenait alors la tiare ; il répondit en .mettant l'empire en interdit. Aussitôt les seigneurs allemands, excités par l'Église, proclamèrent roi de Germanie Rodolphe, duc de Souabe et comte d'Alsace et de Rhinfeld. Il portait le titre de comte d'Alsace, parce qu'il avait sans doute des domaines dans le pays et qu'il tenait à la maison des comtes d'Alsace par les liens du sang, étant cousin germain du comte d'Habsbourg, Werner II. Aussi fut-il soutenu par ce seigneur et par Hugues, comte d'Egisheim, ainsi que par Berthold, possesseur de domaines dans le Brisgau, où il avait bâti, près de Fribourg, le château de Zaehringhen. L'empereur Henri IV se défendit victorieusement contre cette coalition. Il battit l'armée épiscopale et opposa à Grégoire le Grand l'antipape Clément III. D'un autre côté, pour contenir Rodolphe et Berthold, il donna l'Alsace (1080) à Frédéric, baron de Hohenstauffen, dont il récompensa les services par la main de sa fille. La querelle, néanmoins, survécut à Henri IV. La grande maison qui vient de recevoir l'investiture de l'Alsace va faire servir énergiquement la contrée à la défense de l'empire d'Allemagne.

À peine Frédéric eut-il pris possession de l'Alsace qu'il lui fit restituer son ancienne qualification de duché, et, après avoir battu ses compétiteurs Berthold, les comtes d'Habsbourg et d'Egisheim, il conclut avec eux un traité qui, pendant quelque temps, lui assura la paix. Il en profita pour couvrir le pays de places fortes. Mais bientôt les contestations avec les papes ayant de nouveau allumé la guerre (1110), l'Alsace s'agita et l'empereur Henri V se vit forcé, en 1122, de reconnaître au pontife, par le traité de Worms, le droit d'investir de leur dignité les évêques et les abbés. Frédéric le Borgne, successeur du baron de Hohenstauffen, sut maintenir dans la contrée l'autorité impériale. Quoique soumise à des princes allemands , l'Alsace n'était point considérée cousine pays germanique. Frédéric éleva tant de citadelles, qu'on disait de lui qu'il. traînait toujours un château à la queue de son cheval. Sa puissance devint formidable et développa tellement son ambition, qu'il finit par se révolter contre Lothaire II, successeur de Henri V. Son frère Conrad l'appuya, mais tous deux furent vaincus ; ils entretinrent néanmoins la guerre jusqu'en 1134, où, par l'entremise de saint Bernard, ils se réconcilièrent avec Lothaire. Quatre ans après, cet empereur étant mort sans enfants, Conrad fut élu à. sa place et commença la dynastie impériale des Hohenstauffen.

Frédéric Barberousse, héritier de Frédéric le Borgne comme duc d'Alsace, succéda aussi à Conrad dans la dignité impériale. Ce prince aimait l'Alsace et y résida souvent. Il y fonda plusieurs villes et fortifia et embellit Haguenau. Son fils, Henri VI, continua sa politique pacifique (1190) ; mais, à sa mort (1198), l'Alsace devint le théâtre de guerres furieuses entre Philippe de Hohenstauffen et Othon de Brunswick, qui se disputèrent le trône. La victoire resta à Philippe qui, pendant son règne (1198-1208), combla de faveurs la contrée.

Sous la dynastie de Hohenstauffen, la bourgeoisie alsacienne, représentée par un conseil, forma peu à peu une classe dont la puissance devint bientôt aussi grande que celle du clergé, qui la combattit de toutes ses forces. Frédéric II (1208-1250), fils de Henri VI et successeur de son oncle Philippe, fortifia successivement Schelestadt, Kaisersberg, Neubourg, Kronenbourg, Marmoutier, etc., et, en accordant des privilèges à plusieurs de ces villes, développa le commerce, source de la vie politique. D'un autre côté, Frédéric II soutint le-parti de la bourgeoisie, qui commençait à se remuer activement contre la puissance prépondérante des évêques de Strasbourg. Les habitants de cette ville avaient, depuis un siècle, marché progressivement vers la liberté. En 1119 , Henri V les avait délivrés d'un impôt épiscopal ; en 1129, Lothaire II leur avait accordé le droit de ne pas comparaître devant d'autres tribunaux que ceux de la ville ; enfin, en 1205, Philippe de Souabe, en accordant à cette ville les droits et les libertés des villes impériales, avait placé ses habitants dans la dépendance spéciale de l'empire. Frédéric II prit aussi les bourgeois sous sa protection contre les évêques, mais en agrandissant, par compensation, les domaines de ceux-ci. Néanmoins, l'empereur s'attira ainsi la colère du clergé, et, lorsque l'influence pontificale eut fait élire un empereur rival, en la personne de Guillaume, comte de Hollande, l'Alsace se trouva la proie de l'anarchie. Frédéric mourut ne laissant qu'un fils, Conrad, qui le suivit de près au tombeau. Dès lors, la maison de Hohenstauffen cessa de régner, et l'autorité impériale tombant entre les faibles mains de Guillaume, de honteux brigandages désolèrent les provinces. La ligue du Rhin, formée, en 1255, par les évêques et les princes confédérés, amena un peu de calme ; mais il tut bientôt troublé, sous le règne de Richard, par les querelles des évêques avec la bourgeoisie. L'Alsace était divisée en .deux parties distinctes : les villes impériales (Haguenau , Schelestadt, Colmar, Mulhausen, etc.) et les villes provinciales, placées sous la domination des ducs et des comtes. L'évêque de Strasbourg, Henri de Staleck, chargé par Richard de l'administration des villes impériales, mécontenta les habitants, qui souffraient impatiemment l'autorité ecclésiastique. Sous Walter de Géroldseck, qui succéda à Henri de Staleck, le mécontentement se changea en fureur, et bientôt une guerre ouverte fut déclarée. Walter était un prélat énergique ; il appela à son aide les seigneurs du voisinage, entre autres le fameux Rodolphe de Habsbourg, qui, bientôt après, parvint à l'empire. Celui-ci, ne trouvant pas ses services suffisamment récompensés, finit par abandonner Walter et même par se tourner contre lui, en prenant le commandement de Strasbourg que lui avaient offert ses habitants. Walter fut vaincu dans divers combats, et, obligé de signer la paix, il ne put supporter cette humiliation : il mourut de chagrin (1263). Son successeur, Henri de Geroldseck, confirma le traité conclu avec Rodolphe et, pour prévenir le retour des dissensions, fixa clairement les droits de chaque partie dans des articles qu'il fit ratifier par les principaux chapitres et par les abbés et abbesses de ses domaines. Ainsi fut limité dans Strasbourg le pouvoir des évêques, qui tendait à devenir arbitraire. Cette ville avait alors une puissance si redoutable, que le sénat put ordonner aux bourgeois de tenir constamment 2,000 chevaux prêts pour la guerre. Ses machines de guerre étaient célèbres, comme, depuis, son artillerie.

En 1268, la mort de Conradin, petit-fils de Frédéric II, décapité à Naples par ordre de Charles d'Anjou, mit fin aux duchés de Souabe et d'Alsace qu'avait possédés la maison de Hohenstauffen.

Appelé, en 1273, au trône impérial, Rodolphe de Habsbourg ne négligea rien pour s'attacher l'Alsace, dont il connaissait par expérience les ressources. Il lui donna pour la gouverner des chefs habiles ; mais cette province, agitée par des comtes et des barons turbulents, fut plus d'une fois la proie de l'anarchie. Adolphe de Nassau succéda à Rodolphe en 1291. Ses violences lui attirèrent la haine des habitants, qui se jetèrent avec ardeur dans le mouvement opéré contre lui en faveur d'Albert d'Autriche. Ce prince, pour se faire reconnaître empereur maigre les refus du pape Boniface VIII, conclut, en 1299, avec le roi de France Philippe le Bel, un traité d'alliance cimenté par le mariage de la princesse Blanche avec Rodolphe, fils aîné d'Albert. Dans le contrat, l'Alsace, assignée pour douaire à la princesse, fut, avec le duché d'Autriche, donnée à Rodolphe comme domaine héréditaire.

Divisée par les partis qui se jetaient dans la guerre civile en faveur des divers prétendants à l'empire, déchirée par les querelles privées des seigneurs et des villes, l'Alsace fut troublée pendant de longues années par des brigandages de toutes sortes. Plusieurs tentatives furent faite par quelques seigneurs pour former une ligue de défense ; mais elles restèrent vaines ou n'aboutirent qu'à des résultats partiels. Les causes de discorde étaient si fréquentes à cette époque, et une tranquillité durable si impossible , qu'on ne semblait même pas y aspirer, et que, dans tous ces traités d'assistance mutuelle, on allait, pour ainsi dire, au jour le jour. Ce fut au milieu d'une telle perturbation qu'eut lieu la révolution de Strasbourg. Le peuple avait été jusqu'alors exclu de la participation aux affaires, et le gouvernement avait été le partage de la noblesse. Celle-ci avait composé un sénat dont les quatre présidents ou stettmeisters étaient administrateurs supérieurs de la ville et ne laissaient à lammeister, ou chef des corps de métiers, que le seul pouvoir de convoquer les échevins. En 1332, d'après les conseils d'un homme résolu, plein de bon sens et de probité, Burckard Twinger, les Strasbourgeois dispersèrent le sénat aristocratique et en composèrent un autre choisi indistinctement dans toutes les classes. Cinquante ans plus tard, après différents essais de constitution, il fut réglé que le sénat comprendrait onze gentilshommes et dix-sept bourgeois dont l'autorité serait balancée par vingt-huit artisans ayant voix dans le sénat. Les quatre stettmeisters furent choisis, à la vérité, parmi les nobles, mais lammeister devait toujours être pris parmi les artisans.

Sauf ces révolutions administratives, on ne peut mentionner à cette époque, dans l'histoire de l'Alsace, que les massacres des juifs. Une haine profonde, nourrie par les préjugés religieux, existait contre les juifs. Une populace sauvage réclama, en 1349, l'extermination de ces hommes industrieux, qui possédaient des relations commerciales immenses et dont l'activité était précieuse pour les contrées qu'ils habitaient. Deux mille juifs de Strasbourg furent jetés le même jour dans les flammes ; en les conduisant au supplice, disent les historiens du temps, on leur arrachait leurs habits dans l'espoir d'y trouver de l'argent. En apprenant ces nouvelles, l'empereur Charles IV se montra fort irrité, non pas contre l'atrocité de ces exécutions sommaires, mais de la perte qu'allait éprouver le fisc. Il se trouvait, en effet, dans une situation financière fort embarrassée et cherchait par tous les moyens à se créer des ressources.

Une série de luttes et de désordres signala encore la dernière partie du XIVe siècle et le commencement du XVe en Alsace. Le successeur de Charles IV, son fils Wenceslas, livré à toutes les débauches, laissait flotter les rênes de l'État. Les villes formèrent alors des ligues partielles plus ou moins étendues. Ainsi, Strasbourg accédait, en 1381 déjà, une année après l'avènement de Wenceslas, à la ligue des villes de Souabe et des bords du Rhin contre la noblesse, et, quatre ans plus tard, à la grande ligue de Constance, à laquelle se joignirent une foule d'autres localités. Les nobles et les princes ne songeaient qu'à s'agrandir, et leurs associations ou confraternités avaient pour objet l'oppression bien plus que la défense. Ces associations se