Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 15, part. 4, Vl-Zz.djvu/46

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voyait pas, il ne voulait pas la Révolution, qu’il a préparée.

« Une république, fondée sur un système d’égalité philosophique, n’étant point dans ses opinions, ne pouvait être son but secret. L’on n’aperçoit point dans ses écrits une idée lointaine, un dessein caché ; cette clarté, cette facilité qui distinguent ses ouvrages, permettent de tout voir et ne laissent rien à deviner.

« Rousseau, portant dans son sein une âme souffrante, que l’injustice, l’ingratitude, les stupides mépris des hommes indifférents et légers avaient longtemps déchirée ; Rousseau, fatigué de l’ordre social, pouvait recourir aux idées purement naturelles. Mais la destinée de Voltaire était le chef-d’œuvre de la société, des beaux-arts, de la civilisation monarchique ; il devait craindre même de renverser ce qu’il attaquait. Le mérite et l’intérêt de la plupart de ses plaisanteries tiennent à l’existence des préjugés dont il se moque.

« Voltaire a rempli à lui seul cette époque de la philosophie où il faut accoutumer les hommes comme les enfants à jouer avec ce qu’ils redoutent. Vient ensuite le moment d’examiner les objets de front, puis enfin de s’en rendre maître. Voltaire, Montesquieu, Rousseau ont parcouru ces diverses périodes des progrès de la pensée, et, comme les dieux de l’Olympe, ils ont franchi l’espace en trois pas.

« La littérature du XVIIIe siècle s’enrichit de l’esprit philosophique qui la caractérise. La pureté du style, l’élégance des expressions n’ont pu faire des progrès après Racine et Fénelon ; mais la méthode analytique, donnant plus d’indépendance à l’esprit, a porté la réflexion sur une foule d’objets nouveaux. Les idées philosophiques ont pénétré. dans les tragédies, dans les contes, dans tous les écrits même de pur agrément ; et Voltaire, unissant la grâce du siècle précédent à la philosophie du sien, sut embellir le charme de l’esprit par toutes les vérités dont on ne croyait pas encore l’application possible…

« …L’émotion produite par les tragédies de Voltaire est plus forte, quoiqu’on admire davantage celles de Racine. Les sentiments, les situations, les caractères que Voltaire nous présente tiennent de plus près à nos souvenirs. Il importe au perfectionnement de la morale elle-même que le théâtre nous offre toujours quelques modèles au-dessus de nous ; mais l’attendrissement est d’autant plus profond que l’auteur sait mieux retracer nos propres affections à notre pensée.

« Quel rôle est plus touchant au théâtre que celui de Tancrède ?

« Les pensées qui rappellent de quelque manière aux hommes ce qui leur est commun à tous causent toujours une émotion profonde ; et c’est encore sous ce point de vue que les réflexions philosophiques introduites par Voltaire dans ses tragédies, lorsque ces réflexions ne sont pas trop prodiguées, rallient l’intérêt universel aux diverses situations qu’il met en scène…

« On ne saurait nier que Voltaire n’ait fait faire un pas de plus, sous ce rapport, à l’art dramatique, et que la puissance des effets du théâtre ne s’en soit accrue. »

Goethe a dit :

« On n’est point surpris que Voltaire se soit assuré en Europe, sans contestation, la monarchie universelle des esprits ; ceux mêmes qui auraient eu des titres à lui opposer reconnaissaient sa suprématie et donnaient l’exemple de n’être que les grands de son empire. Depuis sa mort, la renommée fait encore retentir d’un pôle à l’autre le bruit de sa gloire immortelle. Voltaire sera toujours regardé comme le plus grand homme en littérature des temps modernes, et peut-être même de tous les siècles ; comme la création la plus étonnante de la nature, création où elle s’est plu à rassembler une seule fois, dans la frêle et périlleuse organisation humaine, toutes les variétés du talent, toutes les gloires du génie, toutes les puissances de la pensée. »

Voici maintenant l’opinion de Joseph de Maistre :

« Toujours alliée au sacrilège, sa corruption brave Dieu en perdant les hommes. Avec une fureur qui n’a pas d’exemple, cet insolent blasphémateur en vient à se déclarer l’ennemi personnel du sauveur des hommes ; il ose, du fond de son néant, lui donner un nom ridicule, et cette loi adorable que l’Homme-Dieu apporta sur la terre, il l’appelle « l’infâme. » Abandonné de Dieu qui punit en se retirant, il ne connaît plus de frein. D’autres cyniques étonnèrent la vertu, Voltaire étonne le vice. Il se plonge dans la fange, il s’y roule, il s’en abreuve ; il livre son imagination à l’enthousiasme de l’enfer, qui lui prête toutes ses forces pour le traîner jusqu’aux limites du mal. Il invente des prodiges, des monstres qui font pâlir. Paris le couronna, Sodome l’eût banni. Profanateur effronté de la langue universelle et de ses plus grands noms, le dernier des hommes après ceux qui l’aiment ! Comment vous peindrais-je ce qu’il me fait éprouver ? Quand je vois ce qu’il pouvait faire et ce qu’il a fait, ses inimitables talents ne m’inspirent plus qu’une espèce de rage sainte qui n’a pas de nom. Suspendu entre l’admiration et l’horreur, quelquefois je voudrais lui élever une statue… par la main du bourreau. »

Nous empruntons à Saint-Marc Girardin l’appréciation suivante :

« Voltaire a mieux fait que de réussir ; il avait mérité son succès en soutenant les luttes de sa jeunesse, celles même qu’il s’attirait par ses défauts ; il a continué à le mériter par les luttes de sa vie, où il a eu raison. Le mérite de Voltaire, à travers les luttes de sa jeunesse et de sa vie, est d’être toujours resté fidèle au bon goût et au bon sens. Jeune, il n’a pas trahi ses amitiés de l’ancienne cour, et cependant il était le chef et le docteur de l’école nouvelle ; il avait des principes nouveaux et des affections anciennes. C’est là ce qui fait son originalité.

« Il y avait avant lui, et dans l’ancienne cour même, bien des docteurs d’incrédulité insouciante ; c’était la revanche immodérée du despotisme politique et ecclésiastique. Mais, avant lui, dans cette ancienne cour, parmi les courtisans de Louis XIV, parmi même les plus lassés de son despotisme, parmi les plus injustes envers cette vieillesse accablée de tant de calamités, où était le respect de la justice et de l’humanité, comme Voltaire l’a eu toujours ? Voyez la défense de Calas, voyez la défense de tous les persécutés. Où était au XVIIe siècle le goût de la liberté, même de la liberté politique, comme Voltaire l’a prêché dans ses lettres sur l’Angleterre ? Où était enfin le bon sens et le goût français appliqué au gouvernement de la société, comme Voltaire l’a sans cesse réclamé et a fini par l’imposer ? Où était l’impartialité dans l’histoire ? Le plus grand défenseur de Louis XIV, le plus utile, le plus vrai, le plus sincère surtout, est Voltaire. Et non-seulement il lui a été donné de défendre Louis XIV, il lui a été donné une consolation et une revanche plus grandes que celles-là, il a défendu même le Régent ; malgré les rancunes qu’avait dû lui inspirer la Bastille, il a défendu celui qui l’avait persécuté. Ce sont là les consolations et les revanches qui plaisent le mieux aux honnêtes gens.

« Voilà ce que j’appelle l’unité du caractère de Voltaire. Je sais les mauvaises pierres que Babouc a pu mêler à la statue ; je ne fais pas de cette statue un fétiche que je veuille adorer, à Dieu ne plaise ! mais, comme Ithuriel, je me garde bien de la vouloir casser. Je sais quelles ont été les petites passions de l’homme, quelles ont été ses erreurs ; mais, messieurs, souvenez-vous de l’humanité aimée et défendue sans affectation et sans déclamation ; de la liberté défendue sans colère et sans envie ; de la vérité dans l’histoire, cherchée sans malveillance et sans misanthropie ; voilà ce que j’appelle l’unité de caractère de Voltaire ! C’est ce que j’aime, ce que j’estime, c’est ce que je me propose de rechercher dans les publications de Voltaire qui feront l’objet de mes entretiens. »

Enfin, M. Peyrat juge ainsi Voltaire dans un article de l'Avenir national du 28 janvier 1867 :

« On prétend que Voltaire n’aimait pas le peuple et qu’il n’a jamais songé à l’éclairer… Les vrais sentiments de Voltaire pour le peuple éclatent dans toutes les parties sérieuses et importantes de ses livres. Pour l’instruire, le grand homme prend tous les tons, emploie tous les genres, la prose et les vers, l’histoire et la philosophie. Et il ne se borne pas à écrire et à parler, il agit. Il délivre six lieues de pays de toutes les oppressions, il fait d’un misérable village une ville florissante, un véritable petit État libre. Il donne de l’argent, appelle les ouvriers les plus habiles et leur procure des protecteurs et des acheteurs dans toutes les parties du monde.

« On attaque son patriotisme, et on cite les fragments de sa correspondance avec les rois de son temps. Il nous serait facile de prouver que nul n’a plus aimé la France et n’en a parlé en termes plus élevés. Quant aux rois, s’il a été en relation avec eux, c’est pour leur prêcher la raison, la tolérance, l’amour du bien public, le respect du peuple et de ses droits. Il a été le défenseur de tous les opprimés, de toutes les victimes des préjugés et du fanatisme ; il a travaillé pendant trois ans à la réhabilitation de Calas, et il a pu dire : « Durant tout le temps, il ne m’est pas échappé un sourire que je ne me le sois reproché comme un crime. »

« Ce que ses ennemis et les nôtres ne lui pardonnent pas, c’est justement d’avoir défendu et éclairé le peuple, que ses oppresseurs accablaient de scandales, d’iniquités et d’impôts. Ce qu’ils ne lui pardonnent pas surtout, c’est la guerre éternellement glorieuse qu’il a faite à « l’infâme, » c’est-à-dire au fanatisme, à l’intolérance, à la superstition. Dans cette guerre qui s’est faite après lui et que nous sommes forcés de continuer, son esprit est notre auxiliaire le plus puissant, car, en mourant, il nous a laissé, comme il l’a dit lui-même très-justement, « des ciseaux et des limes pour limer les dents et rogner les ongles des monstres. »

Les œuvres de Voltaire, publiées d’abord séparément, ont eu un nombre d’éditions considérable ; nous nous bornerons ici à mentionner les principaux recueils de ses œuvres complètes ou choisies. Le premier en date, qui est fort incomplet, a pour titre Œuvres de Voltaire (Amsterdam, 1738-1739, 4 vol. in-8o) et a été revu par l’auteur, qui en corrigea les épreuves. Puis viennent : Œuvres diverses (Londres, 1746, 6 vol. in-12) ; Œuvres (Dresde, 1748, 8 vol. in-8o) ; Œuvres (Dresde, 1752, 7 vol. in-12) et les éditions de Genève de 1757 (17 vol.), de 1764, (21 vol.), de 1768-1778 (30 vol. in-4o), de 1775 (40 vol. in-8o), dite édition encadrée, dont Voltaire revit les épreuves. La première édition des Œuvres complètes de Voltaire est celle de Kehl (1785-1789, 70 vol. in-8o et 92 vol. in-12), commencée par Panckoucke, puis exécutée par Beaumarchais, qui fonda dans ce but une imprimerie à Kehl et se servit de caractères achetés à l’imprimeur Baskerville. C’est dans cette édition, enrichie de notes de Condorcet, de Decroix, de Beaumarchais, qu’on trouve pour la première fois la Correspondance si pleine d’intérêt du grand philosophe. Parmi les éditions postérieures, nous citerons celles de Poinsot (Paris, 1792-1800, 55 vol. in-8o), avec notes de Palissot ; l’édition Didot des Œuvres choisies (1809, 52 vol. in-18) ; l’édition des Œuvres complètes par Desoer (Paris, 1817-1819, 13 vol. in-8o) ; celle de Renouard (Paris, 1819-1823, 66 vol. in-8o, avec 160 gravures) ; celle de Fortic (Paris, 1820-1826, 60 vol. in-18) ; de Plancher (1822-1825, 44 vol. in-12) ; de Lequien (1822-1826, 70 vol. in-8o) ; de Touquet (Paris, 1821 et suiv., 75 vol. in-12) ; de Dupont (Paris, 1825-1827, 70 vol. in-8o) ; de Dalibon (Paris, 1824 et suiv., 95 vol. in-8o), avec notes, préfaces de Nodier, Daunou, Dubois, etc., et un meilleur classement de la correspondance, augmentée de lettres nouvelles ; l’édition compacte de Sautelet (1827, 3 vol. in-8o). L’édition de Beuchot (Paris, 1829—1834, 70 vol. in-8o), avec 2 vol.de tables par Miger, est particulièrement estimée, pour le soin avec lequel l’éditeur a revu les textes, recueilli les écrits authentiques inédits et écarté ceux qui étaient douteux ou faussement attribués à Voltaire. Cette excellente édition a été utilisée dans les éditions postérieures, parmi lesquelles nous citerons celles de F. Didot (Paris, 1859, 13 vol. in-8o), de Hachette (Paris, 1859-1861, 40 vol. in-18), de Barré (1856-1859, 20 vol. in-8o) et enfin celle d’Avenel, publiée par le Siècle (1860-1870, 8 vol, in-8o), excellente édition, publiée uniquement dans un but de vulgarisation et dont le bas prix (24 francs) la met à la portée de toutes les bourses.

— Allus, hist. C’est la faute à Voltaire, c’est la faute à Rousseau. Phrase le plus souvent plaisante par laquelle on rejette sur quelqu’un, avec plus ou moins de justice, les conséquences d’une doctrine qui a eu de funestes résultats.

Les grands événements qui ont marqué la fin du XVIIIe siècle et qui ont si fortement ébranlé et amoindri pour jamais les deux pouvoirs les plus anciennement constitués, la royauté et la religion, ont été la conséquence de l’esprit d’examen et des idées philosophiques dont Voltaire et Rousseau sont les représentants les plus illustres ; de là l’acrimonie, les haines, les invectives qui ont érigé ces deux écrivains en boucs émissaires, sur la tête desquels retombaient toutes les iniquités d’Israël.

De là ces mots passés en proverbe, mais qui ne se disent guère aujourd’hui que par forme de plaisanterie : C’est la faute à Voltaire, c’est la faute à Rousseau !

On se sert également, en parlant du premier, de l’expression suivante : Cet affreux Voltaire. M. Ponsard termine ainsi sa comédie de l’Honneur et l’Argent  :

Eh bien ! nous disions donc que cet affreux Vollaire…

Voici quelques application sde cette phrase pittoresque :

« Après le roman, c’est le théâtre qui passe sous la férule de M. Granier. On disait autrefois : C’est la faute à Voltaire ; on dit aujourd’hui : « C’est la faute à la littérature ; » cela varie le refrain. Je comprends, du reste, jusqu’à un certain point, la mauvaise humeur du rédacteur en chef du Pays : M. de Cassagnac avait rêvé la régénération du théâtre, et il avait charpenté dans ce but louable une comédie morale en cinq actes ; cette comédie a été froidement accueillie par le comité de lecture du Théâtre-Français. »

                  Edmond Texier.

« Tandis que la religion se perd pour le peuple, elle devient pour les riches, comme la musique et les modes, un embellissement de l’existence, je dirai presque un objet de luxe. Quelle peut être la cause de ce revirement ? Est-ce la faute de Voltaire ? Est-ce la faute de Rousseau ? Ou n’est-ce pas plutôt celle de l’Église ? »

                 P.-J. Proudhon.

« Passant de l’histoire à la polémique, nous trouvons, comme gage d’un esprit qui n’est pas tout à fait celui de la tolérance, les Philosophes au pilori, étude historique et catholique, par M. Ch. de Bussy. Nous ne savons ce que l’histoire et le catholicisme peuvent avoir à démêler avec un pamphlet de cette nature, où, sous le titre de philosophes, les noms les plus célèbres du passé ou les plus distingués du présent sont jetés en pâture à des haines, Dieu merci, inoffensives. C’est une suite de variantes du fameux refrain : C’est la faute à Rousseau, c’est la faute à Voltaire.

                 Vapereau.


Voltaire (vie de), par Condorcet (Genève, 1787, in-8o). Cette Vie de Voltaire, imprimée dans le tome LXX de l’édition in-8o des œuvres de Voltaire faite à Kehl, est plutôt, comme l’a fait remarquer M. Beuchot, un vaste et très-bon tableau de l’esprit de Voltaire que l’histoire de sa vie. « En lisant les ouvrages de Voltaire, dit Condorcet, on voit que personne n’a possédé peut-être la justesse d’esprit à un plus haut degré. Il la conserve au milieu de l’enthousiasme poétique, comme dans l’ivresse de la gaieté ; partout elle dirige son goût et règle ses opinions, et c’est une des principales causes du charme inexprimable que ses ouvrages ont pour tous les bons esprits. Aucun esprit n’a pu peut-être embrasser plus d’idées à la fois, n’a pénétré avec plus de sagacité tout ce qu’un seul instant peut saisir, n’a montré même plus de profondeur dans tout ce qui n’exige pas une longue analyse ou une forte méditation. Son coup d’œil d’aigle a plus d’une fois étonné ceux mêmes qui devaient à ces moyens des idées plus approfondies, des combinaisons plus vastes et plus précises. Souvent, dans la conversation, on le voyait en un instant choisir entre plusieurs idées, les ordonner à la fois et, pour la clarté et pour l’effet, les revêtir d’une expression heureuse et brillante.

« De là ce précieux avantage d’être toujours clair et simple, sans jamais être insipide, et d’être lu avec un égal plaisir et par le peuple des lecteurs et par l’élite des philosophes. En le lisant avec réflexion, on trouve dans ses ouvrages une foule de maximes d’une philosophie profonde et vraie, qui échappe aux lecteurs superficiels, parce qu’elles ne commandent point l’attention et qu’elles n’exigent aucun effort pour être entendues…

« Tel fut Voltaire, et l’on trouvera peut-être, en lisant sa vie, qu’il a été plus admiré que connu ; que, malgré le fiel répandu dans quelques-uns de ses ouvrages polémiques, le sentiment d’une bonté active le dominait toujours ; qu’il aimait les malheureux plus qu’il ne haïssait ses ennemis ; que l’amour de la gloire ne fut jamais en lui qu’une passion subordonnée à la passion plus noble de l’humanité. Sans faste dans ses vertus et sans dissimulation dans ses erreurs, dont l’aveu lui échappait avec franchise, mais qu’il ne publiait pas avec orgueil, il a existé peu d’hommes qui aient honoré leur vie par plus de bonnes actions et qui l’aient souillée pur moins d’hypocrisie. Enfin, on se souviendra qu’au milieu de sa gloire, après avoir illustré la scène française par tant de chefs-d’œuvre, lorsqu’il exerçait en Europe sur les esprits un empire qu’aucun homme n’avait jamais exercé sur les hommes, ce vers si touchant :

J’ai fait un peu de bien, c’est mon meilleur ouvrage,

était l’expression naïve du sentiment habituel qui remplissait son âme. »

Dès l’enfance, on est familier avec l’auteur de la Henriade, de Zaïre, de Mérope et de tant de chefs-d’œuvre ; aussi Condorcet, tout en le louant dignement, n’insiste-t-il pas sur le génie de Voltaire. Ce qu’il se plaît à nous montrer en lui, c’est Voltaire n’ambitionnant qu’une gloire, celle de venger l’humanité et d’arracher des victimes à l’oppression ; c’est Voltaire protestant contre l’intolérance ecclésiastique qui refusait les honneurs funéraires à l’illustre actrice Mlle Lecouvreur après sa mort ; c’est Voltaire osant dire à M. Hérault, lieutenant de police : « On fait bien de pendre ceux qui fabriquent de fausses lettres de cachet, en attendant qu’on traite de même ceux qui en signent de vraies ; » c’est Voltaire sauvant l’honneur et la vie à l’abbé Desfontaines, ce folliculaire qui le couvrait de boue dans ses pamphlets ; c’est Voltaire recueillant la nièce du grand Corneille en disant : « C’est le devoir d’un soldat de secourir la nièce de son général ; » c’est Voltaire protestant contre l’exemple d’atrocité antique renouvelé des Carthaginois par l’Angleterre, qui punit de mort l’amiral Byng, coupable d’avoir été vaincu ; c’est Voltaire faisant réhabiliter Calas, sauvant Sirven de l’échafaud, forçant les jésuites à rendre ses biens à la famille Desprez de Crassy, plaidant vainement la cause du chevalier de La Barre et de Lally-Tollendal, et délivrant de la servitude ecclésiastique ou de la tyrannie des fermes les paysans de Gex, de Saint-Claude et de tout le Jura ; c’est Voltaire disant : « Pendant trois années que dura l’affaire da l’infortuné Calas il ne m’est pas échappé un sourire que je ne me le sois reproché comme un crime ; tous les ans, le jour anniversaire de la Saint-Barthélemy, je suis obligé de me mettre au lit avec la fièvre. »

Voilà le Voltaire que célèbre Condorcet ; c’est l’homme de génie faisant concourir toutes ses facultés à la défense du droit et du malheur, aux progrès de la tolérance et au bonheur de l’humanité ; c’est le prophète de l’avenir, entrevoyant et facilitant, au prix de son repos, l’avènement de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, au triomphe des-