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1668, mort en 1729. Il fit ses études à l’Académie de Wittemberg, y professa avec éclat la théologie et devint, en 1719, surintendant de l’Église luthérienne. Ses œuvres se composent d’oraisons funèbres, de harangues académiques et de dissertations. Ces dernières ont été réunies par Ch.-H. Zeibich, sous le titre de Disputationes Wernsdorfianæ (Wittemberg, 1136-1787, 2 vol. in-4o). Les plus remarquables sont intitulées : De indifferentismo religionum ; De termino vitæ non fatali ; Augustinæ conféssionis historia ; Recentiores de cœna controversiæ ; Summa sanæ doctrinæ de polygamia, etc. Partisan zélé de l’orthodoxie luthérienne, Wernsdorf combattit vivement ceux, qui s’efforçaient de rétablir l’union entre les diverses sectes réformées et fit surtout preuve d’une grande violence de langage dans son ouvrage intitulé : Eutdeckung der arcani regii (Wittemberg, 1703, in-4o).


WERNSDORF (Théophile), philologue allemand, fils aîné du précédent, né à Wittemberg en 1710, mort en 1774 à Dantzig, où il était directeur du gymnase. Nous citerons, parmi ses écrits : De constitutionum apostolicarum origine (Wittemberg, 1739, in-4o) ; De Siluerio et Vigilio pontificibus maximis (Wittemberg, 1739, in-4o) ; De metempsychosi veterum non figurale sed proprie intelligenda (Wittemberg, 1741, in-4o) ; De regibus crinitis Francorum Mérovingicæ stirpis (Wittemberg, 1742, in-4o), De republica Galatarum (Nuremberg, 1743, in-4o) ; De fide historica librorum Macchabæorum (Breslau, 1747, in-4o) ; Fabularis historia de Baccho ex mosaica haud confecta (Wittemberg, 1753). Wernsdorf avait, en outre, donné une excellente édition des Poésies de Philé et en avait préparé une des Orationes d’Himorius, que son frère, J.-Chrétien, publia en 1790.


WERNSDORF (Ernest-Frédéric), théologien allemand, frère du précédent, né à Wittemberg en 1718, mort en 1782. Il professa successivement à l’université de sa ville natale la philosophie, les antiquités ecclésiastiques et la théologie. On a de lui : De ritu sternutantibus bene precandi (Leipzig, 1741, in-4o) ; De Zenobia Palmyrenorum Augusta (Leipzig, 1742, in-4o) ; De statua Memnonis vocali (Hambourg, 1745, in-4o) ; De fontibus historiæ Syriæ in libris Macchabæorum (Leipzig, 1740, in-4o), ouvrage qui fut vivement critiqué par Frœhlich, auquel le frère aîné de l’auteur répondit par son De fide historica librorum Macchabæorum ; Historia latinæ linguæ in sacris publicis (Leipzig, 1756, in-4o) ; Historia templi Hierosolymitani a Constantino exstructi (Leipzig, 1770, in-4o) ; De originibus solemnium S. Michaelis (Leipzig, 1773, in-4o).


WERNSDORF (Jean-Chrétien), philologue allemand, frère des deux précédents, né à Wittemberg en 1723, mort en 1793 à Helmstasdt, où il était depuis 1752 professeur d’éloquence et de poésie. L’œuvre par laquelle sa mémoire s’est perpétuée jusqu’à nos jours est une édition des Poetæ latini minores (Altembourg, 1780-1788, t. I-V ; Helinstædt, 1791-1799, t. VI, in-8o), qui est la meilleure que l’on possède encore aujourd’hui, car celle de Lemaire (Paris, 1824-1820, 8 vol.) n’en est, selon le bibliophile Brunet, qu’une reproduction incomplète. On a encore de Wernsdorf : De Hypathia philosopha (Wittemberg, 1747-1748, 4 part. in-4o) ; De vestigiis rhétorices in poetis veteris Latii satyricis (Helmstædt, 1752, in-4o) ; De antiquitatibus Balearicis (1760, in-4o) ; De regibus et populis άδελφοίζ (1764, in-4o).


WERP (Charles), jésuite et écrivain, né près de Liège vers 1592, mort à Huy en 1606, Il entra chez les jésuites, s’adonna à l’enseignement et à la prédication, puis fut attaché à un hospice. Ou lui doit, entre autres écrits : De raptu mauresano sancti Ignatii de Loyola (Anvers, 1647), poème épique en 4 livres ; Magdatena pœnitens exutans, amans, elegiarum tribus libris expressa (Leyde, 1667, in-18), poëme.


WERRA, rivière d’Allemagne. Elle naît dans la Lippe-Detmold, arrose la régence prussienne de Minden (Westphalie) et se jette dans le Weser.


WERRO, ville de la Russie d’Europe, dans le gouvernement de Livonie, à 240 kilom. N.-E. de Riga, sur la petite rivière de son nom ; 3,400 hab. Commerce et navigation.


WERRO, nom d’un canal qui fait communiquer le lac Pskov avec le golfe de Livonie.


WERSTE, s. f. (vèr-ste). V. verste.


WERT, ville de Belgique. V. Wert.


WERT (Jean de), général autrichien. V. WlîKRI>t.


WERTACH, rivière de Bavière, cercle de Souabe. Elle naît au N.-O. de Fussen, coule au N. et se jette dans le Lech, rive gauche, au-dessous d’Augsbourg ; cours, 140 kilom.


WERTHEIM, ville du grand-duché de Bade, port franc, au confluent du Mein et de la Tauber, à 130 kilom. N.-E. de Carlsruhe ; 4,400 hab. Douane ; gymnase. Ancien château. Vins renommés. Fabrique de coton, distilleries, tanneries. C’était la capitale de la principauté de Loëwenstein.



WERTHEIMBER (Palmyre), cantatrice, née à Paris, de parents israélites, vers 1834. Elle entra de bonne heure au Conservatoire et obtint le 1er prix d’opéra. Engagée sur-le-champ à l’Opéra-Comique, elle y débuta le 12 avril 1852 dans Galatée, où elle interpréta le rôle de Pygmalion. Ses belles notes graves, son style correct et distingué et son intelligence musicale lui méritèrent de chaleureux applaudissements. À l’Opéra, où elle créa, le 18 octobre 1854, la Nonne sanglante de Scribe et de Gounod, elle produisit la plus profonde impression. Comme elle parlait plusieurs langues et qu’elle désirait se perfectionner en Italie, elle partit pour Florence au mois de novembre 1855 ; mais, arrivée à Lyon, elle ne put se dispenser de donner quelques représentations au Grand-Théâtre de cette ville, où elle eut une véritable ovation en se faisant entendre dans le Prophète, dans la Favorite et dans la Reine de Chypre. Elle passa l’hiver en Italie, suivit les leçons de Romani et, avant son retour à Paris, chanta au théâtre de Gand au commencement de décembre 1856. Elle fit sa rentrée à l’Opéra le mois suivant par le rôle de Fidès du Prophète, où elle fut vivement applaudie. Elle interpréta ensuite Mathilde de Guillaume Tell, puis partit pour la Belgique, où elle aborda pour la première fois, sur les scènes d’Anvers et de Liège, le rôle d’Odette de Charles VI.

Revenue le 29 novembre 1859 à l’Opéra-Comique, elle y créa, avec le plus vif succès, Ivonne, de Scribe et de Limnander. Elle reprit l’année suivante son rôle de Pygmalion et celui de Faure, Hoël du Pardon de Ploërmel, dans lequel elle déploya la puissance de son jeu et de sa belle voix de mezzo-soprano. Engagée de nouveau à l’Opéra, elle se montra le 7 octobre 1863 sous les traits d’Azucena du Trouvère, qu’elle joua pendant plus d’un an, et chanta en avril 1864 à la salle Herz, avec beaucoup d’éclat, le brindisi de Lucrezia Borgia. Elle venait de quitter l’Opéra quand, à la salle Erard, elle créa le rôle de Tobie, écrit pour ténor, dans l’oratorio inédit de ce nom, de Gounod (mai 1866). Depuis lors, elle n’a fait que de trop courtes apparitions au théâtre. Dans une représentation au bénéfice de Mme Ugalde, donnée à l’Opéra-Comique vers la fin de décembre 1808, dit Théophile Gautier, elle a eu cette rare occasion de voir et d’entendre Mlle Wertheimber, qui ne se montre plus que de loin en loin, comme une étoile intermittente. Elle a joué la scène des tombeaux de Roméo et Juliette, de Vaccaï, qui a été pour elle un véritable triomphe. Sa magnifique voix de contralto, conduite avec un art et un sentiment exquis, son jeu passionné et poétique ont électrisé la salle. Depuis Giuditta Grisi, on n’avait pas eu un Roméo réalisant aussi bien l’idéal de Shakspeare, car Mlle Wertheimber est aussi grande tragédienne que grande cantatrice. Elle s’est fait encore entendre à Bade dans le Trouvère en 1869.


WERTHER (Charles, baron de), diplomate allemand, né à Kœnigsberg en 1809. Il fit une partie de son éducation à Paris, auprès de son père, qui, de 1824 à 1837, fut ministre plénipotentiaire de la Prusse auprès du gouvernement français. Il entra ensuite dans la carrière diplomatique, devint successivement secrétaire de légation à La Haye, à Londres et à Paris, puis ministre plénipotentiaire en Suisse, à Athènes, à Saint-Pétersbourg et à Vienne (1859). Il fut dans cette ville l’un des signataires du traité de 1864 et fut rappelé à Berlin lors de la guerre de 1866 entre la Prusse et l’Autriche, reçut par intérim le portefeuille de la guerre, pendant que M. de Bismarck se rendait, à la suite du roi de Prusse, sur le théâtre des opérations militaires. Il prit part ensuite à la conclusion du traité de Prague, en qualité de plénipotentiaire de la Prusse. En octobre 1869, il succéda au comte de Goltz, comme ambassadeur de la Prusse et de la confédération de l’Allemagne du Nord près la cour des Tuileries. Rappelé à Berlin lors de la déclaration de guerre (juillet 1870), il fut remplacé à Paris, après la reprise des relations diplomatiques entre la France et la Prusse en 1871, par le comte d’Arnim. Il resta en disponibilité de 1870 au mois de mai 1874, époque où il a été appelé a l’ambassade de Constantinople.


WERTHER (LES SOUFFRANCES DU JEUNE), roman de Goethe (1774, in-8o). Cet écrit, comme le dit Gœthe lui-même, manifestait les rêves pénibles d’une jeunesse malade ; c’était l’expression, l’écho d’un sentiment universel. C'est l’excuse du livre, où, dans un jeune homme qui se tue par amour, l’auteur n’a pas craint de présenter la destruction de soi-même comme une action légitime et même noble. Werther eut un succès prodigieux et général en Europe, et, comme l’a dit Mme de Staël, ce roman a causé plus de suicides que la plus belle femme du monde. En voici l’analyse. Un jeune homme, Werther, devient amoureux d’une jeune personne vertueuse, promise à un autre homme. Charlotte est son nom. Il lui inspire un goût très-vif, qu’elle se cache à elle-même, comme il dissimule de son côté la passion qu’il ressent. Il s’éloigne cependant pour ne pas voir le mariage qui se prépare. Il voyage quelque temps, revient chez les deux époux et


vit dans la plus grande union avec le mari et la femme ; mais insensiblement celle-ci est moins contente de son époux, et celui-ci commence à voir de mauvais œil les visites du jeune Werther. La tristesse et la contrainte régnent entre ces trois personnages. Werther tombe dans cette mélancolie qui est le calmant des grandes douleurs, mais l’aliment dangereux des grandes passions. Il se dégoûte de la vie et finit par se tuer avec un pistolet qu’il a emprunté à son rival, et qui lui a été donné des mains de sa maîtresse. L’intérêt de ce roman en forme de lettres consiste donc dans le développement d’une passion malheureuse. Selon Mme de Stael (De l’Allemagne), on voit dans Werther tout ce que le génie de Goethe pouvait produire quand il était passionné. Ce ne sont pas seulement des souffrances de l’amour, mais des maladies de l’imagination dans notre siècle, qu’il a su faire le tableau ; ces pensées qui se pressent dans l’esprit sans qu’on puisse les changer en actes de la volonté ; le contraste singulier d’une vie beaucoup plus monotone que celle des anciens et d’une existence intérieure beaucoup plus agitée, causent une sorte d’étourdissement semblable à celui qu’on prend sur le bord de l’abîme, et la fatigue même qu’on éprouve après l’avoir longtemps contemplé peut entraîner à s’y précipiter. Goethe a su joindre à cette peinture des inquiétudes de l’âme, si philosophique dans ses résultats, une fiction simple, mais d’un intérêt prodigieux. Pierre Leroux, dans ses Considérations sur Werther, a écrit : « Il y aurait une étude bien curieuse à faire. Il faudrait comparer Werther à Fatist, et montrer le rapport intime qui unit ces deux ouvrages da Gœthe. On obtiendrait ainsi une sorte de type abstrait de la poésie de notre âge. » Ajoutons qu’il existe, pour ainsi dire, des liens de parenté entre Werther de Gœthe, René de Chateaubriand, Adolphe de Benjamin Constant, Obermann de Sénancourt et Joseph Delorme de Sainte-Beuve. On pourrait même trouver des rapports entre le roman de Gœthe et les premiers romans de Mme Georges Sand, tels que Lêliu et Jacques, par exemple. Werther n'est pas tout à fait une fiction ; Gœthe y a exposé un chapitre de sa propre biographie et lui a donné, au lieu du dénouement vrai, puisqu’il ne s’est pas tué, un dénouement emprunté à la fin tragique d’un jeune homme qui, vers la même époque, se tua par amour. Au printemps de 1772, Gœthe, âgé de vingt-trois ans, poursuivait le cours de ses études littéraires à Wetzlar. Plusieurs fois déjà son cœur s’était ouvert a l’amour, mais il s était débarrassé de ces liens qui, dans la jeunesse, sont aussi faciles à rompre qu’à former. Un soir d’été, en allant à une fête des environs, il fit une rencontre qui devait avoir une grande influence sur sa vie, celle de Charlotte Buff, fille du bailli de Wetzlar, Lotte, comme il l’appelle familièrement. Kestner, le mari de Lotte, dépeint ainsi cette première entrevue, qu’on peut retrouver tout entière dans les premières pages de Werther : « Le 9 juin 1772, il arriva que Gœthe alla à un bal de campagne, où nous allâmes aussi, ma bien-ainièe et moi. Je ne pus m’y rendre que tard et je fis le trajet à cheval. Ma bien-aimée partit en conséquence avec une autre société. Le docteur Gœthe était dans la voiture, et fit alors la connaissance de Loue, il est très-instruit, et la nature, sous le rapport moral et physique à la fois, est sa principale étude ; il s’attache au vrai beau. Aucune femme ici ne lui avait plu ; Lotte attira aussitôt son attention. Elle est jeune ; elle a sinon une beauté régulière (je parle ici comme tout le monde, bien que la beauté n’ait pas proprement de règles), du moins une physionomie heureuse et séduisante. Son regard est comme une sereine matinée de printemps ; ces jours-là surtout, car elle aime la danse ; elle était joyeuse, sa toilette était sans recherche. Il remarqua chez elle le sentiment des beautés de la nature et un esprit ouvert, plus d’enjouement que d’esprit. Il ne savait pas qu’elle n’était plus libre. Je n’arrivai que quelques heures plus tard, et ce n’est pas notre habitude dans les lieux publics de nous témoigner plus que de l’amitié. Il était ce jour-là d’une joie immodérée (cela lui arrive quelquefois, mais d’autres fois il est mélancolique). Lotte le conquit tout entier, d’autant plus qu’elle ne prit pour cela aucune peine, mais s’abandonna seulement au plaisir. Le lendemain, Gœthe ne put manquer de venir demander des nouvelles de Lotte. Il avait d’abord connu en elle une joyeuse fille, passionnée pour la danse et pour le plaisir exempt de trouble ; il la connut alors par son plus beau côté comme ménagère.» C’est tout à fait le commencement de Verther. Lotte avait perdu sa mère, et c’est elle qui la remplaçait auprès de dix enfants, dont elle prenait soin avec une bonté admirable. Chose singulière ! c’est par ce côté un peu prosaïque de la ménagère qu’elle séduisit le grand poète, dont le caractère et le génie étaient profondément allemand.» Après la mort de sa mère, dit-il, se trouvant à la tête d’une nombreuse et jeune famille, elle avait déployé une activité rare. Son époux pouvait attendre d’elle les mêmes soins pour lui et pour ses enfants, et compter sur un bonheur domestique achevé. Elle était de ces femmes qui, à défaut de passions violentes, sont faites pour exciter un sentiment général de plaisir. Une taille élancée, des formes élégantes, une constitution saine, avec l’activité et la gaieté qui en résultent, l’aisance à suffire aux affaires de chaque jour, elle réunissait tout cela. Je me plaisais toujours dans la contemplation de ces qualités, et j’aimais la compagnie de celles qui les possédaient. Lotte, car c’est ainsi que je l’appellerai, n’était pas coquette, et cela pour deux raisons : d’abord elle était de sa nature plus jalouse d’exciter une bienveillance générale que des inclinations particulières, et puis elle s’était destinée à un homme digne d'elle. On respirait autour d’elle l’air le plus doux. Oui oui, si c’est déjà un beau spectacle que celui des soins ininterrompus que les parents prodiguent à leurs enfants, ces mêmes soins entre frères et sœurs ont quelque chose dé plus admirable encore : là nous croyons voir l’instinct et la coutume ; ici le choix et le libre mouvement. C’était par le cœur, c’était par la poésie de la famille que Gœthe avait été séduit. Cette gracieuse image de Lotte soignant sa jeune famille ne pourra plus sortir de devant ses yeux. La nouvelle que cette jeune fille est promise, que son fiancé vient la voir tous les jours ne peut le décider à fuir cette maison, vers laquelle le ramène toujours une force irrésistible. A défaut d’amour, c'est de l’amitié qu’il demande, et ses journées s’écoulent auprès de celle qu’il ne saurait se passer de voir. « Elle aimait sa société ; bientôt il ne put vivre loin d’elle, car elle lui embellissait la vie de tous les jours. Les besoins d’un ménage considérable l’appelaient soit dans le pré, soit dans le verger ou dans le jardin. Ils devinrent bientôt en tous lieux des compagnons inséparables. Le fiancé était de la partie, quand ses affaires le lui permettaient ; ils s’étaient tous trois habitués les uns aux autres sans le vouloir, et ils en étaient venus, sans savoir comment, à ne pouvoir vivre séparés. C’est ainsi qu’ils passèrent un bel été, figurant une véritable idylle allemande, à laquelle une terre fertile fournissait la prose, et une tendresse mutuelle la poésie. Se promenant au milieu de champs de blé mûr, ils étaient récréés par la rosée du matin ; le chant de l’alouette et le cri de la caille étaient pour eux des sons ravissants ; des heures de chaleur succédaient ; des orages éclataient ; on se serrait davantage les uns contre tes autres, et les nulle petites contrariétés de famille étaient aisément effacées par un amour constant. Ainsi s’éqoulaient les jours les uns après les autres, et tous paraissaient être des jours de fête ; nous aurions pu marquer de rouge tout le calendrier. Ceux-ci me comprendront qui se rappellent ce qui a été prédit de iaini de la Nouvelle Héloïse, si heureux dans son malheur : Et assis au pied de sa bien-aimée, il coupera du chanvre, et il désirera couper du chanvre aujourd’hui, demain, après-demain, toute sa vie. Rien de plus joli et de plus frais que cette idylle, mais chez nous ce ménage à trois n’eût pas été sans exciter quelques railleries ; en Allemagne, il n’en est pas de même. La confiance de Werther égale la vertu de Charlotte, et le seul doute qui se fasse jour dans cette âme honnête et loyale, c’est de se demander si Lotte sera aussi heureuse avec lui qu’elle eût pu l’être avec Gœthe, dont il reconnaissait toute la supériorité. Cette situation ne dura pas moins de quatre mois, durant lesquels Gœthe jouit du bonheur le plus complet. Il sentit lui-même qu’il devait y renoncer, que s’il n’y avait aucun péril pour Charlotte dans cette intimité de chaque jour, il y en avait un très-grand pour lui ; aussi résolut-il de partir et de suivre le conseil du sage qui dit : « Il faut dénouer l’amitié, mais déchirer l’amour. » Un beau matin, il disparut brusquement, sans prendre congé de personne. La veille il avait longuement causé, avec Lotte et son fiancé, de l'autre vie et des mystères qu’elle cache. Les deux amants avaient été étonnés du mysticisme des paroles de Gœthe et de l'abattement qui se voyait sur son visage. Le lendemain tout leur fut expliqué, il avait fallu un courage surhumain à Gœthe pour quitter cette maison, où il avait passé de si douces heures. À ses amis il écrit trois billets pour leur dire les motifs de son départ précipité, et celui qu’il adresse à Charlotte peint bien les angoisses et les tourments de son âme. « J’espère bien revenir, mais Dieu sait quand, Lotte, dans quel état vos paroles ont mis mon cœur ! Je pensais vous voir pour la dernière fois. Non, ce n’est pas la dernière fois, et cependant je pars demain. J’avais besoin de dire tout ce que je pensais, j’avais, hélas à m’occuper d’ici-bas, de votre main que j’ai baisée pour la dernière fois. La chambre où je ne reviendrai plus et le bon père qui, pour la dernière fois, m’a reconduit ! Je suis seul maintenant et je puis pleurer. Je vous laisse heureuse et je ne sors pas de vos cœurs, et je vous reverrai ; mais c’est comme jamais, puisque ce n’est pas demain ! Dites aux chers enfants qu’il est parti ! Je ne puis en dire davantage. » La blessure était trop profonde pour se cicatriser aussi vite. Loin d’effacer l’image de Lotte, l’absence ne fit que la rendre plus présente à ses yeux. Il lui envoyait mille petits cadeaux, qu’il accompagnait de billets comme le suivant, fidèlement remis par l’honnéte Kestner : « Que ne suis-je assis aux pieds de Lotte, et que les enfants ne folâtrent-ils autour de moi ! J’ai plus pensé à Lotte qu’elle n’a pensé à moi durant tout un trimestre. J’espère, avec le temps, me débar-