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de l’organe avec les organes qui l’avoisinent : c’est la situation relative. Ainsi, lorsqu’on dit que l’estomac occupe l’hypochondre gauche et l’épigastre, on énonce la situation absolue ou générale de cet organe ; mais lorsqu’on ajout»» qu’il est situé entre l’œsophage et le duodénum, au-dessous du diaphragme, au-dessus du mésocolon transverse, on énonce sa situation relative. Il existe plusieurs organes sujets a des variétés de position qui constituent un point important dans l’histoire de ces organes. Ces variétés de position dépendent : l<> d’un déplacement congénital j 2° d’un déplacement accidentel, lequel est tantôt particulier à l’organe, tantôt consécutif à des changemenis survenus dans les organes voisins ; 3° d’une modification dans le volume de l’organe lui-même.

Le volume d’un organe se détermine : d’une manière absolue, 1° par des mesures linéaires ; 2° pa.r la quantité d’eau que l’organe déplace ; 3° par le poids ; d’une manière relative, par la compensation de cet organe avec des corps dont le volume est connu ou avec d’autres organes. Le volume des organes est sujet à un grand nombre de variétés. Ces variétés sont relatives : 1° à l’âge ; ex. : foie, testicules, thymus ; 2° au sexe ; 3» au tempérament ; 4° à l’individu ; elles sont encore relatives aux conditions dans lesquelles se trouve l’organe ; ex. : utérus, pénis, rate ; 5° enfin il est des variétés pathologiques qui ne doivent pas être étrangères à l’étude de l’anatomie.

La figure des organes se détermine d’après les considérations suivantes : 1<> les organes doubles ne se ressemblent pas exactement à droite et à gauche ; 20 les organes impairs, qui habitent la ligne médiane, sont symétriques ; mais ceux, en plus grand nombre, qui n’occupent pas cette ligne médiane, ne sont pas symétriques. Toutefois, la symétrie n’est pas aussi rigoureusement bannie des viscères qui servent à la vie nutritive que l’avait avancé Bichat ; ainsi l’estomac, l’intestin grêle, le gros intestin, peuvent être divisés en deux moitiés égales. La figure des organes se déduit en général de leur ressemblance : 10 avec des objets connus ; 2° avec des formes géométriques. Ainsi on dit que le rein ressemble à un haricot, le poumon k un cône. Pour les organes très-irréguliers, on se contente de décrire les faces et les bords. On ne trouve pas dans les viscères l’invariabilité de forme qui est propre aux organes de lu vie de relation.

La direction d’un organe se détermine comme celle des os et des muscles, par les rapports de cet organe avec les plans de circonscription du corps ou avec le plan médian.

Les rapports des organes s’établissent exactement en divisant leurs surfaces en régions, lorsque leur figure est déterminée. Ces régions portent généralement le nom de faces et de bords. La situation de plusieurs organes étant sujette à de nombreuses variations, leurs rapports doivent en offrir de corresfiondantes. On ne saurait trop insister sur a détermination précise de ces rapports, qui est féconde en applications pratiques de la plus haute importance.

Conformation intérieure ou structure des organes. La superficie d’un organe étant bien connue, on passe à l’étude de sa structure, qui comprend : 1<> la couleur ; 2» la consistance ; 3» les éléments anatomiques.

La couleur d’un organe doit être étudiée et a la surface et dans la profondeur de cet organe. Les variations de coloration seront notées avec soin. L’âge et les maladies influent beaucoup sur cette coloration. Il est souvent bien difficile d’établir une ligne de démarcation bien tranchée entre l’état physiologique et l’état pathologique.

La consistance, la densité, la fragilité des organes appartiennent k la structure de l’organe. La pesanteur spécifique ou la densité n’a été rigoureusement étudiée que dans un seul organe, le poumon, et cela dans, un but médico-légal. La consistance, la fragilité ne peuvent être appréciées que d’une manière approximative. Il serait k désirer que cette appréciation fût soumise à des procédés plus méthodiques et plus rigoureux.

La détermination des éléments anatomiques immédiats ou tissus qui entrent dans la composition d’un organe, de leurs proportions, de leur arrangement, voilà ce qui constitue essentiellement sa structure. Or, tout organe aune charpente qui est celluleuse, fibreuse, cartilagineuse ou osseuse. Quelques organes sont pourvus de fibres musculaires et même de muscles ; tous ont des vaisseaux sanguins de divers ordres, artères, veines, vaisseaux lymphatiques ; tous ont des nerfs. Les organes glanduleux ont des conduits excréteurs.

L’étude du développement des organes, des changements qu’ils éprouvent aux diverses époques de la vie intra-utérine et extra-utérine est d’un haut intérêt, au moins pour quelques-uns d’entre eux ; mais il s’en faut Dieu que l’étude des parties molles soit aussi exactement comme que celle des parties dures ; ce qui lient k ce que les phénomènes les plus importants de cette évolution des parties molles ont lieu dans les premières semaines de la conception. Aussi les notions relatives au développement laissent-elles beaucoup à désirer.

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Les usages ou les fonctions des organes découlent si naturellement de leur description anatomique que ces deux études n’en doivent faire qu’une. Quant aux détails et aux discussions sur les divers points litigieux de la science, c’est à la physiologie qu’il appartient de décrire et d’expliquer ces questions.

La splanchnologie est, en raison de l’importance des organes qui font l’objet de son étude, la partie de l’anatomie qui excite le plus grand intérêt de curiosité. Sans elle, il est impossible de comprendre le mécanisme des fonctions indispensables a la vie ; et, comme ces mêmes organes sont le siège de la plupart des lésions dont s’occupe la médecine, et d’un grand nombre de celles dont s’occupe la chirurgie, les questions fondamentales ds l’art de guérir sont attachées à la connaissance approfondie de ces organes.

La préparation n natomique des organes dont s’occupe sLsptanchnologie ne consiste pas seulement dans leur isolement, qui, pour lesorganes contenus dans les cavités splanehniques, a lieu par le seul fait de l’ouverture de ces cavités ; mais elle consiste essentiellement dans la séparation des éléments anatomiques de ces organes ou des tissus. Or, les injections les plus déliées, la macération, la coction, la conservation dans l’alcool, la dessiccation, l’action des acides, toutes les ressources, en un mot, de l’art de l’anatomiste, sont mises à contribution pour cet objet.

SPLANCHNOLOGIQUE adj. (splan-kno-loji-ke — rad, splanchnologie). Qui appartient a la splanchnologie.

SPLANCHNOLOGUE s. m. (splan-kno-loghe — rad. splanchnologie). Auteur d’un traité sur la splanchnologie. Il Celui qui s’occupe de splanchnologie.

SPLANCHNOMYCE s. m. (splan-kno-mi-se — du gr. splanchnon, viscère ; mukàs, champignon). Bot. Genre de champignons, de la tribu des hystérangiés.

SPLANCHNONÈME s. m. (splan-kno-nème — du gr. splanchnon, viscère ; néma, filament). Bot. Genre de champignons, de la tribu des sphériacés, réuni par plusieurs auteurs aux sphéries.

SPLANCHNOSCOPIE s. f. (splan-kno-skopl — du gr. splanchnon, viscère ; skopeâ, j’examine). Antiq. roui. Inspection des entrailles des victimes pour connaître l’avenir,

SPLANCHNOSQUELETTE s. m. (splankno-ske-lè-te — du gr. splanchnon, viscère, et de squelette). Anat. Squelette, boîte osseuse des viscères.

SPLANCHNOSQUELETTIQUE adj. (splankno-ske-lè-ti-ke — rad. splanchnosquelette). Anat. Qui a rapport au splanchnosquelette.

SPLANCHNOTOMIE s. f. (splan-kno-tomî —du gr. splanchnon, viscère ; tome, section). Anat. Dissection des viscères.

SPLANCHNOTOMIQUE adj. (splan-knoto-mi-ke — rad. splanehnotomie). Anat. Qui appartient k la splanehnotomie.

SPLANCHNOVERTÉBRAL, ALEadj.(splankno-vèr-té-bral, a-le — rad. splanchnovertêbre). Anat. Qui a rapport k la splanehnovertèbre.

SPLANCHNOVERTÈBRE s. f. (splan-knovèr-tè-bre — du gr. splanchnon, viscère, et de vertèbre). Anat. Vertèbre du splanchnosquelette.

SPLANE s. m. (spla-ne). Bot. Syn. de splachne : On distingue le splane ampoulé. (Y. de Bomare.)

SPLEEN s. m, (splinn — motang. venu du gr. splén, rate, parce qu’on avait cru que la rate était le siège de cette affection). Pathol. Hypocondrie, malaise consistant dans un ennui invincible, poussé souvent jusqu’au dégoût de la vie : Avoir le spleen. Jene sais rire que des lèvres ; j’ai le spleen, tristesse physique, véritable maladie. (Chateaub.) Aloion n’a pas été toujours la terre du spleen, et Vépithète dont les anciens bardes la qualifiaient le plus volontiers est celle de la joyeuse Angleterre. (Th. Gaut.) Le repos absolu produit le spleen. (Balz.)

Nul ennui ne t’est comparable, Spleen lumineux de l’Orient.

Th. Gautier.

— Encycl. Les sociétés humaines ont, comme les individus, leur phase de croissance et leur phase de décroissance, leur commencement et leur fin. Les familles se réunissent en tribus, les tribus en peuples ; les peuples se civilisent, se policent, puis se raffinent, s’énervent, deviennent mous, efféminés, blasés, corrompus et meurent. Insensé qui nierait cette loi, k la fois attestée par la raison et par l’histoire. La croyance générale, mise en vers par Casimir Delavigne (Charles VU) :

Un jour voit mourir une armée, Mais un peuple ne meurt jamais,

est une patriotique ineptie.

Le symptôme caractéristique du dépérissement d’une société est cet immense eunui qui s’empare de toutes les classes, de tous les individus. Le spleen en est le nom nouveau, mais la chose n’c-t pas nouvelle.

Prenons par exemple la décadence romaine. Nous ne parierons pas de ces milliers de gladiateurs qui allaient joyeusement à la

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mort et trouvaient encore dans ce dernier voyage des vivats pour le prince (Caligula) qui ordonnait leur égorgement. On pourrait penser que cette gaieté n’était que factice et que ces vivats n’étaient qu’une forfanterie ; dans tous les cas, l’attitude d’hommes ignorants etk demi sauvages ne saurait être d’un grand poids dans une démonstration. Prenons donc un homme lettré, appartenant à l’élite de la société romaine, un contemporain, un ami de Sénèque. Voici ce qu’il écrit à ce philosophe :

« Ce qui me frappe surtout en moi (car pourquoi ne pas te confesser la vérité comme a mon médecin ?), c’est que je ne suis jamais sérieusement affranchi de ce que je craignais et de ce que je haïssais... Mon état, pour ne pas être désespéré, est au plus haut point décourageant et pénible. Je ne suis ni malade ni bien portant. Cette disposition de l’âme qui me laisse hésiter entre deux partis à prendre, qui ne me pousse pas énergiquement vers le bien et ne m’entraîne pas non plus vers le mal, est une infirmité que je vais essayer de décrire en détail et dont tu me diras le nom. » Lk-dessus, le correspondant de Sénèque lui raconte qu’il passe tour à tor.r de l’amour pour une vie simple au désir d’une existence brillante, de la passion pour la solitude à la passion d’une carrière active, de l’étude contemplative et modeste à l’ambition d’une grande éloquence, etc. « Je viens te demander, dit-il en terminant, si tu ne possèdes pas quelque remède propre k arrêter cette mobilité de mon esprit. Je sais bien que ce ne sont pas 1k des émotions dangereuses et perturbatrices, et, pour t’exprimer par une comparaison exacte le mal dont je me plains, je ne suis pas tourmenté par la tempête, mais par le mal de mer. >

Sénèque lui répond que son mal, c’est le dégoût et l’ennui ; le spleen en un mot. comme nous dirions aujourd hui. Il était semblable, dit encore Sénèque, k ce héros d’Homère qui se tient tantôt debout, tantôt assis, dans l’inquiétude de la maladie. Il était malade, non pas tant des secousses qu’il avait subies que d’un immense dégoût de toutes choses... Son mal, le mal de tout l’empire à ce moment, le mal de Sénèque lui-même, était bien l’ennui, le spleen. Rassasié de tout ce qu’il possède, de tout ce qu’il a vu, le Romain de la décadence s’écrie dédaigneusement : « Serait-ce toujours la même chose ?» Comme aujourd’hui le Français de la décadence, il s’écrie : Il nous faut du nouveau, n’en fut-il plusau monde !

Et pour avoir du nouveau, il tourmente la nature morte et animée, mêle le sang des gladiateurs au vin des festins et les râles des mourants aux cris de joie des convives. Tous les liens ordinaires de la vie sont rompus par l’ennui ; la débauche même ne peut le conjurer. Les femmes ont beau, selon l’expression de Sénèque, compter les années, non par les noms des consuls, mais par ceux de leur maris ; elles peuvent, comme le dit Juvénal, passer en riant devant l’autel de la pudeur. Vainement, de leur côté, les hommes renchérissent sur ces débauches et se livrent aux plus infâmes accouplements, l’ennui surnage au-dessus de l’orgie et n’en devient que plus terrible. La volupté appelle alors la cruauté à son secours et l’on voit se former, dans des proportions gigantesques, l’association entre la débauche et le meurtre. On voit un préfet, Flaruinius, donnera sa maîtresse, dans un festin, le hideux spectacle de l’exécution d’un criminel, et, au dire de Tacite, un Romain termine une nuit d’orgie en assassinant la courtisane qui a présidé à cette fête infâme. Vains efforts 1 La terrible maladie s’irrite de tous les monstrueux remèdes employés pour la combattre et reparaît sans cesse plus épouvantable que jamais. Il n’y a plus qu’un moyen sûr de la conjurer efficacement : la mort. La société romaine est décrépite ; elle doit périr, et le spleen de chacun est l’indice certain que l’heure est venue. Le glaive impérial ne fauche pas assez de têtes ; le suicide vient à son aide ; des associations se fondent, dont les membres doivent, k la fin d’une orgie, se faire passer de main en main la coupe empoisonnée ; l’eau parfumée des bains se rougit du sang de nombreux suicidés ; le fer libérateur, tombé des nobles mains de Caton et de Brutus, est repris par des affranchis, par des philosophes, par des courtisans. Le trépas est le seul remède de tous les maux (matorum omnium curator) et de l’ennui, plus terrible que tous les maux !

Cet immense ennui, ce spleen inexorable qui s’empare de l’empire romain, nous a paru le meilleur exemple à choisir, parce qu’il est le plus connu, pour démontrer que les vieilles sociétés agonisent dans la consomption, le marasme, longtemps avant de mourir, et que la cause apparente et violente, la révolution intérieure ou l’invasion étrangère, ne font que consommer une mort en préparation depuis des siècles. Ainsi, le veillaru arrivé aux dernières limites de l’âge succombe aux attaques d’une maladie qui indisposerait à peine un adolescent.

! Telle est la loi universelle de destruction

. des individus et des sociétés. L’Orient comme l’Occident, et plus encure que lui, nous en

! fournit la preuve. L’ennui, le spleen, ont de-I

puis longtemps envahi ces peuples caducs. | Ils ont recours, pour s’étourdir, aux stupé- ! fiants. L’un fume le haschich, l’autre l’opium, ces poisons terribles qui guérissent moineu SPLE

tanémpnt de l’ennui en engourdissant le cerveau. L’Inde elle-même, l’Inde surtout, cotte ancêtre vénérable de notre civilisation, est tombée dans la décrépitude. Elle chancelle dans le dernier terme de laTrimourti sacrée ; le Brahmal’a fondée, Vichnou l’a conservée ; elle est maintenant dans les mains du destructeur Shiva. L’ennui, le dégoût la dévore. Des centaines de fidèles se hâtent de sortir de la vie en se plongeant dans les eaux sacrées de i’Indus ; d’autres se font broyer sous les roues massives du char de Jaggrenat ; les veuves se précipitent dans les flammes du bûcher qui dévore les restes de leur mari. La destruction est une frénésie, et les thugs, adorateurs de la féroce Kâly, ne vivent que pour l’assassinat. Chez tous ces peuples antiques, l’ennui a, comme à Rome, amené le goût de la mort.

Dans no’re Europe occidentale, cet ennui épidémique, précurseur do la mort, a pris pour Heu do prédilection la sombre et froide Angleterre, qui lui a donné ce nom de spleen. Le spleen est, peut-on dire, en Angleterre, une maladie nationale. Nul pays ne compte autant de suicides. Certes, tous les suicides ne sont pas occasionnés par le spleen ; dans une ville comme Londres, où il meurt, en moyenne, quatre personnes de faim par jour, sans compter celles, bien plus nombreuses, qui meurent des suites de la faim et des privations (anémie, phthisie, etc.), il est plus d’un malheureux qui ne demanderait qu’à vivre et qui va chercher dans les eaux noires de la Tamise ou dans une atmosphère carbonique une mort plus rapide et moins cruelle que l’horrible mort de la faim, précédée d’une épouvantable agonie. Ce n’est donc puint chez les pauvres qu’il faut chercher les suicides par suite de spleen.

Le spleen est l’ennui sans motif apparent, l’ennui vague, indéterminé, sourd, persévérant et ne finissant qu’à la mort. C’est uno vraie maladie mentale. Il saisit le plus riche lord au milieu de ses serres immenses, dans la haute chambre, dans une cérémonie, n’importe où, et, dès ce moment, ne le quitte plus. Marche-til, le spleen se fait son compagnon de route ; monte-t-il à cheval, lo spleen

... Monte en croupe et galope avec lui.

Dès lors, le malheureux tombe dans la condition de l’ami de Sénèque ; il ne peut plus tenir en place ; il se levé, s’assied, voyage, franchit la Manche, cherche k perdre son spleen dans le tourbillon des plaisirs de Paris : peine perdue, le Spleen l’accompagne à l’Opéra, k Longchamp, à la Maison-Borée ; il ne le lâche pas. L’ivresse lu calme momentanément, en enlevant au malheureux jusqu’à la conscience de son existence, et c’est dans ce fait que nous trouvons la cause de l’habitude des Anglais, qui, après le repus du soir, font retirer les daines, et, restant à’ lubie, y boivent des liqueurs fortes jusqu’à l’ivresse. Il n’est pas d excentricité que le spleen ne fasse faire ; on tente tout pour le chassur jusqu’à ce qu’un jour un accès plus violent que de coutume arme la main du malade, qui échappe alors au fléau par la mort. De là ces suicides si fréquents et souvent si bizarres. Que d’Anglais se sont précipités du haut do la colonne Vendôme I combien se sont égorgés avec leurs rasoirsI combien se sont pendus dans nos promenades publiques ! L’un tient à se brûler la cervelle sur le sommet d’une montagne célèbre, un autre fait fabriquer une guillotine et se coupe lui-même la tête dans sa chambre, etc. Le spleen a fait enfin école en littérature, et, sous son influence, lord Byron s’est immortalisé en so peignant dans ses héros Manfred, Lara, Don Juan, etc. Promenant dans toute l’Europe ton implacable ennui, il l’a exhalé sans cesse dans des strophes qui ne périront pas.

Le spleen, fils de l’Angleterre, a franchi la Manche et s’est installé dans notre pays.

Que lui font les baisers de la vieille Angleterre ?

Il est vrai qu’elle sait, auprès d’un pot de bière,

Tranquillement s’ouvrir une veine du front,

Ou se faire sauter la tête avec du plomb ;

Mais la France vaut mieux, et lui plaît davantage...

Si le poète exagère un peu, le fond de sa pensée n’en est pas moins vrai. L’ennui, lo di’goùt de la vie, le malaise général de notre époque l’attestent. Toute une littérature, semblable à celle de Byron, s’est fondée sur la «-désespérance, • mot qu’elle a forgé pour elle et qui ressemble terriblement au spleen, avec ceci de plus pénible, que la désespérance est un spleen conscient et raisonné. Qui n’a lu les pages navrantes qui servent de préface à la Confession d’un enfant du siècle ; et ces poèmes désolés où Alfred de Musset gémit de ne plus croire au passé et de ne pas croire à l’avenir ?

Tu goûtas enûn le charme de la mort, dit-il dans ses stances à la Malibran. Son héros, Rolla, s’empoisonne dans un bouge ; et les excentricités de tous ses poèmes (Don Paez, Namouna, etc.) ne sont que factices ; par elles, Musset essaye de tromper son spleen ; il n’y parvient pas, et, renonçant à trente ans k la poésie, il traîne pendant dix-sept ans sa misérable existence dans les tavernes et les lupanars, demandant sans cesse k l’ivresse et à l’orgie ietourdisseuient qui fait oublier l’ennui.

De même ; le malheureux Gérard de Narval, admirable poète, admirable prosateur,