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la fortune le tente beaucoup. Jenny, au contraire, ne se prête à cet hymen qu’avec répugnance ; elle aime Jules en secret, et celui-ci, avec la même retenue, la paye de retour. Alexis a déterminé sa famille à quitter son antique demeure du Marais et à venir occuper, dans le quartier des affaires, un magnifique hôtel qu’il a fait acheter par son père. C’est dans cet hôtel que commence et se passe l’action. Les trois premiers actes sont employés a l’exposition des faits qui précèdent, et c’est une faute capitale de la. part de l’auteur. Le spéculateur Alexis y paraît, mais non pas avec son caractère, comme agissant et s’occupunt de Ventes et d’achats ; il y semble même étranger. Toute la scène est absorbée par des affaires de famille... Un seul incident se présente. Le domestique Dupré, qui trouve son profit dans l’intrigue d’Emilie et d’Alexis, veut essayer de rompre le mariage projeté de celui-ci ; il lui fait renvoyer, par un valet complice, un écrin dont Alexis avait fait cadeau à sa maîtresse. Ce valet.1 soin de remettre cet écrin entre les mains du père ; mais M. Duvernet, dans ses préventions habituelles contre Jules, le soupçonne de ce dérèglement de conduite et lui en fait de viojents reproches. Alexis veut justifier son frère j mais Jules se jette au-devant do la révélation et se charge des torts qu’il n’a point eus. L’intérêt et l’action commencent à se développer au quatrième acte. M. Mesnard est arrivé ; on présume qu’il vient pour assister au mariage de sa fille avec Alexis. Il s’étonne du luxe nouveau de la famille Duvernet, et, dans une scène bien faite, lorsqu’il apprend dans quelles affaires Alexis s’est lancé, il fait le tableau de tous les dangers auxquels l’honnête homme s’expose en se livrant à de pareilles spéculations. Mais enfin on veut savoir le motif de son arrivée inopinée. Mesnard est ruiné. Un incendie a consumé sa manufacture. Il vient à Paris solliciter les bienfaits du roi ; il n’a plus d’autres ressources que les 700,000 francs qu’il a déposés entre les mains de Duvernet. Son argent est prêt ; mais le père et le fils ne parlent plus avec autunt d’empressement du mariage projeté et laissent voir pour le désastre de Mesnard une froideur dont la fierté de celui-ci se révolte. Il exige de sa fille qu’au moment de la signature du contrat elle réponde : Non. Mais les choses ont bien changé. Alexis, entraîné dans une spéculation considérable, aurait besoin d’une baisse sur les fonds publics. Il se décide à faire paraître à la Bourse Dupré, son domestique, arrivant en courrier d’Angleterre et rapportant une nouvelle alarmante... Cette manœuvre est déjouée par un avis officiel que fait publier le ministère. La hausse se manifeste et produit contre Duvernet une différence de 3 millions qu’il faut acquitter presque sur-lechamp. Alexis veut un moment faire tête à l’orage. Dédaigneux tout à l’heure de l’alliance de Mesnard, il veut maintenant la conclure à la hâte ; les 700,000 francs resteront ainsi entre ses mains : il pourra faire face aux premiers payements. Duvernet s’y oppose ; il ne veut pas compléter la ruine de son ancien ami. Toute la famille se rassemble pour signer le contrat de mariage d’Alexis et de Jenny. Mesnard demande de nouveau le consentement de toutes les parties. Duvernet, retenu par son fils, hésite et paraît refuser plutôt qu’accorder son approbation. Mesnard n’attribue cette conduite qu’au mépris qu’on fait de lui depuis qu’il a perdu sa fortune. Alexis, au contraire, presse la conclusion de cette affaire, et Mesnard, toujours trompé par l’ap, arence, lui sait gré de cet empressement ; mais, toutefois, il n’en persiste pas moins dans son projet de vengeance, et, sur un signe qu’il fait à sa fille, Jenny déclare qu’elle ne veut pas épouser Alexis. La catastrophe de Duvernet touche à son comble, car, après ce refus, il lui faut rendre sur-le-champ à Mesnard la somme qu’il réclame. La faillite est imminente, Alexis propose à son père de ne point payer les différences qu’ils ont perdues à la Bourse. Duvernet rejette cette proposition avec horreur. Alexis forme alors le projet de se tuer. Jules et Henriette le détournent de ce dessein en lui faisant sentir la nécessité de vivre et de travailler pour soutenir leurs parents. Pendant tout cet embarras, le notaire Duval a vu les principaux créanciers ; ils accordent à Duvernet le temps nécessaire pour liquider ses affaires. Tout pourra s’arranger si Mesnard consent aussi à ne point exiger le remboursement immédiat de sa créance. Il est

tellement irrité de l’ingratitude de ses anciens amis, qu’il ne veut entendre à rien ; cependant, vaincu par les larmes de son fils et de sa fille, il cède enfin, Henriette épouse Édouard, qui est avocat, et qui ne parait dans la pièce que pour être préoccupé, pendant cinq actes, d’un procès criminel dont il est chargé ; il finit par le gagner, ce qui est bien intéressant. Jenny épouse Jules, qui, de son côté et malgré les défenses de son père, a exposé au Salon ; le jury lui adjuge le grand prix et la croix de la Légion d’honneur, Alexis seul, quoiqu’il ait obtenu le pardon de son père, reste sans position et sans avenir. L’ardeur que Jules, le peintre, et Édouard, l’avocat, montrent pour leurs professions est poussée à un degré d’exagération ridicule. L’auteur, pour peindre sur le vif un avocat, n’a rien trouvé de mieux que lui faire dire : n En composant mes plaidoyers, j’ai toujours

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sous les yeux le portrait de Malesherbes. » La teinte niaise et exagérée du peintre ne le cède point à celle de l’avocat. Jules ne voit d’honneur et de gloire que dans les beaux-arts, et, quand il obtient le prix et la croix d’honneur, il se fait fort de payer les 3 millions de dettes de son frère. Tout cela serait excellent comme charge. Cependant les deux derniers actes de cette comédie ont de l’intérêt, et la fureur d’agiotage qui s’était emparée de la France, de Paris surtout, lors des emprunts de 1817 et de 1822, lui donnait une certaine actualité.

SPÉCDLATIF, IVE adj. (spé-ku-la-tiff, i-ve — lat. speculativus ; de speculari, observer). Qui spécule, qui observe, qui étudie. Il Vieux en ce sens.

— Qui a pour objet l’étude, la contemplation exclusive des faits de conscience, la réflexion pure, la théorie : Les connaissances spéculatives ne conviennent guère aux enfants. (J.-J. Rouss.) Là philosophie spéculative, comme les hautes mathématiques, n’est pas faite pour le peuple. (V. Cousin.) Sans la toi, le principe du droit ne serait qu’un idéal vainement mis en avant par les esprits spéculatifs. (Franck.) Le scepticisme moral a pour corollaire le scepticisme spéculatif. (Proudh.)

— s. in. Celui qui se livre à la spéculation pure, h, la théorie : Je m’en rapporte à ces hauts spéculatifs, à ces esprits subtils créés pour sonder les cavités de l’intérieur de l’homme. (Piron.) Moïse et Mahomet n’ont pas été des spéculatifs, ce furent des hommes d’action. (Renan.)

SPÉCULATION s. f. (spé-ku-la-si-onlat. speculatio ; de speculari, observer). Action de spéculer, d’observer : La spéculation désastres, des phénomènes célestes. Il Vieux en ce sens.

— Observation interne, méditation, réflexion, raisonnements : Les spéculations de la politique. Être plongé dans des continuelles spéculations. Il vient de publier ses spéculations sur ce système. La tradition est te point de départ de toute spéculation sur l’avenir. (Proudh.) Les spéculations abstruses contiennent du vertige. (V. Hugo.) Sans le sens commun, la philosophie n’est qu’une Spéculation arbitraire. (V. Cousin.) Platon n’a jamais plus de séduction qu’alors qu’il descend des hauteurs de la spéculation la plus sublime à des peintures familières de la vie. (Nisard.) Les spéculations des anciens penseurs ne sont que des jeux d’esprit. (H. Taine.) Le plus haut degré de la spéculation, c’est la métaphysique. (Ad. Franck.) 11 Théorie pure : La spéculation et la pratique constituent la principale différence qui distingue les sciences d’avec tes arts. (D’Aleinb.) Il n’y a de politique générale qu’en spéculation ; mais en ac tion, toute politique est et doit être nationale. (Fiévée.)

— Calculs, com binaisons qu’on imagine ; opérations que l’on fait dans le commerce ou l’industrie : Bonne, heureuse spéculation. Spéculation fausse, malheureuse. Faire des spéculations. Se livrer à des spéculations. C’est la spéculation qui recherche et découvre, pour ainsi dire, les gisements de la richesse. (Proudh.) La spéculation n’est autre chose que la conception intellectuelle des différents procédés par lesquels le travail, te crédit, le transport, l’échange peuvent intervenir dans ta production. (Proudh.) Chaque espèce de bêlait peut donner lieu à des spéculations fort diverses. (M. deDombasle.) Aujourd’hui, les millions croissent et se multiplient à vue d’œil sur le fumier de spéculations équivoques. (J. Sandeau.)

La spéculation est l’arae du commerce.

Lamartine.

— Moll. Nom vulgaire d’une coquille du genre côae.

— Encycl. Econ. soc. La production des richesses peut se ramener à quatre principes généraux : 1° le travail proprement dit ou la façon donnée à la matière ; 2° le capital, c’est-h-dire la matière sur laquelle s’exerce le travail ; 3° le commerce, qui transporte les produits sous la main des consommateurs ; 4° la spéculation. A proprement parler, spéculer n’est autre chose que prévoir, et surtout prévoir une plus-value dont il sera possible de profiter.

Outre l’idée que nous venons d’exprimer, celle de la recherche d’une plus-value ou d’une prime, le mot spéculation en réveille encore une autre assez directement. Cette autre idée est celle d’une entreprise aléatoire, c’est-à-dire d’une opération dont le résultat peut être un bénéfice ou une perte. Sous ce rapport, il n’y a pas un seul entrepreneur qui ne joue un rôle de spéculateur. En effet, le motif qui le porte à entreprendre c’est le désir et l’espoir d’un bénéfice. Mais, s’il peut gagner, il peut perdre aussi, et c’est ce qui fait que son entreprise est aléatoire. Quand le succès vient couronner ses efforts, il perçoit, outre les sommes nécessaires pour couvrir ses avances de toutes sortes, une différence qui est la récompense, non-seulement de la peine qu’il a prise, mais encore du risque qu’il a couru. En cela, il n’y a rien que de juste.

Ce que nous venons de dire se rapporte au cas où l’entreprise a une base sérieuse, où elle consiste principalement dans l’ellort que fait un individu pour créer une valeur non SPEC

velle, sans être sûr d’arriver au but. Or, ce cas est fréquent, même dans l’exercice des métiers les plus anciens et les plus communs. Par exemple, c’est celui du cultivateur qui n’a pas fait assurer ses récoltes contre la grêle, ni ses bâtiments contre l’incendie.

La spéculation pure ou la recherche de la plus-value est une opération qui tient plus du commerce que de l’industrie. Cependant, un spéculateur habile ne recule jamais devant la nécessité de faire des transports de marchandises, et même de l’industrie, pour réaliser une idée heureuse et qui lui promet des bénéfices considérables. Voici en ce genre un fait que raconte Schmalck et qui nous semble un très-joli spécimen de la spéculation.

L’opération eut pour auteur le comte de Schimmelman, négociant et ministre des finances au service du Danemark. En 1774, sa maison de commerce subsistait encore à Hambourg. Elle fit acheter toute la cire que l’on put trouver en Europe ; des vaisseaux chargés de cette matière partirent de tous les ports r-t se rendirent à Livourne, sans

! que l’on sût pour le compte de qui cette im|

mense provision avait été faite. À cette épo< que, les bougies stéariques n’avaient pas été inventées, et l’on n’avait guère d’autre cire

que celle des abeilles. Or, c’est là un article

1 que l’industrie humaine ne peut pas multiplier à volonté, et que, par conséquent, il était possible d’accaparer. Dès lors, les acquisi. tions faites par une maison qui jouissait d’une grande fortune et d’un grand crédit la rendirent très-rare, et le prix de la cire augmenta partout. Voici maintenant le dénoûment. L’année suivante, en 1775, on célébra à Rome le grand jubilé ; une foule innombrable de catholiques dévots achetèrent des cierges pour les offrir sur l’autel des apôtres saint Pierre et saint Paul, et cette circonstance, prévue par le comte de Schimmelman, lui fie faire un bénéfice considérable.

Revenons aux spéculations qui consistent à acheter pour revendre. Elles constituent un commerce qu’on pourrait appeler fantaisiste, parce qu’il se fait tantôt sur une chose, tantôt sur une autre, et que la spéculation n’est nullement exclusive dan3 les moyens qu’elle emploie pour réaliser la prime. Cependant il y a une espèce de valeurs qu’elle affectionne particulièrement ; ce sont celles qui se cotent a la bourse. Or, la quantité de ces propriétés parcellaires est aujourd’hui plus grande que jamais, et cela tient à deux causes principales qui sont, d’une part, l’extension des emprunts contractés par "des États et par d’autres communautés, et, d’autre part, l’augmentation du nombre des sociétés en commandite. Comme, d’ailleurs, cette espèce de valeurs est à la portée d’un grand nombre de bourses, qu’elle est d’une transmission facile et sujette à des variations très-fréquentes, parfois même très-brusques, il

n’est pas surprenant que la spéculation ait pour elle une prédilection particulière.

L’art de spéculer a eu ses progrès, comme beaucoup d’autres. D’abord on a fait seulement des opérations au comptant, en entendant par là celles dont le règlement, c’est-à-dire la livraison et le payement de l’objet vendu, a lieu soit au moment même où se fait l’opération, soit dans un délai très-limité. Ensuite, pour varier ses moyens, la spéculation imagina les opérations à terme. On appelle ainsi les marchés qui ne se règlent qu’à une époque plus ou moins éloignée du moment de la négociation, mais cependunt toujours fixée d’avance. La ressemblance de la spéculation avec le pari apparaît bien dans ces sortes de marchés. En effet, lorsque Jean vend à Paul une action qui ne lui sera livrée qu’un mois après et qu’il devra payer au prix qu’elle a aujourd’hui, que font-ils véritablement tous les deux ? Le vendeur suppose et parie que la valeur de l’action aura diminué au bout du mois, tandis que l’acheteur suppose et parie le contraire. Ce caractère ressort bien mieux encore lorsqu’il est convenu entre les parties que le vendeur ne sera pas obligé de livrer et que l’acheteur ne sera pas obligé de recevoir la chose vendue, mais que le règlement du marché sa fera par le payement de la simple différence, si, au terme convenu, la valeur de la chose vendue n’est plus la même qu’au moment de la négociation. Dans ce cas, la spéculation n’est qu’un pari ou un jeu.

La spéculation abusive est la grande plaie de notre époque (v. agiotage). En vain la loi frappe de nullité les opérations fictives ; en vain les tribunaux correctionnels sévissent contre les mille ruses déloyales qui donnent à la spéculation le caractère d’escroquerie. La spéculation règne toujours, multipliant ses formes, s’appropriant les plus clairs bénéfices du travail, du capital et du commerce, dévorant comme un chanere la production réelle. « Jusqu’ici, disait dans les Manieurs d’argent un avocat général, M. de Vallée, jusqu’ici la loi a été vaincue par l’agiotage et réduite à. ce rôle, le pire de ceux qu’elle puisse avoir, d’exister malgré sa défaite et de vivre sans commander... Il faut être magistrat pour savoir jusqu’où vont lts abus et combien est douloureuse et complète cette impuissance de la loi...

Que si je me trompais, ajoute-t-il amèrement, et que s’il était nécessaire de supporter ces plaies pour que la richesse s’accrût et que le progrès matériel ne fût pas ralenti, je demande du moins que la loi disparaisse et que

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nous ne soyons pas condamnés, nous ses ministres, à la tenir entre nos mains, frémissante, inappliquée et vaincue. »

Ceci fait très-bien dans un réquisitoire ; mais, en fin de compte, la loi ne doit point s’occuper de ces sortes d’affaires ; c’est aux citoyens eux-mêmes à se préserver d’entraînements funestes.

Le jeu de la spéculation prête à la tricherie, comme tout autre jeu, et, en réalité, on y a souvent triché.

Cette tricherie revêt des formes très-diverses, et elle est employée dans toutes les classes de la société. Par exemple, on a vu des préfets et même des ministres exploitnr les informations qu’ils devaient à leur position officielle pour faire de bonnes spéculations. Parfois, des spéculateurs qui s’entendaient ont employé des pigeons pour s’envoyer les cotas de différente :- : bourses. Aujourd’hui, le télégraphe électrique peut servir au même usage. Une ficelle très-commune, c’est celle qui consiste à répandre des nouvelles fausses. C’est pour cela que les gros bonnets de la finance considèrent comme une chose import-.mte d’avoir un journal à leur discrétion. Un grand capitaliste, qui est en même temps un grand ficelier et qui possède un journal, l’emploie constamment à fabriquer des nouvelles et à interpréter les faits connus dans le sens le plus favorable au succès de ses opérations. C’est une manière de tricher au jeu. Aujourd’hui, parmi les journaux de Paris, il y en a un assez grand nombre qui appartiennent à des particuliers ou à des compagnies qui spéculent.sur uie grande échelle. Tout récemment, le public était dans le doute pour une question grosse d’orage. Lorsque le doute eut été dissipé par des nouvelles favorables publiées dans ia plupart des journaux, il s’en trouva un qui, pendant toute une semaine, laissa subsister le doute pour ses lecteurs et continua à interpréter les faits dans le sens le plus alarmant quant au maintien de la paix. Comme ce journal appartient à un financier, il est clair que le propriétaire vis ; iit à faire la baisse. Les manœuvres de ce genre ne sont pas rares et s’expliquent en partie par cette circonstance que, par la faute des lois draconiennes qui régissent la presse, la plupart des journaux ne peuvent subsister sans le secours des financiers. Par conséquent, lorsqu’on lit un journal, il est important de savoir à qui il appartient, et la chose est facile.

La spéculation et l’agiotage sont des modes de l’activité humaine. Ces modes d’action tendent à devenir plus fréquents partout où la population augmente et où il se forme des villes très-considérables. Ce fuit, facile à observer, se rattache à des causes qu’il est intéressant de connaître.

La plus active est l’amour du gain, qui lui-même se rattache à des besoins en fin de compte légitimes.

La vue de l’opulence et du luxe qu’étalent les grandes villes a pour effet naturel d’exciter Ta cupidité, de la rendre plus vive et plus impatiente. Maintenant, ce qui fait qu’un grand nombre de personnes cherchent à gagner de l’argent par la spéculation plutôt que par l’exercice d’une profession plus déterminée, c’est que, quand on a l’idée de ce genre de moyen et la possibilité de l’employer, comme il est commode et peu pénible, on trouve bon de ne pas faite par le plus ce qu’on peut faite par le moins.

Que faut-il penser de cette surexcitation ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de voir quels sont les effets économiques et moraux que peut produire la spéculation.

Ecartons d’abord le cas où le spéculateur emploie des moyens immoraux. En effet, comme l’honnêteté doit passer avant tout, le doute n’est pas possible en pareil cas. Supposons donc une spéculation qui n’emploie que des moyens licites et qui n’arrive au but qu’à force de prévoyance et d’habileté. Alors on pourra encore dire contre elle qu’elle a beaucoup d’analogie avec le jeu, parce qu’elle ne fuit que déplacer des valeurs et qu’elle n’en crée pas de nouvelles. C’est une vérité incontestable. Mais il ne s’ensuit pas nécessairement que la spéculation soit absolument inutile à la société, et même on peut dire avec vérité que souvent elle rend un service appréciable, en modérant, tes variations de prix que subissent les marchandises. C’est ce qui u fait comparer son rôle à celui que remplit le régulateur dans une machine à vapeur. En effet, le ipéculateur qui retire du marché une quantité notable d’un article offert, lo^que le prix en est tombé très-bas, et qui ne la remet à.a disposition des acheteurs que lorsque ce même prix s’est relevé, rend les écarts des prix de cet article moins considérables, et par là il est utile a. la fois aux producteurs et aux consommateurs.

II y a des cas où la spéculation rend des services d’une autre sorte. C’est lorsqu’elle entreprend une œuvre d’utilité générale, comme un canal ou un chemin de fer, qu’ello fait uppel à une multitude de petits capitaux, qu’elle les tire de leur inaction pour leur taire jouer un rôle productif, et enfin lorsqu’elle leur procure des bénéfices plus considérables que s’ils avaient agi isolément. Ceux qui connaissent toute la valeur que la concentration peut donner au capital comprendront très-bien que ce cas est souvent réalisable et qu’alors les capitalistes associés,