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législative pour tous. Un ne peut donc admettre en aucune manière à son égard le

droit de sédition, encore moins celui de rébellion, et moins qu’aucune chose celui d’aftaquer en lui, comme individu, sous prétexte d’abus du pouvoir, sa personne et sa vie... Le devoir qu’a le peuple de supporter l’abus du pouvoir suprême, alors même qu’il passe pour insupportable, se fonde sur ce qu’on ne doit jamais considérer sa résistance à la législation souveraine autrement que comme

illégale j car, pour que le peuple fut autorisé à la résistance, il faudrait préalablement une loi publique qui la permit, c’est-à-dire qu’il faudrait que la législation souveraine contint une disposition d’après laquelle elle ne serait plus souveraine, et le peuple, comme sujet, serait déclaré, dans un seul et même jugement, le souverain de celui dont il est le sujet, ce qui est contradictoire. »

Cette thèse du droit divin généralisé, de l’inviolabilité absolue des pouvoirs de fait ne supporte pas l’examen. Ii n’est pas’possible d’exclure, dans tous les cas supposables, la résistance au pouvoir existant et les moyens qui finalement peuvent seuls rendre cette résistance efficace. L’insurrection est la dernière raison des peuples, le dernier droit à exercer ; mais c’est un droit, le seul qui reste en telle circonstance donnée. Ce droit, qu’on le remarque bien, est la en tout temps derrière les autres, qui les contient, leur donne force et vie et marque une limite nécessaire aux entreprises injustes du pouvoir tyrannique. C’est là-dessus, au fond, que repose tout le système des garanties légales. Supprimez-le, effacez-le entièrement des consciences, entendez à la lettre et prenez au sérieux le principe de Kant et l’interprétation qu’il donne à la maxime : Toute puissance vient de Dieu, et vous voyez aussitôt s’évanouir, avec le droit individuel, les bases et les lins rationnelles et morales de la société civile ; impossible d’en retrouver l’idée dans ce troupeau d’êtres humains, moralement émasculés, qui ne se reconnaissent, en présence de leurs maîtres, d’autre droit que celui de bêler prières et plaintes, que celui de faire leur devoir (comme disait Auguste Comte), c’est-à-dire de remplir avec une obéissance sans bornes les offices divers qu’il plaît h ces maîtres de leur imposer.

Comment Kant n’a-t-il pas vu que cette patience sans conditions et sans limites qu’il prescrit à l’opprimé, cette patience qui ne doit jamais se lasser, quels que soient les abus, en mettant l’oppresseur en dehors et au-dessus de toute responsabilité, de toute sanction, de toute justice, et étant tout obstacle devant ses desseins coupables, en lui laissant le champ libre, le sommeil tranquille et la pleine sécurité, aboutit à pervertir sa raison et sa conscience et ne saurait permettre aucune espérance raisonnable de réforme sociale ? C’est le grand danger et aussi la grande immoralité des doctrines mystiques et religieuses qui préconisent le sacrifice pur, le dévouement absolu, l’entière obéissance et le renoncement complet au droit personnel, de favoriser l’injustice, de lui assurer la durée, de se faire indirectement les complices de la tyrannie, en interdisant de la combattre, en désarmant les cœurs et les bras prêts & lui résister. Le principe kantiste de l’inviolabilité absolue du pouvoir de fait mérite le même reproche. En posant ce principe sans restriction d’aucune espèce, Kant est sorti des voies du rationalisme critique. S’il faut, en matière de pouvoirs et de constitutions politiques, s’attacher uniquement un fait pur, au fait brutal, à l’occupation, à la possession, si le doute même et l’examen à cet égard sont interdits, il n’y a plus de morale sociule rationnelle. Et que devient la division rationnelle des pouvoirs en présence d’une souveraineté mystique que rien ne doit limiter dans la conscience des sujets ? Evidemment, Kant se montre ici infidèle aux

principales thèses de sa philosophie politique. Son empirisme politique élevé à l’absolu, idéalisé, nous ramène aux doctrines du sacrifice et du dévouement, c’est-à-dire à la négation même de tout droit. Il semble, à entendre Kant, que l’État soit d’essence céleste et surhumaine ; que les qualités de gouvernant et de gouverné, de souverain et de sujet soient absolument séparées et exclusives l’une de l’autre ; que les détenteurs de l’autorité cessent d’être des hommes et revêtent un caractère sacré qui les soustrait aux devoirs sociaux ; que le pouvoir soit extérieur et supérieur à la société ; qu’il la réalise, qu’il la crée, au lieu d’être produit par elle. On est étonné de le voir passer à côté de cette vérité, pour nous aujourd’hui si simple et si claire, que le pouvoir représente au moins implicitement la société, pour laquelle il existe et au nom de laquelle il agit ; qu’il en relève par conséquent, et que, dans telle hypothèse extrême, il peut être considéré comme en état de révolte contre la souveraineté’ sociale ; que tel est le cas du tyran, contre lequel se dresse le droit individuel de défense.

Le droit divin restreint aux gouvernements dits légitimes. Quelques théologiens et la plupart des jurisconsultes entendent que, dans cette maxime : Obéissez aux puissances, il s’agit uniquement des puissances légitimes ; ce qui les conduit k poser la question do la légitimité d’origine du pouvoir, en d’autres termes la question de l’origine et

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du siège primitif de la souveraineté politique. Cette origine, ils la placent dans la société tout entière ou, comme on dit plus souvent, dans le peuple. Le droit divin des gouvernements, tel qu’ils l’entendent, est fondé sur un contrat supposé entre le corps social, le peuple et les gouvernements ; le pouvoir vient de Dieu, disent-ils, mediante populo. Cette thèse est très-nettement exposée par le publiciste espagnol Saavedra. ■ Dans le premier âge, on n’eut pas besoin de peine, car la faute était inconnue ; la récompense étiiit également inutile^ car ce qui était honnête et glorieux était aimé en soi. Mais la malice, croissant avec l’âge du monde, rendit la vertu craintive ; simple et sans défiance jusque-là, celle-ci vivait dans les champs. L’égalité fut méprisée ; la modestie, la pudeur se perdirent ; l’ambition, la violence survinrent, et à leur suite les dominations. La prudence, contrainte par la nécessité et éveillée par la lumière naturelle, réduisit les hommes à l’état de société civile pour leur permettre d’exercer les vertus auxquelles la raison les incline. Au moyen de la voix articulée que leur donna la nature, ils purent s’expliquer mutuellement leurs pensées, se manifester les uns aux autres leurs sentiments et leurs besoins, s’enseigner, se conseiller et se défendre. Cette société une fois formée, on vit naître, du commun consentement, une puissance éclairée de la loi de nature, afin de conserver les parties diverses, de les main tenir en justice et en paix, en punissant les vices et récompensant les vertus. Comme cette puissance ne put pas rester répandue dans tout le corps du peuple, à cause de la confusion qui aurait régné dans les résolutions et l’exécution, comme il fallait nécessairement qu’il y eût quelqu’un qui commandât et quelqu’un qui obéit, on se dépouilla de la puissance, on la déposa en un seul, ou en un petit nombre, ou en un grand nombre, c’est-à-dire en l’une des trois formes de toute république, la monarchie, l’aristocratie ou la démocratie. »

Les théologiens et publicistes chrétiens qui invoquent une souveraineté primitive du peuple, laquelle est à leurs yeux de droit divin, supposent que cette souveraineté ne reste pas dans le peuple même in habitu, mais qu’elle est transportée tout entière aux pouvoirs quelconques institués par le peuple. En un mot, ils admettent que le contrat primitif par lequel le peuple institue ces pouvoirs est un contrat de donation, d’aliénation.

Le principe rationnel de la souveraineté du peuple. Les théoriciens rationalistes de la souveraineté du peuple professent que c’est dans le peuple, c’est-à-dire dans la société tout entière, qu’il faut placer la source, non-seulement primitive, mais permanente, de la souveraineté civile. Ils soutiennent que la souveraineté civile n’est pas susceptible d’être aliénée comme une propriété, qu’elle ne saurait en aucun cas être l’objet d’un contrat légitime de donation. L’acte qui établit le gouvernement peut fort bien retenir le nom de contrat, mais à condition qu’on entende par là un contrat de mandat, de délégation, de représentation, d’ailleurs implicite ou explicite, à condition qu’on n’y applique pas l’idée d’aliénation perpétuelle ou temporaire de la souveraineté sociale. On doit comprendre que le pouvoir existant quelconque n’exerce qu’une autorité empruntée, dérivée, dérivée non pas une fois pour toujours, mais constamment puisée dans la société, constamment soutenue par la société, faute de quoi il n’est plus qu’un fait de violence pure et ne se distingue en rien du brigand armé d’un pistolet dont parle Rousseau ; que les divers changements qui peuvent se produire dans la forme, le 110 :11, le personnel du pouvoir laissent le contrat social inaltéré parce qu’ils sont tous compris au même titre dans le seul droit de souveraineté qui en procède directement, le droit de la majorité. Il faut que le pouvoir existant soit considéré comme dépendant, comme relevant, comme émanant de la société, de la majorité de la nation ; il faut qu’il revête le caractère public, qu’il soit un pouvoir social ; là est son litre. À cette condition et moyennant l’idée de mandat, de délégation, de représentation, qui le lie a la société comme à sa cause et à sa fin, il se sépare de toutes les forées et puissances particulières que peuvent armer les unes contre les autres des buts et des intérêts privés ; à cette condition, il est légitime. On voit que Kant n’avilit qu’un pas à faine pour sortir tout à la fois de l’empirisme politique pur et du mysticisme monarchique et aristocratique. Il lui suffisait d’ajouter à la maxime chrétienne : «Tout pouvoir vient de Dieu, » ces quelques mots :«S il est vraiment public, vraiment social, s’il mérite le nom de pouvoir social, si l’on est fondé à voir en lui l’organe, le représentant, le mandataire de la société. 1

De ce principe sort naturellement ce qu’on peut appeler la légitimité démocratique. Même monarchique et héréditaire, le pouvoir n’est jamais qu’une institution sociale, que le produit d’un mandat social ; sa légitimité n’est qu’indirecte, et il lui est impossible de lui assigner une autre origine et une autre base que la souveraineté du peuple. C’est surtout dans la sphère des rapports internationaux que la nécessité s’impose clairement de considérer les pouvoirs comme les représentants des sociétés, en dépit des prétentions de plus

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en plus ridicules du légitimisme théocratique et mystique. Il est remarquable que sur ce point le droit international, où l’on voit les

fiouvoirs de haut s’accorde pleinement avec a philosophie du droit, où l’on envisage le pouvoir dans soi. essence et son idée. • Le principe de la souveraineté du peuple, dit Benjamin Constant, c’est-à-dire la suprématie de la volonté générale sur toute volonté particulière, ne peut être contesté. Tous les raisonnements pir lesquels on a cherché à l’obscurcir ne peuvent tenir contre la simple définition des mots qu’on emploie. La loi doit être l’expression ou de la volonté de tous ou de celle de quelques-uns. Or, quelle serait l’origine du privilège exclusif que vous concéderiez à ce petit nombre ? Si c’est la force, la force appartient à qui s’en empare ; elle ne constitue pas un droit, et si vous la reconnaissez comme légitime, elle l’est également quelles que soient les mains qui s en saisissent. Si vous supposez le pouvoir du petit nombre sanctionné par le sentiment de tous, ce pouvoir devient alors la volonté générale. »

— III. La nature bt les limites de la souveraineté. Après avoir posé que l’origine et le siège de la souveraineté politique sont dans le peuple, c’est-à-dire dans la volonté générale, il reste à en déterminer la nature, l’objet e ; les limites. La reconnaissance abstraite de la souveraineté du peuple n’augmente en rien la somme de liberté des individus, et si l’an attribue à cette souveraineté une latitude qu’elle ne doit pas avoir, la liberté peut être perdue malgré ce principe, ou même par ce principe. • Lorsqu’on établit, dit avec toute1 raison Benjamin Constant, que la souveraineté du peuple est illimitée, on crée et l’on jette au hasard dans la société humaine un degré de pouvoir trop grand par lui-même et qui est un mal, en quelque main qu’on le place. Confiez-le à un seul, à plusieurs, à tous, vous le trouverez également un mal. Vous vojs en prendrez aux dépositaires de ce pouvoir et, suivant les circonstances, vous accuserez tour à tour la monarchie, l’aristccratie, la démocratie, les gouvernements mixtes, le système représentatif. Vous aurez tort ; c’est le degré de force, et non les dépositaires de cette force qu’il faut accuser. C’est contre l’arme, et non contre le bras qu’il faut sévir. Il y a des masses trop pesantes po.ir la main des hommes. L’erreur de ceux qui, de bonne foi dans leur amour de la liberté, ont accordé à la souveraineté du peuple un pouvoir sans bornes vient de la manière dont se sont formées leurs idées en pelitique. Ils ont vu dans l’histoire un petit nombre d’hommes, ou même un seul, en possession d’un pouvoir immense, qui faisait beaucoup de mal ; mais leur courroux s’est dirigé contre les possesseurs du pouvoir, et non contre le pouvoir même. Au

j lieu de le détruire, ils n’ont songé qu’à le déplacer... Dans une société fondée sur la souveraineté du peuple, il est certain qu’il n’appartient à aucun individu, à aucune classe de soumettre le reste à sa volonté particulière ; mais i. est faux que la société tout entière possède sur ses membres une souveraineté sans bornes. L’universalité des citoyens est le souverain, dans ce sens que nul individu, nulle fraction, nulle association partielle ne peut s’arroger la souveraineté si elle ne lui a pas été déléguée. Mais il ne s’ensuit pas que l’universalité des citoyens ou ceux qui par elle sont investis de la souveraineté puissent disposer souverainement de l’existence des individus. Il y a, au contraire, une partie de l’existence humaine qui, de nécessité, reste individuelle et indépendante et qui est de droit hors de toute compétence sociale. La souveraineté n’existe que d’une manière limitée et relative. Au point où commencent l’indépendance et l’existence individuelles s’arrête la juridiction de cette souveraineté. Si la société franchit cette ligne, elle se rend aussi coupable que le despote qui n’u pour titre que le glaive exterminateur ; la société ne peut excéder sa Compétence sans être usurpatrice. L’assentiment de la majorité ne suffit nullement, dans tpus les cas, pour légitimer ses actes ; il en existe que rien ne peut sanctionner ; lorsqu’une autorité quelconque commet des actes pareils, il importe peu de quelle source elle se dit émanée, il importe peu qu’elle se nomme individu ou nation ; elle serait la nation entière, moins le citoyen qu’elle opprime, qu’elle n’en serait pas plus légitima. »

Hobbes a fondé sur la souveraineté illimitée du peuple la théorie du despotisme. Il commence par reconnaître un caractère absolu à la souveraineté, pour en conclure à la légitimité du gouvernement absolu d’un seul. Il prouve que les conventions des hommes ne suffisent pas pour être observées, il faut une force coercitivti pour les contraindre à les respecter ; que, la société devant se préserver des agressions extérieures, il faut une force commune qui arme pour la défense commune ; que, les hommes étant divisés par leurs prétentions, il faut des lois pour régler leurs droits. Il conclut du premier point que le souverain a le droit absolu de punir ; du second, que le souverain a le droit absolu de fuire la guerre ; du troisième, que le souverain est législateur absolu. Bien de plus faux que ces conclusions. Le souverain a le droit de punir, mais seulement les actions coupa

! blés ; il a le d : oit de faire la guerre, mais

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seulement lorsque la société est attaqu£t> ; il a le droit de faire des lois, mais seulement quand ces lois sont nécessaires, et en tant qu’elles sont conformes à la justice. Il n’y a, par conséquent, rien d’absolu dans ces attributions. La démocratie est l’autorité déposée entre les mains de tous, mais seulement la somme d’autorité nécessaire à la sûreté de l’association ; l’aristocratie est cette autorité confiée à quelques-uns ; la monarchie, cette autorité remise à un seul. Quels que soient ceux qui l’exercent, un seul, quelques-uns ou tous, la souveraineté est renfermée par la raison et la conscience dans des limites qu’elle ne doit pas franchir.

Rousseau a méconnu, comme Hobbes, cette vérité que la souveraineté a des limites rationnelles et morales, en d’autres termes qu’il y a à son action comme à son origine des conditions de légitimité. Il définit le contrat passé entre la société et ses membres l’aliénation complète de chaque individu avec tous ses droits et sans réserve à la communauté. Pour nous rassurer sur les suites de cet abandon si absolu de toutes lis parties de notre existence au profit d’un êlre abstrait, il nous dit que le souverain, c’est-à-dire le corps social, ne peut nuire ni à l’ensemble de ses membres ni à chacun d’eux en particulier ; que chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous, et que nu ! n’a intérêt de la rendre onéreuse aux autres ; que chacun se donnant à tous ne se donne à personne ; que chacun acquiert sur tous les associés les mêmes droits qu’il leur cède et gagne l’équivalent de tout ce qu’il perd avec plus de force pour conserver ce qu’il a. Mais il oublie que tous ces attributs préservateurs qu’il confère à l’être abstrait qu’il nomme le souverain résultent de ce que cet être se compose de tous les individus sans exception. Or, aussitôt que le souverain doit faire usage de la force qu’il possède, c’est-à-dire aussitôt qu’il faut procéder à une organisation pratique de l’autorité, comme le souverain ne peut l’exercer par lui-même, il la délègue, et tous ces attributs disparaissent. L’action qui se fait au nom de tous étant nécessairement, de gré ou de force, à la disposition d’un seul ou de quelques-uns, il arrive qu’en se donnant à tous il n’est pas vrai qu’on ne se donne à personne ; on se donne, au contraire, à ceux qui agissent au nom de tous. De là suit qu’en se donnant tout entier l’on n’entre pas dans une condition égale pour tous, puisque quelques-uns profitent exclusivement du sacrifice du reste ; il n’est pas vrai que nul n’ait intérêt de rendre la condition onéreuse aux autres, puisqu’il existe des associés qui sont hors de la condition commune. Il n est pas vrai que tous les associés acquièrent les mêmes droits qu’ils cèdent ; ils ne gagnent pas tous l’équivalent de ce qu’ils perdent, et lo résultat de ce qu’ils sacrifient est ou peut être l’établissement d’une force qui leur enlève ce qu’ils ont.

Le peuple, dit Rousseau, est souverain sous un rapport et sujet sous un autre ; mais, dans la pratique, ces deux rapports se confondent. Il est facile à l’autorité d’opprimer le peuple comme sujet pour le forcer à manifester comme souverain la volonté qu’elle lui prescrit. Benjamin Constant remarque très-, justement qu’aucune organisation politique ne peut écarter ce danger. On a bien divisé les pouvoirs : si la somme totale du pouvoir est illimitée, les pouvoirs divisés n’ont qu’à former une coalition, et le despotisme est sans remède. Ce quLnous importe, ce n’est pas que nos droits ne puissent être violés par tel pouvoir, sans l’approbation de tel autre, mais que cette violation soit interdite à tous les pouvoirs. Il ne suffit pas que les agents de l’exécution aient besoin d’invoquer l’autorisation du législateur, il faut que le législateur ne puisse autoriser leur action que dans leur sphère légitime. C’est peu que le pouvoir exécutif n’ait pas le droit d’agir sans le concours d’une loi, si l’on ne met pas de bornes à ce concours, si l’on ne déclare pas qu’il est des objets sur lesquels le législateur n’a pus le droit de faire une loi, ou, en d’autres termes, que la souveraineté est limitée et qu’il y a des volontés que ni le peuple ni ses délégués n’ont le droit d’avoir.

Reste une dernière question. D’après quel principe général seront fixées les limites delà souveraineté sociale ? Elles doivent l’être d’après le concept même de la société civile, do sa lin, qui est essentiellement juridique. Le but du contrat social n’est pas uniquement de procurer le bonheur aux membres de la société, mais de défendre et de garantir leurs droits. La liberté constitue non-seulement la limite, mais encore l’objet même de la souveraineté sociale. Instituée pour protéger le droit individuel contre les violences particulières, sl souveraineté est à plus forte raison tenue de le respecter.

Souveraineté du peuple (DE La), ouvrage posthume du comte Joseph de Maistre (l87ui in-8°). Le manuscrit porte les dates de 1794, 1795, 1796, Lausanne, et si l’auteur ne l’a pas publié lui-même, c’est qu’il en avait fait passer dans d’autres écrits les morceaux les plus importants.

Pour ceux qui connaissent les théories politiques et religieuses de l’auteur du Pape, la thèse soutenue dans cet ouvrage se devine ; elle peut d’ailleurs se résumer par son. épigraphe, tirée de Virgile : Non illi impe-