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matische werke, traduction allemande, par W. von Schlegel, terminée par Ludwig Tieck (Berlin, Remer, 1825) ; Tragedie di Shakspeare, recate in versi italiani da Michele Leoni (Pisa e Firenze, 1815). En outre, des traductions en vers ou des imitations de certaines pièces de Shakspeare sont dues à Ducis, Alfred de Vigny. Frédéric Soulié, Alexandre Dumas, Paul Meurice et Jules Lacroix.

— Bibliogr. Parmi les innombrables ouvrages relatifs à Shakspeare, nous nous contenterons de citer les suivants, qui ont le plus d’importance : Francis Meres, Palladis Tamia or the wit’s commonwealth (1598) ; Edward Philipps, Theatrum poetarum (1675) ; Dryden, The ground of criticism in tragedy (1679) ; Rymer, A short view of tragedy ; its original excellency and corruption, with some reflections on Shakspeare and other proctitioners for the stage (1693) ; mistress Lennox, Shakspeare illustrated, or the novels and histories on wich the plays of Shakspeare are founded, collecled and translated from the original authors (1753) ; R. Fariner, Essay on the learning of Shakspeare (1767) ; Elisabeth Montagu, Essay on Shakspeare compared with the greek and french dramatic poets (1769) ; Prescott, Shakspeare rara avis in teiris (1774) ; W. Richardson, Analysis and illustration on some of Shakspeare's dramatic characters (Londres, 1774) ; J. Uhlmann, Shakspeare in XVIten Jahrhundert (Vienne, 1783) ; Greisswald, Der Geist Shakspeare's(1786) ; Eschenburg, Über William Shakspeare (Zurich, 1787) ; Ed. Seymour, Remarks on the plays of Shakspeare (Londres, 1805) ; R. Wheler, Life of Shakspeare and copies of several documents relative to him and his family (Stratford, 1806) ; F. Donce, Illustrations of Shakspeare (Londres, 1807) ; Britton, Remarks on the life and writings of Shakspeare (1828) ; F. Horn, Shakspeare's Schauspiele ertœntert (Leipzig, 1822) ; Stendhal (Henry Beyle), Racine et Shakspeare (Paris, 1823) ; Shakspeariana, catalogue of all books, pamphlets, etc., relating to Shakspeare (Londres, 1827) ; Villemain, Nouveaux mélanges (Paris, 1827) ; H. Ulrici, Über Shakspeare's dramatisch Kunst (Halle, 1839) ; C. Brown, Poems autobiographical (Londres, 1838) ; Courtnay, Commentaries on historical plays (Londres, 1840) ; Collier, Index to Shakspeare (Shakspeare's library, Londres, 1843) ; Hunter, Illustrations of Shakspeare (1845) ; Halliwell, Life of Shakspeare (Londres, 1847) ; mistress Clarke, Concordance to Shakspeare (Londres, 1848) ; Coleridge, Notes and lectures on Shakspeare (1849) ; Gervinus, Shakspeare (Leipzig, 1852) ; Halliwell, Shakspearés relies (Londres, 1852) ; Philarète Chasles, Études sur Shakspeare (Paris, 1852) ; Collier, Notes and emendations to Shakspeare (1853) ; Singer, Vindication of Shakspeare's text versus Collier (Londres, 1853) ; Lacroix, Histoire de l’influence de Shakspeare sur le théâtre français (Bruxelles, 1856) ; Ch. Knight, Studies and illustrations of Shakspeare (Londres, 1859) ; S. Neil, Critical biography of Shakspeare (Londres, 1861) ; Simrock, les Sources de Shakspeare ; Fullom, History of Shakspeare (Londres, 1862) ; Victor Hugo, William Shakspeare (Paris et Bruxelles, 1864) ; H. Taine, Histoire de la littérature anglaise ; article Shakspeare, dans l’Encyclopédie nouvelle de Pierre Leroux et JeanReynaud. En 1841, il se fonda à Londres une Shakspeare Society qui a duré douze ans et dont le but était de mettre au jour tous les ouvrages rares ou précieux qui pouvaient jeter quelque clarté sur la vie, les œuvres ou les contemporains de Shakspeare. Dans l’espace de douze ans, cette société a publié quarante-huit ouvrages, dont la plupart ont grandement servi aux travaux dont l’histoire littéraire du XVIe siècle a été l’objet depuis.

Shakspeare (LES HÉROÏNES DE), par Henri Heine (Paris, 1839, in-8o). L’auteur du Reisebilder n’est rien moins qu’anglomane ; Shakspeare seul trouve grâce à ses yeux, et il consacre un volume à étudier ses héroïnes. L’humour de l’auteur ne se renferme pas d’ailleurs dans le sujet qu’il a entrepris de traiter ; ce n’est là qu’un cadre, qu’un prétexte choisi par ce railleur pour se moquer plus à l’aise des préjugés et des hommes. Ophélie, Desdémone ne sont là que pour servir de thème, et les variations qu’il brode à chaque instant sont parfois assez plaisantes. À propos de Porcia du Marchand de Venise et de Shyloek, il écrit « que son cousin, M. de Shylock, à Paris, est devenu le plus puissant baron de la chrétienté et qu’il a reçu de Sa Majesté catholique cet ordre d’Isabelle qui fut fondé jadis pour glorifier l’expulsion des juifs et des Maures de l’Espagne. » Le plus souvent, il ne se contient pas dans les limites (le la plaisanterie spirituelle ; ainsi, il s’exprime en ces termes sur le compte de la duchesse de Berry : « Une certaine Mme Caroline, qui, il y a quelques années, rôdait en province et particulièrement en Vendée, ne manquait ni de talent ni de passion, mais elle avait un trop gros ventre, ce qui nuit toujours à une actrice chargée de représenter les héroïques veuves de rois. » Ce qui donne à ce livre singulier une réelle importance, ce sont les lignes que Heine consacre aux écrivains qui se sont inspirés de Shakspeare. Il est facile de voir que c’est là le seul but auquel tendait le poète fort peu soucieux des héroïnes du grand tragique ; Victor Hugo est « le spectre d’un poète anglais du temps d’Élisabeth. » Henri Heine le croit inférieur, non-seulement à Shakspeare, mais aux contemporains du poète anglais. Il y a dans ces jugements plus de plaisanterie que de solide raison ; Henri Heine nous apprend gravement que, grâce à une indiscrétion du libraire Renduel, il a su que Victor Hugo avait des difformités soigneusement cachées, ce qui explique toutes les défectuosités de son style. Les épithètes se pressent en foule sous la plume de l’écrivain d’outre-Rhin : « C’est un revenant, un vampire ; il a la maladie de la mort et du laid. » Heine unit la muse du poëte avec Quasimodo. Alfred de Musset et A. de Vigny sont plus justement appréciés. Le jugement porté sur ce dernier mérite d’être cité : « Je dois aussi mentionner ici le comte Alfred de Vigny. Cet écrivain, qui possède la langue anglaise, a étudié très à fond les œuvres de Shakspeare ; il en a traduit quelques-unes avec une grande habileté, et cette étude a exercé sur ses travaux originaux la plus heureuse influence. Avec le sentiment subtil et délicat de l’art que l’on doit reconnaître au comte de Vigny, on peut admettre qu’il a sondé plus profondément qu’aucun de ses compatriotes le génie de Shakspeare. Mais le talent de cet homme, ainsi que sa manière de penser et de sentir sont portés au délicat et à la miniature, et ses œuvres valent surtout par la finesse et le fini du travail. Aussi m’est-il permis de croire qu’il s’est trouvé plus d’une fois déconcerté en présence de ces beautés puissantes que Shakspeare a pour ainsi dire taillées dans les plus énormes blocs de granit de la poésie. » Il serait difficile d’apprécier plus justement le talent d’Alfred de Vigny.

Shakspeare (William), roman de Mme Clémence Robert (1845, in-8o). La vie du célèbre tragique anglais était à peu près ignorée en France à l’époque où écrivait l’auteur. Mme Clémence Robert prétend avoir essayé de reconstruire cette vie en entier au moyen des rares indications biographiques contenues dans des ouvrages contemporains de Shakspeare, où se trouvent quelques notes, quelques réflexions rapides sur le poète et quelques dates qui marquent les principaux événements de cette existence. Suivant elle, ce roman n’a été que le prétexte d’intéressantes recherches, le cadre où placer cette grande figure ; mais en somme elle ne raconte que des fables.

Nous voyons d’abord Shakspeare adolescent, plein de l’horreur du négoce et attiré par sa vocation, se sauver de la maison de son père, honnête commerçant. Il devient l’hôte d’un puritain luthérien, réfugié dans une cabane au milieu d’une forêt pour échapper aux persécutions de la reine Élisabeth. Pendant deux ans, il y mène l’existence d’un braconnier avec Atteway et sa fille, qu’il épouse, puis qu’il quitte furtivement, attiré par une force mystérieuse vers le mouvement et la vie, surtout depuis qu’il a retrouvé un de ses compagnons d’enfance, Henri Southampton, dont la vue a réveillé sa passion pour le théâtre. William se rend à Londres pour s’engager dans un régiment et, mis par un caprice de la destinée en relation avec le directeur d’un théâtre de Londres, Johnson, qui devine le talent dramatique du jeune homme, il s’engage dans sa troupe ; il ne tarde pas à devenir un acteur célèbre et commence sa réputation d’auteur par la publication du Pèlerin passionné (c’est le titre d’une première édition des Sonnets, imprimés sans l’aveu de Shakspeare), de Périclès, de Henri VI et de la Tempête, qu’il compose en vivant avec une comédienne nommée Arielle. La sœur de Henri Southampton, l’altière Élisabeth, dont le poëte est amoureux, lui donne ses bonnes grâces ; mais un être difforme, repoussé de la société, une sorte de Quasimodo des forêts, du nom singulier de Minuit, lui prédit qu’il éprouvera de grands chagrins d’amour. Invité mystérieusement à une entrevue par Élisabeth pour dix heures du soir, le poëte croit toucher au moment du bonheur ; quel n’est pas son désappointement quand, arrivé à l’hôtel Southampton, il se trouve en présence d’une brillante réunion de seigneurs qui l’invitent à déclamer des vers. Il se venge de cet affront en leur jetant comme un défi, à la face et d’une voix vibrante d’inspiration et de colère, la fameuse tirade d'Othello contre la noblesse, puis il sort au moment où, blessés dans leur orgueil, ses auditeurs menacent de lui faire un mauvais parti. Pour tromper les souffrances de son amour déçu et de son amour-propre humilié, il boit jusqu’à l’ivresse et retourne à l’hôtel Southampton, pénètre jusqu’à la chambre à coucher d’Élisabeth, qu’il blesse par mégarde de la pointe d’un poignard en voulant lui faire violence. Rendu à sa lucidité ordinaire par la vue du sang, il sort après avoir obtenu son pardon, mais pas un seul mot d’affection de la fière patricienne. Le lendemain, il fête avec ses amis de la scène l’anniversaire de sa naissance, quand il est arrêté sur la plainte des seigneurs qu’il avait insultés. Shakspeare, le poète démocratique, est promptement rendu à la liberté en présence d'une émeute populaire et grâce à l’intervention de Henri Southampton ; mais, pendant son incarcération, Minuit a enlevé Arielle, que veut épouser un ministre anglais, lord Clarisson, et qui fait ainsi, sans le savoir, obstacle à l’hymen de ce ministre avec miss Élisabeth. William arrache Arielle des mains de Minuit, mais trop tard, car ce monstre a eu le temps de verser sur les lèvres de la jeune fille quelques gouttes d’un poison dont elle meurt. Fou de douleur, le poëte frappe Minuit de son poignard, sans le tuer heureusement, car il apprend que cet être dégradé est son frère. Élisabeth, par un singulier revirement, offre à Shakspeare son amour pour consolation, mais il le refuse et elle se retire dans un cloître. Dès lors, le poëte se repose des passions dans le travail. Pendant un orage, il rencontre une jeune fille dans un temple et apprend par ses réponses ingénues qu’elle est le fruit de son union avec Suzanne Attaway. Il renonce au théâtre et va s’établir avec sa femme et sa fille à la campagne, où il meurt,

Shakspeare et son temps, étude littéraire, par Guizot (1852, in-8o). Ce livre n’est autre chose qu’un Essai sur la vie et les œuvres de Shakspeare, que l’auteur avait publié en 1821 en tête d’une traduction des œuvres du poëte anglais, et qu’il a revu et complété. Il se compose de deux parties : d’abord l’Essai, puis des notices historiques et critiques sur les principales pièces de Shakspeare. Le côté le plus intéressant de l’ouvrage est l’appréciation du talent de Shakspeare. Les observations qu’il suggère à Guizot sont fort justes et dénotent des études très-sérieuses. Impossible de résumer en moins de mots et plus exactement le caractère de son génie : « C’est par le fond que Shakspeare excelle et par la forme qu’il pèche ; il démêle et met admirablement en scène les instincts, les passions, les idées, toute la vie intérieure des hommes ; c’est le plus profond et le plus dramatique des moralistes, mais il fait parler à ses personnages un langage souvent recherché, étrange, excessif, dépourvu de mesure et de naturel, singulièrement d’accord avec la langue anglaise. » Les événements ne sont pas, en effet, ce qui préoccupe Shakspeare ; il ne s’inquiète que des hommes qui les font. C’est dans la vérité dramatique, non dans la vérité historique, qu’il établit son domaine. Pour exposer un fait sur la scène, il n’ira pas s’informer minutieusement des circonstances qui l’ont accompagné, ni des causes diverses et multipliées qui ont pu y concourir. Ce n’est que la matière du drame ; ce n’est pas là que Shakspeare en cherchera la vie. Il prend le fait comme le lui livrent les récits et, guidé par ce fil, il descend dans les profondeurs de l’âme humaine. C’est l’homme qu’il veut ressusciter ; c’est l’homme qu’il interroge sur le secret de ses impressions, de ses penchants, de ses idées, de ses volontés. Il lui demande, non pas : « Qu’as-tu fait ? » mais : « Comment es-tu fait ? D’où est venue la part que tu as prise dans les événements où tu es mêlé ? Que cherchais-tu ? Que pouvais-tu ? Qui es-tu ? Que je te connaisse, je saurai tout ce qui m’importe dans ton histoire. » La puissance de l’homme aux prises avec la puissance du sort est le spectacle qui inspire Shakspeare, et nul n’a réuni au même degré le double caractère de l’observateur impartial et de l’homme profondément sensible, accessible à toutes les misères humaines. Tels sont les sentiments qui ont fait de lui le premier tragique des temps modernes. Mais, dira-t-on, ces qualités puissantes sont gâtées par des exagérations, des invraisemblances, des trivialités, des monstruosités. « Ces bizarreries, dit Guizot, ne peuvent assurément compter parmi les preuves de génie de Shakspeare, mais elles attestent l’empire qu’avait pris sur lui la grande pensée dramatique à laquelle il a tout sacrifié. Soit que dans ses pièces historiques il multiplie les invraisemblances et les impossibilités pour dissimuler le cours du temps, soit que dans ses plus belles tragédies, il le laisse fuir sans s’en inquiéter, c’est toujours l’unité d’impression, source de l’effet théâtral, qu’il poursuit et veut maintenir. Guidé par cet instinct, qui est la science du génie, le poëte sait que notre imagination parcourra sans effort avec lui le temps et l’espace, s’il lui épargne les invraisemblances morales qui pourraient seules l’arrêter ; c’est dans ce dessein que tantôt il accumule les invraisemblances matérielles, tantôt il épuise les habiletés de son art et, toujours attentif au but qu’il poursuit, il sait faire rentrer dans l’unité d’action ces artifices, ces moyens préparatoires qu’il emploie pour écarter ce qui troublerait l’illusion dramatique et disposer librement de notre pensée. L’action, pour être vaste, ne cesse pas d’être une, rapide et complète ; c’est que le poëte en a saisi la condition fondamentale qui consiste à placer le centre d’intérêt là où se trouve le centre d’action, et que le personnage qui fait marcher le drame est aussi celui sur qui se porte l’agitation morale du spectateur. »

Tels sont, d’après Guizot, les traits caractéristiques du génie de Shakspeare recueillis ça et là dans cette excellente étude. La partie critique et historique concernant les pièces du poëte est, bien qu’aussi consciencieuse, moins intéressante. L’ouvrage de Guizot est une bonne étude littéraire, écrite d’un style sévère et magistral.

Shakspeare (William), par Victor Hugo (1864, in-8o). Ce beau livre ne devait être d’abord que la préface de la traduction du grand poëte anglais par Fr.-V. Hugo ; mais rien qu’en touchant le sujet, l’auteur l’a agrandi, comme à son habitude. William Shakspeare, qui a paru sans être signé, bizarrerie assez singulière, n’est à proprement parler ni une biographie du poète, ni une étude de son génie ; c’est une apothéose des grands génies de tous les temps, à propos de Shakspeare. Suivant l’exemple d’Emerson qui, dans ses Représentants de l’humanité, a incarné dans six hommes l’humanité tout entière, V. Hugo prend douze poëtes ou écrivains : Homère, Eschyle, Job, Isaïe, Lucrèce, Juvénal, Tacite, saint Jean, Dante, Rabelais, Cervantes, Shakspeare, et, partant d’une théorie qu’il appelle la théorie des égaux, sans faire aucune comparaison entre ces illustres fondateurs de la littérature universelle, il les met en face les uns des autres et, en quelques pages consacrées à chacun d’eux, il met en relief, avec une énergie incomparable, le trait saillant, le caractère de l’écrivain, du poëte, la qualité qui le fait l’égal des plus grands, de manière à en présenter une image qui reste lumineuse dans l’esprit. Ces portraits, d’une couleur si vive qu’elle en est presque aveuglante, peuvent être critiqués ; ce sont moins des études réelles que des sortes de transfigurations poétiques. Les pages consacrées à Eschyle, qui est étudié deux fois dans ce livre, d’abord dans ce que l’auteur appelle la série des égaux, puis dans un chapitre à part intitulé Shakspeare l’Ancien ; les portraits de Tacite, de Juvénal, de Dante et de Rabelais sont surtout remarquables. C’est assurément la plus belle partie du livre, quoique les chapitres consacrés à Shakspeare même, à l’analyse de son génie, de ses passions, des ressorts de ses drames, aux calomnies et aux injures dont il fut abreuvé soient aussi fort beaux. Nous avons cité quelques-unes de ces pages et résumé les autres dans la biographie du poète. Mais Victor Hugo n’est pas Sainte-Beuve ; la critique minutieuse, appuyée sur des textes, des déductions, n’est pas son fait. Il peint à grands traits, s’élance dans l’espace à grands coups d’aile, et ce n’est quelquefois pas sans une certaine appréhension que l’on voyage si vite et si loin avec lui.

William Shakspeare est un livre qui secoue violemment l’intelligence et qui fait penser. L’auteur choque, il est vrai, notre amour-propre national en passant sous silence notre XVIIe siècle et en refusant de mettre au rang des grands poètes, des génies universels, sinon Racine, du moins Corneille ou Molière ; mais ce livre suscite une réflexion encore plus singulière. Par sa disposition, par ses aperçus comme par ses sous-entendus, il laisse voir que cette galerie de grands hommes n’est pas complète, qu’il en manque un, et le nom de celui-là est vingt fois sur les lèvres de celui qui lit ces pages fiévreuses. Aussi a-t-on dit avec autant de malice que de justesse que ce livre était un quinconce dont chaque allée conduisait au buste de Victor Hugo.

Shakspeare amoureux, comédie en un acte d’Alexandre Duval ; Théâtre-Français, 2 janvier 1804. Shakspeare s’est épris d’une jeune actrice, Clarence, à laquelle il enseigne l’art de la déclamation. Mais le professeur a un rival, un rival dangereux, riche et puissant, lord Wilson, qui pousse l’amour jusqu’au dévouement bien rare d’offrir sa main à la comédienne. L’homme de génie a bien des chances d’être sacrifié à son noble compétiteur, d’autant plus que l’ennemi a des intelligences dans la place : une soubrette peu sentimentale prêche à Clarence les avantages d’un mariage brillant, et Clarence, malgré quelques tirades vertueuses, paraît disposée à goûter ses conseils. Le poëte, qui vient donner sa leçon à la jeune fille, est invité à repasser plus tard parce que Mademoiselle est à sa toilette. Un autre se le fût tenu pour dit ; Shakspeare est plus tenace, il se dissimule derrière une porte, prête l’oreille aux complots qui se trament contre lui et apprend que le soir même lord Wilson doit être introduit mystérieusement par la soubrette : le mot d’ordre est Richard III. Maître de ce petit secret, l’amant évincé se retire, puis revient tranquillement donner sa leçon ; il apprend à Clarence comment il faut dire : « Je vous aime » et le lui fait répéter plusieurs fois. Sa jalousie éclate à la fin, en une tirade passionnée, et Clarence, qui croit entendre quelque fragment d’un nouveau drame, félicite son maître ; elle l’engage à aller promptement écrire ce beau morceau. Shakspeare se retire fort mécontent ; mais il se désole sans faire la part de l’inconstance de la femme « perfide comme l’onde. » Clarence s’est éprise de nouveau d’un si beau jaloux ; en vain la soubrette la presse d’assigner un rendez-vous à lord Wilson. La capricieuse enfant écrit au riche épouseur pour lui donner un congé en bonne forme ; la soubrette est chargée de le remettre à son adresse. À la porte, elle rencontre dans l’obscurité un homme enveloppé d’un grand manteau qui lui dit : « Richard III » et auquel elle remet le billet. Cet homme, c’est Shakspeare, qui s’est glissé à la faveur du mot d’ordre chez l’infidèle Clarence ; il s’élance dans l’appartement de sa maîtresse, l’accable de reproches, lui prodigue tout le répertoire d’épithètes familier aux amants abandonnés. Quand il a fini, Clarence lui fuit ouvrir enfin le billet où il trouve le secret de son bonheur. La toile tombe ; la pièce tomba aussi. La jolie scène de Shakspeare Othello ne put la sauver.


SHAKSPEARIEN, IENNE adj. (chèk-spi-ri-ain, i-è-ne). Littér. Qui est propre à Shak-