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ment accusé, sans fournir aucune pièce concluante à l’appui de leur thèse, s’il ne fit pas tout ce qu’il eût dû faire, déploya du moins plus d’activité que l’Assemblée législative et le pouvoir exécutif. Il avait ordonné au commandant général de diriger de nombreux détachements autour du Temple et des différentes prisons ; mais la garde nationale ne répondit pas aux réquisitions de Santerre. Il envoya dans la soirée de nouveaux commissaires, Truchon, Duval-Destain, Tallien et Guiraut, qui peut-être agirent mollement ou qui, dans tous les cas, ne réussirent pas mieux que les précédents. Dans la matinée du 3, il prit des mesures pour protéger les soldats suisses prisonniers au palais Bourbon. Une députation de la section des Quinze-Vingts étant venue au même moment demander la mort des conspirateurs et l’arrestation des femmes et enfants d’émigrés avant le départ des citoyens pour l’armée, le conseil s’empressa de passer à l’ordre du jour. Ses délibérations dans ces funestes journées portent la preuve de ses efforts, et Robespierre a pu dire sans rencontrer de contradicteurs ; « Il est certain, aux yeux de tout homme impartial, que le conseil général, loin de provoquer les événements du 2 septembre, a fait tout ce qui était en son pouvoir pour les empêcher. »

C’est aussi dans cette même matinée du 3 que la municipalité confia à Deltroy, à Manuel et à Robespierre la mission de protéger le Temple, de concert avec six députés désignés par l’Assemblée (dont cinq montagnards, Lacroix, Basire, Choudieu, Chabot et Thuriot ; le sixième était le vieux Dussault). On sait qu’un simple ruban tricolore suffit pour défendre l’entrée de la prison où était enfermée la famille royale, que le peuple jugeait sans doute moins redoutable que les autres prisonniers et que, d’ailleurs, on considérait alors comme des otages.

Ce jour-là enfin et les jours suivants, comme on peut s’en convaincre par les procès-verbaux, le conseil de la Commune s’efforça de calmer l’effervescence et d’arrêter l’effusion du sang.

On peut l’accuser d’indécision, de mollesse, mais non de complicité réelle, cela nous paraît incontestable. Quant au comité de surveillance, il y a de graves présomptions contre lui, mais cependant pas de preuves positives ; quelques-uns de ses membres approuvèrent le massacre quand il fut accompli ; mais ce serait aller trop loin que d’admettre que le comité l’a organisé. Ce qui semble certain, t’est que la plupart de ceux qui en faisaient partie, peut-être même tous, étaient en proie au même délire que la foule, à la même maladie de fureur et de soupçon ; ils voyaient partout des complots, des trahisons, des dépôts d’armes, etc. Le soir même du 2, ils firent faire des perquisitions chez le ministre Roland et chez Brissot. Cependant, dans cette même soirée, les tueries continuaient, en s’étendant de l’Abbaye à plusieurs autres prisons. Cette furie de meurtre prenait le caractère d’une folie comme en connurent les temps antiques et le moyen âge. On voulait purger Paris, non-seulement des aristocrates et contre-révolutionnaires, mais encore de tous ses éléments mauvais et dangereux, voleurs, faux-monnayeurs, fabricateurs de faux assignats, escrocs, filles publiques, etc. Une telle fièvre d’épuration, arrivée à cette intensité, semble plutôt du ressort de la pathologie que de l’histoire.

À l’Abbaye, après les exécutions que nous avons mentionnées, on jugea et on tua les juges de paix Buob et Bosquillon, qui avaient commencé une instruction contre les auteurs de la journée du 20 juin ; le comte de Wittgenstein, lieutenant général ; l’officier suisse Reding, de Maussabre, aide de camp de la garde du roi, l’officier de Laleu, etc. Dans la cour de Saint-Germain-des-Prés, théâtre des premiers massacres, on tuait aussi. Le comité civil, glacé d’horreur, ne fit rien, ne tenta rien, n’osa rien dire. Il consentit même à délivrer des bons de vin, de pain, de paille, de chaux, etc., pour les tueurs et pour les victimes. Ces scènes affreuses durèrent toute la nuit et devaient se prolonger encore.

À la Conciergerie et au Châtelet, le massacre commença tard, mais dura également toute la nuit, puis la journée du lendemain. Il n’y a aucune trace qu’il y ait eu dans ces deux prisons un simulacre de tribunal. Le conseil de la Commune avait rendu un arrêté pour protéger les détenus pour dettes, causes civiles, etc., mesure très-louable en soi, mais qui ressemblait à l’abandon des autres catégories de prisonniers. Au Châtelet, d’ailleurs, on tua pêle-mêle des voleurs, des prisonniers politiques, des falsificateurs d’assignats, etc.

La Force fut également envahie dans la soirée du 2 ; mais l’examen du registre d’écrou et l’installation d’un semblant de tribunal, analogue à celui de l’Abbaye, prirent assez de temps ; les exécutions ne commencèrent qu’à une heure après minuit. Un certain nombre de prisonniers furent mis à part pour être épargnés, enfermés dans la petite église Sainte-Catherine-de-la-Culture ; on leur fit prendre l’engagement de s’enrôler et de partir le lendemain même pour la frontière. Les commissaires de la Commune, Truchon, Tallien et Guiraud, firent sortir les détenus pour dettes et, en outre, vingt-quatre femmes, parmi lesquelles Mme et Mlle  de Tourzel, Mme de Saint-Brice et autres dames de la reine.

La princesse de Lamballe ne put être sauvée ; sa qualité de Bourbon, son intimité avec l’Autrichienne, qui l’avait employée à diverses intrigues politiques, la vouaient fatalement à la mort. Manuel cependant, accouru le 3 avec Pétion pour essayer d’intervenir, tenta de la sauver (comme il avait la veille contribué à sauver Mme de Staël) et quitta la Force, croyant avoir assuré son salut. Mais, comme nous l’avons raconté dans sa notice, dès le matin, elle fut traînée devant le redoutable tribunal et sacrifiée ; sa tête fut coupée et promenée dans Paris au bout d’une pique. Il est d’ailleurs plus que douteux que son corps ait subi toutes les mutilations affreuses qu’on a rapportées. V. Lamballe.

Le tribunal de la Force ne fut pas, comme celui de l’Abbaye, présidé pendant toute la durée du massacre par un seul et même individu ; il y a même une grande incertitude sur sa composition ; les juges, comme le président, changèrent plusieurs fois. Les relations varient sur les noms. Maton de La Varenne désigne Dangé, Michonis, Lesguillon, etc., membres de la Commune. Or, le municipal Michonis était un royaliste, un agent de la reine, qui trempa dans les intrigues pour enlever la famille royale du Temple et qui, plus tard, fut condamné par le tribunal révolutionnaire comme conspirateur royaliste. Cela rend sa présence à la Force un peu douteuse et montre avec quelle circonspection on doit accueillir les assertions diverses, même celles des témoins oculaires, dont le premier défaut est de ne pas s’accorder entre elles. Roch Marcandier désigne le greffier même de la prison, Fieffé, comme chargé des interrogatoires. Peltier (qui écrivait à Londres) rapporte que c’était Hébert qui présidait. D’autres désignent Lullier, Rossignol, Monneuse, etc. Ce qu’il y a de certain, c’est que plusieurs municipaux furent envoyés par la Commune en qualité de commissaires, dans le but de calmer l’effervescence, et qu’il semble avéré que quelques-uns siégèrent en écharpe, soit qu’ils voulussent modérer la furie des tueurs, comme c’était leur mission, soit qu’ils fussent dominés par eux, ce qui n’a rien d’improbable.

On sait d’une manière positive que les fonctions d’accusateur public furent remplies par un ancien huissier au Châtelet nommé Pierre Chantrot.

Parmi les détenus qui furent acquittés, citons Weber, le frère de lait de Marie-Antoinette, Lorimier de Chamilly, valet de chambre de Louis XVI, Bertrand de Molleville, frère de l’ancien ministre, Maton de La Varenne et plusieurs autres.

Au nombre des victimes figurèrent Baudin de La Chesnaye, un des commandants des Tuileries au 10 août, le commandant Rulhières, l’abbé Louis de Bardy, assassin de son propre frère, qu’il avait coupé par morceaux, etc. À ces meurtres en succédèrent beaucoup d’autres. La rue des Ballets, où était l’entrée de la prison, était encombrée de cadavres.

Au milieu de toutes ces horreurs et partout où le sang ne ruisselait pas, la population montrait un élan sublime ; les volontaires affluaient et venaient défiler devant l’Assemblée, le havre-sac au dos ; toutes les villes circonvoisines, toutes les communes environnantes envoyaient leurs contingents ; les grands volontaires de 92 entraient dans l’histoire ! Pendant toute cette semaine, il en partit chaque jour de Paris plus de 2,000, armés et équipés ; les routes se couvraient de patriotes en armes. La Commune fut obligée (exemple unique !) de prendre un arrêté pour modérer le mouvement, pour inviter les ouvriers des professions de nécessité première à ne pas quitter en trop grand nombre la capitale. Les acteurs de la rue Richelieu prirent, à la barre de l’Assemblée, l’engagement de se faire soldats dès que l’imminence du danger réclamerait la clôture des spectacles. Les dons patriotiques abondaient ; chose caractéristique, les riches mêmes donnaient ! les paysans donnaient ! Les femmes apportaient leurs bijoux et jusqu’aux ornements de leurs enfants. De toutes parts éclataient les manifestations de l’enthousiasme, du patriotisme et du plus pur dévouement.

Mais, hélas ! aux prisons, quel autre spectacle !

Près du pont de la Tournelle, on voyait encore à cette époque une grosse tour carrée, bâtie par Philippe-Auguste et qu’on appelait la tour Saint-Bernard (son emplacement est aujourd’hui compris dans les dépendances de la halle aux vins). Elle renfermait soixante-quinze malfaiteurs qui attendaient leur transfèrement aux galères ; dans la matinée du 3, les septembriseurs envahirent cette prison et tuèrent tous ces malheureux, à l’exception de trois. Un des massacreurs ayant commis un vol fut tué sur-le-champ par ses acolytes.

La même bande se rendit ensuite au séminaire Saint-Firmin, non loin de l’église Saint-Nicolas du Chardonnet, et où étaient enfermés des prêtres insermentés, qui furent exterminés en masse et sans simulacre de jugement. Dans cette bande figurait une femme qui se signala par son acharnement. Elle abattit, dit-on, à coups de bûche l’ancien curé de Saint-Nicolas. Cette furie se nommait Marie-Anne-Gabrielle, femme de François Vincent.

À l’Abbaye, les jugements et les exécutions continuaient, mais plus lentement. Vers dix heures du matin furent immolés l’abbé Lenfant, ancien prédicateur du roi, et l’abbé de Rastignac, ancien constituant. Quatre femmes se trouvaient à l’Abbaye ; une seule était sous le coup d’un mandat d’arrêt, la princesse de Tarente, dame d’honneur et amie de la reine, qui fut acquittée. Les trois autres étaient venues depuis quelques jours partager la captivité, l’une de son oncle, Mme de Fausse-Lendry, les deux autres de leurs pères, Mlle  Cazotte et Mlle  de Sombreuil. Mme de Fausse-Lendry, qui a laissé un récit de ces horribles épisodes, parut devant Maillard, qui la renvoya libre.

Cazotte (v. ce nom), à la fois conspirateur royaliste et visionnaire, était fort compromis ; mais sa fille attendrit les juges et les tueurs eux-mêmes par ses larmes et ses supplications et elle obtint la vie de son père.

Sombreuil, ex-gouverneur des Invalides, était plus difficile encore à sauver ; comme ennemi acharné de la Révolution, ayant poussé ses fils à s’enrôler dans les armées ennemies pour combattre la France, il était plus en danger que tout autre ; mais son admirable fille lutta si longtemps et avec tant d’âme, qu’elle arracha son acquittement, ou plutôt sa grâce. Maillard le couvrit d’un mot : « Innocent ou coupable, je crois qu’il serait indigne du peuple de tremper ses mains dans le sang de ce vieillard. »

Sombreuil, comme Cazotte, comme tous les autres acquittés, fut reconduit triomphalement aux cris de : Vive la nation ! Il est faux que les égorgeurs aient imposé à Mme de Sombreuil l’effroyable obligation de boire un verre de sang pour racheter la vie de son père. À l’article Sombreuil, nous donnons la réfutation complète de cette fable hideuse, avec tous les détails sur cet épisode mémorable, et qui ne peuvent trouver place ici.

Quelques heures plus tard, Joumiac Saint-Méard, également très-compromis comme aristocrate et pamphlétaire royaliste, sauva sa vie, d’abord en gagnant les bonnes grâces d’un des tueurs méridionaux par une conversation en patois provençal, ensuite en déployant beaucoup de présence d’esprit dans son interrogatoire. Il s’avoua franc royaliste, mais nia énergiquement qu’il eût conspiré. Comme il le rapporte lui-même dans sa fameuse relation, Maillard l’acquitta en prononçant ces paroles : « Ce n’est pas pour juger les opinions que nous sommes ici, mais pour en juger les résultats. »

À la Conciergerie, il y eut aussi des massacres ; mais on en connaît peu les détails ; quelques-uns même les ont niés. M. Firmin Didot, dans sa nouvelle édition des Mémoires sur les journées de septembre, déclare que, d’après les registres d’écrou, rien n’indique qu’il y ait eu des individus massacrés dans cette prison. Cependant, sans entrer dans une discussion critique qui nous mènerait trop loin, nous dirons sommairement que, s’il reste peu de traces bien authentiques des tueries de la Conciergerie, elles n’en paraissent pas moins avérées, et par quelques lignes des Révolutions de Paris (no 165, 8 sept. 1792), et par une mention dans le Bulletin du tribunal révolutionnaire (no 5), et par le registre des individus massacrés déposé à l’Hôtel de ville et dressé par ordre de la Commune peu de jours après les événements.

Il paraît que la Conciergerie renfermait beaucoup de femmes, qui furent toutes relâchées, à l’exception de la fameuse bouquetière du Palais-Royal, condamnée à la potence pour avoir mutilé son amant, un garde-française, à la façon d’Abailard, et qui depuis fort longtemps restait détenue sans que la sentence fût exécutée. Cette misérable fut tuée. On a supposé que d’anciens gardes-françaises avaient voulu venger leur camarade mort, en exerçant sur la bouquetière des mutilations analogues ; mais tous les détails monstrueux donnés par Roch Marcandier dans son pamphlet, et qui ont été reproduits trop complaisamment par de graves historiens, sont fort suspects et fort douteux. Bien mieux, le fait même de la présence de la bouquetière à la Conciergerie ne serait pas bien prouvé. Après avoir rapporté le récit traditionnel, M. Michelet ajoute une note : « Cet horrible fait n’est pas très-sûr. On dit que la bouquetière était à la Conciergerie, mais M. Labat a cherché inutilement son nom sur le registre d’écrou. »

Or M. Labat était le savant archiviste de la préfecture de police bien connu des érudits ; il était donc en position d’être bien informé.

D’après Maton de La Varenne, on tua à la Conciergerie 73 malfaiteurs. Le comité de surveillance avait saisi dans cette prison tout un matériel pour la fabrication de faux assignats et une pleine serviette de faux assignats déjà fabriqués (Moniteur, no 321).

Dans la journée du 3, une nouvelle panique se propagea : on disait partout que les prisonniers de Bicêtre, munis d’armes à feu et dirigés par les royalistes, se préparaient à commencer la contre-révolution. Plusieurs sections fournirent alors des détachements qui marchèrent sur Bicêtre avec leurs canons et se bornèrent, d’ailleurs, à investir l’établissement. Mais les égorgeurs vinrent à leur tour, de plus en plus affolés par la furie du meurtre et l’ivresse du sang ; ils tuèrent jusqu’au soir, puis reprirent le lendemain 4 leur horrible besogne jusqu’à trois heures de l’après-midi. Les victimes étaient des criminels, des malfaiteurs, de malheureux enfants mis en correction, et dont quelques-uns n’avaient que douze à treize ans ; enfin l’économe Béchet, qui d’ailleurs périt victime de la haine d’un prisonnier, suivant Prudhomine et Maton de La Varenne.

Enfin, une autre bande se porta sur la Salpêtrière ; des détachements de gardes nationaux avaient, dans la journée du 3, empêché l’envahissement de cette maison ; mais le lendemain, vers quatre heures, la horde revint, mit beaucoup de femmes en liberté et en tua 35, parmi lesquelles la fameuse empoisonneuse Desrues.

On ne pourrait indiquer le moment précis où finirent ces horreurs. Il paraît certain que le 5 et même le 6 il y eut encore çà et là quelques meurtres isolés.

Cependant, le premier moment de vertige et de stupeur passé, une réaction de justice et d’humanité se fit dans les consciences. Les autorités agirent un peu plus, quoique fort timidement encore. Pétion se transporta à la Force, Roland écrivit à l’Assemblée en des termes assez vagues et en parlant des massacres comme « d’événements sur lesquels il faut peut-être laisser un voile, » mais, en définitive, pour demander des mesures d’apaisement. Le conseil de la Commune, le 3, arrêta, en termes plus nets, qu’il fallait « s’en remettre à la loi de la punition des coupables. » Il désavoua aussi formellement les massacres en couvrant d’applaudissements et de marques de sympathie un citoyen qui vint annoncer à la barre qu’il se chargeait de nourrir et de loger un pauvre prisonnier échappé au carnage de la Force.

Mais on sait qu’à ce moment de crise tous les pouvoirs publics étaient sans force et flottaient pour ainsi dire à l’aventure, sans unité, sans cohésion, sans autorité réelle.

Le soir de ce même jour (3), une circulaire émanée du comité de surveillance fut expédiée dans tous les départements ; elle contenait une apologie officielle des massacres, avec invitation à les imiter. On a répété, sur la foi de Mme Roland et de quelques autres écrivains hostiles, que cette circulaire était partie sous le couvert du ministère de la justice. Rien n’est moins prouvé (v. Danton). Ce qu’il y a de certain, c’est que la pièce était signée des noms de tous les membres du comité ; mais plusieurs, et notamment Desforgues, ont protesté avec énergie contre l’accusation d’avoir coopéré à cet acte de folie furieuse, et, en outre, l’original de la circulaire n’a jamais été retrouvé. Comme elle fut imprimée chez Marat, plusieurs historiens ont conjecturé qu’il en était seul l’auteur et que, de sa propre autorité, il l’avait revêtue de la signature de ses collègues. Cela n’est pas impossible ; mais c’est une conjecture. Une chose probable, c’est que plusieurs membres du comité approuvaient secrètement les massacres ; mais, répétons-le, il n’y a pas de preuves formelles que le comité, collectivement et en tant que pouvoir public, en ait pris l’initiative et les ait organisés.

Nous avons sous les yeux une pièce officielle adressée par le comité de surveillance à la municipalité de Versailles, le 5 septembre, et qui porte ceci : « Nous trouverons toujours bon ce que feront nos frères de Versailles pour s’assurer des conspirateurs qu’ils nous dénoncent ; mais nous les invitons à les conserver encore sous leur surveillance, nos prisons n’étant pas encore à l’abri des justes vengeances du peuple. Dans peu de jours, nous ferons part à nos frères de nos résolutions définitives, d’après les circonstances. »

Il résulte de cette pièce, d’une authenticité incontestable, que si le comité s’incline devant l’horrible fait accompli en qualifiant les tueries de « justes vengeances, » il s’oppose néanmoins à l’envoi de nouveaux prisonniers, dans la crainte qu’ils ne soient sacrifiés.

Cela est formellement en contradiction avec le rôle qu’on lui prête.

Quant au salaire qui aurait été promis et payé aux massacreurs, on sait que de nombreuses controverses ont eu lieu. M. Granier de Cassagnac et autres écrivains ont imprimé des pièces, des bons, des reçus, etc., pour établir que la Commune et son comité de surveillance avaient régulièrement soldé l’assassinat, comme un « travail. » Nous n’entrerons pas ici dans les détails fort compliqués de cette discussion ; mais, tout examiné et avec l’indignation que nous inspirent les massacres de septembre, nous demeurons convaincu que cette opinion repose sur une équivoque. Les Comptes de la Commune et les autres pièces nous fournissent la preuve péremptoire que ces « travailleurs » dont il est question sont les hommes qui ont été occupés à enlever les corps, ranger les dépouilles, laver le sang, conduire et enterrer les victimes, etc., et non point les massacreurs. Les textes en font foi, et il faut les torturer pour y voir autre chose. Qu’on lise et qu’on relise les Comptes de la Commune, où toutes les dépenses de ces fatales journées sont détaillées avec minutie, et l’on n’y découvrira pas un article qui se rapporte à un salaire donné aux exécuteurs. D’ailleurs, veut-on une autre preuve ? 24 livres par jour auraient été, dit-on, accordées aux égorgeurs ; or, le total des sommes dépensées s’élevant à 1,464 livres, il en résulterait que 61 personnes seulement auraient coopéré aux massacres, ce qui est absurde.