Page:Larousse - Grand dictionnaire universel du XIXe siècle - Tome 13, part. 3, Rech-Rhu.djvu/353

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cessante de la science et du droit. Expliquer le coup d’État du 2 décembre et démontrer que, malgré son auteur, il a fait faire un pas de plus à la révolution sociale, voilà le but que s’est proposé Proudhon. Le socialisme était alors le bouc émissaire auquel on attribuait la chute de la République, la déchéance du peuple français et la facilité avec laquelle s’étaient accomplis les événements du 2 décembre. Proudhon se leva pour défendre le socialisme. Il annonça que le nouveau gouvernement, en dépit de lui-même, ne pouvait que lui venir en aide et déclara que la République était tombée, non à cause des idées socialistes qui s’étaient produites, mais par les fautes des révolutionnaires. Prenant la France au 24 février 1848, il se demande quelle était sa situation et si la révolution en a tiré le meilleur parti possible. Il existait en France à ce moment : 1° un clergé organisé ; 2° une armée permanente de 400, 000 hommes ; 3° une centralisation administrative dont tout le monde connaît les effets ; 4° une magistrature fortement hiérarchisée ; 5° des partis nombreux qui troublaient la patrie tout en déclarant vouloir son bien ; 6° la nation divisée, sous le rapport des intérêts, en trois catégories : la bourgeoisie, la classe moyenne, les ouvriers ou le prolétariat. En face de cet état de choses, quelle a été l’attitude des révolutionnaires de février ? Restait-il quelque chose à abolir ou bien n’avions-nous qu’à améliorer ? se demande Proudhon. Dans le premier cas, pourquoi l’abstention du Gouvernement provisoire ? Dans le second, pourquoi avoir chassé Louis-Philippe et que signifiait la république ? Ou les chefs de la démocratie trahissaient leur mandat, en gardant le statu quo, ou il ne fallait voir en eux que des usurpateurs. L’occasion était belle pour faire une France révolutionnaire et bien mériter de la patrie. Les chefs de la démocratie ont préféré en appeler au peuple, à ses hésitations, à ses craintes ; de là tous nos malheurs, car l’éducation du peuple n’était pas complète. En un mot, ce qui a empêché la démocratie de 1848 de prendre une initiative révolutionnaire, c’est le trop grand respect de son principe populaire, l’horreur de la dictature. Ce qui a nui surtout, ajoute Proudhon, au développement du principe révolutionnaire, c’est le préjugé du progrès, dans la vulgaire acception du mot. « Le vulgaire, dit-il, croit qu’une révolution doit amener nécessairement et immédiatement des améliorations ; c’est une erreur, puisque toute révolution est essentiellement négative. La révolution sape et détruit de fond en comble ; c’est son œuvre ; au temps et aux hommes incombe le soin de réédifier sur de nouvelles bases. Il est donc absurde de demander à une révolution des progrès immédiats, un corps de doctrine, un programme. » C’est donc à toutes ces causes, hésitation, faiblesse de compréhension, suffrage universel, préjugé de progrès, mais non point au socialisme, que nous devons rapporter, d’après Proudhon, la chute du principe révolutionnaire. Le 2 décembre a donc été naturellement amené par les événements. Dans le chapitre extrêmement remarquable qui est intitulé le Deux décembre, Proudhon s’attache à indiquer la nature du nouveau gouvernement. Louis-Napoléon ne s’explique, d’après lui, ni par l’Empire tel que le comprenait son oncle, ni par la monarchie constitutionnelle et légitime, ni par une république de modération et de vertu ; il ne reste donc que la révolution démocratique et sociale. Peut-être Louis-Napoléon ignoret-t-il son origine, mais, malgré lui, il ne peut se séparer de la société dont il est devenu le chef ; cette société qu’il représente, elle l’entraîne peut-être malgré lui. Il représente, comme l’a dit l’Église, « l’impiété révolutionnaire, » c’est-à-dire le nivellement des classes, l’émancipation du prolétariat, le travail libre, en un mot le socialisme.

Après avoir dit ce qu’était le 2 décembre par la nécessité des choses, Proudhon se demande quel sera le résultat immédiat du coup d’État et y voit le rétablissement de l’empire. Mais Louis-Napoléon, lors même qu’il se ferait sacrer par le pape, ne serait pas plus l’empereur que Charlemagne, acclamé en 800 par le peuple romain, ne fut César. Si l’on examine attentivement le nouveau gouvernement, on verra qu’il se meut dans une sphère d’idées à lui ; sorti de la révolution, il ne l’accepte que sous bénéfice d’inventaire et dans la mesure de ses propres pensées. Au lieu de se subordonner à elle, il tend, par une opinion exagérée de ses pouvoirs, à la subordonner à lui. Enfin, ayant contre lui tous les partis, il se trouve dans la nécessité de diviser ses adversaires et, pour se maintenir, d’invoquer tour à tour la révolution et la contre-révolution. Proudhon l’adjure d’affirmer la révolution, d’entrer franchement dans la voie du progrès et de la liberté.

Revenons à l’idée générale qui domine le livre de Proudhon et qui n’est autre que la négation de l’autorité. L’auteur cherche à se rendre compte de la secousse du 2 décembre ; il exalte le socialisme et sa puissance intrinsèque. Seul, selon lui, il constitue la révolution ; sans la révolution sociale, la république n’a plus de sens. Dans la société telle qu’elle est constituée, le gouvernement ne peut résulter que d’une délégation, d’un consentement libre et spontané de tous les individus qui composent le peuple, chacun d’eux stipulant et se cotisant pour la garantie de ses intérêts ; si bien que le gouvernement, au lieu d’être l’autorité, représente le rapport de tous les intérêts qu’engendrent la propriété libre, le travail libre, le commerce libre, le crédit libre, la science libre. « Au fond le gouvernement représentatif a pour emblème et peut être défini un assignat. » Mais supposons que le gouvernement, au lieu d’être considéré comme la représentation du rapport social, devienne ce rapport lui-même ; dès ce moment, comme ce rapport est tout idéal, le gouvernement cesse. Donc, qui dit gouvernement représentatif dit rapport des intérêts ; or un rapport, c’est-à-dire une formule algébrique, n’ayant pas de représentant, qui dit rapport des intérêts dit absence de gouvernement. Depuis 1789, le résultat le plus positif de tous les gouvernements qui ont passé sur la France a été de mettre en lumière cette dernière formule. En se plaçant à ce point de vue théorique, le nouveau gouvernement, par sa forme, par son appel au suffrage universel, par sa situation entre les partis, a fait faire un pas de plus à la révolution sociale.

Nous ne nous arrêterons point ici à discuter la théorie philosophique soutenue par Proudhon. Dans son ouvrage, abandonnant le fouet d’Aristophane, il vient sans fiel, sans colère, juger un de ces événements qui l’ont blessé jusqu’au fond du cœur ; il est bien peu de chapitres qui ne fourmillent d’idées nouvelles. Un des plus remarquables est celui qui a pour titre l’Horoscope ; nous le recommandons aux historiens de l’avenir ; c’est là qu’on devra aller chercher l’idée d’une nouvelle histoire de Napoléon Ier, pour faire la contre-partie des apothéoses fanatiques en vogue. Quant au style, le plus bel éloge qu’on en puisse faire, c’est de constater qu’il est merveilleusement approprié aux pensées ; il est souvent railleur, mais sans amertume, et est aussi curieux par ce qu’il fait entendre que par ce qu’il dit nettement.


Révolution religieuse au XIXe siècle (LA), par F. Huet (Paris, 1868, in-12). M. Huet, qui a commencé par poursuivre la conciliation du catholicisme avec la philosophie, se révèle dans ce dernier ouvrage comme un libre penseur religieux. L’auteur n’appartient à aucune secte, à aucune religion établie. Il se place en dehors et au-dessus de toutes les religions. Aussi, avec quelle sereine impartialité il fait à chacune sa part ! Il montre tour à tour que toutes les Églises actuelles traversent une crise analogue, qu’il y a révolution à la fois dans le judaïsme, dans le protestantisme et dans le catholicisme. Toutes les religions ont leurs orthodoxes et leurs libêraux ; partout la lutte, c’est-à-dire partout un besoin de transformation. Le libéralisme chez les Israélites est représenté par MM. Salvador, Grætz, Philippson, Cohen ; chez les protestants, par MM. Coquerel, Martin-Paschoud, Scholten, Réville, Colani, Pécaut, Reuss, Nicolas, Buisson, Fontanès, Pellissier, etc. ; enfin, chez les catholiques, par les vrais gallicans, dont Bordas a été le plus hardi et le plus libéral. Ainsi, de toutes parts le même mouvement, les mêmes aspirations. Toutes les religions sont en travail, et l’exégèse moderne a mis à nu leurs fondements. Leur base est ébranlée, elles le sentent elles-mêmes ; de là leurs efforts pour se transformer et se raffermir. Vains efforts ! le genre humain touche à son âge de raison. « Les vérités morales, dit Huet, ne peuvent plus être acceptées sous l’ancienne forme de l’orthodoxie. Le peuple lui-même, dans les pays civilisés, aspire à la certitude de la science. Après avoir bercé la jeune imagination du genre humain, les conceptions surnaturelles et légendaires ont perdu leur sens pour une raison plus mûre, et le rôle des vieilles institutions religieuses est terminé. Les services rendus dans d’autres âges ne sauraient suppléer à l’impuissance de satisfaire les besoins du nôtre. »

Examinant la situation actuelle des esprits, Huet voit, d’un côté, la philosophie issue de l’hellénisme grec et, de l’autre, la religion. À cette occasion, il s’occupe du christianisme et de l’objet que se proposa le Christ. « Jésus, dit-il, voulut une révolution à la fois morale, religieuse, sociale et politique ; ses actes le prouvent plus clairement encore que ses paroles. Jésus ne fut point étroitement Juif, mais il fut patriote, et il ne devait point se détacher d’une des nationalités les plus nobles de l’ancien monde. Jésus ne fut point un ambitieux vulgaire, mais il poursuivit le triomphe de la justice de Dieu sur la terre comme au ciel, et, pour le triomphe de la justice, il compta sur le secours de Dieu et du peuple. » Cette thèse, combattue par la plupart des théologiens de l’école libérale protestante, paraît à Huet une des originalités du christianisme tel que, selon lui, le comprit Jésus. Il en est autrement dans le quatrième évangile et dans les épîtres de saint Paul. La réforme sociale y est passée sous silence ; le christianisme y est présenté comme une religion purement spirituelle, intérieure et mystique. Au lieu de la réforme sociale, on prêche la résignation et le droit divin des rois. Aussi Huet n’hésite-t-il pas à proclamer la supériorité de la tendance judéo-chrétienne sur la théologie paulinienne et la théologie johannique. Selon lui, Jean et Paul semblent prendre à tâche de dissimuler l’idée messianique ; ils l’embaument, pour ainsi dire, et la mettent en sûreté au ciel jusqu’à ce que les temps s’accomplissent et qu’elle puisse redescendre sur la terre. C’est dans l’alliance des institutions religieuses et politiques que Huet voit la grandeur de la race juive et de la religion chrétienne. Sur ce point, il se sépare, comme on voit, de nos penseurs qui réclament avec tant d’énergie la séparation de l’Église ou plutôt des Églises et de l’État. L’auteur, arrivé à la conclusion de sa thèse, laisse entrevoir en ces termes l’avenir des religions et l’issue, d’après lui nécessaire, de la crise actuelle ;

« Dans l’ordre moral, dit-il, comme dans l’ordre physique, rien ne périt, tout se transforme. À mesure qu’elle se dégagera du surnaturalisme de son enfance pour se fondre avec la philosophie, la religion, loin de perdre son influence, satisfera plus complètement un vrai, un impérissable besoin de l’âme humaine. La philosophie, à son tour, ne développera toute sa force qu’en s’étendant jusqu’à devenir religieuse. J’entends par là qu’elle doit embrasser la vie humaine entière et dans tous ses rapports, reprendre le domaine abandonné’aux sacerdoces, concilier le sentiment avec la raison et, au besoin, susciter des institutions protectrices de la moralité et de la vertu. Une religion scientifique et par conséquent progressive, une philosophie religieuse, ou, pour mieux dire, la synthèse, la combinaison supérieure des religions et des philosophies du passé, revivifiées, agrandies par le concours fécond de toutes les sciences, telle est, à nos yeux, l’issue naturelle et nécessaire de la révolution actuelle. Le salut est devant nous ; il n’est point dans un inutile retour au passé. Notre âge n’a pas le choix ; les récriminations, les plaintes n’y peuvent rien ; des lamentations n’ont pas le pouvoir de ressusciter les morts… On sent qu’une époque organique va s’ouvrir. Le XIXe siècle, sur la fin de son cours, doit affirmer la foi nouvelle ; mais le premier acte de cette foi est de renoncer au passé. »


Révolutions (LES), par Pascal Duprat (Paris, 1868). Ce sont des pensées détachées sur les révolutions, les faux jugements dont elles sont l’objet, leurs conditions de légitimité, les qualités qu’elles exigent, les causes qui les produisent, les moyens qui en assurent le succès, les causes qui les font échouer ; sur les révolutions militaires, les révolutions de palais, les contre-révolutions ou réactions politiques, les dictateurs et dictatures, l’esprit révolutionnaire, etc. Pour donner une idée de la manière de M. Duprat et de l’esprit dans lequel est écrit son ouvrage, nous citerons les réflexions suivantes:

« Le plus grave reproche qu’on adresse aux révolutions, c’est de troubler la marche des faits. Voilà ce qu’a dit et répété bien des fois cette école historique dont Savigny a été le chef en Allemagne et dont Burke exprimait déjà les idées en Angleterre quand il publia son pamphlet contre la Révolution française. On fait ainsi de l’histoire une sorte de végétation qui doit être abandonnée à la nature et sur laquelle l’homme ne peut porter la main sans commettre une espèce de sacrilège. Doctrine fausse et dangereuse ! Spontanée à son origine, comme tous les faits humains, l’association politique ou la cité, pour employer l’expression des anciens, devient plus tard une œuvre scientifique.

« Il a été question plus d’une fois de l’inutilité des révolutions. Cette doctrine n’est pas d’accord avec l’histoire… On peut dire, à la honte des gouvernements, que les droits les plus précieux ont dû être conquis. Comment l’Europe est-elle sortie du servage ? Par le soulèvement des communes, qui prit quelquefois le nom peu pacifique de conjuration. Il a fallu quarante ans de luttes pour arracher l’Angleterre au despotisme des Stuarts. Un soulèvement national a fondé l’indépendance de la Hollande. Cette république des États-Unis, qui fera bientôt équilibre à l’Europe, a eu la même origine. Enfin, n’est-ce point par un effort sans exemple dans le monde que la France a brisé, sur la fin du dernier siècle, toutes les tyrannies du passé ?

« Toute révolution qui introduit un droit ou une liberté dans le monde doit être considérée comme légitime, car elle agrandit le patrimoine de l’humanité.

« Toute révolution qui n’a point pour objet le triomphe d’un droit contesté ou d’une liberté méconnue doit être considérée comme illégitime. Ce n’est qu’une course de forbans à travers la société.

« Malheur au peuple que tous les changements attirent ! Il ressemble à ces arbres des bords de la mer que le souffle des tempêtes secoue sans cesse et qui ne tardent pas à être déracinés.

« Malheur au peuple qui accepte et subit tous les changements avec une sorte d’indifférence ! Il marche à grands pas vers la servitude, s’il n’est point déjà dans les mains d’un maître.

« Pascal a dit, dans cette satire amère que lui a inspirée le spectacle de l’humanité : « La justice sans la force est impuissante ; ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste. » Voilà, en effet, comment se sont fondés en général les gouvernements. Or, il y a des révolutions qui, en changeant les conditions du pouvoir, ont pour but de mettre la force dans les mains de la justice ; comment contester leur légitimité ? Toutes celles qui tendent à mettre la justice dans les mains de la force ne font que ramener l’humanité en arrière et sont par la même illégitimes. »


Révolutions romaines (LES), par l’abbé Vertot. V. ROMAINES.


Révolutions de Portugal, par l’abbé Vertot. V. Portugal.


Révolutions de Suède, par l’abbé Vertot. V. Suède.


Révolutions d’Italie, par Denina. V. Italie.


Révolutions d’Italie, par Edgar Quinet. V. Italie.


Révolutions d’Italie (HISTOIRE DES), par Ferrari. V. Italie.


Révolutions du langage en France (LES), par M. Francis Wey. V. langage.


Révolutions de la parole (LES), par Bancel. V. PAROLE (révolutions de la).


Révolutions de France et de Brabant, et des royaumes qui, demandant une assemblée nationale et arborant la cocarde, mériteront une place une place dans ces fastes de la liberté, par Camille Desmoulins, de la Société de la Révolution.

Tel est le titre, un peu singulier, il faut en convenir, de ce journal célèbre, l’une des feuilles les plus intéressantes de la période révolutionnaire et certainement la plus remarquable au point de vue littéraire.

Déjà classé au premier rang des publicistes par sa France libre et son Discours de la lanterne aux Parisiens, Desmoulins publia le premier numéro de ses Révolutions le 28 novembre 1789 ; il avait pris pour épigraphe : Quid novi ? Quant à son titre, il s’explique par l’enthousiasme qu’avait provoqué chez nous le soulèvement de la Belgique ; il partageait les illusions de la Franco d’alors sur ces troubles fomentés par les prêtres et auxquels on prêtait gratuitement un caractère démocratique. Mieux éclairé, il déclara dans son n° 60 qu’il abandonnait un peuple assez stupide pour baiser la botte du général Bender. Mais ce ne fut qu’au n° 73 qu’il effaça le mot Brabant de son titre.

Dans ce journal, qui était en réalité bien plutôt un pamphlet périodique qu’une gazette, Camille fut ce qu’il était dans tous ses écrits, étincelant de verve, d’enthousiasme et de gaieté, mordant et railleur, parfois même jusqu’à la cruauté, avec ses contradictions, ses engouements, ses naïvetés piquantes, ses attendrissements et ses colères. Dans cette guerre d’avant-garde qu’il faisait à la monarchie, à la noblesse et au clergé, il se déclara, avec sa hardiesse habituelle, partisan convaincu de la république, comme il l’avait fait déjà dans son premier écrit, la France libre, appelant Marie-Antoinette la femme du roi, Louis XVI M. Capet l’aîné, etc.

Après la fuite de Varennes surtout, il redouble de véhémence :

« Qu’un roi, dit-il, soit corrupteur, accapareur, escroc, féroce, faux-monnayeur, parjure, traître, c’est sa nature de dévorer la substance des peuples et d’être mangeur de gens, et je ne peux pas avoir plus de haine contre lui que contre un loup qui se jette sur nous ; comme le tigre quand il suce le sang du voyageur, l’animal roi ne fait que suivre son instinct quand il suce le sang du peuple… »

À propos de la fuite du roi, il écrit :

« La motion suivante fut faite en plein Palais-Royal (probablement par lui) : Messieurs, il serait très-malheureux, dans l’état actuel des choses, que cet homme perfide nous fût ramené ; qu’en ferions-nous ? Il viendrait, comme Thersite, nous verser ces larmes grasses dont parle Homère. Si on le ramène, je fais la motion qu’on l’expose pendant trois jours à la risée publique, le mouchoir rouge sur la tête, qu’on le conduise ensuite par étapes jusqu’aux frontières, et qu’arrivé là on lui donne du pied au c..,. >

À propos de ce passage, Michelet dit :

« Cette folie était peut-être ce qu’il y avait de plus sage. Si Louis XVI était dangereux dans les armées étrangères, il l’était bien plus encore captif, accusé et jugé, devenant pour tous un objet d’intérêt et de pitié. La sagesse était ici dans les paroles de l’enfant… On trouvait le roi avili, dégradé par son mensonge ; il fallait le laisser tel ; plutôt que de le punir, on devait l’abandonner comme incapable et simple d’esprit ; c’est ce que dit Danton aux Jacobins ; le déclarer imbécile, au nom de l’humanité. »

Une autre fois qu’on avait lu à l’Assemblée des bulletins de la santé du roi, qui était enrhumé, l’impitoyable journaliste, trouve que c’est avilir la représentation nationale, et il s’écrie :

« Je m’étonne que les médecins n’apportent pas en cérémonie l’urinal et la chaise percée du prince sous le nez du président et de l’Assemblée, et que celle-ci ne crée pas exprès un patriarche des Gaules pour faire la proclamation des selles du grand lama… Quel est le plus vil adulateur, du sénat dans la cuisine de Tibère ou du sénat dans la garde-robe de Louis XVI ? »

Toutes ces hardiesses attirèrent à l’audacieux journaliste des persécutions de toute nature. Découragé, d’ailleurs, par la marche rétrograde des événements, il fut définitivement obligé de quitter la lice après le massacre du Champ-de-Mars et même de se déro-