et d’Italie, puisant la science à toutes les sources, apprenant la langue de tous les peuples (il en connut jusqu’à vingt-deux) et cherchant pour son nom féodal une illustration nouvelle, noble et légitime renommée, acquise par le plus opiniâtre travail, et devant laquelle pâlit le vain éclat de la puissance et des richesses. Personne, ni dans l’antiquité ni dans les temps modernes, n’a porté dans l’étude une ardeur plus passionnée ; nul n’a trempé des lèvres plus avides à la coupe du savoir ; il y but à longs traits et sans mesure, il y but jusqu’à l’enivrement ; car, après avoir parcouru le cercle des connaissances de son temps, il se plongea avec une folle ardeur dans l’étude des inepties de la cabale, de l’astrologie judiciaire et de l’Ars magna de Raymond Lulle. Mais c’était là l’esprit de l’époque ; et les plus nobles intelligences subissaient, comme la multitude, le joug des plus honteuses superstitions. À vingt-quatre ans (1486), il vint à Rome et adressa un audacieux défi aux savants de toute la terre en publiant une suite de 900 propositions sur tous les objets des sciences, qu’il s’engageait à soutenir dans des discussions publiques. Ce sont les fameuses thèses De omni re scibili, comme les nommait le ieune prince ; Voltaire ajoute et de quibusdam aliis ; et cette addition si connue est restée la critique la plus piquante des prétentions du jeune érudit. Ces thèses auraient aujourd’hui moins d’adversaires et moins d’admirateurs. Tout en témoignant des études immenses de l’auteur, elles accusent la fausse direction de la science contemporaine. Quoi qu’il en soit, de graves docteurs furent effrayés de cet appareil scientifique. Au lieu de se mesurer avec lui, ils le dénoncèrent à l’inquisition et firent condamner, par le pape Innocent VIII, treize de ses propositions comme entachées d’hérésie. Une chose singulière et qui montre l’ignorance des théologiens nommés pour examiner les thèses, c’est l’erreur de l’un d’entre eux qui croyait que la cabale était un nom d’hérétique qui avait écrit contre Jésus-Christ et dont les sectateurs avaient reçu le nom de cabalistes. La Mirandole publia une apologie pour justifier et défendre ses propositions ; mais ce ne fut qu’en 1493 que le pape Alexandre VI lui donna un bref d’absolution. Après la sentence qui le condamnait, découragé des agitations du monde et des fumées de la gloire, le prince de La Mirandole se retira dans un de ses châteaux près de Florence, où il acheva ses jours, entièrement livré à l’étude de la théologie et de la philosophie, qu’il voulait concilier. Il a beaucoup écrit, spécialement sur la philosophie et la théologie. Doué d’aptitudes extraordinaires, prodige de mémoire et d’étude, il ne fut cependant ni un penseur, ni un génie original et profond, et on ne cite de lui aucune de ces œuvres créatrices, aucune de ces grandes découvertes que semblaient promettre ses facultés. Ses travaux immenses et sa vaste intelligence avaient de bonne heure tari en lui les sources de la vie et il mourut âge seulement de trente et un ans, à Florence, le jour même où Charles VIII fit son entrée dans cette ville (1494). Tous ses contemporains ont rendu à sa mémoire cette justice que ses mœurs et sa vie furent aussi pures que son esprit était actif et pénétrant. Il reste de lui : Conclusiones philosophicæ, cabalisticæ et théologicæ (Rome, 1486) ; ce sont les 900 propositions ; Apologia J. Pici Miranadoli (1489), défense des 13 propositions censurées ; Disputationes adversus astrologiam divinatricem (Bologne, 1495) ; il s’y déclare contre l’astrologie judiciaire, mais contre celle pratiquée de son temps ; il en admettait une autre, l’ancienne, qui selon lui était la véritable, ; Epistolæ (Paris, 1499) ; ces lettres sont pleines d’esprit et d’érudition. Les œuvres de Pic de La Mirandole ont été réunies et publiées à Bologne (1496), à Venise {1498).
PIC DE LA MIRANDOLE (Jean-François), prince de La Mirandole, neveu du précédent
né vers 1469, mort en 1533. Il fut i. plusieurs
reprises chassé de sa principauté et périt
assassiné par son neveu Galeoti. C’était un
prince studieux, instruit, dévot, grand admirateur
de son oncle et qui s’occupa principalement
de philosophie religieuse. On lui doit :
une Vie de Pic de La Mirandole, imprimée en
tête des œuvres de cet illustre savant ; la
Vie de Savonarole (Mirandole, 1530) ; De studio divinæ et humanæ sapientiæ ; Examen doctrinæ vanitatis gentilium, contre Arstote et Platon. Ses Œuvres ont été publiées avec
celles de son oncle (Bâle, 1573-1601, 2 vol. in-fol.).
PICA s. m. {pi-ka — mot lat. qui signif. pie,
oiseau omnivore). Pathol. Appétit dépravé, qui porte à manger des substances non comestibles : Les femmes grosses et les filles attaquées des pâles couleurs sont sujettes au pica.
(Acad.) || On dit aussi picacisme.
— Mamm. V. pika.
— s. f. Ornith. Nom latin du genre pie, et plus particulièrement de la pie d’Europe,
— Encycl. Pathol. Le pica diffère de l’affection qu’on appelle malacia ou malacie, en ce que les individus atteints de cette dernière désirent et mangent des substances inusitées, mais contenant des principes alimentaires. La picacisme est une névrose de l’estomac, qu’on rencontre assez souvent chez les enfants et chez les jeunes filles chlorotiques. La dépravation peut être poussée plus ou moins loin ; mais la liste des objets ingérés avec délices par les malades est extrêmement variée. Il n’est pas rare de voir les chlorotiques manger du charbon, du plâtre, des cendres, de la terre, du poivre, du sel. depuis quelques grammes jusqu’à un kilogramme par jour. Plus rarement l’appétit est perverti au point de se porter sur des objets dégoûtants, immondes, comme la chair humaine, les poils, les poux, les fourmis, les vers de terre, les araignées, les mouches, les rats, les matières fécales, le fumier, les croûtes arrachées à des varioleux, etc., etc. La perversion du goût peut porter sur les liquides, aussi bien que sur les solides ; c’est ainsi qu’on voit des malades boire avec délices du vinaigre, de l’encre, de l’urine, du sang, etc. Quoique les substances ingérées soient prises quelquefois en grande quantité, il est des individus qui n’en éprouvent pas la moindre incommodité. Chez le plus grand nombre cependant, il survient des vomissements et de la diarrhée. En général, les malades qui ne peuvent point se procurer ce qu’ils désirent avec tant d’ardeur n’éprouvent aucun accident de n’avoir pu satisfaire leurs désirs ; mais il en est qui, par suite des privations qu’ils sont obligés de subir, sont pris d’anxiété, d’un malaise extrême et de lipothymie. Cette affection atteint surtout les enfants délicats, les filles chlorotiques et les femmes enceintes. Chez ces dernières, la maladie ne dure que pendant les trois ou quatre premiers mois de la gestation, ou tout au plus jusqu’à la délivrance ; tandis que, chez les autres, elle peut durer pendant plusieurs années. Le traitement du pica consiste d’abord à empêcher les malades d’introduire dans leur estomac des substances étrangères à l’alimentation. Chez les enfants, une surveillance attentive et, au besoin, les corrections corporelles suffisent pour mettre fin à leurs désirs dépravés. On en a aussi triomphé quelquefois en mêlant à l’objet qu’ils aiment quelque substance qui leur répugne, comme serait l’assa-fœtida. Quant aux femmes grosses, les conseils qu’on leur donne sont fort peu suivis. Il faut donc chercher à les distraire, varier leur nourriture pour tâcher de leur donner du goût pour quelque aliment convenable ; mais il faut prendre patience, user de quelque indulgence et ne faire une forte opposition que lorsque l’introduction des substances tant désirées pourrait être nuisible à la santé. Chez les filles chlorotiques, la perversion de l’appétit cesse lorsque, par l’administration des ferrugineux, on a redonné au sang sa quantité normale de globules. (Grisolle.)
PICA, ville du Pérou, département de Moquegua,
aux pieds des Andes, près des confins
de la Bolivie, au S. du Pérou. Cette petite
ville très-commerçante est reliée par un
chemin de fer au port d’Iquique, dont elle est
distante de 46 kilom. Pica est avec Tarapaca
le centre des productions de salpêtre de la
contrée. Les nombreux vallons de ses environs
produisent du carbonate de soude et
principalement du nitrate de soude, dont l’exportation
rend à l’agriculture et aux diverses
industries de l’Europe de si grands et si utiles
services.
On évalue à plus de 5 millions de francs les expéditions de salpêtre que Pica fait annuellement pour sa part. En 1873, on a trouvé aux environs de cette ville, au cap de Pabellon de Pica, des gisements de guano qu’on évalue à 6 millions de tonnes, représentant une valeur de près de 2 milliards de francs.
PICACUROBA s. f. (pi-ka-kou-ro-ba — mot
mexicain). Ornith. Nom vulgaire de la tourterelle
de la Caroline.
PICADIL s. m. (pi-ka-dil). Techn. Verre qui tombe des creusets pendant la fusion, et passe à travers la grille du foyer. || Verre devenu jaune, vert ou noir, par la vitrification
de quelque portion de cendres. || Verre trop consistant pour se rouler de lui-même.
PICADON s. m. (pi-ka-don). Techn. Lieu d’une savonnerie où l’on brise les soudes.
PICADOR s. m. (pi-ka-dor — mot espagn.).
Nom donné en Espagne au cavalier qui attaque
le taureau avec la pique, après le toréador
et avant le matador.
PICÆ s. f. pl. (pi-sé — plur. du lat. pica,
pie). Ornith. Nom latin donné par Linné à l’ordre des grimpeurs.
PICAFLORE s. m. (pi-ka-flo-re — de piquer, et du lat. flos, floris, fleur), Ornith. Syn. de bec-fleur ou bèque-fleur.
PICAGE s. m. (pi-ka-je — rad. piquer).
Opération de la fabrication de la dentelle réseau,
qui consiste à piquer le dessin sur parchemin.
— Féod. Droit de picage. Droit que l’on devait payer afin d’obtenir l’autorisation de planter en terre des pieux destinés à soutenir des échoppes, pour l’établissement desquelles on payait un autre droit.
PICAILLON s. m. (pi-ka-llon ; ll mll.). Anc.
métrol. Petite monnaie de cuivre du Piémont qui valait à peu près 1 centime,
— Pop. Pièce de monnaie, argent : Amasser des picaillons. Avoir des picaillons,
PICAILLONNAGE s. m. (pi-ka-llo-na-je — rad. picaillou). Pop. Habitude d’économie sordide. || Mot usité en Savoie.
PICAMARE s. m. (pi-ka-ma-re). Chim. Matière huileuse qu’on a trouvée dans les produits de la distillation du bois.
PICANDER, pseudonyme du poëte allemand Henrici. V, Henrici.
PICAPOULE s. m. (pi-ka-pou-le). Bot. Un
des noms vulgaires du micocoulier.
PICARD, ARDE s. et adj. (pi-kar, ar-de. — Le
président Fauchet tire picard de pique,
parce que les gens de pied de Picardie étaient
armés de piques. M. de Valois rejette cette
explication et croit que les Picards ont été
ainsi nommés parce qu’ils sont querelleurs et
se piquent volontiers. C’est peut-être un assez
bon calembour, mais à coup sûr c’est une
méchante étymologie). Habitant de la Picardie ;
qui appartient à ce pays ou à ses habitants :
Un Picard. Une Picarde. Les mœurs
picardes.
Tout Picard que J’étais, j’étais un bon apôtre,
Et je faisais claquer mon fouet tout comme un autre.
Racine.
— s. m. Linguist. Patois parlé en Picardie : La langue d’oïl compte trois dialectes principaux : le français proprement dit, le picard et le normand. (Littré.)
— Hist. ecclés. Nom donné à des hérétiques qui parurent en Bohême au commencement du XVe siècle.
— Encycl. Linguist. Le patois picard est un des trois principaux dialectes de la langue romane d’oïl altérée par le temps. Il dérive de la langue rustique, formée par la combinaison du celtique, du latin et du tudesque. C’est le dialecte qui a le mieux conservé la physionomie primitive de la langue romane et qui a le plus influé sur la formation de la langue française, Un écrivain du XIIIe siècle parle de ce dialecte comme d’une langue pleine d’agrément : « Les Picards, dit-il, sont de cler et agu entendement ot de beau langage. » Mais les avis n’étaient pas unanimes sur ce point, car l’auteur du Jardin de plaisance, qui vivait dans le XIVe siècle, considérait le picard comme un idiome suranné, dont on devait éviter la prononciation vicieuse. De nos jours, le dialecte picard a été hautement apprécié par les écrivains qui se sont occupés de l’histoire de la langue française.
« La France, naturellement partagée par la Loire, dit Rivarol, eut deux patois auxquels on peut rapporter tous les autres, le picard et le provençal... Si le provençal eût prévalu, il aurait donné au français l’éclat de l’espagnol et de l’italien ; mais le midi de la France, toujours sans capitale et sans roi, ne put soutenir la concurrence du nord, et l’influence du patois picard s’accrut avec celle de la couronne. C’est donc le génie clair et méthodique de ce jargon et sa prononciation un peu sourde qui dominent aujourd’hui dans la langue française. » (Discours sur l’universalité de la langue française.) — « Le dialecte picard, dit Gustave Fallot, eut, grâce à ses trouvères, une immense influence. » — D’après M. Pierquin de Gembloux « la langue du XIIe et du XIVe siècle est encore intacte dans tous les lieux qui furent son berceau, et l’ancienne Picardie la conserve presque sans altération. » — « On peut considérer le patois picard, dit Coquebert de Montbret, comme avant beaucoup influé sur la formation de la langue usitée à Paris, auquel il passe par des nuances insensibles, en pénétrant dans le département de l’Oise. » — « L’influence picarde, ajoute Génin, a été prédominante dans le français à cause du nombre considérable de poètes fournis par la Picardie au moyen âge. » (Des variations du langage français.)
Il est presque impossible de préciser les limites géographiques du dialecte picard au moyen âge. D’après Fallot, il suivait la frontière septentrionale de la France depuis Dunkerque, Ypres et Lille jusqu’au cours de la Sarre, embrassant par le Rethélois et la Thiérache, la partie septentrionale de la Champagne et une partie de la Lorraine ; du côté du midi, il se serait étendu jusqu’au cours de l’Aisne, de la Marne et de la Seine. Ces limites paraissent beaucoup trop vastes à M. l’abbé Corblet. L’auteur du Glossaire étymologique et comparatif du patois picard croit que ce dialecte était resserré dans l’ancienne Picardie du XIVe siècle et que, par conséquent, il comprenait non-seulement l’Amiénois, le Ponthieu, le Boulonais, le Vimeu, le Marquenterre, le Santerre, le Vermandois, la Thiérache et le Pays reconquis, mais encore le Tournaisis, l’Artois, la Morinie, le Laonnais, le Senlisis, le Soissonnais, le Valois et le Calaisis. Le patois picard est actuellement parlé dans les départements de la Somme et du Pas-de-Calais et dans une grande partie de l’Oise et de l’Aisne.
On distingue de nombreuses nuances dans le patois picard. La prononciation, l’accent, l’emploi des mots varient souvent d’un village à l’autre et quelquefois dans une même ville, d’un faubourg à l’autre, comme à Amiens et à Saint-Omer. Ces variétés de langage se dessinent de plus en plus en raison de l’éloignement des lieux. Ainsi, le vocabulaire du Boulonais n’est pas le même que celui de l’Amiénois. Le langage du Ponthieu s’éloigne beaucoup de celui du Vermandois. Les dégradations du picard sont surtout sensibles vers les limites de la province, où il se mêle avec les dialectes voisins. Ainsi l’artésien se combine avec le rouchi et le wallon ; la partie orientale du valois subit l’influence du champenois et le patois de Beauvais et de Senlis transite avec le français de l’Île-de-France. Chacune de ces variétés dialectales a souvent un mot spécial pour exprimer la même idée. Ce sont surtout les noms tirés des règnes de la nature qui subissent des changements fort variés, même d’un canton à un autre. Ainsi Cayeux et Saint-Valery-sur-Somme ne sont éloignés que de trois lieues, et beaucoup d’oiseaux de mer ne sont pas désignés sous le même nom vulgaire. Il arrive souvent aussi que, dans un même village, on emploie plusieurs synonymes pour exprimer la même idée, sous diverses nuances.
Le dialecte picard comprend beaucoup de mots qui n’ont pas d’équivalent en français et qu’on ne peut traduire que d’une manière imparfaite, par des périphrases plus ou moins longues. Par exemple : affender, partager son repas avec quelqu’un qui arrive à l’improviste ; brincheux, qui a des désirs soudains de faire quelque chose ; élingué, mis en rumeur par un événement qui excite la curiosité, etc. En revanche, le patois picard est obligé d’emprunter au français les mots qui expriment des idées morales et intellectuelles, comme : barbarie, excès, fécondité, infini, mœurs, passion, progrès, sensibilité, tendresse, etc.
Malgré l’absence de mots poétiques, le picard ne manque pas d’élévation. Il a du nombre, de l’harmonie et de l’énergie. Sa bonhomie railleuse le rend merveilleusement propre aux sujets badins et enjoués ; mais il aurait pu facilement devenir un éloquent interprète de la haute poésie, sans l’influence des préjugés qui frappent de discrédit tous les patois du nord de la France. Il aurait surtout brillé par le pittoresque de l’expression, la variété des cadences et l’harmonie imitative.
On a cru pendant longtemps qu’il n’y avait pas, pour la langue du XIIIe siècle, de code grammatical. Des recherches récentes ont prouvé le contraire. Les travaux de Wolff, Orell, Fallot, etc., montrent que la langue d’oïl, sans être une langue bien constituée, avait déjà un certain nombre de régles générales et que sa syntaxe n’était pas tout à fait abandonnée au caprice. Dès le XIIe siècle, l’idiome picard se distingue par sa tendance à syncoper les mots (céri pour céleri, rnu pour revenu), par la permutation du c doux en ch (aperchevoir, apercevoir) et du ch français en k (mouke, mouche ; karbon, charbon) et par une prononciation pleine, lourde et sonore. Les formes dominantes du romano-picard sont les diphthongues eu et oi qu’on prononçait oè, ouai, comme actuellement. La monotonie, la pesanteur et la brusquerie sont les caractères généraux de la prononciation picarde, mais chaque localité a, pour ainsi parler, son accent, c’est-à-dire une prosodie particulière pour les inflexions. Dans le Ponthieu, on abuse de la contraction et de l’aphérèse ; le n est souvent remplacé par le ñ espagnol, mais plus adouci. La prononciation est plus grossière dans le Vimeu que partout ailleurs ; dans les diphthongues oi et oè, on ne prononce guère que l’o ; l’é fermé d’une syllabe finale se prononce ouvert ; on n’admet pas de distinction entre les syllabes brèves ou longues, La prononciation ouverte dans le Doullennais, gutturale dans le Marquenterre, devient nasale dans les arrondissements de Péronne et de Montdidier. L’amiénois et le hamois ont toujours une finale chantée par un demi-ton. L’artésien a quelque peu envahi le boulonais, avec sa prononciation accentuée, aiguë, musicale, précipitée. C’est le contraire de l’amiénois, rude, pesant, tardif dans une conversation calme, saccadé et tonnant dans l’animation de la dispute.
Les savants pensent que ce fut dans la Picardie que furent composées les plus anciennes poésies du langage français septentrional, et que les habitants de cette province furent les premiers qui apprirent des trouvères l’art de faire des tensons, espèce de dialogues entre les amants. Fabry dit que les Picards inventèrent les sirventes, poèmes mêlés d’éloges et de satires, de madrigaux et de chansons érotiques. Si l’on consulte, d’ailleurs, les plus anciens ouvrages de la langue française, on en trouve plusieurs écrits en picard ; tels sont Amadis de Gaule et Mylès et Amis. Enfin, la Picardie a eu ses poètes, qui ont écrit dans leur patois. Le genre qui leur est le plus commun est ce qu’on appelait, sous le règne de Louis IX, jeux-partis, sonnets, reverdies. Au commencement du XIIIe siècle, la Picardie avait ses troubadours sous le nom de plaids et gieux sous l’ormel. C’étaient des gentilshommes et des dames réunis sous un orme, où ils s’occupaient de courtoisie et gentillesse. Ils décidaient dans ces cours d’amour une foule de questions galantes. Les Picards avaient un talent particulier pour ces jeux mi-partis, qui demandaient de la naïveté, de l’esprit et de la vivacité, et les poètes picards n’étaient pas moins heureux dans ce genre que dans les différentes sortes de poésies auxquelles ils s’exerçaient.
Voici une chanson qui donnera une idée de la forme du patois picard.
Al jor de Behourdis des prés.
Le jour du Behourdis des prés,
Entor des abes j’ai tant ballé
Autour des arbres j’ai tant dansé