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hissements de la langue du Nord. La langue des Francs, définitivement appelée à éclipser toutes les autres par un empereur allemand qui ne savait même pas écrire, finit par absorber successivement presque tous les dialectes celtiques, pour en former de nouveaux, composés d’éléments hétérogènes, et connus sous le nom de langue d’où. Ces langues, dialectes favoris de la race conquéran te, tendirent constamment à rétrécir chaque jour davantage le domaine de la langue d’oc. La langue de l’empereur allemand se glissa dans tous les actes politiques et sociaux, auxquels les peuples s’intéressent naturellement. Elle finit par envahir la conversation familière. Ainsi, les poésies connues de Savary de Mauléon sont en langue d’oc, tandis que le partage de ses biens est écrit en langue du Nord. C’est ainsi que sous le comte de Poitou, Denis d’Aquitaine, et même sous la domination anglofrançaise des Plantagenets, à la cour de Poitiers, il y avait d’une part la langue du peuple, le celtique ou parois Jocal ; eusuite celle des poètes, la langue d’oc, et enfin la langue thioise ou tudesque, ou franco-théotisque, ou langue d’oil, destinée uniquement aux actes publics. Grâce aux adjonctions territoriales des rois francs et à 1 absorption successive des royaumes d’Arles, de Vienne, du comté de Toulouse et définitivement de toute l’étendue naturelle des Gaules, le pouvoir royal, dont le centre était sur le territoire de la langue d’oil, imposa sur tous les points la langue qu’il parlait et finit par établir l’usage universel de ce dialecte étranger.

La lutte de la langue vulgaire et du latin fut une lutte de tous les instituts et qui éclata à la fois sur tous les points. On peut, du reste,se fuire une idée de rucharneinentque le latin mit à se détendre dans le domaine des choses officielles, quand on le voit même de nos jours conserver encore quelque vitalité. Jusqu’en 1792, par exemple, l’École de médecine de Paris rédigeait ses procès-verbaux en latin ; jusqu’en 1840, certaines épreuves furent soutenues dans cette môme langue dans toutes nos Facultés, et l’année même ou nous écrivons ces lignes, à ladistribution solennelle des prix du concours, les voûtes de la Sorbonne retentiront des éclats de l’éloquence latine d’un professeur qui entretiendra pendant une heure, dans la langue de Cicéron, des dames et des messieurs réunis pour la cérémonie, et qui ne comprennent, en fuit de langue, que la français du commerce et des romans.

C’est surtout sur le terrain judiciaire que la lutte fut vive entre la langue de tout le inonde et l’idiome sacré de la jurisprudence. Les tribunaux étaient en guerre perpétuelle uvec le peuple k ce sujet ; mais, comme il arrive toujours, le peuple finit par avoir raison. Du xe au xtve siècle, presque tous les documents juridiques sont écrits en dialectes vulgaires : telles sont les coutumes du Béarn, de la Provence, etc. ; les règles des templiers, les chroniques de Montpellier, du Limousin, du Querey, du Rouergue, ainsi que les statuts des confréries, etc. On ne voit pas que cet emploi de la langue vulgaire dans la jurisprudence ait eu des conséquences fâcheuses ; les codes, pour être rédigés en patois, n’en étaient pas plus mauvais ; l’Espagne, la Sardaigne, le Béarn, le Languedoc, la Provence, etc., en oiujouipendant plusieurs siècles dans la sécurité la plus complète, et on ne voit pas qu’une seule fois leur sagesse ou leur clarté ait fait défaut dans aucune occasion. iDe mon temps, dit le grand Scaliger, celui-là eût payé 1 aniende qui eût parlé français au sénat de Genève. Il fallait parler savoyard ; comme en Béarn, tous leurs plaidoyers et leurs actes se font en béarnais, pour montrer qu’ils sont libres. • Toute réflexion faite, à propos de la rédaction des lois en patois, la jurisprudence* n’avait pas tant à perdre en passant du latin dtins la langue qui est considérée à juste titre comme la plus claire de toutes et que cette raison même a fait choisir pour être 1 instrument des transactions politiques les plus graves dans le monde entier. Pour nous, nous nommes convaincu qu’un bon code patois était plus intelligible et prêtait moins à la discussion que le Digeste, par exemple, le Digeste tant vanté, dont l’obscurité n’a pu être entièrement éclaircie par les innombrables commentateurs.

Si l’on peut vanter k bon droit la clarté, la franchise de nos dialectes nationaux, on leur doit une égale part d’éloges pour l’originalité de leurs expressions et de leurs tournures, pour la, richesse d’invention qui leur a fait créer tant de mots heureux et caractériser d’un trait juste et rapide tous les objets de la nature. Cest là surtout qu’apparaît le tort de la pédante nomenclature des sciences naturelles, qui, la plupart du temps, n’ont fait que convertir en termes baroques, hérissés de grec et de latin, les mots nets et harmonieux imaginés par nos pères. ■ Presque toujours, dit Pierquin de Gembloux, le nom patois des objets est dans un rapport frappant avec eux : c’est réellement une étiquette. Ainsi, dans le Morvan, le canard s’appelle tout simplement youlo, le goulu. • — < Vous est-il arrivé dans votre enfance, dit a ce sujet Charles Nodier, de découvrir au pied d’un chêne, à demi calciné par le temps, in ilice Cava, un vigoureux insecte qui brille de tout l’éclat de l’écaillé polie, de lier une soie légère à un des tarses de sa dernière paire de pattes et de l’abandonner à son essor, avec la certitude triomphante de le ramener et vous ? Le pédant

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latiniste d’appellera une lucane, pour apprendre peut-être aux pédants comme lui que ce bel animal habite les bois (lucus), et il se gardera bien de l’appeler un sylvain, parce que Sylvain est trop connu. Le pédant helléniste l’appellera un plalycère, pour faire savoir à ceux qui savent le grec qUe son scarabée a de larges cornes. Ne vous inquiétez pas de la terminologie de ces gens-là. Demandez au premier berger, et vous saurez que cet insecte est un cerf-volant, nom pittoresque, expressif, qui caractérise l’espèce... Il n’y a que le peupla qui sache nommer les êtres créés, parce que c’est k lui qu’il a été donné de faire des langues, parce qu’il a seul hérité du brevet d’invention d’Adam.

« Quand Pline le Grand veut bien emprunter au peuple le nom du camelopardalis (chameau-léopard), il ne va pas chercher dans une

langue morte des synonymes inextricables ; il se contente de peindre la girafe à nos yeux, avec sa tête et son encolure de chameau avec } sa robe de panthère. Je n’ai plus qu’à la rencontrer au désert ou k la Ménagerie pour la reconnaître. Pauvre enfant qui t’amuses d’un hanneton, sais-tu ce que c’est qu’un mêlaienthel «

Très-souvent aussi les termes d’histoire naturelle se trouvent, dans les dialectes vulgaires, identiquement les mêmes que ceux des langues savantes, ce qui semble constater d’une manière authentique les rapports antéhistoriques des Gaules particulièrement avec la Grèce. Ainsi, dans le midi de la France et dans une grande partie de nos provinces du centre et du nord, on appelle le géranium bec-de-grue ; le basilic, herbe royale ; le kynacantha, corne-de-chien ; l’acanthias, petite aubépine ; le tragacantha, épine-de-bouc ; l’àigilos, chèvrefeuille, etc. « Une fois qu’un nomenclaturier a mis le nez dans le Jardm des racines grecques, a dit Charles Nodier, l’éloquent défenseur des patois, n’attendez plus de lui un mot français en français. Le monstre ne sait pas le grec, mais il exigera que vous sachiez le grec pour l’entendre. Du français de votre mère, il n’en est plus question. Le latin même est trop vulgaire pour son inintelligibilité systématique. Vous aimiez à voir une couronne de reinesmarguerites s’arrondir dans les blonds cheveux de votre petite filleI Oh ! c’était charmant I Mais, halte là I Cette reine-marguerite, que chérissait Marguerite de Provence, c’est un leucanthèmel Et, qu’est-ce qu’un leucanthème, s’il vous platt ? Voyez le Jardin des racines grecques : c’est une fleur blanche ! Misérable, qui n’a vu qu’une fleur blanche dans la reine-marguerite ! Faites et conservez des langues avec de pareils ouvriers ! » . Un excellent modèle de nomenclature, en revanche, et que les savants, cette fois, n ont pas osé rejeter, est la nomenclature astronomique : le chemin de lait (la voie lactée), le chariot, le dragon, l’étoile du berger, etc. ; aussi, ce sont des bergers qui l’ont faite.

Cette affectation des modernes savants en vs à rejeter comme indignes de la science tous les termes tirés de la langue vulgaire n’a heureusement pas été partagée par tous les véritables érudits et les grands écrivains. On sait assez combien les hommes de génie du grand siècle avaient aimé à feuilleter nos vieux conteurs, et les esprits les plus vastes du xvic siècle s’étaient nourris de cette saine littérature de la Gaule antique.

Les étrangers mêmes recouraient à nos patois pour enrichir leur langue nationale. Dante a fait de si nombreux emprunts, comme tournures et comme expressions, à nos dialectes du Midi que, sans leur connaissance, l’interprétation de la Divine comédie offrirait souvent des difficultés insurmontables. On sait, du reste, qu’il hésita longtemps s’il n’écrirait pas son œuvre immortelle dans l’un des dialectes alors en usage en France, à l’exemple de son maître, Brunetto Latini, qui écrivit en langue d’oil son livre intitulé le Trésor. Pétrarque lui-même, si châtié, si élégant qu’il soit, n’est pas tellement florentin que son séjour prolongé à Montpellier, à Avignon, • n’ait introduit dans ses poésies de nombreuses expressions patoises. »— * 11 est difficile, écrivait Jules-César Scaliger en parlant des sonnets et des canzoni de 1 amant de Laure, à cause de beaucoup de mots que les Italiens n’entendent pas. Ils sont provençaux, et, ajoute-t-il avec orgueil entre deux parenthèses, omnia ego intelligerem, je comprendrais tout. ■ Car il est bon de savoir que cet illustre érudit se flattait de posséder presque tous les patois de France.

Au xvt» siècle, en pleine renaissance grecque et latine, le plus helléniste des poètes, Ronsard, écrit textuellement cette phrase à l’usage de ceux qui se proposent d’écrire en français : • Je te conseille d’user indifféremment de tous les dialectes, entre lesquels le courtisan est toujours le plus beau. > Partisan de ta première partie du conseil donné par Ronsard, Henri Estienne est loin d’être de son avis pour la seconde : entre le peuple et la cour, les patois et le < courtisan, > comme source naturelle des mots français, il n’hésite pas à proclamer la supériorité du langage vulgaire. Ainsi, il écrit au présidant de Mesmes : « La cour est la forge des mots nouveaux ; le palais leur donne la trempe, et le grand désordre qui est en notre langage procède pour la plupart de ce que messieurs les courtisans se donnent le privilège de légitimer les mots bâtards et de naturaliser les

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étrangers. Avant de sortir de notre pays, ajoute-t-il, nous devrions faire notre prolit des mots et des façons de parler que nous y trouverions sans reprocher les uns aux autres : ce mot-là sent sa bouillie, ce mot-là sent sa rave, ce mot-là sent sa place Maubert. • Opinion partagée par l’austère Malherbe, qui habita pendant trente ans la Provence et fut lié avec tous les poètes patois de son temps. Molière, qui habita, lui aussi, assez longtemps le midi de la France, et surtout Pézénas, où l’on montre encore son fauteuil ; Molière, si versé dans la connaissance de notre ancienne littérature, romans, chroniques, mystères et fabliaux, aimait les patois et les connaissait parfaitement. Est-il besoin d’aller chercher d’autres preuves que les scènes de Af. de Pourceaugnac, où différents patois du midi de la France et de la Picardie sont dialogues avec une liberté d’allure qui est prise sur la nature même ? Ajoutons que la prononciation patotse, d’une si haute importance à la scène, a été figurée par le grand comique avec une fidélité qu’imiteraient difficilement les philologues modernes, et qui prouve, à elle seule, qu’il avait dû réellement pratiquer de vive voix les patois qu’il prononçait si bien. Féuelon, l’harmonieux Fénelon, celui de nos écrivains qui a le mieux fait passer dans notre langue le calme et la majesté pleine de goût de la poésie grecque ; Fénelon est certes un des noms quel’on s’attendait le moins à voir parmi.les défenseurs de nos patois, et, — cependant, il a écrit Sur eux des lignes pleines de regrets. « Il y trouvait, disait-il, je ne sais quoi de naïf, de hardi, de vif et de passionné que la langue régulière était insuffisante à reproduiré. ■ La Fontaine aussi aimait nos vieux patois ; nul écrivain, plus que lui, ne s’est < abreuvé à la source gauloise, • Le Bonhomme fourmille non-seulement d’expressions surannées, de tournures vieillies ou perdues, d’idiotismes propres au patois de la province qui le vit naître et qu’il parlait, d’ailleurs, avec autant de plaisir que de pureté, mais encore de phrases, de mots entièrement patois. Il poussa si loin enfin l’amour des dialectes vulgaires, qu’il ne put résister un jour à la fantaisie de fourrer du patois dans ses œuvres. De là ces vers en pur picard :

Biaux chires leups, n’écoutez mie Mère tenchant chien fieux qui crie. Il est vrai que, si La Fontaine savait admirablement le patois, il ne savait pas le latin ; Vauvenargues non plus, h qui Voltaire écrivait à ce sujet : • Ma surprise a d’abord été extrême de voir qu’un homme de votre mérite dans les lettres ait pu y parvenir sans savoir le latin ; mais, un instant après, j’ai fait réflexion qu’Homère ne le savait pas non plus. »

Avant La Fontaine, Molière et le bon roi Henri IV, qui aimait tant à jargonner en son béarnais, d’autres écrivains illustres et de très-grands personnages se faisaient un mérite de parler purement en patois. Nous avons déjà vu Scaliger déclarer son enthousiasme pour les patois, et s’enorgueillir d’en connaître et d’en parler un très-grand nombre. Entendons-le maintenant célébrer l’éloge des illustres patoisants : à La mère de M. de l’Escale, dit-il, savait très-bien le lombard, le gascon et le français. Le père savait tous les dialectes de la Guyenne et parlait fort bon français, sans jamais avoir été en France plus loin que Bordeaux.. Mon père était étranger et parlait bon gascon. Ma mère était fort éloquente en gascon... Catherine de Médicis, la reine mère, dit-il encore, parlait aussi bien son gorre de parisien qu’une revendeuse de la place Maubert. »

À tous les grands noms que nous venons de citer, et qui, tous, avec plus ou moins de vivacité, se sont faits les défenseurs des patois, quels adversaires opposer, quels dignes ennemis k mettre en bataille dans la guerre pour et contre nos anciens idiomes ? Hélas ! une triste armée ; la séquelle pédante des

frammairiens du xvue siècle, des Saumaise, es Vaugelas, des Ménage, qui ont fait de notre langue nationale, fraîche et vermeille, une vieille décrépite, ne parlant plus que lu grec et le latin, 1 hébreu même parfois. Mais ces considérations n’appartiennent pas à cet article. Ce qui nous touche de plus près, c’est le mépris où la mode, ou plutôt la fureur grammaticale, lit tomber les idiomes favoris de nos pères. Les parois furent honnis, bannis et considérés tout au plus comme Sons pour des goujats.

Un mot venu de haut, de la bouche même du grand roi, exprime le dédain avec lequel on traitait alors notre vieille langue. Louis XIV avait fait plaeer dans sa chambre un lit pour l’immortel auteur i’Alhalie, afin de l’entendre réciter ses vers. Un jour, Racine lui lut un passage des Vies de Ptutarque, traduit par Amyot. Louis XIV, l’interrompant brusquement, s’écria : « C’est du gaulois ; > et il fit changer la lecture.

Cet injuste mépris pour tant de dialectes nationaux, brillantes créations du vrai génie de la Gaule, avait pour principale origine les fausses études philologiques que nous avait léguées l’antiquité et sur lesquelles venait enchérir encore un pédantisme borné à la connaissance de deux langues mortes tout au plus, à la mesure desquelles ou allongeait ou l’on étriquait, comme sur un véritable lit de Procuste, les mots et les tournures les plus

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claires de notre malheureuse langue. Aucune connaissance de la plupart des langues da l’Europe et, à plus forte raison, moins encore de ces langues éloignées de l’Asie, par exemple, qui sont’aujourd’hui, et avec raison, notre seule source sérieuse d’investigations ; aucune idée générale de linguistique et surtout aucune notion des migrations et de la filiation des peuples. < Jusqu’au xix<= siècle, auquel revient l’honneur d’avoir créé la vraie critique, on faisait de la philologie k peu près comme on faisait do l’histoire politique et littéraire au moyen-âge. Alors Virgile était un sorcier, Ésope un savant qui traduisait les fables de Romulus, Alexandre un chevalier errant et Dioclétien un bon roi de Sicile. De même, la plupart des mots français venaient directement de l’hébreu, du grec et du latin. L’amour-propre national ou individuel guidait seul l’érudition, et on a vu à quel étrange renversement des lois du langage et des traditions historiques ont abouti ces efforts insensés contre le courant de la vérité. »

La connaissance, même superfioielle.de nos patois n’aurait pourtant pas dû être tant dédaignée des grammairiens et même des historiens, tant anciens que modernes. Elle leur eût évité, du.moins, de nombreuses bévues.

Telle est l’opinion de certains savants quant au Mystère de la reine Pêdauque (v. ce mot), et quant à la statue du prétondu Pépégus (P. P. Aug.) k Béziers. Telle est l’erreur dans laquelle est tombé un savant, pourtant fort remarquable, Pellerin, qui attribue les monnaies byzantines des rois français aux maisons impériales des Conwènes et des Paléologues, et cela pour avoir vu du latin dans les légendes patoises, Henry ou Jayme (Jueqixes), rei deÈierusalem. Citons encore la faute grossière commise par Court de Gébelin, qui, voulant traduire le premier vers de l’inscription béarnaise placée sous la statue équestre de Louis XIV, à Pau :

Aci qu’ei l’arr-ehills denousté grand ffenri, a compris :

« Ici git l’arr’tère-petit-fils de notre grand Henri, »

au lieu de ;

« C’est là qu’est le fils de notre grand ■ Henri ; »

commettant ainsi l’énorme bévue de faire enterrer Louis XIV sur une place publique de Pau.

Malheureusement, ces bévues, quelque regrettables qu’elles soient, ne sont pas les seules conséquences fâcheuses qu’aient eues l’ignorance de nos patois et le dédain qu’on leur témoigna si longtemps ; une autre conséquence, irréparable celle-là, fut la dispersion ou pour mieux dira la perte d’une foule de richesses littéraires, remontant k toutes les époques de notre littérature. Que de richesses perdues, dont il no reste pas la moindre trace 1 « On trouve, dit Jean de Nostradamus, plusieurs livres traduits en notre langue provensale, tant en prose qu’en rithme, desquels j’en ai une infinité dans une grande partie de vies de saints et de saintes, tant en prose qu’en rithme, que j’ai vus en plusieurs parts, et d’autres beaux livres que j avois ramassés çk et là, escrits en lettres de main, tant en latin, françois, que provensal, qui me furent dérobez et pris au temps des troubles de 156Î. Mais combien y en a-t-il de cachés parmi les librairies des monastères, couvents, églises et dans les archifs des maisons nobles de ce pays... Il n’y en avoit aucune qu’elle n’eût un registre, en forme de romant, auquel estoient descripts les hauts faits et gestes de leurs ancêtres en langue provensale, etc. ■ On peut avoir une idée de ce que nous avons perdu, seulement sous le rapport du droit communal, dans le rapport, si imparfait cependant, que l’infatigable Fontette a dressé et qui est intitulé : Liste des coutumes de France.

Au xvnio siècle, cependant, une réaction, amenée par l’étude des sources historiques, remit les patois en faveur. On tenta surtout de sauver du naufrage toutes les pièces intéressantes que l’on pouvait encore retrouver, et l’on n’y épargna ni le temps ni l’argent. C’est surtout k l’initiative du comte de Maurepas que furent dues ces recherches, oui datent de 1737. M. de Maurepas fit recueillir pour sa bibliothèque les poésies patoises répandues dans tout le royaume. Il y eut dans chaque province des personnes chargées de ce soin. M. de Tassin, commissaire ordinaire delà marine, fut chargé de recueillir celles de l’Auvergne, • Et, dit à ce sujet, l’abbé Caldagués, prêtre fort instruit et connaissant parfaitement son patois natal, je ne fus jamais si surpris que de voir entrer dans mon cabinet, le «9 janvier, un grand homme, de bonne mine, né k Constantiuople, qui, après un compliment fort poli, se mit k me prier, avec les termes les plus choisis et les plus engageants, de lut rendra un service important. J’avoue que je me crus un instant homme de conséquence ; mais je rentrai bien vite dans ma modestie ordinaire, lorsque je vis que ce service important aboutissait k faire un recueil de pièces choisies auvergnates. Je le fis : il fut reçu avec une reconnaissance presque outrée de la part de M. Tassiu, et estimé k Versailles infiniment plus qu’il ne valait... Le patois, dans cette occasion, m’a plus valu que tout mon français, tout mon latin et le peu que je puis savoir de grec ne

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