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bon de l’écraser en Italie. C’était également l’avis de la majorité et de Louis Bonaparte, qui, le 1er juin, oubliant complètement sa lettre du 2 décembre 1848, envoya au général Oudinot, sous la dictée, dit-on, de M. de Montalembert, l’ordre d’entrer de gré ou de force à Rome pour y rétablir le pape. Le lendemain, il apporta quelques modifications dans son ministère. M. Dufaure remplaça M. Léon Faucher ; M. Lanjuinais succéda à M. Buffet, de Tocqueville à Drouyn de Lhuys. Le 13 juin, il adressa à l’Assemblée son premier message pour exposer sa politique.

Cependant, la nouvelle du siège de Rome avait produit la plus vive émotion dans le parti démocratique. Le 13 juin, Ledru-Rollin, se faisant l’organe de la gauche, demanda à l’Assemblée la mise en accusation du président de la République et de ses ministres, coupables d’avoir violé la constitution en intervenant à Rome. La majorité ayant répondu à cette proposition par un vote approbatif de la conduite du gouvernement, Ledru-Rollin, du haut de la tribune, en appela au peuple pour défendre par les armes la constitution violée, et, le 13 juin, il descendit dans la rue. Mais cette tentative de soulèvement fut aussitôt réprimée, et la majorité, d’accord avec le gouvernement, profita de l’occasion pour mettre Paris en état de siège, suspendre le droit de réunion, frapper la presse, mettre trente-trois représentants républicains en accusation. Ce fut alors que commença ce que M. de Montalembert appelait la « campagne de Rome à l’intérieur. » Des élections partielles ayant donné la victoire au parti conservateur à Paris et dans les départements (8 juillet), on ne garda plus aucune mesure dans l’œuvre de la réaction. On détruisit les arbres de Liberté, on destitua les fonctionnaires suspects de libéralisme, on courut sus aux républicains, on en arrêta un grand nombre sous prétexte de sociétés secrètes.

Le 2 juillet, Rome était tombée au pouvoir de l’armée française, et les cardinaux, chargés par le pape de gouverner, y faisaient régner la terreur. Louis Bonaparte, qui trouvait tout naturel de comprimer en France le parti républicain, mais qui désirait qu’on mît sur le compte de l’Assemblée les mesures de compression prises par ses ministres, saisit cette occasion pour faire une profession de foi libérale. Le 18 août, il écrivit au colonel Edgar Ney, son officier d’ordonnance, une lettre qui eut un grand retentissement, « La République française, y disait-il, n’a pas envoyé une armée à Rome pour étouffer la liberté italienne, mais au contraire pour la régler en la préservant contre ses propres excès, et pour lui donner une base solide en remettant sur le trône pontifical le prince qui le premier s’était placé hardiment à la tête de toutes les réformes utiles. J’apprends avec peine que les intentions bienveillantes du saint-père, comme notre propre action, restent stériles. On voudrait donner comme base à la rentrée du pape la proscription et la tyrannie. Dites de ma part au général Rostolan qu’il ne doit pas permettre qu’à l’ombre du drapeau tricolore on commette un acte qui puisse dénaturer le caractère de notre intervention. Je résume ainsi le pouvoir temporel du pape : Amnistie générale, sécularisation de l’administration, code Napoléon et gouvernement libéral. » Jusque-là le président de la République et la majorité de l’Assemblée avaient paru marcher complètement d’accord. La lettre à Edgar Ney vint rompre complètement cette touchante harmonie. Les railleries et les dédains avec lesquels elle fut accueillie par les chefs de la droite et par leurs journaux irritèrent Louis Bonaparte, qui résolut de prendre pour ministres des hommes plus dévoués à sa personne et d’accentuer son pouvoir présidentiel. Le 31 octobre 1849, le ministère Odilon Barrot était remplacé par un nouveau cabinet composé de M. Ferdinand Barrot, à l’intérieur ; M. Rouher, à la justice ; M. Achille Fould, aux finances ; M. de Parieu, à l’instruction publique ; M. Bineau, aux travaux publics ; M. de Rayneval, remplacé peu après par le général La Hitte, aux affaires étrangères ; l’amiral Romain-Desfossés, à la marine. Le même jour, il adressait à l’Assemblée un message dans lequel il disait : « J’ai laissé arriver aux affaires des hommes d’opinions les plus diverses, mais sans obtenir les résultats que j’attendais de ce rapprochement... Au milieu de cette confusion, la France, inquiète parce qu’elle ne voit pas de direction, cherche la main, la volonté de l’élu du 10 décembre... Tout un système a triomphé par mon élection, car le nom de Napoléon est à lui seul un programme. Il veut dire : à l’intérieur, ordre, autorité, religion et bien-être du peuple ; à l’extérieur, dignité nationale. C’est cette politique que je veux faire triompher avec l’appui du pays, de l’Assemblée et celui du peuple. » Ce manifeste de gouvernement personnel déplut vivement à la majorité et, depuis lors, il y eut entre les deux pouvoirs des tiraillements fréquents. Toutefois, dès l’instant où il s’agissait d’adopter des mesures de compression, l’accord s’établissait aussitôt entre eux. Le rétablissement de l’impôt sur les boissons (13 décembre), la loi qui soumettait les instituteurs à l’autorité du préfet (20 décembre), la loi sur l’enseignement primaire et secondaire, faite uniquement en faveur du clergé (15 mars 1850), et tant d’autres lois hostiles à la liberté montrent que, sur ce terrain, il n’existait nul dissentiment.

Cependant, la réaction cléricale et monarchique était devenue tellement audacieuse et oppressive, que le pays, inquiet, commença à revenir vers la République. Les élections partielles du 15 mars et du 19 avril donnèrent la majorité aux candidats républicains les plus avancés, et tout faisait présager qu’aux élections générales de 1852 la lutte serait vive. À cette manifestation de la volonté du pays, le ministère, auquel fut alors adjoint M. Baroche, et la majorité de l’Assemblée répondirent par la loi du 31 mai 1850, qui mutilait le suffrage universel et rayait près de trois millions d’électeurs appartenant pour la pluPart au parti républicain ; puis l’on vota la Loi sur la déportation à Noukahiva(8 juin) et la loi sur la presse, loi des plus rigoureuses, qui rétablissait le timbre, élevait le cautionnement et rendait la signature obligatoire (16 juillet).

Après avoir accordé, non sans difficulté, une somme de 2,560,000 fr. pour frais de représentation au président de la République, alors plus que jamais pressé par le besoin d’argent, l’Assemblée se prorogea du 11 août au 12 novembre. Pendant ces vacances, les chefs orléanistes et légitimistes se rendirent en pèlerinage, les uns à Claremont, les autres à Wiesbaden, où se trouvait le comte de Chambord, et il ne fut bientôt plus question que d’une fusion prochaine des deux branches de la famille de Bourbon, en vue d’une restauration monarchique. De son côté, Louis Bonaparte ne restait pas inactif. Continuant à travers la France les voyages qu’il avait commencés l’année précédente, il fit pour son propre compte une propagande active dans l’Est et prononça plusieurs discours dans lesquels il était facile de voir des allusions discrètes au pouvoir suprême qu’il convoitait. De retour à Paris, il alla passer l’armée en revue dans la plaine de Satory. La cavalerie, à qui l’on avait eu soin de faire faire de copieuses libations de vin de Champagne, accueillit le président par le cri de : « Vive l’empereur ! » Cette manifestation fit grand bruit, et le général Changarnier crut devoir, par un ordre du jour, rappeler aux troupes qu’il leur était interdit de se livrer à aucune manifestation sous les armes. On commençait à croire à un coup d’État et le pays était anxieux, lorsque l’Assemblée reprit ses travaux le 12 novembre. Louis Bonaparte, dont le message était attendu avec une grande impatience, essaya de dissiper les craintes qu’on avait à son sujet. « L’incertitude de l’avenir fait naître, je le sais bien, disait-il, des appréhensions en réveillant bien des espérances. Sachons tous faire à la patrie le sacrifice de ces espérances et ne nous occupons que de ses intérêts... Ce qui me préoccupe surtout, soyez-en persuadés, ce n’est pas de savoir qui gouvernera la France en 1852, c’est d’employer le temps dont je dispose de manière que la transition, quelle qu’elle soit, se fasse sans agitation et sans trouble. »

En continuant à affirmer son désintéressement absolu, en faisant ressortir les espérances monarchiques des anciens partis représentés par la majorité de l’Assemblée, Louis Bonaparte cherchait à rassurer l’opinion sur ses projets secrets et à rendre cette majorité, si profondément impopulaire, responsable de l’inquiétude qui agitait le pays et troublait les affaires. Pour être plus libre dans ses allures, pour s’entourer d’officiers dévoués en vue d’un coup d’État projeté, il commença, dès le début de l’année 1851, à se débarrasser de l’importune et outrecuidante tutelle du général Changarnier, qui était présenté par les anciens partis comme le Monk d’une prochaine restauration monarchique. Le 9 janvier, il le révoqua de son double commandement en chef des gardes nationales de la Seine et de l’armée de Paris, et, le même jour, il modifia le ministère en appelant M. Magne aux travaux publics, M. Drouyn de Lhuys aux affaires étrangères et le général Regnaud Saint-Jean d’Angely à la marine. La destitution du général Changarnier et son remplacement à la tête de l’armée de Paris par le général Baraguey-d’Hilliers furent un rude coup pour le parti conservateur. La majorité de l’Assemblée, qui oubliait complètement les intérêts du pays pour se livrer à des intrigues de parti et à des querelles byzantines, fut vivement irritée, et, à la suite d’une longue discussion dans laquelle M. Baroche opposa les voyages à Wiesbaden et à Claremont aux revues de Satory, le ministère fut renversé par un vote de défiance (17 janvier). Ce fut pendant ces débats que M. Thiers prononça ces paroles mémorables : « Si l’Assemblée cède, il n’y aura plus qu’un pouvoir ; et quand il n’y en aura plus qu’un, la forme du gouvernement sera changée. Et soyez-en sûrs, les mots viendront plus tard, quand ? je ne sais, peu importe ; le mot viendra quand il pourra : l’Empire est fait. »

Louis Bonaparte dut former alors (27 janvier) un autre ministère, dit de transition, qui comprenait : MM. Vaïsse, à l’intérieur ; de Germiny, aux finances ; Magne, aux travaux publics ; Brénier, aux affaires étrangères ; Royer, à la justice ; Ch. Giraud, à l’instruction publique ; Schneider, à l’agriculture et au commerce ; Randon, à la guerre, et le contre-amiral Vaillant, à la marine. Ce ministère incolore ne pouvait avoir aucune prise sur la majorité ; celle-ci, toujours mécontente, refusa de voter un crédit supplémentaire de 1,800,000 francs destiné aux frais de représentation du président. Ce refus de dotation, au lieu d’être une affirmation du principe républicain, se changeait en une manifestation légitimiste, rendue plus bruyante encore par l’arrivée d’une lettre-manifeste, adressée à Berryer par le comte de Chambord.

En même temps, la majorité mettait à l’ordre du jour la proposition Creton, ayant pour objet l’abrogation de la loi qui exilait les membres de la famille des Bourbons. Il était impossible de montrer d’une façon plus claire que tous les efforts de la réaction tendaient à une restauration monarchique. Or, cette restauration était profondément antipathique à la nation. En jetant dans le pays une inquiétude permanente, en empêchant la reprise des affaires, en votant toutes les mesures compressives les plus odieuses, la majorité préparait aveuglément l’avènement du despotisme ; elle faisait admirablement le jeu de l’ancien prisonnier de Ham qui, maître du pouvoir, tenait absolument à y rester.

Louis Bonaparte ne pouvait manquer de profiter de tant de fautes accumulées. Criblé de dettes, empruntant partout pour payer ses agents, pour acheter des créatures, il en était arrivé à un état tel qu’il lui fallait à tout prix se rendre maître de la France. Il avait d’ailleurs peu de ménagements à garder envers l’Assemblée ; il ne s’agissait que de vivre auprès d’elle jusqu’au moment où il serait prêt à la balayer. Mais il fallait aussi attirer à sa cause le peuple qui, las de tant d’intrigues écœurantes, paraissait s’attacher à la République. Louis Bonaparte pensa qu’il était temps de montrer que, s’il n’avait pu mettre en pratique ses idées personnelles propres à réaliser le bonheur de la nation, la faute en revenait à la majorité seule, et de prouver enfin par un acte éclatant qu’il était le partisan déclaré de la souveraineté populaire.

Toutefois, pour ne pas rompre trop vite avec la majorité, il prit parmi ses membres, le 10 avril, un nouveau ministère, comprenant : MM. Baroche, aux affaires étrangères ; Chasseloup-Laubat, à la marine ; Léon Faucher, à l’intérieur ; Routier, à la justice ; Buffet, à l’agriculture et au commerce ; de Crouseilhes, à l’instruction publique ; Fould, aux finances ; Randon, à la guerre.

Pendant que les royalistes s’exaltaient dans leurs espérances, Louis Bonaparte faisait organiser dans le pays une vaste agitation en sa faveur et un pétitionnement demandant, outre la révision de la constitution, la prolongation des pouvoirs présidentiels. Le 1er juin 1851, il se rendit à l’inauguration de la section du chemin de fer de Dijon, et prononça dans cette ville un discours dans lequel il attaqua nettement les meneurs de la majorité. « Si mon gouvernement n’a pu réaliser, dit-il, toutes les améliorations qu’il avait en vue, il faut s’en prendre aux manœuvres des factions... Depuis trois ans, on a pu remarquer que j’ai toujours été secondé par l’Assemblée quand il s’est agi de combattre le désordre par des mesures de compression. Mais lorsque j’ai voulu faire le bien, améliorer le sort des populations, elle m’a refusé ce concours. Si la France reconnaît qu’on n’a pas le droit de disposer d’elle sans elle, la France n’a qu’à le dire : mon courage et mon énergie ne lui manqueront pas. » Le ministre de l’intérieur, Léon Faucher, voyant l’effet que ces paroles allaient produire sur la majorité, sa hâta d’accourir à Paris pour expurger la harangue présidentielle. Les phrases que nous venons de citer furent supprimées au Moniteur. Mais l’Assemblée en a connaissance et s’agite, la Bourse baisse ; le bruit se répand qu’un coup d’État va éclater, que l’armée est prête à marcher. C’est alors que le général Changarnier, montant à la tribune, prononça, avec la grotesque solennité qui constitue le fond de son éloquence, ces paroles devenues célèbres : « L’armée, profondément pénétrée du sentiment de ses devoirs, du sentiment de sa propre dignité, ne désire pas plus que vous de voir la honte et les misères des gouvernements des Césars, alternativement proclamés ou changés par des prétoriens en débauche. Personne n’obligera les soldats à marcher contre cette Assemblée. L’armée n’obéira qu’aux chefs dont elle est habituée à suivre la voix. Mandataires de la France, délibérez en paix. » Lorsqu’il eut fièrement regagné sa place, au milieu des frénétiques applaudissements de la majorité, le ministre de l’intérieur fit la déclaration suivante, qui parut un peu calmer les esprits : « Le discours du président de la République a été publié ce matin dans le Journal officiel ; le gouvernement n’en reconnaît pas d’autre. »

Peu après, des discussions orageuses s’engagèrent à l’Assemblée au sujet des pétitions qui demandaient la révision de la constitution. Tous les partis auraient bien voulu de la révision à leur profit ; mais tous, excepté celui du président, craignant qu’elle ne tournât contre eux, faisaient leurs réserves ou s’accordaient à la repousser. Du reste, l’article 68 de la constitution opposait à une révision légale de fortes barrières, en exigeant une majorité des trois quarts des voix. Les amis du prince la demandaient avec confiance et provoquaient de toutes parts des pétitions ayant pour but, soit une révision totale, soit une révision partielle, mais avant tout une prorogation de la présidence. La question fut discutée du 14 au 19 juillet, et la révision, adoptée par 446 voix contre 278, ne ralliait pas encore la majorité nécessaire. Pendant les vacances de l’Assemblée, du 10 août au 4 novembre, les vœux de 80 conseils généraux appuyèrent les pétitions en faveur de la révision. Le pays entrait avec passion dans le débat. Les arrestations, les procès de presse se multipliaient, des troubles éclataient sur plusieurs points du territoire ; les départements du Cher et de la Nièvre étaient mis en état de siège (21 octobre). Le ministère, dévoué à la loi du 31 mai, donnait sa démission et était remplacé par un ministère plus docile à la pensée personnelle du prétendant. Ce cabinet, formé le 26 octobre, comprenait : MM. de Thorigny, à l’intérieur ; Turgot, aux affaires étrangères ; Corbin, à la justice ; Giraud, à l’instruction publique ; Lacrosse, aux travaux publics ; Casablanca, à l’agriculture et au commerce ; Blondel, aux finances ; le général de Saint-Arnaud, à la guerre ; Fortoul, à la marine. De Maupas fut appelé à la préfecture de police. Le 1er novembre, M. Daviel remplaçait M. Corbin, M. Casablanca remplaçait aux finances M. Blondel et M. Lefebvre-Duruflé prenait le portefeuille de l’agriculture.

À la rentrée de l’Assemblée, le 4 novembre, Louis Bonaparte lui envoya un message dans lequel il protestait, comme toujours, de la loyauté de ses intentions : « Le peuple, en 1852, disait-il, manifestera solennellement l’expression de sa volonté nouvelle ; mais, quelles que puissent être les solutions de l’avenir, entendons-nous, afin que ce ne soient jamais la passion, la surprise ou la violence qui décident du sort d’une grande nation. » Puis, signalant les inconvénients de la loi du 31 mai, qui avait supprimé 3 millions d’électeurs, il insistait sur la nécessité de rétablir le suffrage universel et faisait déposer par ses ministres un projet remettant en vigueur les dispositions de la loi du 15 mai 1849, qui exigeait simplement six mois de domicile pour l’exercice du droit électoral. En proposant cette mesure, le prétendant tendait à la majorité un piège terrible ; car, en rejetant stupidement ce projet le lendemain (13 novembre), elle accrut encore l’impopularité que l’odieuse loi du 31 mai lui avait principalement attirée. Entra elle et le prolétariat, l’abîme était désormais infranchissable. Dès ce moment, une guerre ouverte commençait entre les deux pouvoirs. À la proposition de rétablir le suffrage universel et aux bruits de coup d’État qui prirent à cette époque une intensité nouvelle, l’Assemblée répondit par la proposition des questeurs.

Saint-Arnaud, en prenant possession du ministère de la guerre, avait adressé à l’armée un ordre du jour contenant une protestation virulente contre le droit attribué par la constitution à l’Assemblée de requérir la force publique. Redoutant, non sans raison, un coup d’État, les questeurs de l’Assemblée, MM. Baze, Le Flô et de Panât, pensèrent qu’il était temps de prendre des mesures pour la protéger, et déposèrent une proposition par laquelle le président de la Chambre avait le droit de requérir directement la force armée dans le cas où l’Assemblée serait menacée. La discussion sur cette proposition s’ouvrit le 17 novembre et donna lieu à d’orageux débuts, à la fin desquels Saint-Arnaud, en s’adressant au ministre de l’intérieur, lâcha ces mots brutalement significatifs : « On fait trop de bruit dans cette maison, je vais chercher la garde. » Par malheur, dans cette maison les républicains se divisèrent. Les uns, à la tête desquels se trouvait Charras, redoutant moins pour la démocratie l’Assemblée que l’auteur de l’échauffourée de Strasbourg, votèrent pour la proposition des questeurs. D’autres, notamment Michel de Bourges, ayant vu dans le rétablissement du suffrage universel proposé par Louis Bonaparte une avance au parti démocratique, votèrent contre et contribuèrent à la faire repousser. Dès l’instant où l’Assemblée ne pouvait plus se protéger, où le président de la République seul pouvait disposer de la force publique, il était évident que l’Empire était fait.

En ce moment, Louis Bonaparte, de concert avec de Morny, Saint-Arnaud, Mocquart, Persiguy, Magnan et de Maupas, préparait silencieusement le coup d’État qui devait chasser l’Assemblée, renverser la République et imposer pendant dix-neuf ans à la France un régime de compression odieuse et de démoralisation sans exemple dans l’histoire. Le général Magnan commandait en chef l’armée de Paris, composée de 60,000 hommes de troupes depuis longtemps travaillées, et s’était assuré « le concours enthousiaste » de vingt et un généraux. La police était aux mains de M. de Maupas, et le général de Lawœstine, tout dévoué à Bonaparte, avait remplacé le général Perrot dans le commandement de la garde nationale.

Le 1er décembre au soir, Louis Bonaparte, causant avec M. Ferdinand Favre, maire de Nantes, lui dit, en parlant des bruits de complots qui circulaient : « Au moins, vous, monsieur Favre, vous ne croyez pas à cela, n’est-ce pas ?... Vous savez que je suis un honnête homme. » Le lendemain, le coup d’État éclatait, et l’honnête homme faisait massacrer ou emprisonner, par ses soldats avinés, les défenseurs de la loi et de la liberté.

Nous ne raconterons pas ici cette sombra page de notre histoire ; nous l’avons fait longuement ailleurs et nous y renvoyons le lecteur (v. décembre [deux]). Parlant de cet acte criminel, M. de Sybel dit : « Le 4, lors-