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nement de Louis-Philippe. Il dut rester en Suisse, et la loi du 2 septembre, qui maintint celle de janvier 1816 bannissant les Bonaparte, vint lui démontrer que l’heure n’était pas encore venue de rien tenter du côté de la France. Peu après, il se rendit avec sa mère à Rome, d’où il fut expulsé après la mort de Pie VIII, et alla rejoindre son frère à Florence. Il régnait en ce moment en Italie une grande fermentation dans les esprits, et, au mois de février 1831, une insurrection éclata dans les Romagnes. Liés par leur serment de carbonari, désireux, du reste, de jouer un rôle qui les mît en évidence, Napoléon-Louis et Louis-Napoléon durent répondre à l’appel qui leur fut fait par les patriotes. Avant de partir pour aller rejoindre à Bologne les amis de la liberté, le prince Louis écrivit à sa mère : « Votre affection comprendra nos sentiments ; nous avons contracté des engagements que nous ne pouvons manquer de remplir, et le nom que nous portons nous oblige à secourir les malheureux qui nous appellent. » Peu après, il adressa au pape Grégoire XVI, tant en son nom qu’en celui du comité révolutionnaire de Terni, une déclaration de principes dans laquelle il revendiquait les libertés de l’Italie. Les deux frères se joignirent alors à un petit corps d’armée, destiné à s’emparer de Civita-Castellana ; mais, sur ces entrefaites, les Autrichiens reprirent Bologne, et les deux frères, sans coup férir, durent battre en retraite pour s’embarquer à Ancône. Mais, en arrivant à Forli, Napoléon-Louis, atteint d’une inflammation de poitrine selon les uns, de la rougeole selon d’autres, dut s’aliter et mourut le 17 mars. Louis-Napoléon gagna alors Ancône, puis Pesaro, où lui-même tomba malade des suites de ses fatigues. Sa mère, qui se trouvait à Foligno, accourut auprès de lui, parvint à le soustraire aux recherches des Autrichiens, puis, grâce à un passeport anglais, lui fit traverser l’Italie et le conduisit en France. Arrivée à Paris, elle alla rendre visite à Louis-Philippe, qui lui accorda l’autorisation de rester quelque temps dans cette ville, mais refusa de donner à son fils un grade dans l’armée française. Les imprudences de Louis-Bonaparte et des troubles qui éclatèrent le 5 mai, à l’occasion de l’anniversaire de la mort de Napoléon Ier, amenèrent un changement dans les dispositions du gouvernement, et la reine Hortense et son fils reçurent l’ordre de quitter Paris.

Après avoir passé quelque temps à Londres, les deux voyageurs revinrent au château d’Arenenberg. Peu après, à la fin de 1831, quelques chefs de l’insurrection polonaise vinrent proposer à Louis Bonaparte de se joindre à eux, en lui faisant entrevoir la possibilité de devenir roi de Pologne. Séduit par cette perspective, il se mit en route ; mais la nouvelle de la prise de Varsovie lui fit rebrousser chemin. L’année suivante, la Chambre des députés ayant renouvelé la loi de bannissement contre la famille Bonaparte, Louis se fit naturaliser citoyen de Thurgovie. Ce fut alors qu’il publia ses Rêveries politiques, suivies d’un Projet de constitution (1832), ouvrage plein d’incohérence et de contradictions, dans lequel il se déclare à la fois républicain et monarchiste. « D’après les opinions que j’avance, y disait-il, on voit que mes principes sont entièrement républicains. Eh ! quoi de plus beau, en effet, que de rêver à l’empire de la vertu, au développement de nos facultés, au progrès de la civilisation ? Les patriotes sont en grande partie républicains. » Puis il ajoutait : « Si dans mon projet de constitution je préfère la forme monarchique, c’est que je pense que ce gouvernement conviendrait mieux à la France, en ce qu’il donnerait plus de garanties de tranquillité, de force et de liberté. » Quant à son projet de constitution, il reposait sur les bases suivantes : « Les trois pouvoirs de l’État seraient le peuple, le Corps législatif et l’empereur. Le peuple aurait le pouvoir électif et de sanction ; le Corps législatif aurait le pouvoir délibératif ; l’empereur, le pouvoir exécutif. »

La mort du duc de Reichstadt (1832) vint faire de Louis-Napoléon la chef de la famille Bonaparte, l’héritier de la couronne impériale. Le jeune ambitieux voyait son rêve prendre une forme. Pour se poser en prétendant, il lui restait à attendre une occasion favorable, à préparer les voies à son ambition, à grouper autour de lui les adeptes de l’impérialisme et les intrigants. En attendant qu’il pût accomplir son œuvre ténébreuse, il entreprit de se faire connaître et imprima successivement divers écrits : Deux mots à M. de Chateaubriand sur la duchesse de Berry (1833, in-8o) ; Considérations politiques et militaires sur la Suisse (1833, in-8o) ; enfin, Manuel d’artillerie (1836, in-8o). Deux ans avant cette dernière publication, en 1834, il avait été nommé capitaine d’artillerie à Berne. Vers le même temps, il entra en relation avec un maréchal des logis réformé, nommé Fialin, qui se fit appeler peu après de Persigny, et dont il devait faite par la suite un duc (v. Persigny). Fialin, ex-légitimiste converti depuis peu au bonapartisme, se rendit à Arenenberg avec une lettre de recommandation de M. Belmontet et reçut le plus favorable accueil. Audacieux, entreprenant, ardemment désireux de faire fortune, il offrit à Louis Bonaparte de se constituer le commis voyageur des idées napoléoniennes, de lui recruter des partisans ; l’offre fut acceptée avec empressement. Le parti républicain était alors abattu ; mais les légitimistes faisaient une vive opposition à Louis-Philippe. D’autre part, le soin que le roi avait mis à combler de dignités et d’honneurs les hommes du premier Empire, à faire revivre partout le souvenir de Napoléon Ier, à lui élever des monuments et des statues, semblait favoriser les projets ambitieux du fils d’Hortense, qui, de la terre d’exil, assistait à l’apothéose d’un régime dont il se considérait comme la vivante représentation. Il crut que le moment était venu de se présenter comme un libérateur, comme le fondateur d’une monarchie nouvelle, sous laquelle le peuple, disait-il, jouirait de tous ses droits et marcherait progressivement à la conquête de toutes les prospérités morales et matérielles. Pendant que Fialin, puissamment aidé par une cantatrice nommée Éléonore Gordon, s’attachait à lui faire des partisans dans les diverses classes de la société et recrutait une petite troupe de conspirateurs, le prince envoyait son Manuel d’artillerie à des officiers supérieurs de l’armée française, à quelques personnages importants, aux principaux journalistes, afin de s’assurer de leurs sentiments et de leurs dispositions, parvenait à s’acquérir des complicités morales, et, comme l’armée était son principal objectif, il expédiait des agents sur presque tous les points du territoire, principalement dans les places fortes de l’Est. Lui-même, dans un voyage à Bade, avait noué des relations avec plusieurs officiers de la garnison de Strasbourg, particulièrement avec le colonel Vaudrey, qui commandait dans cette ville le 4e régiment d’artillerie. Peu après, dans un voyage secret à Strasbourg, il fit des ouvertures au lieutenant général Voirel, qui les repoussa, gagna de nouvelles recrues en se posant comme le représentant des idées démocratiques et républicaines, et décida de renouveler les merveilles du retour de l’île d’Elbe en se présentant avec ses partisans à Strasbourg, en enlevant d’enthousiasme la garnison, puis en se dirigeant sur Paris, au milieu des acclamations des populations de l’Alsace et de la Champagne. Tel était le plan de cet illuminé politique, à qui son idée fixe enlevait toute conscience de la réalité des choses. Nous ne raconterons pas ici la folle échauffourée de Strasbourg, dont nous parlerons dans un article particulier (v. Strasbourg). Bornons-nous à dire que, arrivé secrètement dans cette ville le 28 octobre 1836, il lança, le 30, des proclamations au peuple français, à l’armée, aux habitants de Strasbourg, tenta sans succès de soulever la garnison et fut arrêté avec un assez grand nombre de ses complices. À la nouvelle de cette folle tentative, Hortense accourut à Paris pour demander à Louis-Philippe la grâce de son fils. « La facilité avec laquelle des officiers français avaient trahi leur serment à la voix d’un jeune homme connu seulement par son origine, dit M. Taxile Delord, l’indécision des soldats en sa présence, les acclamations de la population sur son passage, la puissance des souvenirs impérialistes, le prestige du nom de l’empereur donnaient matière à de graves réflexions. Le gouvernement dissimula ses alarmes. Ce qu’il savait de la conspiration était de nature à les rendre sérieuses. Louis-Philippe en sut assez pour juger prudent de faire semblant de ne rien savoir. » Il crut sage de se montrer clément. Le 9 novembre, le prince Louis, tiré de la prison de Strasbourg, fut conduit en chaise de poste à Paris et, de là, à Lorient, pour y être embarqué sur la frégate l’Andromède et conduit en Amérique. Au moment où la frégate allait mettre à la voile, le sous-préfet de Lorient demanda au fils d’Hortense s’il avait assez d’argent pour faire face à ses premiers besoins au lieu de débarquement, et, sur sa réponse négative, il lui remit de la part de Louis-Philippe une somme de 16,000 francs en or. Devenu plus tard maître de la France, le prince Louis ne songea nullement à s’acquitter de cette dette ; tout ce que la reconnaissance lui inspira, ce fut de confisquer les biens de la famille déchue.

Conduit à Rio-Janeiro, puis à New-York (3 avril 1837), il trouva aux États-Unis ses deux cousins, les frères Murat, et quelques anciens bonapartistes qui s’y étaient fixés. Tout à coup, il reçut de sa mère une lettre lui annonçant qu’elle était gravement malade. Aussitôt il s’embarqua pour l’Angleterre, d’où il se rendit à Arenenberg, et, peu de temps après son arrivée, Hortense mourut (5 octobre 1837). Il continua à demeurer en Suisse, et, comme sa première mésaventure ne l’avait nullement découragé, il recommença ses secrètes intrigues, de concert avec le docteur Conneau et M. Mocquart. En ce moment, un des anciens conspirateurs de Strasbourg, M. Armand Laity, essaya d’attirer de nouveau l’attention publique sur le prétendant en publiant le Prince Napoléon à Strasbourg, relation historique des événements du 30 octobre 1836. La condamnation de l’auteur de cette brochure à cinq ans de prison, l’active propagande bonapartiste faite par de Crouy-Chanel, Saint-Edme et quelques officiers de l’Empire, membres du club dit des Culottes de peau, de Montholon, de Mesonan, Piat, Laborde, Voisin, etc., enfin, la création de quelques journaux impérialistes : le Capitole, le Commerce, etc., mirent de nouveau sur le tapis la personnalité du neveu de Napoléon, et le gouvernement, inquiet, dut aviser. Ému de la présence du prétendant sur le territoire suisse, il demanda son expulsion dans une note appuyée par l’Autriche et par l’envoi d’un corps de troupes sur la frontière. La diète helvétique, s’appuyant sur ce fait que Louis Bonaparte s’était fait naturaliser citoyen suisse, déclara qu’elle était prête à repousser une telle exigence par les armes, à la condition toutefois que le prince renonçât à ses prétentions et à la qualité de Français. Louis Bonaparte, ne voulant ni réclamer ni dénier son droit de citoyen suisse, se tint dans une équivoque volontaire, déclara qu’il ne pouvait consentir à être la cause d’un conflit armé entre les deux puissances, et passa en Angleterre, où il arriva le 14 octobre 1838.

Là, il se lança dans le tourbillon de la vie aristocratique, et, toujours avide de faire parler de lui, même au prix du ridicule, il n’hésita point à essayer de renouveler, au tournoi d’Eglington, les prouesses des anciens chevaliers. Les plaisirs au milieu desquels il dévorait rapidement la plus grande partie de la fortune de sa mère ne lui faisaient pas, du reste, oublier son idée fixe. À Londres, il recevait de nombreux visiteurs et entretenait une correspondance active avec ses amis du continent. Ce fut pendant son séjour dans cette ville qu’il écrivit et publia les Idées napoléoniennes (1839, in-8o), ouvrage dans lequel il se livrait à une apologie de l’Empire et de Napoléon Ier, dont, par un étrange travestissement, il faisait l’exécuteur testamentaire de la Révolution (v. idées napoléoniennes.) Au moment où il faisait paraître ce singulier programme, mélange d’idées libérales et d’idées prétoriennes, il complotait une nouvelle aventure, qui ne devait pas avoir plus de succès que celle de Strasbourg. Nous avons raconté ailleurs la grotesque échauffourée de Boulogne (v. Boulogne), le débarquement des conspirateurs dans un équipage d’opéra-comique sur la plage de Wimereux (6 août 1840), la lutte qui s’ensuivit, l’arrestation du principal héros de l’aventure et des conjurés, leur procès devant la cour des pairs et leur condamnation (6 octobre). « Le petit chapeau, l’épée d’Austerlitz, l’aigle apprivoisé, dit M. Taxile Delord, servirent de point de mire aux plaisanteries des journaux ; mais un général à demi gagné, un régiment presque embauché, une maison militaire réunie autour de M. Louis Bonaparte attestaient que la mise en scène burlesque de cette conspiration cachait un fond sérieux. D’ailleurs, le rôle ridicule joué par le prétendant à Boulogne, l’embarras de sa tenue devant la cour des pairs allaient être effacés par sa longue captivité. »

Envoyé à la forteresse de Ham pour y subir un emprisonnement perpétuel, presque au même moment où les cendres de Napoléon, ramenées de Sainte-Hélène, entraient triomphalement à Paris, Louis Bonaparte eut pour compagnon de captivité le docteur Conneau, depuis longtemps attaché à sa cause, et le général Montholon. Sa captivité, du reste, était loin d’être rigoureuse. Il pouvait recevoir de fréquentes visites, échangeait avec ses amis du dehors une correspondance très-active et disposait d’un manège pour monter à cheval dans l’intérieur de la citadelle. Toujours désireux de se mettre sur un piédestal, il écrivait : « Je ne désire pas sortir des lieux où je suis ; car, ici, je suis à ma place ; avec le nom que je porte, il me faut l’ombre d’un cachot ou la lumière du pouvoir. » Il était loin, comme on le voit, d’avoir renoncé à son rôle de prétendant. Pour faire tourner sa captivité au profit de son ambition, pour se créer des partisans dans le peuple et même parmi les républicains, il se montra essentiellement occupé du sort des classes populaires. Il publia dans des journaux avancés, particulièrement dans le Progrès du Pas-de-Calais, le Précurseur de l’Ouest, de nombreux articles, dans lesquels il aborde des problèmes variés d’histoire, de politique, d’économie politique, et où il se montre constamment préoccupé d’améliorations sociales. S’il est un prétendant, c’est un prétendant démocratique. « La République serait mon idéal ; mais j’ignore si la France est républicaine. Je vois dans son histoire les deux éléments monarchique et républicain exister, se développer simultanément. Si le pays m’appelle un jour, je lui obéirai. Je réunirai autour de mon nom plébéien tous ceux qui veulent la liberté et la gloire ; j’aiderai le peuple à rentrer dans ses droits, à trouver la formule gouvernementale des principes de la Révolution. » Dans une lettre écrite, le 21 octobre 1843, au rédacteur du Journal du Loiret, il disait encore : « J’avais une haute ambition, mais je la pouvais avouer : l’ambition de réunir autour de mon nom populaire tous les partisans de la souveraineté du peuple, tous ceux qui voulaient la gloire et la liberté. » Ce fut à Ham qu’il écrivit son dithyrambe Aux mânes de l’empereur (1840) ; sa note sur les amorces fulminantes et sur les attelages (1841, in-8o) ; Fragments historiques (1841, in-8o) ; Analyse de la question des sucres (1842, in-8o) ; Études mathématiques de Napoléon (1842) ; la Traite des nègres (1843) ; Réponse à M. de Lamartine (1843), à propos du Consulat et de l’Empire ; l’Opposition (1843) ; la Paix ou la guerre (1843) ; les Conservateurs et Espartero (1843) ; Des gouvernements et de leurs soutiens (1843), où il demande que le gouvernement soit assis sur des bases démocratiques ; le Clergé et l’État (1843), où il dit : « Les ministres de la religion en France sont, en général, opposés aux intérêts démocratiques ; leur permettre d’élever sans contrôle des écoles, c’est leur permettre d’enseigner au peuple la haine de la Révolution et de la liberté ; » la Paix (1844) ; les Nobles (1844), où il propose « d’anoblir les trente-cinq millions de Français en leur donnant l’instruction, la morale, l’aisance, biens qui n’ont été jusqu’ici l’apanage que d’un petit nombre et qui devraient être l’apanage de tous ; » Extinction du paupérisme (1844, in-32), où il propose d’établir, aux frais de l’État, des colonies dans les parties les plus incultes de la France. Cet écrit lui rallia les suffrages de certains socialistes et lui valut les applaudissements de démocrates assez peu clairvoyants pour ne pas découvrir que le véritable but était poursuivi par le prétendant en émettant ces doctrines. « Lorsque, en 1844, dit M. Élie Sorin, l’écrivain de Ham publie sa brochure socialiste, intitulée : De l’extinction du paupérisme, le Journal du Loiret s’écrie : « Louis-Napoléon n’est plus à nos yeux un prétendant, mais un membre de notre parti, un soldat de notre drapeau. » Mme  George Sand prête le patronage de son nom et de son talent à la consécration de l’œuvre du prisonnier : « Le règne illustre de Napoléon n’est plus de ce monde, et l’héritier de son nom, penché sur les livres, médite, attendri, sur le sort des prolétaires… Parlez-nous souvent de délivrance et d’affranchissement, noble captif ! Le peuple est comme vous dans les fers ; le Napoléon d’aujourd’hui est celui qui personnifie les douleurs du peuple comme l’autre personnifiait ses gloires. » Chateaubriand, Thiers, Béranger, Louis Blanc ne dédaignèrent pas d’échanger des lettres avec le prince démocrate qui écrivait des phrases émues comme celle-ci : « Il est naturel, dans le malheur, de songer à ceux qui souffrent… La classe ouvrière ne possède rien, il faut la rendre propriétaire. » Quatre années passées dans les murs de Ham avaient donné le temps au prisonnier de se faire au dehors une sorte de popularité que n’avaient pu lui donner Strasbourg et Boulogne ; il avait acquis enfin des influences réelles : il comptait des amis dans les rangs du parti populaire.

En 1845, Louis Bonaparte adressa aux ministres, puis à Louis-Philippe, une demande de mise en liberté provisoire, en prétextant qu’il désirait vivement se rendre auprès de l’ex-roi de Hollande, qui touchait à sa fin. Sa demande fut repoussée, le conseil des ministres ayant exigé des garanties positives et le prétendant ayant refusé de se lier par un acte exprès. Louis Bonaparte résolut alors de s’évader. Il avait fait courir le bruit qu’il allait être l’objet d’une amnistie prochaine, dans l’espoir que le gouverneur de la citadelle exercerait sur lui une surveillance moins attentive, lorsqu’une circonstance fortuite vint servir ses projets. Des réparations intérieures ayant été jugées nécessaires, on fit entrer des ouvriers dans la prison. En ce moment, les cinq ans d’emprisonnement du docteur Conneau venaient d’expirer, ce qui le rendait légalement libre, et il pouvait, ainsi que Thélin, valet de chambre du prince, aller en ville quand il lui plaisait. Ces deux personnes purent ainsi préparer, à l’extérieur, tous les moyens de faciliter la fuite. Il fut décidé que Thélin demanderait l’autorisation de se rendre à Saint-Quentin. Au moment où il sortirait du fort comme pour aller louer un cabriolet, le prince, déguisé en ouvrier, sortirait avec lui. On décida que l’évasion aurait lieu le matin, parce que, pendant le jour, on ne faisait nulle attention aux ouvriers qui, prenant la route directe de la porte extérieure, sortaient pour aller chercher des outils et des matériaux, tandis que le soir, au contraire, les ouvriers, à leur sortie, étaient examinés un à un par le gouverneur. « Le 25 mai 1846, dit M. Taxile Delord, les ouvriers arrivent et subissent l’inspection accoutumée. Le prisonnier coupe ses moustaches, prend un poignard, passe une blouse et un gros pantalon sur ses vêtements ordinaires ; un vieux tablier de toile bleue, une perruque noire à cheveux longs, une casquette complètent son déguisement ; il chausse des sabots, met une pipe de terre à sa bouche et, l’épaule chargée d’une planche, il se dirige vers la porte. » Pendant ce temps, le docteur Conneau, pour détourner l’attention des ouvriers, les retient près de lui en leur faisant prendre le coup du matin. Grâce à la planche, Louis Bonaparte parvient à cacher sa figure aux soldats qu’il rencontre et franchit heureusement, suivi de Thélin, la porte extérieure. Aux abords de la forteresse, M. Souplet, rédacteur en chef du Guetteur de Saint-Quentin, attendait avec son cabriolet, qui reçut l’évadé et le conduisit, en brûlant le pavé, à Saint-Quentin. De là, il gagna Valenciennes, la Belgique et, deux jours après, l’Angleterre. Le 27 juillet suivant, l’ex-roi Louis mourait à Florence sans avoir jamais réclamé, comme on l’avait prétendu, la présence d’un fils qui avait été de tout temps étranger à sa vie. Seul, son fils naturel, M. Castelvecchio, se trouva à son lit de mort.

À Londres, Louis Bonaparte fit appel aux capitalistes des deux mondes pour avoir les fonds nécessaires à la construction d’un canal destiné à relier l’océan Atlantique à l’océan