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sentiment que rien ne devrait étouffer, et dont l’histoire doit maintenir le haut et sacré caractère, qui pourrait s’armer contre l’infortuné Marmont d’un rigorisme impitoyable ? Est-ce la France, qu’il croyait arrêter sur le bord de l’abîme où allait la précipiter un insensé ? Est-ce cet insensé lui-même, Napoléon enfin ? De quel droit se serait-il plaint que Marmont, pour sauver la France, eût trahi le serment qu’il lui avait prêté, lui qui, pour la noyer dans un déluge de calamités, avait effrontément foulé aux pieds tous les siens ? Résumons-nous : Marmont fut coupable ; mais si jamais coupable eut des titres au bénéfice des circonstances atténuantes, ce fut le commandant du 6e corps.

Marmont ne joua aucun rôle politique dans les événements qui suivirent et n’exerça qu’une très-médiocre influence, bien que Louis XVIII l’eût nommé commandant d’une compagnie de ses gardes du corps, pair de de France et chevalier de Saint-Louis. La réprobation publique s’était attachée à son nom et elle n’a pas encore cessé dans tous les esprits, dans les préjugés populaires du moins. Comme le dit M. Rapetti, « il eut des faveurs, mais pas d’importance. Les royalistes purs eussent rougi de devoir de la reconnaissance à une trahison, et ils se montraient ingrats ; les royalistes les moins purs se montraient naturellement les plus ingrats. Les hommes de l’Empire les plus réconciliés avec le nouvel ordre de choses tenaient à éloigner toute comparaison entre une trahison et leur ralliement, et ils affichaient leur soin à se préserver du voisinage de M. de Raguse. Quant à l’opinion populaire, elle demeurait implacable. Dans les rues, on avait fait un mot du nom de Raguse : on disait raguser pour tromper. Marmont, qui avait rêvé un grand rôle politique, se trouva réduit à l’isolement et à l’impuissance. » Pendant les Cent-Jours, Marmont suivit Louis XVIII à Gand, et, après Waterloo, le roi le combla de nouveaux honneurs. En 1816, l’Académie des sciences le choisit pour un de ses premiers membres libres. En 1830, pendant les journées de Juillet, Marmont fut chargé du commandement de l’armée de Paris, et, en cette qualité, dut défendre les fatales ordonnances. Ce rôle allait achever de le rendre impopulaire. Au plus fort de la lutte, un vieux royaliste lui dit : « Maréchal, voulez-vous sauver le roi, le peuple de Paris et votre nom ?… Arrêtez les ministres, tous les signataires, tous les conseillers des ordonnances ; faites-les transporter à Vincennes, liés, garrottés comme des criminels, comme les seuls coupables. Le peuple satisfait, apaisé par vous, posera les armes ; le roi, qui ne se trouvera plus en présence d’une révolte, pourra faire des concessions. Vous, vous serez exilé ; mais on pardonne aisément à qui nous tire d’un mauvais pas. Vous nous reviendrez bientôt et vous serez le sauveur, le pacificateur, l’homme de la royauté, de la liberté. » Ce conseil était sage ; malheureusement Marmont ne voulut pas le suivre ; il se sentait écrasé par le souvenir de 1814 ; et, en effet, pour prendre de ces résolutions audacieuses, décisives, il faut avoir derrière soi un passé irréprochable.

On connaît l’issue de la lutte : Marmont essaya en vain de résister au lion déchaîné, malgré l’habileté de ses dispositions. Une députation composée de Laffitte, des généraux Gérard et Lobau, etc., se rendit auprès de Marmont pour le prier d’arrêter l’effusion du sang ; le maréchal écrivit alors à Charles X, qui se montra inflexible, et, le lendemain, 29 juillet, le drapeau tricolore flottait sur le dôme des Tuileries. C’est alors qu’eut lieu à Saint-Cloud cette scène scandaleuse, dans laquelle le duc d’Angoulême, fou de colère, voulut arracher l’épée du maréchal, qu’il accusait de tous les malheurs de sa famille, et auquel il adressa ces mots aussi injustes que cruels : « Est-ce que vous voulez faire avec nous comme avec l’autre ? » Marmont dut se rappeler amèrement que la reconnaissance n’a jamais été une vertu royale : le dauphin lui jetait à la face comme une insulte l’acte qui avait contribué à mettre les Bourbons sur le trône. Charles X, plus équitable, essaya de verser un peu de baume sur ce cœur ulcéré, mais le coup n’en était pas moins porté.

À partir de cette époque, Marmont resta étranger aux affaires politiques ; à quel titre eût-il pu y prendre part ? Exilé volontaire, il erra pendant le reste de sa vie sur la terre étrangère, tantôt en Autriche, tantôt en Turquie, en Syrie, en Palestine, etc., et enfin dans les États de Venise. On lui doit plusieurs ouvrages remarquables : Voyage en Hongrie, en Transylvanie, dans la Russie méridionale, en Crimée et sur les bords de la mer d’Azoff, à Constantinople, etc. (Paris, 1837, 4 vol. in-8o) ; Esprit des institutions militaires (1845, in-8o ; 2e édit. l’année suivante) ; un Xénophon, un César, quelques autres opuscules et enfin ses Mémoires, qui ont eu un si grand retentissement.

« Marmont, dit encore M. Rapetti, triomphait dans ces relations qu’on nomme la vie du monde. Il avait une physionomie noble, animée, spirituelle. Il était instruit et fourni d’anecdotes sur tous les sujets. Il racontait avec charme, il étonnait, il captivait. Sa supériorité très-apparente inspirait le respect, avait cette prodigalité qui semble de la libéralité à ceux qui reçoivent, et ce désir constant de faire montre de son pouvoir, que les solliciteurs prennent aisément pour de l’obligeance. Il était bon sans discernement, et les intrigants le vantaient. Certes, il blessait par sa hauteur ; mais ceux mêmes qu’il offensait ainsi, il savait se les concilier par l’ascendant d’un caractère dont l’extrême fierté relevait encore plus qu’elle ne les déparait les qualités aimables ou brillantes. Napoléon l’avait appelé Marmont Ier. »

Quant à son talent d’écrivain, on le trouvera suffisamment apprécié dans l’article suivant.

Marmont (mémoires de), duc de Raguse (Paris, 1856-1857, vol. in-8o). Cet ouvrage posthume, dont la lecture est très-intéressante, est un monument élevé à la glorification du maréchal par le maréchal lui-même, une statue dressée sur la pierre de son tombeau. Dans ses longs Mémoires, le duc de Raguse s'attache à montrer, avec preuves à l'appui, qu'il était supérieur à une foule de gens que la faveur, encore plus que le mérite, avait élevés aux plus hautes dignités. Il a dit et écrit ce que d'autres se contentent de penser d'eux-mêmes. En outre, il n'a point hésité à porter une main audacieuse sur des demi-dieux dont plusieurs furent des héros de théâtre : il est venu déranger la perspective de l'histoire et contrecarrer les idées reçues. Où est le mal ? Marmont fut un des hommes les plus remarquables de l'Empire ; brave, instruit, spirituel, tacticien habile, administrateur éminent, il peut aussi prendre rang parmi les écrivains. Son style net, précis et tranchant est celui d'un capitaine qui sait penser. Armé de ces puissants moyens, le duc de Raguse fait table rase des réputations établies, des renommées contemporaines. Après tout, est-ce bien la vanité, la malignité, l'envie, qui animent ce briseur d'images ? Sainte-Beuve, qui avait lu le manuscrit des Mémoires quelques années avant leur publication, en avait tiré sur le compte de l'auteur une impression que le lecteur impartial est forcé d'adopter : « Une nature vive, sincère, intelligente, bien française, un peu glorieuse, mais pleine de générosité et même de candeur. » Quel a été le mobile des attaques que Marmont dirige indifféremment contre tous les hommes qui ont eu des rapports avec lui ? Est-ce misanthropie de vieillard, ressentiment contre la fortune, jalousie contre les hommes ? Mais la nature ne lui avait refusé aucun de ses dons, et la destinée ne lui avait pas été injuste. La gloire, le pouvoir, les honneurs ne lui ont pas manqué. Pourquoi ne pas supposer que ce vieillard a voulu tout simplement exprimer son opinion, faire justice des préjugés et des mensonges historiques, dire nettement, sincèrement ce qu'il pensait du régime d'odieuse compression dont il avait été témoin ? Pour tout lecteur impartial, là est le vrai. L'Empire, ce système de gouvernement qui a été si fatal à la France, a succombé sous l'influence de causes multiples : l'excès de l'ambition, le poids du despotisme, le défaut de liberté, la ruine de l'agriculture, de l'industrie et des finances, l'épuisement de la population et enfin l'insuffisance ou l'incapacité des hommes qui le servaient. On a accusé plusieurs dignitaires de l'Empire d'avoir amené sa chute par des trahisons ; Marmont lui-même n'est pas absous de la défection d'Essonnes. On a reproché à ces transfuges les faveurs, les richesses dont un despote, prodigue des deniers de l’État ou des dépouilles des vaincus, les avait comblés. On leur a rappelé que par eux-mêmes ils n'étaient rien, et qu'ils devaient au moins, à celui qui les fit quelque chose, leur reconnaissance. Les traîtres sont infâmes ; soit. Mais le premier coupable ne fut-il pas celui qui appela à la tête des armées ou du gouvernement des âmes serviles, des intelligences médiocres, et qui fit tout pour avilir les âmes, pour abaisser les caractères ? Tout gouvernement qui favorise la corruption et le népotisme reçoit un juste salaire en recueillant la trahison. Le duc de Raguse se défend, pour son compte, d'avoir trahi Napoléon. On sait que la trahison dont l'histoire l'accuse se réduit à un ordre qui fit diriger sur Versailles quelques régiments campés à Essonnes. Un gouvernement provisoire était établi : il négociait la paix avec les alliés, dont les forces occupaient une partie du territoire français. Napoléon avait abdiqué ; son armée était cantonnée à Fontainebleau ; le 6e corps, commandé par le duc de Raguse, en formait l'avant-garde. Ce corps quitta subitement sa position, sans ordre du quartier général. Or, un ordre dut être donné ; par qui ? Marmont répond : « Ce n'est pas moi. » Et il cherche à se justifier. Son ouvrage n'est même qu'une longue apologie : tout semble la préparer de loin. Marmont, si habile, fait ici preuve de maladresse. Il ne sait ni se dégager par une simple affirmation, ni accepter hautement la responsabilité de la défection du 6e corps. Paris, que Marmont avait héroïquement défendu, venait de se rendre ; l'abdication de Napoléon entraînait la paix, et la paix le désarmement. Aux yeux de Marmont, il ne s'agissait plus de combattre. Dès lors, n'était-il pas indifférent que son corps d'armée fût cantonné à Essonnes ou à Versailles ? De quel poids ces troupes eussent-elles pesé dans les destinées de Napoléon ? La France était à bout, et l'homme qui l'avait épuisée méditait peut-être une lutte nouvelle, un retour offensif, une nouvelle effusion de sang ! Dans la situation que lui avaient faite les événements, le duc de Raguse pouvait laisser à l'histoire le soin de porter un jugement définitif sur sa conduite et sur l'opportunité de sa retraite. Depuis longtemps, Marmont avait jugé « l'empereur fini. » Comme tout le monde, il pensait qu'une reprise des hostilités aggraverait les malheurs de la France, en augmentant les exigences des ennemis. Il aspira au rôle de médiateur, peut-être dans un but d'ambition personnelle. L'histoire a jugé ce rôle. Le duc de Raguse rend justice au génie militaire de Napoléon ; mais il signale ses défauts énormes, ses fautes désastreuses, ainsi que les lacunes de son intelligence. Moralement déchu, Bonaparte était tombé dans une sorte d'abâtardissement physique : l'homme du début, si sobre et si actif, était devenu lourd, sensuel, blasé sur tout, indifférent à tout. Les Mémoires de Marmont peignent bien le caractère à la fois hardi et circonspect de leur auteur. La composition en est très-habile, et le style est celui d'un soldat disert.

« Après avoir lu son livre, dit M. Cuvillier-Fleury, il me serait impossible de contester désormais que ce ne fût là un homme d'un rare esprit, d'une immense valeur, une forte nature, pleine d'élan, un caractère vigoureusement trempé, avec toutes sortes d'aptitudes supérieures et de qualités originales, le tout dans une mesure qui dépasse de beaucoup le niveau de la considération qu'on était habitué à lui accorder pendant sa vie. Chose singulière ! cette âpreté imperturbable de l'amour-propre dans le duc de Raguse, elle vous fait cabrer et elle vous subjugue ; elle vous apporte l'irritation et la conviction ; elle a un défaut énorme et elle réussit. On voudrait qu'un auteur si rempli de lui-même ne fût qu'un plat écrivain, et c'est un conteur saisissant ; qu'un homme si vain ne fût qu'un sot, et c'est un maître homme. Les Mémoires du duc de Raguse ne sont pas seulement le monument de l'orgueil ; c'en est le triomphe ; et je ne sais rien de plus déconcertant pour la sagesse humaine, de plus décourageant pour la modestie, de plus corrupteur et de plus amusant qu'un pareil livre. »


MARMONT DU HAUTCHAMP (Barthélémy), littérateur français, né à Orléans vers 1682, mort vers 1760. Il devint fermier des domaines de Flandre. Outre des romans d’un style diffus et souvent licencieux : Rethima ou la Belle Géorgienne (1723, 3 vol.) ; Nizivida ou la Princesse de Firando (1738, 3 vol.); Ruspia ou la Belle Circassienne (1754), Marmont écrivit des ouvrages intéressants, remplis de documents précieux, sur les opérations financières du temps : Histoire du système des finances sous la minorité de Louis XV pendant les années 1719 et 1720 (La Haye, 1739, 6 vol. in-12) ; Histoire générale et particulière du visa fait en France pour la réduction et l’extinction des papiers royaux et des actions de la compagnie de Indes (La Haye, 1743, 2 vol.).


MARMONTEL (Jean-François), littérateur français, né à Bort (Limousin) en 1723, mort à AbbeviUe (Eure) en 1799. Il appartenait à une famille de petits commerçants, et son éducation fut toute religieuse ; un curé de campagne, l’abbé Vaissière, lui apprit les premiers éléments de la langue, et il acheva ses études à Mauriac dans un collège de jésuites. Ses professeurs voulaient le faire entrer dans leur ordre, et il reçut même la tonsure à Toulouse ; mais sa mère le fit hésiter à s’engager dans cette voie. En attendant, on lui confia la suppléance d’une chaire de philosophie à Toulouse, dans un collège de bernardins (1741). Une ode sur l’Invention de la poudre, qu’il envoya aux Jeux floraux, fut sa première œuvre littéraire (1743) ; elle n’obtint même pas une mention, et, dans son dépit, Marmontel écrivit à Voltaire pour se plaindre de ce déni de justice. Voltaire, qui trouvait toujours un mot aimable pour les débutants, le consola, lui envoya un exemplaire de ses œuvres et ce fut l’origine d’une correspondance que Marmontel continua d’entretenir avec lui. La littérature académique était si bien dans ses moyens, quoi qu’il en pût penser lui-même après cet échec, qu’il obtint, la même année, en 1745, trois prix de poésie aux Jeux floraux et un autre à l’Académie de Montauban. Voltaire le fit venir à Paris en lui promettant une position chez le contrôleur général Orry, qui tomba justement en disgrâce à cette époque, de sorte que Marmontel n’eut plus que sa plume pour vivre. Il se mit au travail, remporta successivement deux prix de poésie à l’Académie française (1746-1747), obtint une place de précepteur dans la maison d’un directeur de la compagnie des Indes, et, sur les conseils de Voltaire, écrivit une tragédie, Denys le tyran, qui fut jouée à la Comédie-Française (5 février 1748). La pièce ne présente qu’un faible intérêt et les vers sont des plus médiocres ; le succès qu’elle obtint mit pourtant son auteur assez en relief pour lui valoir sa première aventure galante. La maîtresse du maréchal de Saxe, Mlle Navarre, trouva ce jeune homme à son goût et l’emmena, pour le posséder tout à son aise, dans un petit village de Champagne. Là il connut tous les orages de la passion, puis il fallut se quitter, la dame étant appelée à Bruxelles. À son retour à Paris, le héros de cette aventure se vit l’objet de l’attention ; Latteignant chanta dans une épître héroïque l’enlèvement du poëte. Marmontel arrivait du premier coup à la réputation. Il avait dédié son Denys à Voltaire, qui lui continuait son patronage ; il donna coup sur coup au théâtre deux autres tragédies tout aussi faibles : Aristomêne (1749) ; Cléopâtre (1750), célèbre surtout par un aspic que Vaucanson fit tout exprès pour une reprise de la pièce, en 1784. C'est en entendant siffler cet ingénieux automate qu'un spectateur s'écria qu'il était de l'avis de l'aspic ; les 'Héraclides (1752) et Égyptus (1753), sont tout aussi médiocres ; la fausse grandeur, l’emphase appliquée à des riens, une prolixité fatigante, rendent aujourd’hui la lecture de ces pièces absolument impossible ; c’est la décrépitude absolue du genre tragique. Marmontel continuait en même temps le cours de ses bonnes fortunes. Ses aventures avec Mlle Clairon, la grande tragédienne, avec Mlle Verrière, qu’il enleva comme Mlle Navarre au maréchal de Saxe, firent du bruit. Pour un simple tonsuré, il n’allait pas trop mal. Sa réputation littéraire croissait, quoiqu’il n’eût donné que bien peu de preuves d’un vrai talent ; mais il était appliqué et fécond malgré une imagination rebelle, d’où rien d’original et de neuf ne pouvait surgir. Il avait un pied dans le camp des encyclopédistes et rédigea même quelques articles littéraires pour le grand monument philosophique du xviiie siècle, entre autres, l’article déclamation, qui lui valut la tenace rancune de Lekain. Il collaborait au Mercure, dans lequel il fit insérer ses Contes moraux.

Un poëme adressé à Louis XV sur l’établissement de l’École militaire lui valut la protection de Mme de Pompadour qui lui fit donner une place dans la surintendance des bâtiments du roi, puis le privilège du Mercure à la mort de Boissy (1758). L’exploitation de cette feuille aurait pu l’enrichir ; le soin qu’il donnait à la rédaction, la variété des matières lui valurent une certaine vogue, mais une imprudence de Marmontel lui fit retirer son brevet au bout de deux ans et lui attira une détention de quelques jours à la Bastille : il avait récité dans un salon des vers de Cury, intendant des Menus-Plaisirs, contre le duc d’Aumont. Un morceau académique sur les Charmes de l’étude, couronné en 1760, la traduction de la Pharsale de Lucain (1761, 2 vol. in-8o), son traité de la Poétique française (1763, 2 vol. in-8o), composé en partie de la refonte de ses articles à l’Encyclopédie, marquèrent son retour dans l’arène littéraire. Cette même année (1763) il fut élu membre de l’Académie française. Se sentant alors appelé à de plus hautes destinées, Marmontel voulut être le père d’un genre littéraire nouveau, tenant à la fois du roman et de l’épopée. Il inaugura dans Bélisaire (1767) cette fade prose poétique dont on est bien revenu maintenant, après lui avoir encore accordé une vive admiration jusque dans la première moitié de ce siècle. Marmontel fut, comme il le voulait, le père d’un genre, le genre souverainement ennuyeux. Ses contemporains n’en jugeaient pas ainsi, car Bélisaire fut considéré comme une révélation, et même l’archevêque de Paris crut devoir écrire contre ce livre un mandement pour combattre les fâcheuses tendances vers la tolérance religieuse auxquelles l’auteur inclinait. Marmontel écrivit dans le même esprit et dans le même genre les Incas (1777, 2 vol. in-8o).

Ces deux œuvres et les Contes moraux, publiés en recueil en 1761, se réimpriment encore quelquefois, ce qui montre qu’ils ont conservé des lecteurs. On les a traduits dans toutes les langues. Ses tragédies, au contraire, sont enfouies dans l’oubli le plus profond, ainsi que tout ce qu’il a écrit en vers. Cependant, quelques-uns de ses travaux académiques, composés dans sa maturité, le Discours sur la force et la faiblesse de l’esprit humain, d’autres morceaux poétiques sur l’Histoire, sur l’Éloquence, sur l’Espérance de se survivre, rappellent, d’un peu loin il est vrai, mais encore avec quelque mérite, les discours philosophiques de Voltaire. Ils sont imprimés dans le volume des Mélanges de ses Œuvres complètes (1820, 7 vol. in-8o). Ses éloges et discours académiques en prose, l’Éloge de Colardeau, l’Apologie du théâtre, l’Essai sur les romans, quoique d’un style un peu guindé, sont d’un écrivain qui connaît les secrets de la langue ; il lui manque d’éviter une sorte de rhythme ronflant et monotone du plus fâcheux effet. Comme critique, il mérite une place à côté de Laharpe ; il a moins de pédantisme et rencontre assez souvent des idées neuves. Ses Éléments de littérature (1787, 6 vol. m-8°), forment un recueil considérable qui ne manque pas de variété et qui atteste de sérieuses études. Marmontel écrivit aussi un grand nombre d’opéras-comiques ; ceux qui eurent le plus de vogue sont : le Huron, dont Grétry écrivit la musique (1705) ; Zémire et Azor (4 actes, 1771) ; Didon (3 actes, 1783) ; Pénélope (3 actes, 1785). Piccinni écrivit la musique des deux derniers, qui ne manquent pas de mérite.

Marmontel avait succédé, en 1771, à Duclos dans la charge d’historiographe de France ; il écrivit en cette qualité une Histoire de la régence de Philippe d’Orléans (1788, imprimée seulement en 1805, 5 vol.