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de communiquer avec la captive ; un agent infâme, Gilbert Giffort, transmettait au ministre Walsingham toutes les lettres de la reine d’Écosse. Quand on crut avoir des preuves suffisantes de sa complicité, on arrêta les conspirateurs et on les condamna à mort. La mise en jugement de Marie fut décidée, et elle fut transférée au château de Fotheringay, dernière étape de sa douloureuse captivité.

Elle refusa d’abord de reconnaître la haute cour de justice ; mais elle ne persista pas dans cette sage résolution et céda aux raisonnements insidieux qu’on employa. Son attitude devant ses juges fut pleine de dignité et de noblesse ; elle protesta éloquemment contre les violences dont elle était victime, avoua qu’elle avait pris part à des complots ayant pour but sa délivrance ; mais nia énergiquement qu’elle eût trempé dans un projet d’assassinat. On allégua contre elle les lettres adressées à Babington ; mais l’accusation ne reposait que sur des copies dont on refusa de lui communiquer les originaux, on ne voulut pas non plus la confronter avec ses dénonciateurs ; sa défense fut habile : elle montra tout ce qu’il y avait d’odieux dans cette violation des formes de la justice ; mais elle était condamnée d’avance ; la sentence de mort fut prononcée à l’unanimité le 25 octobre 1586. L’intervention des rois de France et d’Écosse fut infructueuse en faveur de Marie Stuart ; toutefois Élisabeth voulait échapper à la responsabilité d’une exécution solennelle. Elle se fit adresser des pétitions par les deux chambres du Parlement ; enfin, se laissant hypocritement forcer la main, elle signa le warrant fatal. Le gardien de Marie, le farouche Amias Pawlet, déjà sondé dans le but d’un meurtre clandestin, fut ouvertement invité à rendre ce service à la reine ; il s’y refusa noblement ; et l’on possède la lettre, expression de ses scrupules qui irritèrent Élisabeth. Quand le chancelier Davison eut envoyé l’ordre de l’exécution, la reine d’Angleterre feignit de s’emporter contre lui et le disgracia, croyant égarer ainsi l’opinion publique.

Le 7 février 1587, Marie écouta avec calme, avec dignité la lecture de l’arrêt et protesta de son innocence dans les projets meurtriers de Babington. Après avoir en vain demandé les secours de la religion, elle distribua à ses serviteurs ce qu’elle possédait ; partagea sa dernière nuit entre la prière et sa correspondance avec ses parents et ses amis, et fit ses dispositions avec une fermeté qui ne se démentit pas un instant. Le lendemain à huit heures, elle se rendit dans la grande salle du château de Fotheringay où était dressé l’échafaud, répondit avec dignité, mais sans colère, aux observations que le fanatisme anglican inspirait au comte de Kent, chercha à ranimer le courage de ses serviteurs éplorés et obtint à grand’peine qu’ils assistassent à son supplice. Sur l’échafaud, elle eut à combattre la persistance inconvenante du doyen de Peterborough pour la forcer à abjurer l’idolâtrie. La sérénité touchante de son courage communiquait à tout le monde l’attendrissement ; enfin, après avoir recommandé à Dieu ses coreligionnaires proscrits, fait des vœux pour la conversion de son fils et la prospérité d’Élisabeth, elle présenta au bourreau sa tête, qui ne tomba qu’au second coup. Les assistants fondaient en larmes. « Le bourreau leur montra la tête séparée du corps ; et comme en cette montre la coëffure chut en terre, on vit que l’ennuy avoit rendu toute chenue cette pauvre reyne de quarante-cinq ans, après une prison de dix-huit ans. » (Journal de Henri III.)

La dure captivité de Marie Stuart et sa fin tragique lui ont valu une sympathie persistante ; les poètes, les romanciers ont chanté ses malheurs, les historiens eux-mêmes ont été contraints d’adoucir leur sévérité et d’atténuer ses fautes. Longtemps on n’a voulu voir en elle qu’une victime. Les recherches de Mignet et du prince Labanoff, la production de documents nouveaux, longtemps recherchés, l’authenticité de certains autres argués de faux par les défenseurs de la reine ont démontré qu’elle fut coupable, qu’elle trempa non-seulement dans l’assassinat de Darnley, mais dans les complots contre la vie d’Élisabeth, ce dont elle s’était toujours si énergiquement défendue. Son procès est donc jugé ; cependant, c’est encore Marie Stuart qui garde le beau rôle : Élisabeth restera éternellement odieuse.

Marie Stuart a été l’objet de nombreux travaux historiques. Dans les histoires générales d’Angleterre de Robertson, de Hume, de Lingard, dans la volumineuse collection de S. Jebb, sa biographie occupe une place considérable : la reine d’Écosse y est toujours jugée à un point de vue défavorable. Un nouvel aliment a été plus récemment donné aux historiens par les recherches érudites et consciencieuses du prince Labanoff : Recueil des lettres de Marie Stuart (1844, 7 vol. in-8o ; 1 vol. de supplément par Teulet) ; Pièces et documents relatifs au comte de Bothwell ; Notice sur la collection des portraits de Marie Stuart (1856, 2 fascicules in-8o). Ces publications nous ont valu la belle étude de M. Mignet et celle de M. Dargaud, que nous analysons ci-après. Les romanciers et les auteurs dramatiques se sont aussi maintes fois emparés de cette tragique histoire ; nous analysons plus bas les plus célèbres des drames ou tragédies que Marie Stuart a inspirés. Parmi les romans nous nous contenterons de citer l’Abbé, de Walter Scott, et la Marie Stuart d’Alexandre Dumas, dans la série des Crimes célèbres.

Marie Stuart (HISTOIRE DE) par M. Dargaud (1851, 2 vol. in-8o). Antérieure de quelques mois à la belle étude de M. Mignet dont nous rendrons compte ci-après, cette histoire n’a pas été effacée par le travail de l’éminent historien. Elle est conçue à un point de vue plus pittoresque, quoique les déductions en soient presque aussi vigoureuses. L’auteur ne s’est pas contenté de compulser les documents et d’en faire jaillir la lumière, œuvre certainement méritoire et dont les plus exigeants se contentent ; il a voulu suivre en France, en Écosse, et dans les châteaux forts de l’Angleterre toutes les traces de la vie de son héroïne, voir les paysages qu’elle eut sous les yeux et s’en inspirer. Rien que comme œuvre descriptive, cette Histoire de Marie Stuart est fort remarquable, parce qu’elle a si cette précision du témoin oculaire qui manque nécessairement aux livres, composés dans le cabinet. « Marie Stuart a été pour M. Dargaud, dit M. P. de Saint-Victor, un idéal de poëte, un rêve d’artiste, une énigme de philosophe. Il l’a cherchée pendant quatre années à travers la France, l’Écosse, l’Angleterre, les châteaux, les palais, les prisons, les galeries, les bibliothèques, avec cette sympathie passionnée qui est l’amour platonique de l’historien ; il s’est fait le voyageur de ce mélancolique fantôme dont la mémoire, par une affinité mystérieuse, semblait être condamnée, comme la vie, à une évasion perpétuelle ; il a suivi pas à pas à travers les fêtes, les batailles, les captivités, cette longue route de sa destinée qui part du palais de Fontainebleau pour aboutir à l’échafaud de Fotheringay, flottante et orageuse comme la mer qui les sépare ; il en a questionné toutes les ruines, interrogé tous les échos, scruté toutes les poussières ; il a cueilli sur sa route ces légendes populaires qui croissent comme les fleurs sauvages dans les espaces vides de l’histoire, et, de ces fouilles pieuses dans la cendre encore chaude du passé, il a extrait un livre vaste comme une épopée, pathétique comme un drame, vivant comme une évocation, un livre qui est à la fois le portrait d’une femme et la fresque d’une époque, le reliquaire d’un nom et le musée d’un siècle. C’est dans les portraits surtout que brille ce prestige de vie qui est le don par excellence de M. Dargaud. Marie Stuart, Élisabeth, Bothwell, Morton, Murray, Knox, Burleigh revivent en traits ardents sous cette plume d’artiste, à la fois ondoyante et précise, pinceau d’Holbein trempé dans la palette de Van Dyck. Il a groupé sur le second plan, et dans les demi-jours de son œuvre, Philippe II, Calvin, Henri III, Catherine de Médicis, Giordano Bruno, le duc de Guise, les grandeurs, les passions et les fanatismes de ce XVIe siècle dont Marie fut la charmante et tragique incarnation. »

Marie Stuart, par M. Mignet (1851, 2 vol. in-18). L’ouvrage parut d’abord en articles dans le Journal des savants (1850), et attira l’attention autant par les séductions du style que par la rigueur et la conscience des déductions historiques. Venu après Hallam, Lingard et le prince Labanoff, M. Mignet est certainement le plus complet et peut-être le plus impartial des historiens de Marie Stuart. Il est touché par les malheurs de son héroïne, sans pourtant se laisser influencer. « Il la juge, dit M. Nisard, en juré cherchant la vérité et regrettant de l’avoir trouvée, plein des devoirs de l’historien et ému de sympathie pour la misère humaine. » C’est animé de ce double sentiment que M. Mignet déclare Marie Stuart coupable de complicité dans le meurtre de Darnley, son mari. Son amour de la vérité, sa conscience d’historien ont dicté la sentence, mais la sympathie pour la faiblesse humaine a inspiré le noble récit où il en retrace les motifs. Il plaint en même temps qu’il condamne ; en dénonçant le crime il pense à sa longue et douloureuse expiation, et tout en restant doux au malheur il a su être plus concluant que Hallam. Dans ce livre remarquable, la reine d’Écosse reste charmante, pleine de séductions et de dignité, si malheureuse qu’elle le paraît toujours plus que coupable, digne d’amitiés qui se dévouent, enfin, malgré son crime, meilleure que tous ceux qui l’entourent. Son crime est abominable sans doute, mais la victime est odieuse, et la morale des cours en ce temps-là, la violence des mœurs écossaises, Rizzio égorgé à côté de Marie dans sa propre chambre, par des assassins titrés auxquels son mari avait montré le chemin, tout cela vivement raconté par M. Mignet semble atténuer le crime en le faisant rejaillir sur ceux qui l’ont provoqué.

L’effet général du livre de M. Mignet est hautement moral. Comme dans les tragédies de nos grands poètes, chaque faute y porte sa peine, et chaque personnage est puni à proportion de ses fautes. Pour ne parler que des principaux, Darnley, assassin de Rizzio, meurt par la trahison dont il avait donné l’exemple ; Bothwell, assassin de Darnley, languit quelques années dans une prison de Danemark, et meurt méprisé et non oublié. Marie, qui, pour parler comme Schiller, lui a donné son cœur et sa main, meurt, après dix-neuf ans de captivité, plus sûre de la pitié du monde que de son estime, et laissant plus de champions intéressés de son innocence que d’amis honnêtes qui y aient foi. L’exil ou l’échafaud déciment ceux qui avaient décimé leurs ennemis par l’exil ou l’échafaud ; personne n’échappe à cette première justice d’ici-bas dont l’historien sait reconnaître les motifs dans nos fautes et les arrêts certains dans nos malheurs. Élisabeth seule semble échapper à cette terrible loi du talion, mais elle meurt à soixante-douze ans dans le ridicule d’un dernier amour.

« Ce livre, dit M. Nisard, a le mérite très-éminent de toutes les productions de M. Mignet ; il est avant tout très-bien fait. J’entends par là quelque chose de mieux qu’un bon livre. Un livre peut être bon sans être bien fait. Si le sujet est traité sérieusement et avec soin, que le style y convienne à la matière, que la langue en soit exacte, on dira : c’est un bon livre ; mais s’il manque de plan, de proportion, s’il n’a pas cet intérêt dramatique nécessaire même à un ouvrage de raisonnement, s’il n’est pas soutenu, s’il manque de cette élégance qu’on demande même aux livres de mathématiques, ce ne sera pas un livre bien fait. L’histoire de Marie Stuart réunit les deux genres de mérite, et le second, au temps où nous vivons, est beaucoup plus digne de louanges que le premier. »

Marie Stuart et le comte de Bothwell, par M. Wiesener (1863, in-8o). Cette étude est remarquable en ce qu’elle prétend réviser le procès de Marie et réfuter les conclusions de MM. Dargaud et Mignet relatives à la culpabilité, trop certaine, de la reine d’Écosse. L’auteur reproche à ces deux historiens d’avoir fait une Marie Stuart « de système. On lui a imputé, dit-il, les vices qu’elle devait avoir d’après la théorie psychologique ; les crimes qu’elle a dû commettre d’après ses vices supposés. On est parti de l’idée a priori que les écrits de ses adversaires devaient être la vérité ; on a examiné les documents d’un œil prévenu ; en fin de compte, on s’est trompé. » C’est ce qu’il se propose de démontrer. Il retrace l’histoire de Marie Stuart depuis son retour en Écosse en 1561, jusqu’à son abdication forcée dans la prison de Lochleven en 1567. Cette étude étant écrite à un point de vue tout nouveau, nous en ferons connaître l’esprit par un court résumé. Bothwell au commencement de sa carrière valait mieux que la généralité des lords écossais vendus à l’Angleterre. Quoique protestant, il resta fidèle à la reine qui l’accueillit dans son conseil privé. Marie était entourée d’ennemis, en butte à l’animosité du traître Murray qui, tramant la déchéance de sa sœur, se révolta deux fois avec l’aide d’Élisabeth pour s’emparer du pouvoir. Les révoltés trouvèrent en face d’eux Darnley, la veille leur complice dans le meurtre de Rizzio, Bothwell et l’attachement du peuple pour sa souveraine. Il fallait donc se défaire d’eux et flétrir la réputation de la reine. On fit entrevoir à Bothwell la possibilité d’acquérir le trône et la main de Marie. On détruirait ainsi Darnley par Bothwell ; ce dernier serait mis à mort comme assassin et Marie renversée du trône comme sa complice. On commença par la diffamation : Buchanan écrivit son fameux pamphlet de la Detection. Wiesener réfute ce livre et s’attache à prouver contre les allégations de Buchanan que Marie Stuart n’eut pas d’intrigue avec Bothwell durant l’été de 1566 ; qu’on la calomnie sur ses prétendues prodigalités, sur le voyage d’Alloa en juillet, le voyage d’Édimbourg en septembre, le voyage et la maladie de Jedburgh en octobre, sur la question du divorce avec Darnley, sur la conduite insultante qu’on lui attribue envers lui. Il affirme, en outre, que les dissentiments entre les deux époux tenaient à des causes purement politiques, que lorsque Marie sut que Darnley était malade elle lui envoya son médecin quoique elle-même et ses enfants fussent malades. Il cite les lettres des agents anglais qui contredisent l’accusation d’empoisonnement, et à l’aide des registres du sceau privé il rétablit la date exacte du voyage de Glascow. L’étude des quatre premières lettres de Marie Stuart à Bothwell lui donnent à penser que les dernières sont apocryphes. Quant à l’assassinat de Darnley, d’après les pièces fournies par les accusateurs eux-mêmes, il déclare que ni Marie ni même Bothwell ne choisirent la maison où fut accompli le crime. En résumé, Marie n’aurait jamais aimé Bothwell, et ce serait un complot de ses ennemis qui aurait jeté cet aventurier dans la couche royale. Dans une affaire aussi embrouillée que celle de Marie Stuart, chaque parti, ce qui est prouvé, ayant produit des pièces fausses, et les plus compromettantes des lettres ayant disparu, on conçoit que toute thèse peut se soutenir. Mais M. Wiesener n’a guère d’autre argument que d’infirmer l’authenticité des documents qui le gênent, quel que soit le degré de confiance que leur ont accordé tous les autres historiens, et ce procédé doit mettre en garde contre les conclusions du défenseur de Marie Stuart. Le procès reste jugé dans le sens qu’ont indiqué MM. Dargaud et Mignet.

Marie Stuart, tragédie d’Alfieri (1799). Alfieri convient lui-même que Marie Stuart est la plus faible de toutes ses tragédies ; il avoue que c’est la seule qu’il voudrait ne pas avoir faite. En effet, l’intrigue n’est conduite que par des personnages secondaires, qui font agir à leur gré les acteurs principaux. Cependant cette pièce renferme quelques beautés. La première scène entre Marie et Henri est bien tracée ; elle peut même être regardée comme une des meilleures du poëte italien. Le reine y déploie toutes les ressources d’une amante, d’une épouse, pour ramener le faible Henri. La scène dans laquelle Ormond veut engager le prince à accepter l’appui d’Élisabeth mérite aussi d’être distinguée.

Marie Stuart, tragédie en cinq actes, en vers, de Schiller (représentée à Weimar le 14 juin 1800). Cette tragédie est peut-être de toutes les pièces de Schiller la plus pathétique et la mieux conçue ; mais on doit reconnaître que l’histoire présente peu de drames plus émouvants que la rivalité de Marie Stuart et d’Élisabeth. La scène s’ouvre dans le château de Fotheringay, où Mairie Stuart est renfermée depuis dix-neuf ans, et au moment où le tribunal institué par Élisabeth va prononcer sur le sort de l’infortunée reine d’Écosse. La nourrice de Marie se plaint au commandant de la forteresse des traitements qu’il fait endurer à sa prisonnière. Le commandant Paulet, serviteur fidèle d’Élisabeth, parle de Marie avec une sévérité cruelle ; il annonce sa mort prochaine et cette mort lui paraît juste, parce qu’il croit qu’elle a conspiré contre Élisabeth. Un neveu du commandant, vivement épris de Marie, essaye de la sauver. Il va porter une lettre de cette malheureuse reine à l’amant d’Élisabeth, Leicester, qui, devenu amoureux de Marie, lui a secrètement promis son appui. Ce dernier conjure Élisabeth de voir Marie ; il lui propose de s’arrêter, au milieu d’une chasse, dans le parc du château de Fotheringay, et de permettre à Marie de s’y promener de façon que le hasard ménage une rencontre entre les deux reines. Élisabeth y consent, et le troisième acte commence par la joie touchante de Marie en respirant l’air pur, en retrouvant le soleil et la nature. On vient l’avertir que la reine va venir. Elle avait souhaité cette entrevue, mais elle frémit au moment de se trouver devant le seul juge que, reine et femme, elle puisse reconnaître.

Leicester accompagne Élisabeth ; il espère que l’altière souveraine va faire usage du droit de grâce qu’elle porte avec elle, et prononcer des paroles de clémence. En effet, Marie se contient quelque temps ; mais l’orgueil insultant d’Élisabeth, jalouse d’humilier sa rivale devant son amant, triomphe de sa patience ; la victime se relève de toute sa hauteur et les deux rivales s’abandonnent sans contrainte à la haine qu’elles se sont vouée mutuellement. Élisabeth reproche à Marie ses fautes ; Marie lui rappelle les soupçons de Henri VIII contre sa mère, et ce que l’on a dit de sa naissance illégitime. Cette admirable scène, qui produit toujours à la représentation l’émotion la plus vive, n’est aussi émouvante que parce que toutes les violences qui la remplissent ont leur source dans une rivalité d’amour. Il n’y a plus ni souveraine ni prisonnière, il n’y a plus que deux femmes ; et, bien que l’une puisse envoyer l’autre à l’échafaud, la plus belle des deux, celle qui se sent la plus faite pour plaire, jouit encore du plaisir d’humilier Élisabeth aux yeux de l’amant qui leur est si cher à toutes deux. Cette dernière sort la rage dans le cœur.

Sur ces entrefaites, des émissaires du parti catholique tentent d’assassiner Élisabeth, à son retour à Londres. Talbot, comte de Shrewsbury, le plus vertueux des amis de la reine, désarme l’assassin qui voulait la poignarder, et le peuple demande à grands cris la mort de Marie. C’est encore une fort belle scène que celle où le chancelier Burleigh presse Élisabeth de signer la sentence de Marie, tandis que Talbot, qui vient de sauver la vie de sa souveraine, se jette à ses pieds pour la conjurer de faire grâce à son ennemie. Mais poussée par Burleigh, dont la brusque flatterie lui reproche sa trop grande indulgence, sa prétendue pitié, qui n’est au fond que l’indécision de la peur, Élisabeth signe la sentence en ayant soin d’en faire tomber la responsabilité sur un agent subalterne, W. Davison, son secrétaire.

Désormais, Marie n’a plus qu’à se préparer à la mort. « Dans la pièce, comme dans l’histoire, dit M. de Barante, son caractère se relève en ce moment suprême par la grandeur de la foi religieuse à laquelle son âme appartient tout entière. Suivant l’histoire, la consolation des secours de sa religion lui a été refusée. Par une supposition de poëte, cette force que les sacrements communiquent au croyant lui a été comme miraculeusement donnée pour l’assister dans sa dernière épreuve. Dans son intendant Melvil elle trouve un prêtre, de la bouche duquel elle obtient l’absolution de ses fautes, et par les mains duquel elle reçoit une hostie consacrée par le souverain pontife lui-même. La confession dernière, dans laquelle Marie proteste qu’elle est innocente de toute participation au crime pour lequel elle va mourir, l’absolution que lui donne Melvil, non-seulement ajoutent à la solennité de la scène, mais encore expliquent le complet apaisement d’âme de Marie après l’emportement de la veille. » La malheureuse reine, en marchant à la mort, rencontre Lei-