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ils sont effacés dans l’histoire du Christ par leurs cousins germains, fils de Marie Cléophas, lesquels ayant les premiers adhéré à la doctrine du jeune maître furent considérés par lui comme ses véritables frères. Ce qui jette de l’obscurité dans la parenté de Jésus, c’est que ses frères et ses cousins portaient les mêmes noms ; les théologiens se fondent là-dessus pour affirmer qu’il n’eut pas de frères, malgré le texte précis de Matthieu. Le voyage à Bethléem, pour obéir à un édit d’Auguste, les couches dans une étable, la fuite en Égypte, sont du domaine de la légende. Toutes ces circonstances ont été inventées pour réaliser les prophéties, absolument comme la généalogie remontant à David, parce qu’il fallait que le Messie fût fils de David et naquît à Bethléem. Il semble que Marie n’ait jamais voulu croire à ce rôle messianique de son fils. Malgré le soin avec lequel les Évangiles ont été expurgés, dès les premiers temps de la religion, il est resté des traces visibles de sa répugnance à cet égard. Dès que Jésus commença à parler de sa mission céleste, c’est dans sa famille qu’il rencontra les premiers incrédules. Un miracle qu’il voulut faire à Nazareth ne réussit pas du tout. Marc le dit naïvement ; il ajoute que sa mère et ses frères soutinrent alors qu’il avait perdu le sens et, le traitant comme un rêveur exalté, prétendirent l’arrêter de force (Marc, III, 21 à 31). Le dépit que conçut Jésus de cette opposition perce encore dans cette phrase sèche qu’il adressa à sa mère aux noces de Cana : « Femme, qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? Mon heure n’est pas encore venue. » (Jean II, 4.) À partir du moment où le rôle de Jésus se dessine, il n’est plus question d’elle, ce qui s’explique aisément ; elle se tint à l’écart d’une prédication à laquelle elle ne croyait point et qu’elle désapprouvait. Elle n’accompagna même pas son fils au Calvaire : le silence de trois des évangélistes est d’autant plus significatif qu’ils nomment expressément toutes les femmes qui de loin et avec douleur virent l’agonie du Christ. Comment n’auraient-ils pas mentionné sa mère si elle se fût trouvée là ? Le récit de Jean est suspect, pour beaucoup de raisons. « Il est très-remarquable, dit M. E. Renan, que la famille de Jésus, dont quelques membres durant sa vie avaient été incrédules et hostiles à sa mission, fit partie de l’Église à l’époque des apôtres et y tint une place très-élevée. On est porté à supposer que la réconciliation se fit durant le séjour des apôtres en Galilée. La célébrité qu’avait prise tout à coup le nom de leur parent, ces cinq cents personnes qui croyaient en lui et assuraient l’avoir vu ressuscité purent faire impression sur leur esprit. Dès l’établissement définitif des apôtres à Jérusalem, on voit avec eux Marie, mère de Jésus, et les frères de Jésus. En ce qui concerne Marie, il paraît que Jean, croyant obéir en cela à une recommandation de son maître, l’avait adoptée et prise avec lui. Il la ramena peut-être à Jérusalem. Cette femme, dont le rôle et le caractère sont restés profondément obscurs, prenait dès lors do l’importance. » D’après certaines traditions catholiques que rien ne vient corroborer, Marie serait morte à Éphèse dans sa soixante-douzième année. M. Renan conjecture, au contraire, qu’elle dut mourir fort peu de temps après le supplice de son fils ; quelques auteurs ecclésiastiques assignent, en effet, à sa mort la date de l’an 44 après J.-C. et disent qu’elle a été ensevelie au pied du mont des Oliviers.

Voilà tout ce que la critique historique peut raisonnablement extraire des Évangiles en ce qui concerne la personnalité de Marie. Nous ne pouvons cependant passer entièrement sous silence sa légende miraculeuse, mais nous serons bref, ces renseignements se trouvant partout. Anne et Joachim étaient mariés depuis vingt ans et n’avaient pas eu d’enfants, lorsqu’un ange apparut le même soir, à la même heure, à Joachim dans le courtil de ses bergers, et à sa femme dans le jardin de sa maison ; à tous deux et dans les mêmes termes il annonça qu’il leur naîtrait bientôt une fille. Quelques jours après, le 8 décembre, Anne conçut celle qui devait porter Jésus dans ses flancs. « Elle fut conçue sans péché originel, disent les Pères, Dieu la préservant avec une abondance de grâces, et cette innocence étant convenable à celle qu’il avait prédestinée pour sa mère. » Neuf mois après, l’enfant naquit à Nazareth, et on lui donna le nom de Marie. Ces détails sont tirés de l’Évangile apocryphe connu sous le nom de Protévangile de Saint-Jacques.

Lorsque Marie eut atteint l’âge de trois ans, elle fut consacrée à Dieu et fut reçue au nombre des vierges qui desservaient le temple. Lorsqu’elle fut en âge d’être mariée, vers onze ans, les prêtres lui choisirent pour époux Joseph, de la tribu de Juda, né à Bethléem, qui vint avec elle s’établir à Nazareth. Mais il ne devait être que le gardien de sa virginité. L’heure que Dieu avait fixée pour son incarnation étant venue, il envoya à Marie l’ange Gabriel lui annoncer qu’elle allait être mère, et comme elle s’étonnait, n’ayant jamais connu charnellement son mari, l’ange lui révéla que le Saint-Esprit descendrait en elle et que le fruit de sa conception serait le fils de Dieu. Un ange expliqua le même mystère à Joseph qui, dans les premiers temps de sa grossesse, avait eu des doutes injurieux sur la chasteté de sa femme. Le voyage à Bethléem, la naissance de Jésus dans l’étable, la purification au temple, la fuite en Égypte, sont des faits qui se rapportent autant à la biographie de Jésus qu’à celle de Marie. Il en est de même de la recherche à laquelle elle se livra par toute la ville, Jésus ayant, à douze ans, disparu sans que Joseph et Marie sussent ce qu’il était devenu ; elle le trouva au temple expliquant la loi aux docteurs. À partir de cette époque, les Évangiles ne font plus de Marie que de courtes mentions. Elle assistait aux noces de Cana et nous avons relaté plus haut le trait le plus caractéristique de cet épisode ; elle était près de Jésus lorsqu’il chassa les vendeurs du temple ; enfin une autre fois, le voyant accablé par la foule de ceux qui se pressaient pour l’entendre, elle essaya de l’en tirer, et les assistants dirent à Jésus : « Voilà votre mère et vos frères qui vous cherchent. » À partir de ce moment, il n’est plus question de Marie dans les Évangiles synoptiques ; mais la légende catholique ne pouvait s’arrêter là : elle a voulu suivre la Vierge jusqu’au moment où elle fut réunie à son fils dans le ciel. Où les auteurs ecclésiastiques ont-ils puisé le fond de leur récit ? c’est ce que nous avons examiné en parlant de l’Assomption. Quoi qu’il en soit, voici ce que dit le Père Ribadeneyra :

« L’heure tant désirée par elle vint enfin ; chacun fondait en larmes autour d’elle ; elle les consolait en disant : « Mes chers enfants, demeurez avec Dieu, ne pleurez point de ce que je vous laisse, mais plutôt réjouissez-vous de ce je m’en vais voir mon fils. » Ayant aperçu Jésus accompagné d’une troupe d’anges, elle s’écria : « Je vous bénis, Seigneur de toute bénédiction, lumière de toute lumière, d’avoir daigné prendre chair humaine en mes entrailles. » Elle dit encore, tendant les mains en haut vers son fils qui l’appelait : « Votre parole soit accomplie en moi. » Et ayant laissé tomber sa tête, elle expira. C’était la nuit d’avant le quinze août, cinquante-sept ans après avoir enfanté Jésus, vingt-trois ans après la passion et à l’âge de soixante-douze ans moins vingt jours.

« Au même temps que la Vierge expira sur la terre, les anges qui accompagnèrent son âme chantèrent mélodieusement, comme firent aussi ceux qui demeurèrent autour de son corps sacré, pour célébrer les obsèques, et cette musique fut ouïe de toute l’assistance. Mais les apôtres et les disciples de Notre-Seigneur, quand ils virent la très-sainte Vierge trépassée, se prosternèrent en terre, baisant tendrement et dévotement ce saint corps, louant Notre-Seigneur qui avait pris chair de cette chair et qui, par son moyen, avait opéré de si grandes merveilles.

« Ils oignirent le corps, suivant la coutume, avec de précieux onguents, l’ensevelirent dans un beau linceul, parsemant le lieu de fleurs et d’odeurs ; néanmoins, il n’y en avait point qui approchât de la douceur de celle qui sortait de ce saint corps. Plusieurs malades de toutes sortes de maux y vinrent, et ils furent tous guéris par la vertu de cette très-sainte dame. Le matin du quinzième d’août, les apôtres portèrent sur leurs épaules le brancard de la bière où était le corps sacré, passant par le milieu de la ville jusques en Gethsémani, eux et tous les fidèles chantant les louanges de la très-sainte Vierge. En approchant de Gethsémani, alors qu’ils furent prêts à mettre le saint corps dans le tombeau, les pleurs se renouvelèrent, chacun le voulut baiser derechef et l’honorer en grande révérence, sans pouvoir détourner les yeux du lieu où ils avaient attaché leurs cœurs. Enfin le corps fut mis dans le tombeau ; toutefois les apôtres ne se retirèrent pas, mais ils demeurèrent trois jours, écoutant la musique des anges et louant Dieu conjointement avec eux.

« L’apôtre saint Thomas, qui ne s’était pas trouvé à la mort de la très-sainte Vierge, arriva le troisième jour et, désirant voir et faire honneur au saint corps, il demanda que le sépulcre fût ouvert. Notre-Seigneur avait permis qu’il vînt après les autres, afin de manifester, par cette occasion, ce qui arriva ; car le sépulcre ayant été ouvert, on ne trouva point le corps sacré, mais seulement le linceul dont il avait été enveloppé, qu’ils baisèrent, et ils fermèrent le sépulcre, dont il sortit une très-suave odeur, plus céleste que terrestre. Ils s’en retournèrent bien joyeux à la ville, tenant pour chose certaine et assurée que ce corps très-sacré, déjà uni avec son âme, et glorieux, était ressuscité et était monté au ciel. »

Nous avons raconté, dans l’article consacré à l’immaculée conception, les développements que prit au moyen âge et dans les temps modernes le culte de Marie. Nous n’y reviendrons pas. Nous ne relaterons qu’une dernière singularité qui atteste la foi robuste des premiers chrétiens. On montrait autrefois plusieurs lettres autographes de Marie, l’une adressée à saint Ignace d’Antioche, l’autre aux habitants de Messine, une autre à ceux de Florence. Fabricius possédait une traduction latine de cette dernière, ce qui était plus facile que de posséder l’original.

Ses apparitions nombreuses et ses miracles méritent encore une mention. Parmi ses apparitions, les plus connues sont celles dont elle honora saint Grégoire le Thaumaturge, saint Jean l’Évangéliste, saint Mercure, saint Basile, saint Cyrille, puis dans ces derniers temps les petits bergers de la Salette, la jeune Bernadette de Lourdes et le P. Ratisbonne. Les miracles les plus célèbres sont ceux qu’elle fit en faveur de Jean Damascène, à qui elle remit la main droite coupée par le bourreau ; de saint Ildefonse, à qui elle fit présent d’une robe ; de Rupert, d’Albert le Grand, de Théophile, etc. Quant aux miracles opérés par ses statues et ses images, ils sont innombrables.

Notons encore, pour finir, les différentes fêtes par lesquelles Marie est honorée par l’Église et la date de leur célébration ; ces fêtes sont au nombre de huit : 1° l’Immaculée Conception fixée au 8 décembre ; 2° la Nativité, le 8 septembre ; 3° la Présentation, le 21 novembre ; 4° les Fiançailles de Marie et de Joseph, le 23 janvier ; 5° l’Annonciation, le 25 mars ; 6° la Visitation, le 2 juillet ; 7° la Purification, le 2 février ; 8° l’Assomption, le 15 août. Outre ces fêtes principales, il en est une foule d’autres particulières célébrées par les ordres très-nombreux d’hommes et de femmes qui ont pris la Vierge pour patronne, comme les carmes, les chartreux ; il en est d’autres encore pour honorer les objets qu’on dit avoir appartenu à la mère du Christ. Presque tous les anciens couvents, les vieilles églises possèdent de ces reliques : un morceau du voile de Marie, un peu de son lait, des cheveux, un fragment de sa robe, etc. La plus curieuse de ces reliques est la maison habitée par elle à Nazareth et qui, selon la légende, a été transportée par les anges en Dalmatie, puis à Lorette (anciens États romains) où elle se trouve actuellement.

— Iconogr. V. famille (sainte),madone et vierge.

Marie (ORDRE DE Sainte-). Nom donné à une association de gentilshommes formée à Vicence, en 1233, par un moine de l’ordre de Saint-Dominique, appelé Barthélemy, et dont les membres s’engageaient à arrêter les désordres commis par les guelfes et les gibelins, à soutenir les intérêts de la patrie et de la religion. Le pape Martin IV approuva cette institution et soumit les chevaliers à la règle de saint Augustin. En Italie, cet ordre possédait de riches commanderies ; mais ses membres, au milieu des richesses et des plaisirs, oublièrent leurs devoirs, et le peuple leur donna le surnom de Frères de la jubilation (fratres gaudentes). En 1559, à la mort du commandeur Camille Volta, l’ordre fut supprimé par Sixte-Quint et ses biens furent donnés au collège de Montalle. Une commanderie de l’ordre subsista pourtant sous le nom de Sainte-Marie de la Tour ; mais les chevaliers disparurent bientôt. Les insignes étaient une croix émaillée de bleu, à quatre branches et huit pointes pommelées d’or ; au centre un médaillon en or, de forme ovale et entouré de rayons d’or. Sur le médaillon était figurée la Vierge Marie, l’Enfant Jésus dans ses bras. Les membres de cet ordre étaient souvent appelés Chevaliers de la mère de Dieu.


MARIE DE CLÉOPHAS (sainte), sœur de la mère de Jésus, suivant l’Évangile. Elle vivait au Ier siècle de notre ère. Marie, qui avait épousé un certain Alphée ou Cléophas, fut une des premières à adhérer à la doctrine prêchée par Jésus, et elle poussa à suivre son exemple ses fils Simon, Juda, Joseph et Jacques, qui devaient jouer un rôle si important dans le développement du christianisme. Marie de Cléophas fut une des trois ou quatre Galiléennes qui accompagnèrent Jésus dans ses voyages, se disputant le plaisir de servir le jeune prophète, et elle assista à sa fin tragique, tandis que les disciples eux-mêmes, sauf Jean peut-être, avaient fui. « On peut, dit M. Renan, affirmer avec plus de certitude que les fidèles amies de Galilée, qui avaient suivi Jésus à Jérusalem et continuaient à le servir, ne l’abandonnèrent pas. Marie Cléophas, Marie de Magdala, Jeanne, femme de Khouza, Salomé, d’autres encore se tenaient à une certaine distance et ne le quittaient pas des yeux. » Elle fut encore présente à l’ensevelissement du jeune maître, puis, d’après la légende, le dimanche matin elle apprit la résurrection du Christ de la bouche d’un ange, et, comme elle s’en retournait, elle vit Jésus, lui embrassa les pieds et l’adora. Peu après, Marie retourna en Galilée, et à partir de ce moment elle vécut dans la plus profonde obscurité.


MARIE DE BÉTHANIE (sainte), sœur de Marthe et de Lazare. Elle était du bourg de Béthanie et se signala par sa foi et son dévouement. C’est à sa prière, d’après l’Évangile, que Jésus ressuscita Lazare ; c’est elle aussi qui, six jours avant la pâque, répandit des parfums sur les pieds du Christ. Judas ayant dit qu’il aurait mieux valu vendre ces parfums pour en distribuer l’argent aux pauvres, Jésus lui répondit : « Laissez faire cette femme ; elle avait gardé ce parfum pour le jour de ma sépulture. Vous avez toujours des pauvres avec vous ; mais pour moi, vous ne m’aurez pas toujours. » Marie de Béthanie fut du nombre des femmes qui accompagnèrent le Christ au tombeau. D’après une ancienne tradition, Marie se serait rendue avec Marthe et Lazare en Provence, où elle aurait terminé sa vie. On célèbre sa fête le 19 janvier. C’est à tort qu’on la confond souvent avec Marie-Madeleine, la pécheresse.


MARIE-MADELEINE (sainte), courtisane galiléenne qui se convertit à la voix du Christ. V. Madeleine.


Marie-Madeleine (ORDRE DE Sainte-). Ordre de chevalerie créé en 1836 par Faustin Ier, l’ex-Soulouque, empereur d’Haïti. Il a disparu, en 1859, à la chute du fondateur.


Marie-Madeleine, drame de Hebbel (1844). C’est à Paris que l’auteur composa ce drame, destiné surtout à mettre en œuvre quelques théories littéraires exposées dans la préface. Le sujet était délicat et exigeait des précautions infinies. Une jeune fille se livre à son fiancé pour détruire chez lui une jalousie sans fondement. Que deviendra-t-elle si son fiancé l’abandonne ? Elle connaît son père ; c’est une nature simple, mais rude. Il a déclaré plus d’une fois qu’il mourra si sa fille le déshonore. Condamnée à la honte pour avoir voulu épargner à sa famille l’injure d’une rupture, Marie-Madeleine est amenée à se tuer elle-même pour ne pas être cause du suicide de son père. Hebbel a jugé convenable d’accompagner sa pièce d’une préface, dans laquelle il établit que le drame bourgeois est tombé en discrédit en Allemagne à force de vulgarité ; que, pour le relever, il faut employer les situations les plus tragiques ; que la situation tragique par excellence est celle où le personnage est nécessairement obligé de faire le mal dont il sera puni.


MARIE (sainte), esclave et martyre à Rome au IIIe siècle. Elle était l’esclave du sénateur Tertulius qui, lors de la persécution ordonnée pur Dioclétien, s’efforça, pour lui sauver la vie, de la faire sacrifier aux idoles. Elle refusa et fut soumise à des tortures tellement cruelles que le peuple en murmura et qu’on la détacha de dessus le chevalet. Elle alla mourir dans une solitude. Sa fête se célèbre le 2 novembre.


MARIE (sainte) la Pénitente, nièce du solitaire Abraham, née en 445, morte en 475. Orpheline à l’âge de sept ans, elle fut recueillie par son oncle l’anachorète Abraham, qui lui fit bâtir une petite cellule près de la sienne et l’éleva dans toutes les pratiques d’une dévotion exaltée. Marie avait vingt ans lorsqu’un ermite du voisinage s’introduisit dans sa cellule sous prétexte de tirer profit de ses enseignements, surexcita son imagination et ses sens et parvint à la séduire. Peu après, la jeune fille quittait la solitude où elle avait vécu jusque-là, gagnait une ville prochaine et, s’abandonnant à toutes ses passions, devenait une courtisane. Abraham conçut une vive douleur de la conduite de sa nièce. Ayant appris le lieu où elle s’était réfugiée, il résolut d’aller l’arracher à sa vie de honteuse débauche. Il prit un habit de soldat, se couvrit la tête d’un large chapeau qui lui couvrait une partie du visage, et ainsi déguisé s’introduisit dans la maison qu’habitait Marie. Bientôt après, il était en présence de sa nièce, qui ne le reconnut point et donna l’ordre qu’où leur préparât un bon repas.

« Après qu’ils eurent fait grande chère, dit Baillet, la fille le convia d’entrer dans sa chambre pour s’aller coucher. Abraham y entra de cet air gai qu’il s’était donné et s’assit sur le lit qu’on leur avait préparé. Que. ne fait point une charité ingénieuse pour sauver une âme ?... Abraham sur cela, voyant que la fille se mettait en devoir de le déshabiller, lui dit de bien fermer la porte auparavant. Puis l’ayant fait approcher, il la prit par le bras, comme s’il eut voulu la baiser, et ôtant tout d’un coup ce grand chapeau qui lui couvrait le visage... » On devine la fin de cet épisode un peu risqué dans la vie d’un illustre anachorète. « Dès le point du jour, Abraham prit sa nièce en croupe, ou plutôt il la mit sur son cheval qu’il conduisait à pied, et s’en alla joyeux comme le pasteur qui a retrouvé la brebis qu’il avait perdue et qui la rapporte sur ses épaules. »

Dès lors Marie vécut saintement, partageant ses heures entre la prière et la méditation des Écritures, jeûnant et pleurant sans cesse ses erreurs d’autrefois. C’est ainsi qu’elle mourut à l’âge de trente ans. L’Église l’honore le 29 octobre.


MARIE L’ÉGYPTIENNE (sainte). La vie de cette sainte excentrique, dont les hagiographes racontent sérieusement les hauts faits, n’est qu’une légende invraisemblable parmi celles qui le sont le plus. Elle vivait au Ve siècle de notre ère et était née dans les environs d’Alexandrie ; à douze ans, elle quitta sa famille pour venir se livrer à la débauche dans cette capitale de l’Égypte et, d’après la confession qu’elle fit elle-même à Zozime, elle exerça pendant dix-sept ans le métier de prostituée. « Ce n’était pas que je fisse payer le crime, dit-elle au pieux anachorète ; je ne cherchais qu’à contenter la fougue d’une passion effrénée et je m’imaginais que le plus sûr moyen d’y parvenir était de m’abandonner gratuitement aux libertins. » Un jour, elle vit des pèlerins qui s’embarquaient pour Jérusalem, et fut prise du désir d’aller avec eux ; comme elle n’avait pas de quoi payer son passage, elle proposa d’y suppléer en servant aux plaisirs de tous ceux qui voudraient ; les pèlerins acceptèrent, ce qui était un peu léger pour de saints hommes comme eux. C’est ce scabreux épisode que les imagiers du moyen âge ont traduit en représentant Marie l’Égyptienne se