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nemi, saurait bien l’empêcher de faire apostasier le roi ; un autre, qu’il faudrait mettre la sœur du roi dans un sac et la jeter en Seine (1532). Marguerite répondit en employant le confesseur même du roi, Guillaume Petit ou Parvi, évêque de Senlis, à traduire en français les Heures, allégées de tout ce qu’on arguait de superstition, et en publiant un livre de poésies religieuses qu’elle avait composé, le Miroir de l’âme pécheresse, où elle avait gardé un silence calculé sur la mérite des œuvres, l’invocation des saints, le purgatoire. Beda, syndic de la Faculté de théologie, fit condamner le livre de Marguerite par la Sorbonne et poussa le principal du collège de Navarre à faire jouer par ses écoliers une moralité en drame allégorique, où une femme quittait sa quenouille pour un évangile traduit en français que lui présentait une furie. » Pour châtier les insultes faites à sa sœur, François Ier envoya Beda au Mont-Saint-Michel. Toutefois, à partir de ce moment, la reine de Navarre résida moins constamment à la cour de France, et finit par vivre à sa petite cour de Nérac, où elle eut à lutter plus d’une fois contre le mauvais vouloir et même la brutalité de son mari Henri d’Albret, qui la voyait avec peine s’entourer de poètes et de libres penseurs. On sait qu’elle cultiva avec succès la poésie et qu’elle écrivit l’Heptaméron ou les Contes de la reine de Navarre, recueil de nouvelles imitées de Boccace, pleines de grâce et d’imagination, mais malheureusement fort licencieuses. C’est à tort que la liberté de langage de Marguerite de Valois a fait soupçonner ses mœurs de n’être pas très-pures. Il ne faut pas oublier que c’était là le bon ton de la cour et le langage des honnêtes gens, et que son style est encore plus décent que celui de quelques sermons du temps. Outre l’Heptaméron, publié pour la première fois sans nom d’auteur sous ce titre : Histoire des amants fortunez, dédiée à l’illustre princesse Mme Marguerite de Bourbon {Paris, 1558, in-4o), réédité sous celui-ci : Heptaméron des nouvelles de très-illustre et très-excellente princesse Marguerite de Valois (Paris, 1559, in-4o), et depuis lors très-souvent réédité, on a d’elle : Miroir de l’âme pécheresse, poème (Alençon, 1533) ; Marguerites de la Marguerite des princesses, très-illustre royne de Navarre (Lyon, 1547, 2 parties in-8o), recueil de pièces de poésie, d’épîtres, etc., d’une médiocre valeur littéraire ; le Miroir de Jésus-Christ crucifié (Lyon, 1556) ; les Lettres de Marguerite d’Angoulême, publiées par Genin (Paris, 1841) [v. ci-après], et Nouvelles lettres de la reine de Navarre (Paris, 1842). Une très-piquante statue de cette princesse, due au ciseau de M. Lescorné, orne le jardin du Luxembourg.


Marguerite d’Angoulême (LETTRES DE), publiées en 1841-1842 (2 vol. in-8o). Ce recueil des lettres de l’aimable sœur de François Ier ne manque pas d’intérêt ; il nous montre tour à tour les traits divers d’une physionomie originale et digne d’étude. Marguerite y apparaît tantôt sœur dévouée et politique habile, tantôt amie et protectrice des savants, tantôt théologienne nuageuse, tantôt apôtre de la tolérance religieuse et de la liberté de conscience. On se complaît à suivre dans ces diverses manifestations l’esprit et le cœur d’une princesse si bien douée. Toutes les lettres adressées à son frère sont empreintes de cet amour profond qui a donné lieu à des accusations étranges, que les historiens les plus scrupuleux n’ont pu ranger parmi les calomnies. Celles qu’elle écrivit au roi captif pendant les négociations du traité de Madrid, nous font apprécier en elle un diplomate expert tout autant qu’une sœur dévouée. Plus loin, à cette ardeur d’amour fraternel se mêle une note héroïque, nous dirions même patriotique, à propos du camp d’Avignon, où Montmorency rassemblait l’armée destinée à refouler l’invasion de la Provence. Elle est si émerveillée de la bonne tenue des troupes, de la haute mine des capitaines, soucieux de prendre leur revanche de Pavie, qu’elle souhaiterait presque voir arriver les troupes impériales pour assister au combat.

Marguerite est tout autre à sa petite cour de Nérac, entourée de lettrés, de savants et de calvinistes persécutés. Ce que ses lettres prêchent alors c’est l’union, la paix, la tolérance. Ceux qui étaient ailleurs traqués et mis à mort trouvent près d’elle un refuge. Plusieurs fois dans ses lettres elle sollicite, elle intrigue en faveur de ses protégés, non sans mystère et sans quelque timidité. « Le bonhomme Fabry (Lefebvre d’Étaples) m’a écrit qu’il s’est trouvé un peu mai à Blois, et pour changer d’air iroit volontiers voir un ami sien, pour un temps, si le plaisir du roi estoit d’avis de lui donner congé, » Ce qui veut dire que le vieillard, un des patriarches de la Réforme en France, inquiété pour ses idées religieuses, demandait au roi la permission de s’exiler à Nérac : ce qui lui fut accordé. Marguerite fut moins heureuse pour Louis de Berquin, auquel elle s’intéressait vivement aussi. Au milieu de ces haines furieuses se détache avec d’autant plus d’éclat la figure douce de cette Marguerite, qui s’est définie elle-même « une femme qui se laisse toujours gaaigner à tout le monde. » On trouve dans le recueil de ses lettres peu de bruits de cour, peu d’allusions aux scandales de la société polie d’un temps qui a inspiré Brantôme. Malheureusement, il nous faut dire un mot de cette fâcheuse correspondance que Marguerite a entretenue avec son directeur Briçonnet, évêque de Meaux. On y voit des lettres de cinquante et même de cent pages, mais plus effrayantes encore par leur mystique obscurité que par leur longueur. Il est difficile de démêler un sens, et surtout le bon sens de la spirituelle et aimable Marguerite, dans tout cet extravagant fatras théologique. Mais si l’on excepte de la correspondance générale de Marguerite ces singulières aberrations, on trouvera dans ce recueil de Lettres bien des pages intéressantes et tous les éléments nécessaires pour bien juger ce caractère sympathique. « Il faut en effet, dit M. Littré, à côté de la conteuse spirituelle, moitié gaie, moitié sérieuse, des Nouvelles, et sans oublier la correspondante de l’évêque Briçonnet, voir en elle la femme pleine de cœur et de sens qui se montre dans les Lettres…, celle qui, entourée de toutes les grandeurs, a dit d’elle-même « qu’elle avait porté plus que son faix de l’ennui commun à toute créature bien née, » expression généreuse et mélancolique, qui seule suffirait pour attester quel sentiment cette âme, à la fois élevée et tendre, cette créature bien née avait, sans regret de son rôle, emporté de l’expérience des Hommes et des choses. »


MARGUERITE DE FRANCE, reine de Navarre, première femme de Henri IV, née à Saint-Germain-en-Laye le 14 mai 1552, morte à Paris le 27 mai 1615. Cette sœur des derniers Valois a mérité plus que toute autre de figurer dans la galerie des femmes galantes de Brantôme, son contemporain. Née avec les dispositions les plus heureuses, d’un esprit vif et cultivé, elle se plut dans les plus singuliers désordres et se fit remarquer, toute jeune, à cette cour du Louvre, qui passerait difficilement pourtant pour une école de bonnes mœurs. Aussi, lorsqu’elle fut promise au roi de Navarre, le Béarnais ne cacha-t-il pas sa répugnance. Quoiqu’on ne lui connût qu’un amant avoué, le duc de Guise, celui qui devait être dagué à Blois, ses goûts licencieux étaient si peu secrets que Charles IX dit : « En donnant ma sœur Margot au prince de Béarn, je la donne à tous les huguenots du royaume, » paroles qui pouvaient s’entendre en ce que le mariage de Henri de Béarn avec la sœur du roi était, pour les protestants, un gage de réconciliation, mais que la malignité des courtisans interpréta tout autrement. Le mariage fut célébré au Louvre le 18 août 1572, et les fêtes auxquelles il donna lieu, en attirant à Paris toute la noblesse calviniste, suggérèrent à Catherine de Médicis l’idée des massacres de la Saint-Barthélémy, si toutefois ce mariage n’était pas un piège destiné à faciliter l’exécution d’un projet longuement médité d’avance. Il est certain, en tout cas, que Marguerite n’était pas dans le secret ; elle faillit même être une des victimes de cette nuit fatale. On tuait les huguenots jusque dans les corridors du Louvre, et un de ces malheureux vint se réfugier près d’elle. Voici comment elle a raconté dans ses Mémoires cette tragique aventure : « Comme j’estois la plus endormie, voici un homme frappant des pieds et des mains à la porte de ma chambre, criant : Navarre ! Navarre ! Ma nourrice, pensant que c’estoit le roi mon mari, courut vitement à la porte ; un gentilhomme, déjà blessé et poursuivi par des archers, entra avec eux dans ma chambre. Lui, se voulant garantir, se jette dessus mon lit ; moi, sentant cet homme qui me tient, je me jette à la ruelle et lui après moi, me tenant toujours à la travers le corps : Je ne savois si les archers en vouloient à lui ou à moi, car nous criions tous deux et étions aussi effrayés l’un que l’autre. Enfin Dieu voulut que M. de Nançay, capitaine aux gardes, vînt, qui me trouvant en cet état-là, encore qu’il eût de la compassion, ne put se tenir de rire et se courrouça fort aux archers, les fit sortir et me donna la vie de ce pauvre homme qui me tenait, et que je fis coucher et panser dans mon cabinet jusqu’à ce qu’il fût du tout guéri. Et changeai bien vite de chemise, parce qu’il m’avoit couverte de sang. »

Pendant ce temps ; Henri n’échappait à la mort qu’en abjurant, et il était ensuite retenu prisonnier au Louvre. On conçoit qu’il ait eu fort peu d’affection pour la sœur d’un roi qui l’avait attiré dans un tel traquenard, et, quoiqu’il fût d’humeur galante, ce fut vers d’autres femmes de la cour qu’il tourna les yeux. Marguerite prit prétexte de ses nombreuses infidélités pour se donner envers lui les mêmes torts. Au milieu de sa vie de désordre, elle manifestait pourtant une certaine noblesse de sentiments qui peut faire incliner à l’indulgence. Son jeune frère le duc d’Alençon étant, comme Henri de Béarn, gardé à vue dans le Louvre, elle demanda à partager sa prison et fut l’âme du complot qui avait pour but l’évasion des deux princes. Il s’agissait aussi de gagner des partisans au duc d’Alençon et de le substituer comme héritier de Charles IX au duc d’Anjou, alors en Pologne, obscure intrigue qui fut déjouée. À cette époque se rattachent les tragiques amours de Marguerite avec La Mole, impliqué, de concert avec Coconas, l’amant de la duchesse de Nevers, dans le complot de l’évasion des princes ; ils périrent sur l’échafaud (1574), et Marguerite se fit apporter la tête sanglante de son amant. On raconte qu’elle la conserva embaumée dans un des meubles de sa chambre, et qu’elle ne craignait pas d’embrasser ces restes lugubres quand le souvenir de ses amours perdues lui revenait au cœur. Après La Mole, elle prit pour amant Bussy d’Amboise, un favori de Henri III. Du Guast avant eu l’imprudence d’en parler trop haut fut tué à coups d’épée par Vitteaux, gentilhomme attaché au duc d’Alençon, sans doute à l’instigation de Marguerite. Henri parvint à s’échapper de Saint-Germain en février 1576. Lorsqu’il eut passé la Loire, il s’écria : « Je laisse en deçà deux choses, la messe et ma femme. Pour la messe, j’essayerai de m’en passer ; pour ma femme, je la veux ravoir, » preuve que la mésintelligence était loin d’être complète entre les deux époux. D’abord gardée à vue avec d’Alençon, Marguerite n’alla pas en Navarre aussitôt qu’elle eut réussi à s’évader ; elle négocia la réconciliation de son frère avec Henri III et, sous le prétexte de prendre les eaux de Spa, fit dans le Hainaut et le pays de Liège un voyage tout politique ; il s’agissait d’enlever les Pays-Bas à l’Espagne et d’y créer, pour d’Alençon, un royaume indépendant. Cette intrigue n’eut pas de suite (1577). Elle rejoignit Henri dans son royaume de Navarre en 1578, et ils continuèrent à vivre sous le même toit sans se soucier aucunement l’un de l’autre. Le Béarnais ne se cachait pas d’avoir des maîtresses dans la palais même de Nérac, et il eut un jour l’audace de requérir l’aide de Marguerite dans une circonstance scabreuse : sa maîtresse, la Fosseuse, accouchait, et, pour pallier un peu ce scandale, ce fut la reine de Navarre qui prit soin d’elle et cacha l’enfant. Le bon accord dura cinq années ; il fut rompu, grâce à l’intolérance de l’entourage du roi. Henri, aussitôt libre, avait abjuré le catholicisme ; Marguerite conserva sa religion et eut dans le palais une chapelle où elle put se livrer à l’exercice du culte avec les personnes de sa maison. Quelques paysans catholiques voulurent assister à la messe, à la porte de la chapelle, ce qui n’était pas bien gênant, et Marguerite voulait qu’on le permît. Ils furent chassés si rudement par les ordres du secrétaire de Henri que Marguerite exigea pour elle-même une réparation éclatante. Henri la lui ayant refusée de peur de mécontenter ses huguenots, elle quitta la cour de Béarn et reparut au Louvre (1582). Ce fut, si l’on en croit les annalistes et les paroles de Henri lui-même, l’époque la plus scandaleuse de sa vie ; elle faisait entrer dans son lit jusqu’à ses palefreniers. Les chroniqueurs ont sans doute exagéré ses désordres, et la haine de Henri III contre de Bussy, cet éternel ennemi de ses mignons, suffit peut-être à expliquer les affronts que Marguerite reçut au Louvre, affronts si publics que le roi de Navarre, malgré le peu de souci qu’il avait de sa femme, crut devoir en demander raison au roi de France. Ces récriminations ne servirent qu’à mettre à nu les misères conjugales du royal couple et les débauches des deux cours. Marguerite retourna en Béarn, mais Henri lui fit si froide mine qu’elle le quitta presque aussitôt ; elle se retira dans l’Agenois et, voulant mettre à profit l’état de troubles où vivait le midi de la France depuis les guerres de religion, elle essaya de se créer là une petite royauté. À la fois rebelle contre son mari et contre son frère, il lui était difficile de se maintenir, et plus d’une fois elle fut réduite, à la tête d’une poignée de fidèles, à la vie aventureuse d’une princesse de roman. Rejetée dans l’Auvergne, elle se retira, moitié de gré, moitié de force, dans le château d’Usson, où elle vécut dix-huit années dans une demi-captivité (1587-1615). C’est dans cette retraite qu’elle écrivit ses Mémoires (v. l’article suivant) ; elle n’avait pas renoncé à la galanterie, et ce ne fut pas une retraite de cénobite à laquelle elle se condamna. De temps à autre, le bruit de ses déportements parvenait jusqu’aux oreilles de Henri, qui se laissait aller à de véritables colères. Elle avait fait venir des chameaux pour son amusement, et elle faisait sur ces montures excentriques des excursions à travers l’Auvergne. « Il est venu, écrit Henri à la comtesse de Guiche, la belle Corisandre, il est venu un homme de la part de la dame aux chameaux me demander passe-port pour passer cinq cents tonneaux de vin, sans payer taxe, pour sa bouche ; et ainsi est écrit en une patente. C’est se déclarer ivrognesse en parchemin. De peur qu’elle ne tombât de si haut que le dos de ses bêtes, je le lui ai refusé. » Dans une autre lettre, il ne se gêne pas pour souhaiter ouvertement sa mort. Quelque temps après l’assassinat du duc de Guise à Blois, il écrit : « Je n’attends que l’heure de ouïr dire que l’on aura envoyé étrangler la feue reine de Navarre. Cela, avec la mort de sa mère, me ferait bien chanter le cantique de Siméon. » L’avénement de Henri IV au trône de France ne changea rien à la destinée de Marguerite ; elle se plaignait peu, du reste, de l’abandon où elle vivait, et fort gaiement elle avait pris pour amant son geôlier, le gouverneur du château d’Usson, Canillac. Henri IV, au plus fort de sa passion pour Gabrielle, et au moment où il l’aurait volontiers épousée, essaya d’arracher à Marguerite son consentement nécessaire au divorce ; elle s’y refusa obstinément, disant en propres termes qu’elle ne céderait jamais sa place à une p….. ; c’est ce que Brantôme appelle lâcher le mot tout outre. Elle donna aussitôt ce consentement lorsque Henri IV voulut épouser Marie de Médicis, et le roi lui fit en quelque sorte réparation des sarcasmes qu’il lui avait jadis adressés, en la remerciant de son bon procédé. « Aussi suis-je très-satisfait, lui écrivit-il, de la candeur et de l’ingénuité de vostre procédure et espère que Dieu bénira le reste de vos jours d’une amitié fraternelle accompagnée d’une félicité publique qui les rendra très-heureux. » (21 octobre 1599.) Six ans après, Marguerite reparut un moment à la cour. Elle se fit bâtir, rue de Seine, un palais dont les jardins descendaient jusqu’au quai et sur les dépendances duquel elle fonda le couvent des Petits-Augustins (actuellement le palais des Beaux-arts). Elle s’y entoura d’une société de lettrés, de poëtes, de philosophes, au milieu desquels elle acheva sa vie d’une façon aussi brillante qu’elle l’avait commencée. Quoique bien fanée, car elle approchait de la soixantaine, la face enduite de cosmétiques au point de se faire venir des érysipèles, elle avait encore des amants ; un de ses écuyers assassina par jalousie son camarade prés du carrosse même de Marguerite ; le poète Maynard, son secrétaire, a chanté cet événement. Elle fit elle-même son épitaphe en vers. Cette épitaphe, gravée sur une table de marbre noir, se trouvait encore en 1790 dans l’église des Petits-Augustins, qui fut à cette époque convertie en musée historique.


Marguerite de Navarre (MÉMOIRES DE), publiés en 1658. Ces mémoires de la première femme du Béarnais offrent des détails intéressants sur les règnes de Charles IX, de Henri III, et sur les premières années de Henri IV, de 1565 à 1587. La reine Margot, comme l’appelait Charles IX, les écrivit dans la forteresse d’Usson, pour charmer les loisirs de sa retraite forcée. Ils se ressentent de la culture de son esprit et de l’aménité de son caractère, mais ils sont bien loin de tout dire ; ceux qui y chercheraient des révélations piquantes sur les intrigues amoureuses de la reine de Navarre, sur ses démêlés conjugaux et sur les infortunes de quelques-uns de ses amants verraient leur curiosité déçue. Cependant elle se met sans cesse en scène et elle se peint elle-même d’une façon très-vive, tout en ne montrant que son rôle politique de sœur et de femme de rois ennemis. On peut lui reconnaître le mérite d’une certaine franchise, de cette franchise qui ne doit pas dépasser le cercle des convenances. Favorisée par la naissance, mais victime des combinaisons et des intérêts de la politique, jetée en appât aux protestants à la veille de la Saint-Barthélemy, toujours forcée de prendre parti contre son frère ou contre Henri IV, son mari, elle n’a d’ami que son frère d’Alençon. Elle se fait son chargé d’affaires à la cour ; elle se dévoue à sa fortune ; elle travaille à l’élever ; elle intrigue pour lui ; elle cherche à séduire les gouverneurs des villes et des forteresses ; elle va même en pays ennemi, et elle raconte ses traverses d’une manière vive et animée, qui révèle en elle un esprit d’expédient et d’à-propos propre à la tirer de tous les mauvais pas. Sa relation, qui s’arrête au règne de Henri IV, est d’une lecture agréable ; son style toujours recherché, même dans ses négligences, se ressent des préoccupations littéraires de son siècle. C’est un des produits les plus élégants de la prose française à cette époque.

« Ce serait une grande erreur de goût, dit M. Sainte-Beuve, que de considérer ces gracieux mémoires comme une œuvre de naturel et de simplicité ; c’en est une bien plutôt de distinction et de finesse. L’esprit y brille, mais l’instruction, et la science ne s’y dissimulent point. Dès la troisième ligne, nous avons un mot grec : « Je louerois davantage votre œuvre, écrit-elle à Brantôme, si elle ne me louoit tant, ne voulant qu’on attribue la louange que j’en ferois plutôt à la philastie qu’à la raison ; » à la philastie, c’est-à-dire à l’amour-propre… La langue de ses mémoires n’est pas une exception à opposer à la manière et au goût de son temps ; ce n’en est qu’un plus heureux emploi. Elle sait la mythologie, l’histoire ; elle cite couramment Burrhus, Pyrrhus, Timon, le centaure Chiron et le reste. Sa langue est volontiers métaphorique et s’égaye de poésie… Une des rares distinctions de ses mémoires, c’est qu’elle n’y dit pas tout, et qu’au milieu de toutes les accusations odieuses et excessives dont on l’a chargée, elle reste, plume en main, femme délicate et des plus discrètes. Rien ne ressemble moins à des confessions que ses mémoires. « On y trouve, dit Bayle, beaucoup de péchés d’omission ; mais pouvait-on espérer que la reine Marguerite y avouerait des choses qui auraient pu la flétrir ? On réserve ces aveux pour le tribunal de la confession ; on ne les destine pas à l’histoire. » Tout au plus, en effet, quand on est averti par l’histoire et par les pamphlets du temps, peut-on deviner quelques-uns des sentiments dont elle ne fait que nous offrir la superficie et le côté spécieux. »


MARGUERITE D’AUTRICHE, duchesse de Parme, gouvernante des Pays-Bas, née à Bruxelles en 1522, morte en Italie en 1586. C’était une fille naturelle de Charles-Quint et d’une Flamande, Marguerite van Gest. Elle épousa, en 1535, Alexandre, duc de Florence, qui mourut en 1537, et se remaria, l’année suivante, avec un enfant de douze ans, Octave Farnèse, qui devint duc de Parme et de Plaisance. Nommée par Philippe II gouvernante des Pays-Bas en 1559, elle se con-