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aller faire une station dans ses guinguettes, où, chose singulière, le simple fricotier s’élève beaucoup au-dessus de nos artistes pour cette spécialité. »

Chez les matelots normands, une matelote s’appelle une caudrée (chaudronnée).


MATELOTESQUE adj. (ma-te-lo-tè-ske rad. matelot). Fam. Qui tient du matelot, qui est propre au matelot : Des façons matelotesques. Les plaisanteries matelotesques ne manquent pas. (E. Sue.)


MÂTEMENT s. m. (mâ-te-man — rad. mater). Mur. Action de mater un bâtiment ; résultat de cette action. || Peu usité.


MATEO (SAN-), ville d’Espagne, province et à go kilom. N. de Casteilon-de-Ta-Plana, ch.-l. de juridiction civile ; 2,816 hab. fabrication de gros draps ; tissage de chanvre. Quelques auteurs pensent que cette ville est bâtie sur l’emplacement de l’ancienne Indibilis.

Mnieo Fnlcono, nouvelle de Prosper Mérimée (1838). Rarement un conteur a réussi à faire tenir dans un cadre si élroit tant d’émotions et des caractères si nettement tracés. Ces quelques pages sont une merveille de rapidité et de précision. Un brigand corse est traqué dans les maquis par une escouade de soldats ; il arrive, tout hors d’haleine, se réfugier chez son parent, Matoo Falcone • mais Mateo est absent. Son fils, Fortunato, ’ un gamin de dix ans, qui montre d’heureuses dispositions, se fait donner par le pauvre diable sa dernière pièce de 5 francs et cache alors le contrebandier sous un tas de foin ; où il installe, avec la ruse d’un sauvage, une chatte et ses petits, pour faire croire que le foin n’a pas été remué depuis longtemps. Surviennent les collets jaunes. L’adjudant Gamba ne peut d’abord rien tirer de l’enfant, qui Le raille ; mais il devine son caractère et le séduit en lui offrant, pour prix de sa trahison, une montre d’argent. Éortunato indique alors, par un simple mouvement du doigt, la, cachette du proscrit. Mateo Falcone survient au moment où Sampiero, enlevé par les soldats sur une civière, car il a été blessé d’un coup de feu à la cuisse, crache sur le seuil de la maison en disant : « Demeure d’un traître ! b Mateo interroge son fils, fronce le sourcil et lui fait signe du le suivre ; la mère a lu dans ses jeux une résolution terrible, et elle le supplie d’un mot : « Ne le tue pas ! » Mais Mateo ne répond rien. Il emmène Fortunato dans le maquis, creuse un trou et, lui ayant fait réciter quelques prières, le tue roide d’un coup de carabine. En rentrant, il dit simplement à sa femme : « 11 est mort en chrétien ; que l’on dise k mon gendre de venir demeurer avec nous. » — « J’ai relu bien des fois Mateo Falcone, dit Gustave Planche, et chaque fois que je l’ai relu, j’ai admiré de plus en plus la puissance de la sobriété. Parmi les écrivains de notre temps, j’en sais bien peu qui puissent se vanter d’agir aussi énergiquement, aussi sûrement sur l’esprit du lecteur, M. Mérimée, n’eût-il écrit que Mateo Falcone, occuperait une place éminente dans l’histoire littéraire de notre pays, car de telles pages ne se comptent pas, mais se pèsent. Heureusement pour nous, il ne s’en est pas tenu là, -et nou3 avons pu admirer plus d’une fois la souplesse et la variété de son talent. Toutefois, je dois le dire, je ne crois pas qu’il ait jamais rien écrit de supérieur a Mateo Falcone. »

MATÊOTECHNIE s. f. (ma-té-o-tè-knldu gr. matuios, vain ; tec/iné, art). Science . vaine, futile, inutile, il Peu usité.

MATER v. a. ou tr. (ma-té. — Ce mot a deux origines qui se sont confondues en un même sens : mal en terme de jeu d’échecs et l’espagnol matai-, du latin mar.tare. tuer ! 11 signifiait, dans l’ancienne langue, abattre son adversaire d’un coup de lance ou rt’épée le renverser par terre, le tuer. Chevallet prétend que c’est de ce verbe mater qu’est * venue l’expression du jeu des échecs : « Dans le jeu des échecs, dit-il, qui retrace les manœuvres de deux armées se livrant bataille, le mot mater fut employé dans le sens qu’il conserve encore pour signifier réduire le roi, par un échec, à ne pouvoir sortir de sa placé ou à n’en pouvoir sortir sans se mettre de nouveau en échec : le joueur dont le roi est mat ou maté n’a qu’à s avouer vaincu). Aux échecs, Placer le roi de son adversaire sous le coup d’un échec qu’il ne peut éviter qu’en se mettant de nouveau en prise ; se dit également de la pièce ou du joueur : Mater le roi avec une tour. Je voua materai en trois coups.

— Fig. Humilier, dompter : Nous materons votre orgueil, il Mortifier, en parlant du corps : Mater son corps, sa chair pur des jeûnes, des austérités. Les dévots matent leur chair par les jeûnes et les austérités, par tes kaires et les disciplines. (Trév.)

— Tecbn. Amollir, pétrir, macérer : On fait de ce mélange auec de Veau, ou mieux de l’urine, une pâte que l’on fait pénétrer, en la matant, entre tes joints des chaudières. (Gaultier de Claubry.) il Rendre mat : Mater de l or, de l’argent. On dit plutôt matir en ce sens. Mater de l’or, Passer sur l’or employé a la décoration une couche de colle safranèe pour le rendre mat. il Mater une soudure, La serrer, la battre avec le roatoir. il On écrit aussi inatter dans ces doux derniers cas.

  • MATE

— Fauconn. Dresser, en parlant d’un oiseau de proie.

Semater v. pr. Être maté : La chair se mate par l’abstinence, l’orgueil par l’humiliation,

— Syn. Muter, mucërcr, mortifier. V. MACÉRER.

MATER v. a. ou tr. (mâ-té — rad. mal). Mar. Garnir de mâts, dresser les inàts de : Mater un bâtiment. On mate ordinairement les grands nauires à l’aide d’une machine appelée mâture. (Jal.) il Dresser, mettre debout, en parlant d’un mât : Allons.’... virons wicoup de force, mes enfants, et matons ces biguesl (Defaueonpret.) Il Dresser, mettre debout, en parlant d’un objet quelconque : MXter an canon. Mater les avirons. Il Machine à mater, Appareil qui sert à hisser les bas mâts des navires pour les installer à bord.

Se mater v. pr. Être maté : Un grand navire se mate au moyen d’un appareil spécial. MATER (machine à). Mar. Les machines a mater sont des grues puissantes et très-élevées qui servent, non-seulement à la pose des mâts des navires, mais au chargement et au déchargement des pièces lourdes, telles que les chaudières et les machines des bateaux à vapeur, les caisses à eau, les canons, etc. Elles se composent de deux bigues en bois ou en tôle, retenues à leur tête par des haubans et en leur milieu par des contrefiches, qui servent à empêcher la flexion en ces points. Ces bigues portent une caliorne qui saisit le mât à mettre en place, et dont le garant s’enroule sur un cabestan mis en mouvement par des hommes ou par des machines. Ces appareils, que l’on construit le plus souvent à poste fixe sur un soubassement très-élevé, ce qui permet de réduire les dimensions des bigues, sont quelquefois établis sur des pontons ou sur de vieux vaisseaux, afin de pouvoir les transporter dans les parties du port et de la rade où les besoins s’en font sentir.

Voici quelles sont les conditions d’équilibre de l’appareil. Soient P le poids du fardeau soulevé, appliqué à la tête des bigues ; R, la charge que les bigues ont à supporter dans le sens de leur longueur ; T, la tension des haubans. Pour l’équilibre, il faut que T et P aient leur résultante dans la direction des bigues.

On est ainsi conduit sans peine aux résul tats suivants :

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et la compression R des bigues a pour forMule

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MATER (Denis), magistrat, homme politique et littérateur français, né à. Viarmes (Seineet-Oise) en mo, mort eu 1S62. Lorsqu’il eut terminé ses études de droit, à Paris, il acheta en LS04, à Bourges, une charge d’avoué, dont il se démit en 1815 pour se faire avocat. Sa connaissance des affaires, ses idées libérales, la haute position qu’il avait su conquérir au . barreau de Bourges lui valurent d’être nommé en 1830 preirtier président k la cour royale do cette ville. Elu député dans un collège un Cher en 1839, il siègea.a la Chambre jusqu’en 1848, et y appuya toutes les mesures et toutes les lois présentées par le gouvernement. En 1852, il fut appelé à siéger à la cour de cassation. M. Mater a publié, sous le voile de l’anonyme : la Guerre théâtrale, poëme en trois Chants (1809) ; Itecueil de poésies (1803) ; Hymnes français (1815), etc.

MATERA s. f. (ma-té-ra). Art milit. anc. Sorte de trait fort lourd dont se servaient les Gaulois. || On dit aussi matéris.

MATElt A, en latin Mateola, ville du royaume d’Itulio, province de la Basilicate, ch.-l. de district, de mandement et de circonscription électorale, à 68 kilom. E. de Potenza, sur la rive droite de la Gravwa ; 14,225 hab. Autrefois siège d’un archevêché ; belle cathédrale ; école royale de belles-lettres, de droit st de médecine.

MATÉRAT s. m. (ma-té-ra), Ornith. Nom vulgaire de la mésange k longue queue.

. MATER DOLOROSA s. f. (ma-ter do-loro-za

— mots lat. qui signif. mère de douleur, et qui sont tirés du Sla bat mater). B.-arts. Sujet représentant la mère do Jésus au pied de la croix. V, mère.

— Fam. Femme habituellement triste :

Quelle MATER*n>OLOROSA !

MÂTEREAU s. m. (mâ-te-rô — dimin. de mât). Mar. Petit mât. Il Mât d’avant des bateaux employés à la pèche du hareng, sur les côtes d’Angleterre.

« MATÉRIAIRE s. m. (ma-té-ri-è-re — du lat : maieria, matière). Hist. relig. Celui qui croyait ù une matière éternelle, de laquelle Dieu avait tiré l’univers.

MATÉRIALISATION s. f. (ma-té-ri-a-li^asi-on

— rad. matérialiser). Action de matérialiser ; résultat de cette action : L’ange périt lentement par cette matérialisation des deux natures. (Balz.) L’intérêt du capital n’est que lu matérialisation de l’aphorisme : Tuut travail doit laisser un excédant, (Proudh.)

MATÉRIALISÉ, ÉE (ma-té-ri-a-li-zé) part, passé du v. Matérialiser. Rendu’ matériol ou

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grossier : Le pouvoir, les dignités, les honneurs ont constitué les grandeurs ; mais elles sont tellement matérialisées aujourd’hui, leur représentation est devenue tellement nulle et peu imposante, que l’idole de nos aïeux est brisée. (Barrière.)

MATÉRIALISER v. n. ou tr. (ma-té-ri-ali-zé

— rad. matériel). Rendu matériel ou grossier  : Il y a dans une belle âme quelque chose de divin que rien ne peut matérialiser. (Boiste.) Non-seulement te vice de l’ignorance empoisonne le foyer conjugal, mais il amoindrit la maternité, il la matérialise. (M""" G.-Coignet.) Changer la parole en musique, ce n’est pas la perfectionner, c’est la matérialiser. (Lamart.) Nos passions terrestres, c’est l’arbre de la science ; elles nous matérialisent si l’âme ne les divinise. (A. Martin.) il Considérer comme matériel, supposer matériel : Les idolâtres matérialisaient la divinité. Quelques philosophes Matérialisent l’âme, l’esprit. (Acad.) Il semble qu’on humanise les êtres matériels à proportion qu’on matérialise l’homme. (De Bonald.) La philosophie spiriiuedise la matière ou matérialise la pensée. (Proudh.)

Se matérialiser v. pr. Devenir matériel, grossier : L’égoïste s’isole et se matérialise inévitablement. (L’abbé Bautoin.) Là où le coloris sera la préoccupation principale de l’artiste, l’art tendra à se matérialiser. (Lamenn.)

MATÉRIALISME s. m. (ma-té-ri-a-li-sme

— lad. matériel). Système do ceux qui n’admettent que des êtres matériels ; Le matérialisme conduit à l’athéisme. (Brachet.) Il Dans le langage des positivistes, Erreur de logique qui consiste à expliquer par les lois des phénomènes généraux les faits dus à des lois particulières.

— Recherche des choses matérielles, physiques, grossières : Un matérialisme grossier, n’estimant tes choses qu’en vue de leur utilité immédiate, tend de plus en plus à prendre la direction de l’humanité. (Renan.)

— Encycl. Peu de questions philosophiques ont soulevé d’aussi ardents conflits que celle de l’existence et de la nature de l’âme. Nous n’avons, certes, pas la prétention de la résoudre, mais nous croyons indispensable de la poser nettement, autant, du moins, qu’une matière si obscure comporte, la netteté.

De tout temps les philosophes ont reconnu ce fait indéniable que, parmi nos idées, les unes ont leur source dans les sensations éprouvées par l’intermédiaire des sens, et les autres sont des faits de conscience. Quelle est la véritable source de ces derniers ? Certains philosophes ont cru, pour les expliquer, devoir recourir à l’existence d’un agent interne, agent simple, inétendu, absolument distinct par sa nature de la matièro, ne possédant aucune des propriétés de celle-ci, et qu’ils ont appelé âme ou esprit ; quelques-uns même, frappés, d’une part, de la foi invincible qu’entraîne le témoignage de la conscience, et, d’autre part, des illusions auxquelles les sens leur paraissent sujets, ont pris le parti de nier la réalité matérielle, n ont plus reconnu que l’existence de l’esprit ; ce sont les spiritualistes. ■ Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les spiritualistes, ainsi définis, ne sont pas les adversaires les plus directs des matérialistes : les uns et les autres admettent l’unité de substance, et comme ils reconnaissent les mêmes phénomènes, ils ne se trouvent divisés que sur.la nature de la substance unique qu’ils s’accordent à admettre ; or cette nature est, pour les uns et les autres, chose si vague, si fugitive, si insaisissable dans son essence, quo la distinction entre les deux systèmes est bien près de s’évanouir. La véritable querelle est donc entre les matérialistes et les spiritualistes mitigés que nous appellerons plus exactement les dualistes. Les matérialistes, prenant en considération le rapport sensible, tangible qui existe entre l’action des corps et les sensations qu’elle produit en nous, et, d’autre part, l’incertitude qui existe sur la nature des sensations internes, l’impossibilité de saisir et de définir leur agent, n ont voulu voir dans ces sensations que des mouvements matériels, différents de certains autres mouvements, différents, par exemple, de la vision, comme celle-ci diffère de l’ouïe, produits par d’autres organes, produits d’une différente façon, mais qui ne s’en distinguent pas substantiellement, essentiellement. Le cerveau, pour eux, digère la pensée comme l’estomac digère les aliments. Le mot comme doit être expliqué : les matérialistes n’entendent pas qu’il y ait identité ni même ressemblance entre l’élaboration cérébrale de la pensée et l’élaboration stomacale des aliments ; ils affirment seulement que la pensée est le produit d’un travail physique opéré dans le cerveau, de même que le chyle résulte d’un travail physique qui s’opère dans l’estomac. L’homme, à tous les points de vue, est un organisme général formé d’une combinaison d’organismes particuliers qui travaillent ensemble à une manifestation finale : la vie.

On peut voir, d’après ces courtes observations, que la question du matérialisme procède, en définitive, d’une autre question non moins célèbre, et dont la solution, toujours poursuivie, servirait peut-êtr, e à résoudre toutes les questions de métaphysique et de morale : l’origine des idées. La série des déductions qui

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a conduit de ce problème aux dernières conséquences du matérialisme est celle-ci : Toutes les idées nous viennent des sens : Il n’existo que des objets sensibles et des sensations ;

Le bien, c’est la satisfaction des sens ou le plaisir ; le mal, c’est la douleur.

Hâtons-nous de faire une remarque nécessaire : tous les philosophes sensualistes n’ont pas tiré toutes le3 conséquences de leur principe ; plusieurs, commo Gassendi, s’arrêtèrent à la première proposition et n’arrivèrent pas même au matérialisme ; d’autres, comme Condillac, s’arrêtèrent aux confins de la seconde ; d’autres enfin, comme Hobbes, poussant leur principe jusqu’au bout, n’hésitèrent pas à fonder la morale matérialiste. Autre observation essentielle : parmi les matérialistes, il en est qui, établissant entre la matière qu’ils admettent et l’esprit qu’ils nient des différences purement métaphysiques et en quelque sorte platoniques, faisant produire a la matière les mêmes acies que leurs adversaires réservent à l’âme, établissent, sur une base différente, une métaphysique et une morale qui ne diffèrent en rien de. la métaphysique et de la morale spiritualistes. Réduit à ces termes, le matérialisme n’a plus aucune des graves conséquences qui lui font tant d’ennemis acharnés ; que lame soit une molécule douée de force, d intelligence et de volonté, ou qu’elle soit une force, une intelligence, une volonté pures et immatérielles, ce n’est presque plus qu’une question de mots. Nous n’avons pas l’intention d’entreprendre ici la défense du matérialisme, mais nous croyons juste de ne pas mettre k sa charge de3 doctrines qui n’en sont pas la conséquence forcée, au moins dans la pensée de plusieurs de ses adhérents. Nous devons même ajouter que la morale de l’intérêt et celle du plaisir, généralement données comme les fruits naturels du matérialisme, sont parfaitement conciliâmes avec la doctrine contraire, et que la morale des spiritualistes ne se déduit pas nécessairement de la spiritualité de l’âme. Dans de semblables discussions, on ne saurait trop, recommander le calme de l’esprit et la simplicité du langage. Il est peu de doctrines contre lesquelles on ait plus déclamé que contre le matérialisme ; peu d’erreurs, si c’en est une, ont été réfutées avec un plus grand déploiement d’éloquence intempestive. L’homme s’indigne aisément de se voir assimilé ou seulement comparé ài’animal età iamatière brute. Quelle injure a soulevé plus de colère quo le titre do primate ou celui de bimane appliqués k l’homme par les naturalistes ? Être comparé au singe est l’outrage le plus sanglant que l’homme puisse subir. De pareilles colères sont peu raisonnables, et il est étonnant que des philosophes les aient partagées. «Qu’estce au fond que le matérialisme ? demande M. Taine ; une sorte de bon sens négatif et destructeur qui consiste principalement à supprimer les vérités fixes et à rabaisser les choses nobles. Dire avec Hobbes ou Helvétius que tous les êtres sont des corps, que ces corps sont des amas de boules ou de dés k jouer diversement accrochés les uns aux autres, que le sentiment est le trémoussement d’un petit filet blanchâtre, que la pensée est la sécrétion d’un petit tube mollasse, quo le bien, comme le droit suprême, est la conservation de notre vie et de nos membres, voilà de grosses idées bien palpables, qui réduisent les grandeurs et les délicatesses de la nature humaine k des ordures anatomiques, comme elles réduisent la magnificence et l’harmonie de la nature éternelle au pêle-mêle d’un amas de billes secouées dans un panier, t On doit voir dans ce morceau de M. Taine un exemple frappant de l’avantage oratoire que l’on trouve à introduire la poésie dans la métaphysique : si l’on retranchait de ce passage remarquable les mots mollasse, blanchâtre, ordures, panier surtout, le matérialisme paraîtrait inoins repoussant, et si ou tes remplaçait par des termes poétiques, cette doctrine ne semblerait pas dépourvue d’attrait. Soyons calmes : on peut l’être sans devenir matérialiste ; et avouons même qu’on peut être matérialiste sans être un monstre ou même un méchant homme, témoin Helvétius, que M. Taine vient de nommer. Uno des conditions essentielles de la liberté de penser, c’est qu’on puisse différer d’opinion sans so traiter mutuellement de scélérat. Nous préférons donc à des invectives qui ne prouvent rien ces paroles simples, modestes et mesurées d’un de nos plus savants physiologistes, M. Claude Bernard : «Je n’ai pas à entrer ici dans l’examen des questions de matérialisme

et de spiritualisme Je me bornerai k dire

seulement que ces deux questions sont, en général, très-mal posées dans la science, de sorte qu’elles nuisent k son avancement. La matière, quelle qu’elle soit, est toujours par elle-même dénuée de spontanéité et n’engendre rien. Elle ne fait qu’exprimer par ses propriétés l’idée de celui qui a créé la machine qui1 fonctionne. De sorte que la matière organisée du cerveau, qui manifeste des phénomènes de sensibilité et d’intelligence, propres k l’être vivant, n’a pas plus de conscience de la pensée et des phénomènes qu’elle manifeste que la matière brute d’une machine inerte, d’une.horloge par exemple, n’a conscience des mouvements qu’elle révèle et de l’heure qu’elle indique, pas plus que les caractères d’imprimerie et le papier n’ont la conscience des idées qu’ils retracent. Dire que