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parmi ces dernières, il y en a une, le sept de carreau, appelé manille, qui n’a pas de valeur déterminée : celui qui la possède est maître de lui attribuer celle que bon lui semble, c’est-à-dire de la considérer comme un roi, une dame, un dix, un-neuf, etc., à son choix. Les joueurs ayant pris un égal nombre de fiches et de jetons et fait les enjeux, on tire au sort à qui aura la donne. Les cartes se distribuent trois par -trois ou quatre par quatre, et, autant que possible, jusqu’à la fin. Ainsi, chacun en reçoit vingt-six si l’on joue à deux, dix-sept si l’on es, t trois, treize si l’on est quatre, et dix si l’on est cinq. Dans le second et le quatrième cas, il reste au talon une ou deux cartes que personne ne doit ni toucher ni voir. La distribution terminée, le joueur placé à la droite du donneur joue la carte qu’il veut, soit la plus forte, soit la plus faible, suivant son intérêt, et il continue tant qu’il a des cartes qui se suivent, n’importe la couleur, et en les nommant & mesure qu’il les jette. Si, par exemple, il commence parle roi, , il joue ensuite coup sur coup la dame, le valet, le dix, le neuf, etc. De même, s’il joue d’abord l’as, il joue ensuite le deux, le trois, le quatre, etc. Dès qu’il y a une lacune dans son jeu, il l’annonce aussitôt en désignant la carte qui lui manque. Ainsi, en supposant qu’ayant le huit, le neuf, le dix, il ne possède point le valet, il dira : « Huit, neuf, dix sans valet. > Alors, c’est à celui des joueurs suivants qui a la carte manquante déjouer, et ce joueur continue jusqu’à ce qu’il éprouye lui-même une interruption dans son jeu. Si personne n’a cette carte manquante, le joueur qui l’a annoncée recommence par une nouvelle série de cartes, et, de plus, chacun des autres lui paye un jeton. Ce joueur recommence également de jouer quand il parvient à jouer une série entière, c’est-à-dire depuis 1 as jusqu’au roi, ou depuis le roi jusqu’à l’as ; mais, dans ce cas, il ne lui est rien dû. Toutes les fois qu’un joueur rencontre une lacune, il peut la combler avec la manille, s’il la possède, en donnant à cette cane précisément la valeur de celle qui manque. Le gagnant est le joueur qui arrive le premier a se défaire de toutes ses cartes. Non-seulement il prend tous les enjeux, mais en outre il reçoit des autres joueurs autant de jetons qu’il reste à chacun dans la main de cartes ou de points, selon les conventions. Il est à remarquer que celui qui a la manille doit tâcher de la placer dans le cours du jeu. S’il le fait, il reçoit un jeton de chaque joueur. S’il ne le fait pas, c’est lui, au contraire, qui paye un jeton à chacun, sans préjudice des jetons qu’il peut devoir au gagnant pour les cartes dont il n’a pu.se débarrasser. Tout joueur qui, en jouant, place un roi, reçoit un jeton de chacun des autres joueurs ; mais aussi tout joueur à qui, la partie finie, il reste un ou plusieurs rois dans la main, est tenu de payer un jeton pour chaque roi aux autres joueurs, et toujours en sus des jetons dus au gagnant pour les cartes qui lui sont restées dans la main.

MANILLE, ville de l’Océanie, capitale de l’archipel des Philippines et des établissements espagnols dans la Malaisie, sur la côte occidentale de l’Ile de Luçon et sur la rive méridionale de la baie de son nom, par 14» 36’ de lat. N. et 1180 37’ de long. E.j 180,000 hab., en y comprenant la-population des faubourgs qui s’éièvant autour de la ville. Place forte défendue par la citadelle de Santiago. Archevêché ; résidence du gouverneur de Luçon et des autorités supérieures de la colonie ; cour d’appel des. Philippines ; tribunal de commerce. Université fondée en X645 ;.collège de missionnaires.

Cette ville est bâtie sur le bord oriental de la vaste baie du même nom, entre la mer et le Passig, dont le lit en cet endroit est presque parallèle à la plage, et dont l’embouchure forme une langue de ierre étroite et allongée facile à défendre ; des fossés, qui reçoivent une partie des eaux du Pâssig, entourent la ville partout où ses murs ne sont pas baignés par le fleuve lui-même ;’ses for-tifictitions, qui sont régulières et bien entretenues, lui permettent d’opposer une longue résistance a tout assaillant qui ne serait pas maître dé la’mer. Elle est régulièrement bâtie ; ses rues alignées, coupées à angle droit, sont bordées de trottoirs en assez mauvais état ; quelques-uns sont pavés de larges dalles, les autres sont à l’état de chemins mai entretenus. Les maisons en bois, sur des fondations de pierre, sont grandes et à peu près uniformes. Le>rez-dé-cnuussée n’est en général qu’un vaste ve$tibule ; le premier étage, qui est seul habité, déborde et forme une galerie qui règne tout le long de la maison ; des châssis a coulisses, garnis, en guise de vitres, de petits coquillages demi-transparents, ferment toutes ces galeries et donnent aux maisons une physionomie singulière, mais sans élégance ; les toits sont couverts de tuiles sombres. Les églises seules jettent un peu de variété sur cet ensemble dont la régularité fatigue. Les couvents dont elles dépendent sont hors’dé proportion avec le petit nombre de leurs habitants. En somme, tout est triste, désert, ou dirait presque lugubre, à Manille ; ses rue-, ; sonores rappellent les silencieux échos d’un cloître. Les deux grands côtés de la principale place sont occupés par le palais du capitaine général, qui n’est qu’une maison plus étendue que les autres, et l’Ayunta MANI

miento, dont l’aspect annoncéau moins quelque prétention à l’architecture. Le côté du sud-est est occupé parla cathédrale et ses dépendances. C’est un grand édifice irrégulier ; la tour, qui du large parait élevée, à cause du peu de hauteur des bâtiments qui l’environnent, supporte un dôme surmonté d’une

lanterne ; le tout est recouvert en tuiles ; la forme en est aussi peu harmonieuse que les couleurs sont désagréables à l’œil. Les églises et les couvents sont bien décorés à l’intérieur. On y admire quelques tableaux de bons maîtres, et quelques statues en bois exécutées par des Indiens. La ville possède quelques établissements do santé mal dirigés ; 1 instruction publique est entre les mains du clergé ; l’université, le collège de Saint-Thomas et celui de Saint-Jean-’de-Latran sont confiés à des dominicains ; le couvent de la Miséricorde est destiné à élever les orphelins, tant espagnols que métis ; d’autres écoles reçoivent des enfants des deux sexes. Tous les couvents ont des bibliothèques, mais on n’y trouve rien sur la langue et la littérature des indigènes.

Un pont de pierre unit la ville fortifiée à ses faubourgs, bâtis sur l’autre rive du Passig. Ce fleuve met Manille en communication directe avec le Loguna, lac magnifique, dont les bords fertiles nourrissent une centaine de villages, sur un développement de 100 kilomètres environ. Les faubourgs couvrent une grande étendue de terrain, mais les rues voisines du port sont seules bordées de maisons en maçonnerie ; au delà, ce ne sont que des cases en bambous, d’assez pauvre apparence, mais proprettes et d’une simplicité pittoresque. Les rues sont brûlantes et poudreuses pendant la saison sèche, noyées sous une boue épaisse après les pluies. L’industrie est peu active à Manille ; la fabrication des cigares en constitue la branche la plus importante ; on y construit aussi quelques, petits navires employés au cabotage, mais les voiles, les ancres, les chaînes-câbles sont tirées d’Angleterre et des États-Unis. Les Indiens fabriquent pour leur usage des cotonnades grossières, des meubles, des ustensiles de ménage ; enfin la carrosserie et la bijouterie ont quelque importance dans un pays où tout Européen un peu à son aise doit avoir sa voiture, et où le luxe exerce une domination incontestée. Le commerce est très-actif depuis que le port de Manille a été ouvert aux étrangers : cette détermination a ranimé les cultures principales de sucre, d’indigo, de tabac et de coton, qui forment les grandes exportations ; les autres exportations consistent en cuirs, suif, miel, riz, chocolat, bois dé teinture, perles, coquilles de nacre.. Les objets d’importation sont : dilTérents tissus de coton, de soie et de laine des fabriques d’Europe, des fers, des ouvrages de fer et d’acier, divers outils et objets de luxe, vins, eaux-devie, liqueurs, etc.

Bien qu’il y ait partout de l’eau aux environs de Manille, les jardins y paraissent inconnus. On y trouve des palmiers de plusieurs espèces, des bambous, des bananiers, des manguiers, des tamariniers, des végétaux du port le plus varié, des fleurs sauvages magnifiques, et l’on ne songe pas à utiliser tant de richesses éparses. Cependant, quoique leur arrangement soit abandonné au hasard, la campagne est fort belle, et la plaine ressemble à un immense parc, borné seulement Par les montagnes qui ondulent au delà de horizon. Ce sont partout des chemins ombrageux, de frais sentiers, bordés de bambous, qui serpentent entre des champs de cannes, entre de vastes rizières encadrées par un gracieux rideau d’arbres et d’arbustes fleuris. Les champs de cannes sont très-communs dans les environs de Manille. La récolte a lieu en décembre et janvier. Manille, fondée par les Espagnols eu 1571, a-été victime de plusieurs tremblements de terre : celui de 1645 la détruisit en grande partie et y fit périr plus de 3,000 personnes ; celui de 1796 fut aussi des plus atfreux. Le 26 octobre. 1824, elle en éprouva un autre presque aussi terrible. En 1762, cette ville fut prise par les Anglais, qui exigèrent des Espagnols 25 millions pour la leur rendre.

MANILLE (baie de), vaste baie formée par la mer de Chine sur la côte occidentale de l’Ile de Luçon, et qui tire son nom de la capitale des Philippines espagnoles, située sur sa rive méridionale. Cette baie, qui a de 38 à 40 kilomètres de diamètre, est une des plus grandes du monde entier et pourrait offrir un refuge sûr à un nombre très-considérable de navires. Une petite lia partage en deux son entrée, qui est resserrée entre de pittoresques montagnes, La ville de Manille (v. ce mot) se trouve sur la côte orientale.

MANILLER v. a. ou tr. (ma-ni-llé ; Il mil.

— rad. manille). Mar. Assembler les manilles de : Manii-lbr le cdble-chaîne.

MANILUVE s. m. (ma-ni-Iu-ve). V. manu-

LUVB.

MAMN ou MAN1NI (Ludovico), cent vingt et unième et dernier doge de Venise, né dans cette ville en 1726, mort à Macéra vers 1803. Elu doge en 1789, Maniû se montra, au milieu des graves complications politiques, d’un caractère faible, irrésolu, et d une incapacité notoire. Au reste, à cette époque, Venise était tombée dans une complète décadence, Manin, tout en proclamant la neutralité, sou MANI

tenait les ennemis de la Révolution française ; il reconnut la République, et en même temps il donnait asile au roi Louis XVIII, puis le chassait après la victoire de Bonaparte. Bergame, Brescia, Brème se révoltèrent et appelèrent les Français, qui occupèrent ces différentes villes, ainsi que Vérone et Peschiera, que Manin avait livrées aux Autrichiens. Le parti de Manin souleva les montagnards, et les Français furent massacrés à Vérone (14 avril 1797). Bonaparte déclara alors que la république de Venise avait cessé d’exister. La terreur se répandit dans Venise ; Manin assembla le grand conseil, et, d’une voix étouffée par les sanglots, exposa la situation désespérée de la république ; 28 voix seulement s élevèrent pour une résistance désespérée, 598 décidèrent de s’en remettre au vainqueur. Le parti français en même temps fomentait, une sédition popufaire ; Manin" se démit de ses pouvoirs et invita tous les membres du grand conseil à proclamer la dissolution de 1 ancien gouvernement, ce qu’ils firent. Le fameux livre d’or de la noblesse fut brûlé publiquement, ainsi que les ornements ducaux. Manin se tint caché jusqu’au traité de Campo-Formio, qui céda la Vénétie à l’Autriche (18 octobre 1797), et mourut éloigné des affaires publiques.

MANIN (Daniel), patriote italien, président de la république de Venise, né en cette ville le 13 mai 1804, mort à Paris le 22 septembre 1857. Au moment du traité de Campo-Formio, signé par Bonaparte, traité qui replaçait les Vénitiens sous la domination autrichienne, le dernier doge se nommait Manin. • Par une coïncidence où les anciens eussent cherché de symboliques mystères, dit M. Henri Martin, le futur initiateur d’une nouvelle Venise démocratique portait le même nom que le dernier chef de la Venise ancienne, bien que l’enfant plébéien fût étranger à la race du patricien déchu. Il était issu de cette forte race juive qui. depuis qu’elle cesse peu à peu d’être séparée du reste 3ù monde par. d’implacables préjugés, fournit à l’Europe tant d’hommes remarquables en tout genre. Sa famille avait, dans le courant du siècle passé, embrassé le christianisme, probablement sous le patronage de la famille Manin, dont elle avait pris le nom. • Son père était un avocat distingué, qui gardait à Napoléon une rancune implacable pour n’avoir point" affranchi l’Italie et rétabli la Pologne. Quoique plein d’ardeur et d’une charmante vivacité d’esprit, Manin, dès son adolescence, laissait déjà percer une espèce de mélancolie d’un caractère particulier. «L’action de vivre, écrivait-il bien ’ des années après, l’action de vivre, considérée en elle-même dans une personne saine, devrait être un plaisir ; en moi, depuis mon enfance, elle a toujours été un effort et une peine ; je me suis toujours senti fatigué la Au dire de ses biographes, des principes morbides altéraient dès l’origine cette belle organisation, et la lutte constante contre la douleur physique ne devait pas être une des moindres parties de son héroïsme. L’exemple de son père et les tendances historiques et juridiques de son esprit l’avaient dirigé vers les études de jurisprudence, qu’il associait à de fortes études de linguistique. A quinze ans, il avait traduit le livre hébreu des Egrégores, le livre apocryphe d’Enoch. Docteur en droit à dix-sept ans, fait presque inouï dans l’histoire des universités, il traduisit le grand ouvrage français de Pothier sur le droit romain, en attendant que l’âge lui ouvrît l’accès de la profession paternelle. En 1825, un mariage d’amour jeta quelques rayons sur sa jeunesse ; il unit sa destinée à celle dont la mort seule devait le séparer sur la terre d’exil. Enfin, en 1S30, il put s’établir comme avocat au bourg de Mestre, à l’entrée des lagunes,

À cette époque, Venise avait cruellement à souffrir de l’oppression autrichienne ; on In traitait plus mal que la Lombardie, parce qu’on la redoutait moins ; elle restait sous le coup du mépris inspiré par les derniers jours de son aristocratie, au plus bas degré de l’échelle de la servitude. Le grand sens pratique de cette intelligente population vénitienne, l’éloignant des entreprises chimériques, contribuait à faire méconnaître ce qu’il pouvait y avoir de force cachée dans son silence. La flamme couvait néanmoins dans cette démocratie, qui avait apparu un jour, en 1797, pour être à l’instant livrée et bâillonnée. Au moment où Manin entrait au barreau, la révolution de Juillet éclatait à Paris, provoquant en Europe une commotion formidable, et, quelques mois plus tard, la Romagne, Bologne, les duchés du Pô étaient insurgés Manin conçut alors (1831) l’audacieux projet de s’emparer de l’arsenal, et, de concert avec trois amis, parmi lesquels se trouvait le dévoué Degli Antoni, qui devait recevoir son dernier soupir sur la terre d’exil, il rédigea une proclamation destinée à préparer le peuple à la révolte. Les revers des provinces voisines prévinrent l’insurrection vénitienne. Le pouvoir issu en France de la révolution de Juillet avait proclamé le principe de nonintervention et l’avait fait respecter en Belgique ; il laissa l’Autriche étouffer dans le sang en Italie les rêves de délivrance. Heureusement, les auteurs de la proclamation

n’avaient pas été découverts ; le jeune patriote se replia sur lui-même et se renferma dans ses paisibles travaux. « Sept ans après,

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dit M. Henri Martin, on le voit sortir, homme mûr, de son obscurité et se jeter à corps perdu dans des luttes d’intérêt matériel, dans les polémiques soulevées par des questions de tracé de chemins de fer. Est-il doue converti à l’esprit du siècle, au matérialisme de l’industrie cosmopolite, que nos sectes nouvelles viennent d’ériger en religion ? lui, si indifférent aux vanités et aux jouissances de la fortune ; lui, indépendant à un degré rare, même en Italie, de ces besoins factices que l’Italie connaît moins que la France !... Il n’est pas changé ; mais son génie politique s’est développé et lui a suggéré une savante évolution, un plan sagace et profond. Point de tyrannie qui ne laisse quelque porte ouverte à la liberté : c’est par là qu’il faut pénétrer dans la place. Point de despotisme qui n’ait des lois, si mauvaises qu’elles soient : il faut se servir de ces lois pour le combattre ; tourner les positions qu’où ne peut enlever ; habituer le peuple à 1 action collective, quel qu’en soit le but immédiat et si étranger que ce but puisse paraître à la liberté politique ; refaire par cette habitude un esprit public. » Venise, peu à peu, soulevait la pierre de son tombeau ; toutefois, le. calme apparent que conservait le peuple vénitien semblait apathie à des yeux prévenus. Pie IX était monté sur Je trône pontifical. On touchait à 1840, à cette période d’illusions pendant laquelle la Péninsule entière rêva et tenta une dernière fois l’alliance de la liberté et de l’indépendance nationale, — avec la royauté pontificale de Rome. Les hommes ardents du parti de l’action accusèrent alors Venise d’être résignée au joug autrichien. Ils allèrent jusqu’à accuser Manin et ses amis d’ouvrir au sentiment public un dérivatif pernicieux, et de sanctionner la domination étrangère en lui faisant la guerre avec ses propres lois. Quoique blessé au cœur partout ce qui atteignait sa patrie, Manin ne modifia cependant eu rien sa politique. Convaincu qu’elle était la meilleure, il lui imprima un redoublement d’activité. Le transit de la malle de l’Inde, que Venise essayait de disputer à Trieste, 1 idée d’une ligue douanière italienne, celle d’une association agraire des provinces vénètes, les congrès scientifiques, enfin tout lui était matière d’opposition et d’action. Le congrès scientifique italien, réuni à Venise en novembre 1847, lui servit à délier la langue de cette génération muette qui, suivant l’expression d un historien, avait succédé aux générations éloquentes da l’ancienne Venise. A son art de diriger les débats du congrès et de faire jaillir la politique des questions scientifiques, on pouvait pressentir le ffttur homme d’Eiat, le tribun dont la parole ardente animerait bientôt tout un peuple et lui communiquerait le feu sacré des grands combats. Peu après, pour préparer le peuple à la lutte, Manin réclamait une réforme judiciaire, d’autre part revendiquait quelques apparences de libertés politiques que l’Autriche avait accordées a la Lombardo-Vénétie en 1315, —notamment des assemblées représentatives centrales et provinciales, que les instructions secrètes de Vienne annulaient d’ailleurs dans la pratique. En même temps qu’il écrivait, dans un recueil intitulé le Guide, une étudo comparée des lois judiciaires de l’Autriche et de celles de l’ancienne Venise, bien moins dures en réalité, il conseilla ouvertement à ses concitoyens de pétitionner en faveur des lois politiques. Milan précéda Venise sur ce terrain extra légal, Mazari, député à la congrégation centrale lombarde, fit la motion do présenter au gouvernement impérial les griefs du pays ; personne n’osant suivre cet exemple parmi les députés à la congrégation centrale vénëte, Manin signa seul, comme particulier, une pétition à cette assemblée dans le même but (21 décembre 1847). « Les congrégations, disait-il, ne se sont jamais rendues les interprètes de nos besoins ni de nos désirs... Leur silence est venu de la crainte de déplaire au gouvernement ; mais cette crainte est injuste et injurieuse, car il est injuste et injurieux de supposer que le gouvernement ait accordé à ce royaume une représentation nationale dérisoire, qu’il ait

trompé et qu’il trompe ce pays et 1 Europe en faisant des lois qu’il ne veut point qu’on observe, en poursuivant et en punissant ceux qui entendent les observer. » Toute la pièce est écrite dans ce style bref, clair, nerveux, axiomatique, qui caractérise la plume d’acier de Manin ; il respire, sous les formes les plus strictement légales, une ironie terrible. « Il a fait son devoir, dit sa femme en apprenant que la pétition était déposée ; advienne que pourra. » Tout Venise s’inscrivit chez Manin ; Milan députa vers lui pour le féliciter. Le lendemain de Noël, à la réouverture du théâtre de la Fenicé, on donnait le Afucbetto de Verdi. Quand les acteurs commencèrent le chœur :

La palria tradita a sor<jer t’invita. Fratelli, corriamo la palria a salcarl

La patrie trahie t’invite à te lever. Frères, courons sauver la patrie I » le public se leva et entonna ce ebant d’insurrection. Venise « la muette » parlait donc enfin. Elle écrivait aussi. Tous les murs, non-seulement de Venise et des villes vénètes, mais des moindres villages, étaient couverts de ce Viua Pio Nono.’ qui semblait alors l’équivalent de Viva l’Italial et auquel se mêlait l’inscription menaçante : Morte ai Tedeschi (mort aux Aile-