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testations, on jeta au parterre le nom d’Adolphe Bruant, nom tout à fait inconnu, comme étant celui de l’auteur. Ce pseudonyme prudent dérouta un instant le public, et l’on attribua la paternité de la Tour de Babel à divers personnages, au duc de Nemours lui-même, puis à Louis-Philippe. Mais on a su positivement depuis que le rimeur si mal inspiré était Liadières. Conspuée et siffiée dès le premier soir, vigoureusement stigmatisée par les journaux, la Tour de Babel parut trois t’ois encore sur l’affiche ; mais les deux dernières représentations ne purent être conduites jusqu’à la fin.. Cette chute éclatante n’empêcha pas Liadières de donner une autre comédie en cinq actes et en vers Bur le théâtre de la République en 1851. Cette pièce, intitulée les Bâtons flottants, avait dû être jouée en 1844 ; mais la censure en avait arrêté la représentation, pour cause de personnalités politiques, personnalités bien anodines pourtant et qui n’eurent aucun sens pour les spectateurs de 1851. On cite, en outre, de Liadières, dont le nom a figuré plusieurs fois, le croirait-on ? parmi ceux des candidats à l’Académie française : Dioctétien aux catacombes de Borne (1824), poBme dithyrambique auquel l’Académie d Amiens décerna un prix ; Dix mois et dix-huil ans (1849, in-8<> ; 6» édit., 1853), parallèle très-sévère et très-passionné entre le gouvernement constitutionnel et le gouvernement républicain ; Souvenirs historiques et parlementaires (1S55, in-18), recueil contenant, outre la pièce précédente, des discours et des portraits politiques. Son théâtre, ses poésies et quelques études d’histoire ont été réunis et réimprimés sous ce titre : Œuvres littéraires (1843-1851, 2 vol. in-8°). Ces deux volumes dorment dans l’oubli le plus profond. Cependant qu’on les ouvre si Ion veut considérer de près cette versification molie, flasque et fossile qui suffit à de certaines époques à faired’un courtisan épris du budget un candidat au fauteuil académique Jamais la banalité n’a mis à son service des rimes plus pauvres, plus plates, plus contournées. Cependant, puisque Richelieu préférait à ses négociations politiques ta tragi-comédie de Mirante, par laquelle il croyait être à jamais célèbre, Liadières pouvait bien se croire plus de génie en littérature qu’en politique et caresser l’espoir d’être un jour immortel, espoir que n’ont pu réaliser même ses comédies, des chefs-d’œuvre aux yeux de leur auteur et ses meilleurs titres à la célébrité littéraire 1

LIAGE s. m. (li-a-ja —■ rad. lier). Action de lier : Le liage des fagots.

— Techn. Mélange : Liage du salpêtre, du charbon et du soufre, pour la fabrication de la poudre d canon, il Croisement qui a pour objet de raccourcir les brides de chaîne ou de trame : Quel que soit te genre des liages, ils ont toujours lieu par levée partielle d’un seul fil de chaîne, car le point essentiel est d’êoiter tes piqûres que forment les liages, surtout dans tes articles confectionnés par l’emploi de grosses matières. (Falcot.) il Coup, lis.-e, carton se rapportant au même croisement, il Fil qui lie la dorure à la soie, il Fil plus fin que ceux qu’on emploie pour tisser les étoffes, et qui sert & lier les différents fils de la trame, notamment dans les châles français. Il Lisse de liage, Celle qui fait baisser la lisse du fil.

— Féod. Droit de liage, Droit que le seigneur percevait sur les vins qui se vendaient dans sa seigneurie.

LIAGORE s. m. (U-a-go-re). Crust. Genre de crustacés décapodes brachyures, dont l’espèce unique vit dans les mers du Japon.

— s. f. Zooph. Genre de polypiers calcifères flexibles, de la famille des tubulariées, regardés par plusieurs auteurs comme des végétaux de la famille des algues : Les liagohes se trouvent assez nombreuses dans les mers des pays chauds. (Dujardin.)

LIA-HO, fleuve de l’empire chinois. Il prend sa source aux monts de la Mongolie, au pays des Ketchikten, coule d’abord à l’E. sous le nom de Charra-AJouren, puis au S., dans ta province de Ching-king, sous celui de Lia-ho, et se jette dans le golfe de Lia-toung, après un cours d’environ 850 kilom. Ses principaux affluents sont, à droite, la Lokha, et à gauche le Herson et le Uounouhou. Il est navigable sur une assez grande étendue.

LIAIS s. in. (li-è. — On a rapporté ce nom au celtique : armoricain liach, nom donné aux pierres plates dites vulgairement dolmen. Legoarant fait provenir ce mot du français lier, parce que le grain en est très fin et très-bien lié. Cette explication ressemble à un calembour). Pierre calcaire d’un grain lin et compacte.

— Techn. Tringle de bois qui soutient les lisses, dans les métiers de basse lisse.

— Encycl. Constr. Le liais est une pierre calcaire uure qui se débite à la soie sans dents, comme le marbre, au moyen de l’eau et du grès tendre réduit eu sable tin. Le liais est d’une formation moderne ; il a l’avantage de ne contenir aucune empreinte de coquilles, ni de mer ni fluviatiles, et, en outre, de réunir toutes les qualités d une bonne pierre de taille-, son grain est fin, sa texture coinpacte et uniforme ; il se tailla bien et peut résister à toutes les intempéries de l’air, quand il a été tiré de la carrière dans un temps con LIAI

venable ; car il est sujet à la gelée lorsqu’il est employé dans l’arrière saison, avant d’avoir essuyé son eau de carrière. On en peut tirer des blocs de 6 à 7 mètres de longueur, sur 2 ou 3 mètres de largeur ; sou épaisseur n’étant que d’environ om,20, son usage -se trouve borné à des marches d’escalier, des cymaises, des tablettes et des acrotères de balustrade, des chambranles de cheminée, des dalles et autres ouvrages analogues qui exigent de la beauté et peu d’épaisseur do banc. On distingue trois espèces de liais : lo le Huis dur, qui se tirait autrefois des carrières épuisées situées près de la barrière Saint-Jacques et derrière le clos des Chartreux ; on l’extrait maintenant des plaines de Bagneux et d’Arcueil ; on en tire aussi de Saint-Denis ; les carrières de Clamnrt en fournissent elles-mêmes de beaux morceaux. Ce dernier liais a une hauteur de banc qui varie de «n^zs à om,33 d’épaisseur ; les blocs que l’on en extrait ont de 3 à 4 mètres de longueur sur l’n,50 à 2 mètres de largeur ; 20 le liais Féraull ou faux liais, aussi dur que le précédent, mais d’un grain bien plus gros, est de mauvaise qualité et difficile a travailler. Il se trouve quelquefois dans les mêmes carrières que le liais dur, sous une hauteur d’appareil de om,35 à 0"a,40. On l’emploie aux mêmes usages, mais surtout pour les ouvrages qui ont plus d’épaisseur ; 3° le liais rose ou /iui, s tendre, qui est plus tendre que les deux variétés précédentes. Il se tire de Maisons-Al fort et de Créteil, où la hauteur du banc est de 0"n,25 à 0">,30 ;.on en extrait des carrières de l’Isle-Adam dont la puissance varie de 0™,30 à 011,40. Ce liais s’emploie particulièrement pour faire les carreaux de salle à manger et d’antichambre ; on en construit aussi des tabieites et des chambranles de cheminée. En général, on donne le nom de liais a toutes les pierres dures de bas appareil dont on fait usage à Paris. Le liais de Bagneux, près de Paris, très-dur et à grain fin, pèse 2,443 kilogrammes le mètre cube, et s’écrase sous une charge de 440 kilogrammes par centimètre carré de section ; dans la pratique, il convient que la charge permanente a faire supporter à ce calcaire ne soit que le dixième de celle qui produit la rupture, soit 44 kilogrammes par centimètre carré ; dans les constructions plus légères, elle ne doit pas dépasser le sixième, soit 73 kilogrammes ; et, dans certains cas, il convient de la réduire au quinzième et même au vingtième, soit à 30 et à 22 kilogrammes par centimètre carré. Rondelet rapporte que la cymaise de la corniche rampante du fronton de la colonnade du Louvre est de pierre dure, ou liais, dit de Meudon ; chaque côté a environ 16>u,242 de longueur sur 2"’,599 de largeur, et de om,433 à OJ460 d’épaisseur, y compris le revers d’eau. Un des cotés de cette cymaise est d’un seul morceau ; l’autre devait l’être semblablement, mais elle se cassa eu la montant.

LIAIS (Emmanuel), astronome français, né en 1826.11 eut la bonne fortune d’être remarqué par M. Leverrier, qui le fit attacher, en 1852, à l’Observatoire de Paris comme astronome et lui fit confier une mission scientifique au Brésil, dont il s’acquitta avec distinction. La plupart des travaux de M. Liais ont été insérés dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences et les Mémoires de l’Académie de Cherbourg. On a publié séparément les ouvrages suivants : De l’emploi des courants inverses instantanés pour détruire, dans les applications de l’électro-magnélisme, l’influence de la force coercitive (Pans, in-Su) ; Sur tes électro-moteurs (Paris, 1851) ; Machine à vapeur à rotation directe (in-8°) ; Méthode pour déterminer l’influence de la température sur les barreaux magnétiques (in-S°).

LIAISON s. f. (li-è-zon — lat. ligatio ; de ligare, lier). Action de lier ; résultat de cette action : La liaison de ces divers faisceaux se fait au moyen de tanières de cuir. Il On dit plutôt ligature dans ce sens.

— Jonction, réunion de plusieurs parties en un seul tout : C’est un mastic qui fait la liaison des pierres et des émaux dont la mosaïque est composée. (Acad.) u Ce qui sert à opérer cette réunion : Le ciment romain était une liaison indestructible. L’univers n’est qu’un vaste océan, sur la surface duquel nous apercevons quelques îles plus ou moins gran-. des, dont la liaison avec le continent nous est cachée. (D’Alembert.)

— Enchaînement : Tout dans ce monde tient à tout, et rien ne peut se comprendre que dans sa liaison avec tout le reste. (E. Scherer.) il Rapport naturel, connexité, lien moral : L’évidence appartient proprement aux idées dont l’esprit aperçoit la liaison tout d’un coup. (D’Alemb.)

— Rapports de sentiment, d’affection : Une liaison d’amitié. Une liaison amoureuse. Une conformité de mœurs et d’inclination fait les liaisons parfaites. (Fléch.) Il n’y a de liaisons solides qu’entre les gens raisonnables. (Mme ùti Deff.) Il Accointance, connaissance, fréquentation : Former des liaisons dangereuses. J’aime à resserrer les liaisons que le temps et l’absence dénouent quelquefois, à tel point qu’on ne se connaît plus. (Mme de Sév.) Les liaisons et les amitiés de la cour sont fragiles. (La Rochef.)

— Fauconn, Ongles, serre. ? des oiseaux de

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proie. Il Manière dont l’oiseau saisit et enlève le gibier.

— Mus, Exécution d’un passage, d’un mâme coup, sans intervalle, Siins aucun temps d’arrêt, il Suite de notes exécutées sur une même syllabe. Il Trait recourbé, indiquant que le3 notes comprises entre ses deux extrémités doivent être liées. Il Suite d’accords dans laquelle un au moins des sons de chaque accord est reproduit dans l’accord suivant.

— Gramm. Action de joindre, dans la lecture, la dernière lettre d un mot au mot suivant. Il Fam. Liaison dangereuse, Fausse liaison entre deux mots, faite en supposant à la fin du premier une lettre au lieu d’une autre, comme lorsqu’on prononce : J’ai fait zun cuir ; ou en faisaut une liaison qui ne doit pas se faire, comme lorsqu’on dit : Des zharicots.

— Calligr. Trait délié qui joint ensemble deux lettres ou les parties d’une même lettre : H ne fait pas de liaisons en écrivant.

— Mar. Nom donné aux pièces qui servent à relier entre elles les parties principales du navire.

— Art culin. Matières délayées, propres à épaissir une sauce : Faire une liaison avec un jaune d’œuf, avec de la farine.

— Constr. Mortier servant à jointoyer les pierres. Il Liaison à sec, Appareillage de pierres de taille sans mortier ni ciment, il Maçonnerie en liaison, Celle dans laquelle tes joints de chaque lit posent sur le milieu des pierres du lit inférieur.

— Techn. Alliage d’étain et de plomb destiné à servir de soudure.

— Syn. Liaiaoïi, urQuilé, alliance, connexion, couueitté, uniou. V. AFFINITE.

— Encycl. Mus. En musique, le mot liaison s’emploie dans une double acception. Il se présente d’abord sous la forme d’un signe graphique ainsi figuré : s~~^ ou ■—•. Toutes les fois que ce signe est figuré sur deux notes ou plus, il indique que ces notes, au lieu d’être détachées, doivent être faites d’un seul coup de gosier, pour le chant, d’un seul coup de langue, s’il s’agit d’un instrument à vent, d’un seul coup d’archet, lorsque la musique est écrite pour un instrument à cordes.

Voici des exemples de liaisons :

En harmonie, la liaison a lieu lorsque cette harmonie procède par une telle suite de sons fondamentaux, que plusieurs des sons qui accompagnaient celui qu’on abandonue figurent encore dans les nouveaux accords et accompagnent celui ou ceux où l’on passe. Ainsi, la liaison existe entre les accords de tonique et de dominante, puisque le înênie son produit la quinte du premier de ces accords, et donne l’octave du second ; il y a Zi’aiso ; i aussi entre les accords de tonique et de sous-dominante, le même son servant d’octave au premier et de quinte au second ; enfin, la liaison se retrouve dans les accords dissonants toutes les fois que la dissonance est préparée, puisque cette préparation n’est autre chose que 1 audition primitive de la note qui doit tonner la dissonance.

Dans le chant et dans le plain-chant, on appelle liaison une suite ou succession de plusieurs notes passées sous la même Syllabe, parce que sur le papier elles sont attachées ou liées entre elles.

— Art culin. On aurait une fausse idée des liaisons, si l’on s’imaginait que leur emploi se borne à épaissir les-sauces, à leur donner plus de corps. C’est la le pont aux ânes des cuisiniers de gargote ; car il n’est pas difficile, à force de farine et de jaunes d’œufs, de donner aux sauces toute la consistance possible. L’art des liaisons reste en réalité un des grands secrets de la haute cuisine ; car il ne s’agit pas de les faire épaisses, il faut qu’elles soient onctueuses et qu’elles lient parfaitement toutes les parties d’un ragoût, sans jamais y dominer.

La liaison ne doit jamais s’apercevoir et ne se fait sentir autrement que par la perfection qui résulte de l’accord simultané de toutes les parties constituantes d’une sauce, d’une entrée ou d’un entremets. Les œufs sont la base des liaisons ; uia.s on se tromperait, si l’on croyait qu’ils suffisent à leur confection ; de la farine et certaines fécules employées avec modération, les coulis de viande et de gibier, les essences et les réductions bien faites entrent souvent aussi dans la composition des liaisons. C’est de l’art de les bien combiner qu’une bonne liaison tire son principal mérite. Une liaison qui n’est pas à son point, loin d’ajouter à la perfection d’un ragoût, le gâte indubitablement.

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La recette que nous allons donner, de même que toutes les recettes, ne saurait réussir entre des mains maladroites ou inexpérimentées. La voici cependant. On casse d’abord ses œufs, qui doivent être bien frais ; on sépare les blancs des jaunes en transvasant ceux-ci d’une coquille dans l’autre jusqu’à ce qu’ils restent bien nets ; on délaye les jaunes avec un peu d’eau fraîche ; on ajoute un peu de beurre. On place dans un vase deux ou trois cuillerées de la sauce qu’on veut lier, et l’on y jette le mélange obtenu par les jaunes et le beurre ; on remue jusqu’à ce que le mélange soit parfait. La manière de verser sa liaison dans la sauce n’est pas indifférente : il faut avoir eu soin de retirer cette dernière du feu ; on verse la liaison très-lentement, en tournant la sauce, et aussitôt après, il faut remettre le tout sur le feu en tournant toujours, pour faire épaissir un peu. On retire la sauce du feu au moment où l’on voit qu’elle va bouillir.


Liaisons dangereuses (les), célèbre roman de Laclos (1782, 4 parties in-12). Il en est de ce livre comme des musées secrets ; on pourrait écrire sur le seuil : « Le public n’entre pas ici ; » pourtant, l’étude des dépravations morales, comme celle des maladies honteuses, a son utilité, et ceux même que pousse seule une âpre curiosité peuvent encore en retirer des fruits salutaires. Pris dans sa contexture générale, ce livre, qui a fait scandale, est d’une haute moralité puisqu’il peint sous des couleurs effrayantes les résultats du vice, du crime et même des faiblesses ou des simples égarements ; s’il ne peut être classé parmi les œuvres utiles, c’est que l’auteur, en homme de son temps, s’est complu jusqu’à la délectation aux peintures et aux situations licencieuses. On lui a reproché, avec raison, de s’être égaré dans cet étalage de la corruption élégante, et sous le prétexte d’avertir les bonnes âmes, d’avoir fait un cours de dépravation en démontrant, ex professo, la tactique des séducteurs.

Deux personnages dominent toute l’action, la marquise de Merteuil, une grande dame éhontée, et le comte de Valmont, un roué sans entrailles, qui a été autrefois son amant. Tous deux corrompus jusque dans la moelle, ils ne cherchent qu’à répandre cette gangrène du vice qui les ronge ; mais la femme est bien plus ingénieuse que l’homme ; c’est elle qui lui trace ses plans et qui lui jette dans les bras ses victimes. Elle veut d’abord faire de Valmont l’amant de Cécile de Volanges, une ingénue dont la pudeur l’offusque ; comme Valmont est occupé autour d’une chaste et vertueuse présidente, Mme de Tourvel, l’horrible marquise endoctrine la naïve jeune fille, la fait succomber avec le chevalier d’Anceny et la livre ensuite toute souillée à Valmont. Elle a bien soin, dans sa scélératesse, d’instruire de tout la mère de Cécile, type de la mère imbécile et coquette ; puis elle prend pour elle-même d’Anceny, qu’elle enlève à Cécile, et la malheureuse fille va s’ensevelir dans un cloître. Cependant Valmont a réussi à faire capituler la présidente, grâce à la marquise et surtout à un religieux, dont il fait sa dupe ; cette nouvelle victime voit bientôt sa honte rendue publique et meurt de désespoir. Quand la Merteuil et Valmont ont ainsi tout souillé et tout tué autour d’eux, ils se croient dignes l’un de l’autre ; mais, en se regardant en face, ils se trouvent hideux : Valmont refuse de reprendre son ancienne maîtresse ; elle le fait tuer en duel par d’Anceny et continue à traîner, au milieu du mépris universel, son infâme existence.

Ce roman est un tableau énergique de la corruption des mœurs ; c’est la contre-partie des romans de ruelle de Crébillon fils et de tous les petits contes voluptueux de l’époque. Il est un peu trop poussé au noir ; ses deux héros ne sont presque plus des types humains, ils offrent les têtes grimaçantes de deux monstres ; mais il y a un art extrême dans l’arrangement des parties, le style est élégant et sobre, et l’on rencontre çà et là, au milieu de peintures trop libres, des pages vraiment touchantes. Les types secondaires sont vrais, vivants ; ils reproduisent avec une grande fidélité cette frivole société du XVIIIe siècle, ce luxe des parvenus et des grands seigneurs, ce dédain pour le peuple, et toute cette légère insouciance d’un monde près de finir. Ce livre en dit le dernier mot.

M. Paul de Saint-Victor en a très-bien caractérisé la portée dans les lignes suivantes : « L’adultère a son prosélytisme, le vice a sa propagande. Toute courtisane est doublée d’une entremetteuse. Ce sujet diabolique a été traité par Laclos dans son détestable chef-d’œuvre des Liaisons dangereuses, et de quelle griffe de démon ! La marquise de Merteuil personnifie, dans un type affreusement fouillé, ces pestiférées avides de répandre le poison dont elles sont remplies. Mais quelle science du mal, quel génie de la perdition dans ce Lucifer féminin ! Avec quel art consommé elle distille et insinue sou venin ! Machiavel de boudoir, Laclos a fait en elle sa Princesse. On dirait parfois ce serpent, terminé par une tête de femme, que Raphaël enroule autour de l’arbre du fruit défendu. »


Liaison (une), comédie en cinq actes et enprose, de Mazeres et Empis (Théâtre-Français, 21 avril 1834). La donnée de cet ouvrage était audacieuse ; c’est la thèse de la courti-