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roi légitime de France, par Gruau de La Barre (Rotterdam, 1846-1848, 4 vol. in-8o). En faveur de Naûndorff.

Preuves de l’existence du fils de Louis XVI, réunies et discutées, par J. Suvigny (Paris, 1851, in-12). En faveur de Richement.

Dans ce dernier ouvrage, ces prétendues preuves sont garanties, attestées par diverses personnes, au nombre desquelles on n’est pas peu surpris de rencontrer le statuaire Foyatier, le célèbre auteur du Spartacus des Tuileries.

On a fait sans doute des remarques ingénieuses pour établir la substitution d’un autre enfant et l’évasion du jeune prince ; mais ces jeux d’esprit ne nous paraissent pas avoir la moindre solidité.

La première observation à faire est celle-ci : dans l’hypothèse de l’enlèvement du dauphin par les soins du prince de Condé, comment expliquer que ce prince ait fait proclamer à son camp l’avènement de Louis XVIII, aussitôt après la mort officiellement annoncée de l’enfant du Temple ? Comment admettre qu’il eût dit dans sa proclamation publiée dans toute l’Europe : Le roi Louis XVII est mort ; vive Louis XVIII ! Il n’eût donc délivré le prince que pour se rendre complice d’une usurpation ? Comment admettre aussi que les royalistes ne se fussent pas servis du jeune fugitif pour relever leur cause, en Vendée et ailleurs ? Quel drapeau cependant qu’un tel personnage et qu’un tel nom ! Quelle puissante réaction de pitié eût produit parmi les populations cet enfant que l’échafaud avait fait orphelin et qui avait déjà sa légende !

Il y aurait bien d’autres objections à faire ; mais nous croyons que cela serait superflu.

L’autopsie fut faite par les médecins ou chirurgiens Dumangin, Pelletan, Jeanroy et Lassas, qui constatèrent, dans leur procès-verbal, que l’enfant était mort d’une affection scrofuleuse existant depuis longtemps.

Après la mort du prince, il était inévitable que ses partisans répandissent parmi les classes incultes le bruit qu’il existait encore. On a bien cru pendant longtemps que Napoléon n’était pas mort à Sainte-Hélène. Il était naturel aussi que des imposteurs cherchassent à profiter de cette disposition des esprits, à exploiter la crédulité publique. Cela n’a jamais manqué de se produire en pareille circonstance.

Quelques-uns de ces intrigants surgirent presque aussitôt ou plutôt on en produisit, car il s’agissait alors d’enfants ayant à peu près l’âge du dauphin. On en arrêta un vers 1800, qui avait sur la cuisse droite un tatouage représentant des fleurs de lis surmontées d’une couronne royale et des initiales de toute la famille. Ceux-là sont demeurés fort obscurs ; nous mentionnerons seulement ceux qui ont eu quelque notoriété.

L’un des premiers en date fut un nommé Jean-Marie Hervagault, fils d’un tailleur de Basse-Los et né dans ce bourg en 1781. Après s’être échappé en 1796 de la maison paternelle, il vécut d’aventures pendant quelque temps, se donnant pour un fils de famille, et finit par se faire passer effrontément pour le fils de Louis XVI. Bon nombre de gentilshommes de province acceptèrent ses déclarations comme vraies. À Vitry-le-François, il fut logé fastueusement chez un M. de Rambecour ; il tint une espèce de cour, donna des bals, des concerts, et récompensa ses dupes en leur donnant, sur le papier, des titres, des dignités et même des fonctions.

Fouché fit arrêter cet aventurier, qui fut condamné en 1802, à Reims, à quatre ans de prison pour escroquerie. Napoléon le fit mettre à Bicêtre, où le pauvre diable mourut en 1812.

Vint ensuite Mathurin Bruneau, fils d’un sabotier, dont l’affaire fit beaucoup de bruit sous la Restauration et auquel nous avons consacré une notice. V. Bruneau.

Ensuite Henri-Ethelbert-Louis-Hector Hébert, se faisant appeler baron de Richemont, duc du Normandie. Il était né aux environs de Rouen. Suivant les notes fournies par la police lors de son procès, il avait été d’abord employé à la préfecture de Rouen, puis propriétaire d’une fabrique de verre à Lesuire. En 1828 et 1829, il adressa aux chambres des pétitions où il réclamait la reconnaissance officielle de ses titres et de ses droits. Suivant ses assertions, il avait été aide de camp de Kléber, puis, après une série d’aventures dans toutes les parties du monde, il avait été présenté à la duchesse d’Angoulême, sa sœur, qui l’avait reconnu, mais repoussé. En 1814 et 1815, il avait protesté contre l’avènement de Louis XVIII. En 1818, il avait été emprisonné par le gouvernement autrichien, à Mantoue, puis dans la citadelle de Milan, où le vit Silvio Pellico. Après sept ans et demi de captivité, il revint en France, voyagea de nouveau, protesta contre l’élévation au trône de Louis-Philippe, défendit sa cause dans des brochures et mémoires, fut traduit en 1834 devant la cour d’assises et condamné à douze ans de détention, pour complot, escroqueries, etc. L’année suivante, il s’échappa et vécut en Angleterre jusqu’à l’amnistie de 1840. Il fut encore arrêté plusieurs fois et reparut sous la république de Février, jouant toujours son rôle de prétendant et trouvant toujours des dupes et des compères. À cette époque, on le laissait fort tranquillement poser en roi légitime parmi les quelques douairières du faubourg Saint-Germain qui composaient sa cour. Il est mort vers 1855.

Il en faut signaler encore un moins connu, Eléazar Williams, qui devint missionnaire chez les Indiens de l’Amérique du Nord.

Enfin le plus célèbre, avec Richemont, fut Charles-Guillaume Naûndorff, Prussien, né à Neustadt-Eberswald en 1786, fils d’un serrurier, et qui apprit la profession d’horloger et l’exerça pendant assez longtemps. Un Français nommé Maressin, qu’il connut à Spandau et qui joua un moment le rôle de Louis XVII, donna l’idée à Naûndorff d’en faire autant. C’est probablement de cet individu qu’il apprit sur la famille royale les petits détails qui lui étaient nécessaires pour brocher son roman, qui est analogue à celui de ses confrères ou plutôt de ses rivaux, et dans le détail duquel nous n’entrerons pas. Après une série d’aventures, il se maria, écrivit à la duchesse d’Angoulême, au duc de Berry, etc., pour se faire reconnaître, et fut plusieurs fois emprisonné en Allemagne, sous l’inculpation d’escroquerie et de faux. Il finit par venir exercer son industrie de prétendant en France, concurremment avec Richemont, fit beaucoup de dupes, fut chassé, se donna comme prophète, et finit par mourir à Delft (Hollande) en 1845. Ses héritiers plaidèrent (défendus par Jules Favre) pour faire reconnaître leur prétendue origine. Mais le tribunal civil de la Seine repoussa leur demande par jugement du 6 juin 1851.

Il va sans dire que ces divers prétendants se traitaient mutuellement d’imposteurs dans leurs mémoires, dans leurs factums et dans les écrits de leurs partisans respectifs.

Pour le moment, il ne paraît pas y avoir de prétendants à cette succession fantastique. C’est une couronne à terre : avis aux amateurs.


LOUIS XVIII (Louis-Stanislas-Xavier), né à Versailles le 16 novembre 1755, mort le 16 septembre 1824. Il était petit-fils de Louis XV et frère puîné de Louis XVI, comme le comte d’Artois (Charles X). Il porta d’abord le titre de comte de Provence, et fut marié en 1771 à Marie-Joséphine-Louise de Savoie. À l’avènement de Louis XVI, il prit, suivant les usages de la monarchie, le titre de Monsieur, dévolu au frère aîné du roi. D’un esprit médiocre et étroit, comme ses frères, il avait cependant l’intelligence moins épaisse et profita mieux qu’eux de l’instruction, d’ailleurs assez bornée, qui leur fut donnée sous la direction de La Vauguyon. Ce fut le lettré de la famille ; toute sa vie il afficha des prétentions littéraires plus ou moins justifiées. Il avait du moins le goût des lettres et il aimait à s’entourer de ceux qui les cultivent. Mais il était aussi fort pédant. À son arrivée en France, Marie-Antoinette fut frappée de ce caractère, et sa correspondance en contient plusieurs témoignages. Le portrait qu’elle donne du comte de Provence est celui d’une sorte de régent de collège, se tenant dans sa cravate et reprenant tout le monde avec un ton de dédaigneuse supériorité, « Je n’ose parler devant lui, dit-elle, depuis que je l’ai entendu, à un cercle, reprendre, pour une petite faute de langue, la pauvre Clotilde (sa sœur), qui ne savait où se cacher. »

Il y avait entre lui et la dauphine une antipathie qui ne fit que s’accroître avec le temps. Devenu le second personnage du royaume à l’avènement de Louis XVI, il manifesta des prétentions à se mêler des affaires de l’État, qui le mirent plus d’une fois en désaccord avec la reine. Il réunissait chez lui une société choisie de littérateurs et de publicistes, et se faisait le centre d’un petit groupe de frondeurs et d’opposants, parmi lesquels on peut citer Ducis, qui était secrétaire de ses commandements, Target, Arnault, Rulhières, Doyen, le marquis de Bièvre, l’abbé de Lattaignant, Laporte du Theil, etc. Lors de la première Assemblée des notables (1787), il eut la présidence de l’un des sept bureaux et contribua à la chute de Calonne. Dans la deuxième, qui eut lieu l’année suivante, il se prononça avec son bureau pour la double représentation du tiers aux états généraux et refusa de signer la protestation des princes contre la convocation de ces états qui allaient être la Constituante. Cette conduite le rendit fort populaire. On ne peut pas dire cependant qu’il eût le moindre attachement sérieux pour les principes de la Révolution ; seulement, avec le bon sens pratique qui est quelquefois le partage des intelligences moyennes, il sentait bien que l’ère de la monarchie absolue était close. En outre, comme tous les cadets de maison princière et les collatéraux, il songeait aux éventualités de l’avenir et n’était pas fâché de se ménager un point d’appui sur une ombre de popularité. Après la grande journée du 14 juillet, il ne suivit point les princes dans l’émigration et resta auprès de la famille royale, prodiguant facilement des conseils qui n’étaient pas toujours bien accueillis. Cependant, après les journées d’octobre, Louis XVI le nomma secrètement lieutenant général du royaume, pour le cas où lui-même.se trouverait empêché.

Jusqu’à quel point le comte de Provence trempa-t-il dans la conspiration de Favras et quel était le but réel de ce complot ? C’est un problème qu’il serait assez difficile de résoudre en l’absence de documents positifs. Il est certain que Favras était un de ses hommes, et il est fort probable qu’il agissait pour lui. Le plan était, dit-on, de surprendre l’Hôtel de ville, de tuer La Fayette et Bailly, de dompter la Révolution et de faire donner la régence à Monsieur. Voyez d’ailleurs l’article Favras. L’arrestation de celui-ci, les bruits qui coururent, l’éclat de cette affaire effrayèrent fort le comte de Provence, qui fit la démarche singulière d’aller se justifier devant le conseil de la Commune de Paris, renier Favras, et faire une parade hypocrite de ses sentiments populaires et de son amour de la liberté. Flattés de cette manœuvre habile du premier prince du sang, les magistrats municipaux, qui d’ailleurs n’avaient pas qualité pour recevoir un tel acte, accueillirent cette justification avec des acclamations enthousiastes. Monsieur se trouvait ainsi amnistié par la grande autorité populaire, la municipalité de Paris.

Devant l’histoire, il n’a jamais été bien justifié.

Favras marcha au supplice sans trahir son secret. Ses papiers, recueillis par le lieutenant civil, furent, suivant La Fayette, remis plus tard par la fille de ce magistrat à Louis XVIII, qui s’empressa de les brûler.

Lors du départ de Mesdames pour l’émigration (février 1791), le comte de Provence, interrogé par une députation populaire sur les projets de départ qu’on lui supposait, jura habilement qu’il ne se séparerait jamais du roi ; réponse pharisaïque, comme le prouva l’événement. Dans la nuit du 20 au 21 juin de la même année, il quitta le palais du Luxembourg, sa résidence, en même temps que la famille royale sortait secrètement des Tuileries. Plus heureux que les membres de sa famille qui furent arrêtés à Varennes, Monsieur, qui avait suivi une autre route, atteignit Bruxelles au moyen d’un vieux passe-port anglais, qu’il avait gratté et falsifié de sa propre main. Il a donné lui-même le récit de sa fuite dans un écrit qui eut plusieurs éditions en 1823 : Relation d’un voyage de Bruxelles à Coblentz.

Dans l’émigration, il joua le même rôle que le comte d’Artois et ne fut occupé, pendant plus de vingt-deux ans, que d’intrigues et de complots contre la France. Établi d’abord dans un château près de Coblentz, il reçut de Louis XVI de pleins pouvoirs pour agir comme lieutenant général du royaume, fut un des instigateurs de la déclaration de Pilnitz, refusa d’obéir aux décrets sur les émigrés et de rentrer en France, et fut déclaré par l’Assemblée nationale déchu de ses droits à la régence.

Au commencement de la guerre, qu’il avait contribué à allumer par ses sollicitations auprès des princes étrangers, il prit avec le comte d’Artois quelque part aux opérations de l’armée de Condé, en même temps qu’il expédiait dans diverses parties de la France des agents royalistes pour fomenter la guerre civile. Après la révolution du 10 août, les princes entrèrent en France derrière les armées étrangères ; mais, bien qu’ils commandassent un corps d’émigrés et de mercenaires, ils ne jouèrent qu’un rôle insignifiant pendant cette campagne et durent, après Valmy, battre en retraite avec les Prussiens, fort indignés qu’on n’eût pas écrasé du premier coup la France et la Révolution. Bientôt ils furent obligés de licencier leur petite armée.

Retiré en Westphalie, il prit le titre de régent après le supplice de Louis XVI, et proclama devant quelques émigrés le dauphin roi de France, sous le nom de Louis XVII. Il prit d’ailleurs au sérieux sa qualité de régent in partibus, expédia des lettres patentes, des croix de Saint-Louis, nomma le comte d’Artois lieutenant général du royaume, eut un conseil, un ministère, une maison, des gardes, etc. Enfin, après la mort du jeune prince détenu au Temple, il s’affubla de la qualité de roi de France et de Navarre, par la grâce de Dieu. À dater de ce moment, il régna sur nous avec le plus grand sang-froid, sans que la France s’en doutât ; il eut de plus en plus des capitaines des gardes, des premiers gentilshommes de la chambre, une maison civile et militaire, etc. Ces manies étaient assurément fort innocentes, mais elles n’indiquaient pas une grande force de tête ni une intelligence bien nette des hommes, des choses et du temps. On sait aussi que, fidèle à son système, il prétendait en 1814 dater son règne du jour de la mort de Louis XVII.

Il est bon de rappeler que, comme tous les émigrés de marque, il était soudoyé par les puissances étrangères et qu’il vécut des subsides de l’Angleterre, de la Russie et autres coalisés.

Il était à Vérone lors de la campagne de Bonaparte en Italie et dut s’éloigner sur l’invitation du sénat de Venise. Il se retira à Blankenbourg, dans le duché de Brunswick, puis à Mittau (Courlande), enfin à Varsovie, successivement délogé de tous ses asiles par les victoires de la grande République. Avec l’or de l’étranger, il entretenait en France des agences royalistes, des officines de complots, forma divers projets pour venir se mettre à la tête de ses partisans, soit dans Toulon révolté, soit en Vendée, mais en définitive se borna toujours à combattre de loin et par correspondance.

En 1803, le premier consul lui fit proposer de renoncer pour lui et sa famille à la couronne de France, en échange d’une riche compensation pécuniaire et d’indemnités territoriales en Italie. À cette ouverture singulière, le prince répondit avec assez de dignité qu’il ne transigerait jamais sur ses droits, et que le premier consul les établirait lui-même par sa démarche, s’ils pouvaient être litigieux. D’ailleurs, il témoignait quelque intérêt à Bonaparte, lui savait gré de plusieurs actes d’administration, car il était disposé à tenir compte du bien qu’on ferait à son peuple, etc.

Bonaparte se le tint pour dit.

Lors de la proclamation de l’Empire, le prétendant, fidèle à son rôle, protesta solennellement contre cette usurpation de ses droits ; il renvoya même sa décoration de la Toison d’or au roi d’Espagne, qui, bon gré mal gré, avait reconnu Napoléon, et renonça en outre à la pension qu’il recevait de cette puissance. Ses espérances de restauration ne paraissaient pas alors près de se réaliser. La Vendée était pacifiée ; ses négociations avec Pichegru avaient été définitivement éventées par l’arrestation de celui-ci ; ses tentatives de corruption sur les hommes publics n’avaient, en fin de compte, produit aucun résultat ; toutes les conspirations nouées sous le Directoire avaient échoué ; enfin l’avènement de Bonaparte, son affermissement comme empereur ne paraissaient guère de nature à avancer les affaires de la maison de Bourbon. En 1807, après la paix de Tilsitt, Louis transporta sa royauté nomade en Angleterre, le continent européen étant presque entièrement asservi à l’influence de Napoléon. Il éleva d’abord quelque prétention d’être reconnu par les Anglais comme roi de France ; mais les nécessités de la politique ne le permirent pas ; officiellement, il ne fut que le comte de Lille, nom sous lequel il avait d’abord voyagé après avoir quitté la France. Il continua d ailleurs d’être roi dans ses appartements et pour sa domesticité.

Jusqu’en 1814, il résida d’abord à Gosfield, jusqu’à la mort de la princesse sa femme, puis au château de Hartwell, à 16 lieues de Londres, entretenu par la Russie et l’Angleterre d’une pension de 600,000 francs, et attendant mélancoliquement que les fautes de Napoléon lui ouvrissent les portes de la France. La campagne de Russie était de nature à ranimer ses espérances. Il en prit habilement occasion pour recommander à la bienveillance de l’empereur Alexandre les Français faits prisonniers à la suite de nos désastres, et qu’il appelait paternellement ses sujets. Les malheurs de 1813 et de 1814 lui permirent de renouer ses trames en France ; ses agents s’abouchèrent avec les hauts fonctionnaires, en leur promettant, par un engagement écrit, la conservation de leurs places et traitements, moyen assuré de mettre leur conscience en paix. En janvier 1814, le duc d’Angoulême, le duc de Berry et le comte d’Artois partirent secrètement pour agir dans différentes parties de la France au moment de l’entrée des années étrangères. On sait comment s’accomplit la Restauration. Les royalistes purs n’y jouèrent qu’un rôle effacé. Deux cent mille baïonnettes étrangères, la défection des grands dignitaires de l’Empire, l’épuisement de la nation, son immense besoin de paix et de repos, les basses sollicitations des royalistes auprès des souverains coalisés, qui d’abord n’avaient accueilli que froidement l’idée du retour des Bourbons, enfin le patronage de l’empereur de Russie, gagné par Vitrolles et plus encore par Talleyrand, firent beaucoup plus pour cette révolution que les souvenirs effacés d’une famille inconnue de la génération nouvelle, et qui depuis tant d’années était en guerre ouverte contre le pays, en confondant ses intrigues avec les hostilités de l’ennemi.

Après l’entrée des alliés à Paris, le Sénat proclama la déchéance de Napoléon (3 avril), et quelques jours après appela Louis XVIII au trône, en lui offrant une espèce de constitution où il avait eu soin de mettre au premier rang la conservation de son existence politique et des traitements et dotations de ses membres. Monsieur, comte d’Artois, comme lieutenant général, se hâta de témoigner la reconnaissance de sa maison aux puissances coalisées en signant, le 23, ce traité que Marmont lui-même a qualifié de monstrueux, et par lequel il cédait d’un trait de plume, sans aucune compensation, cinquante-quatre places garnies de dix mille pièces de canon que nous possédions encore en Italie, en Belgique (en Allemagne, etc.

Cette largesse d’enfant de famille était un à-compte sur les dettes de l’émigration. D’ailleurs, Paris vaut bien une messe.

Le lendemain, Louis débarquait à Calais, et le 2 mai il promulguait, à Saint-Ouen, une Déclaration dans laquelle il promettait un régime constitutionnel. Il voulait bien faire quelque concession à l’esprit du temps, mais non pas accepter la constitution que le Sénat avait bâclée ; pour le principe de légitimité et de droit, il refusait à ses sujets le droit de lui imposer des garanties, qu’il ne consentait à leur accorder qu’à titre de don gracieux.

C’est sous l’empire de cette idée, de cette fiction monarchique, que le 4 juin, de sa pleine puissance et autorité royale, il octroya la charte, qu’il data de la dix-neuvième année de son règne.

Le lendemain de son entrée aux Tuileries, il se trouva en présence de difficultés qui le débordaient : cette espèce de constitution à faire pour une nation qu’il ne connaissait pas