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assombris par un ciel d’orage, des campagnes ravagées. On cite de lui plusieurs Vues prises dans les Alpes suisses.

LOTENSCHIOLD (Otto-Chrétien de), archéologue et jurisconsulte allemand, né à

Kiel en 1729, mort en 1761. Il professa, de 1750 jusqu’il sa mort, l’histoire et la jurisprudence à l’université do Tubingue. Parmi ses écrits nous citerons : De modo probabiliori guo prima ; in Américain septentrionalem immigrationes sunt fartai (1753) ; De floribus lygiis, regni Culiis insignibus (1758) ; De expugnatione urbis Conslanlinopoleos per Mahommetam II (1760), etc.

LOTERIE s. f. (lo-te-r ! — rad. loi). Sorte do jeu do hasard, dans lequel, un certain nombre de numéros étant distribués, on tire au sort, dans la même série de numéros, un nombre de numéros convenu, et l’on distribue des prix aux détenteurs de numéros sortis ; Prendre des billets de lqterih. Tirer une loterie. Gagner le gros lot à la loterie. Un fou- gui gagne à la lotekie s’appuie de son expérience pour vanter ce jeu : le monde est plein dé pareils logiciens. (De Lévis.) La loterie est un piège tendu par la perfidie à la cupidité. (De Théis.) Il Spéculation de ce genre que fait un gouvernement pour se procurer de l’argent, et dont le tirage a lieu à. des époques fixes : La loterie royale de France a été supprimée en 1836. La loterie est un piège tendu au peuple, (B. Constant.)

— Fig. Chose do hasard : On se fâche souvent contre les gens de lettres gni se retirent du monde ; on veut les forcer d’assister éter-* nellement au tirage d’une loterie ils n’ont point de billets. (Chamfort.) Les biens et les maux sont une loterie, où chacun sans distinction peut tirer un billet blanc ou jioir. (J. de Maistre.) Le suffrage universel çst à nos yeux une vraie lotkrie. (Proudh.) A un souverain gui comprend la justice succède presque toujours un souverain pervers, ce gui fait de la royauté une loterie fatale pour les peuples. (Maio l. Colet.)

Ce monde-ci n’est qu’une loterie

De biens, de rangs, de dignités, de droits,

Brigues cane titre et répartis sans choix.

VOLTAIRE.

— Jeux. Jeu de cartes où l’on tire au sort et où Von emploie les termes d’extrait, d’ambe, de terne, etc., comme dans les anciennes loteries de l’État.

— Encycl. La paresse et le désir de s’enrichir sont des passions logiquement incompatibles, en ce sens qu’elles tendent à des résultats diamétralement opposés, mais qui n’appartiennent pas moins à la nature humaine, et se trouvent fréquemment unies chez la même personne. Or la loterie est un moyen de s’enrichir sans travail ; moyen peu 8Ùr assurément, qui ne réussit presque jamais, mais qui fait un très-grand nombre de dupes, à cause de la possibilité absolue qu’il procure de gagner de l’argent saus se donner aucune peine, possibilité que les gens irréfléchis sont beaucoup trop portés a s’exagérer. Je peux gagner ; c’est la réponse invariable de tous les partisans de la loterie à tous les arguments qu’on leur donne pour les détourner de leur absurde passion. Je peux/ Depuis quand les actions humaines se règlentelles sur de simples possibilités, et non sur des probabilités ? Le Panthéon peut s’affaisser sur votre tête au moment ou vous en rasez les murs ; pourquoi ne vous détournezvous pas d’une semelle pour échapper à cette éventualité ? Vous pouvez trouver un trésor en creusant un trou dans le sol de votre cave ; pourquoi ne tentez-vous pas une expérience si facile ? Et pourquoi, sur une éventualité beaucoup moins probable, dépensezvous un franc pour acheter un billet de loterie ? Si vous jugez probable que vous gagnerez, prenez ce billet ; si vous le croyez simplement possible, abstenez-vous-en, car la probabilité est la règle de la conduite des hommes sages, et la possibilité no décide que des fous.

Nous pourrions multiplier les arguments ; nous pourrions, par des comparaisons nombreuses, montrer l’absurdité de ceux qui mettent leurs espérances sur le tirage d’une loterie ; nous pourrions, d’autre part, faire ressortir le côté immoral de ces entreprises qui fournissent un appât à la paresse imbécile ; mais toutes ces raisons, données déjà depuis longtemps, n’ont ni diminué la passion du jeu ui éclairé les esprits volontairement aveuglés.

Ce mal n’est pas nouveau ; des loteries organisées existaient au temps des empereurs romains. On a même voulu faire remonter les loteries aux Hébreux et aux Égyptiens. Les renseignements sont trop vagues à cet égard pour que nous puissions nous y arrêter. A Rome, à l’issue des spectacles gratuits donnés à l’occasion des saturnales, on jetait au milieu de la foule des tablettes carrées, nom ; niées apoplwreta, où se trouvait inscrit quelque don de la munificence consulaire ou impérijle. Ces dons consistaient en esclaves, en vases précieux, chevaux, etc. Suétone nous apprend que l’empereur Auguste introduisit dans ses festins l’usage de tirer au sort des objets d’un prix inégal ; il vendait aussi des tableaux dont il ne montrait que l’envers ; de sorte qu’on pouvait gagner, pour le même prix, un chef-u’œuvru ou une simple croûte.

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Néron imagina une loterie au profit du peuple. Les billets, qu’on distribuait par milliers Fendant les fêtes célébrées pour l’éternité de empire, faisaient gagner des oiseaux rares ; des tableaux, des perles, des vaisseaux et même des îles. Domitien gratina le peuple d’une loterie de 300 sesterces, et les sénateurs participaient même U ces libéralités nommées congiaria. Les lots destinés aux nobles membres de l’auguste assemblée consistaient en rations de vivres. Héliogabale imita l’exemple de Néron. Les lots de ses loteries consistaient en quadriges, en litières, en eunuques, etc. Ce fut Héliogabale qui introduisit la coutume des lots plaisants : à côté de billets portant dix ours, dix livres d’or, dix autruches, il y en avait sur lesquels étaient inscrits dix grillons, dix livres de sable, dix mouches, etc. Les comédiens avaient leur loterie particulière sous Héliogabale. L’empereur les traitait très-inégalement : tandis que l’un pouvait emporter mille deniers d’argent, l’autre recevait un chien mort.

Telle était la pratique des empereurs romains au sujet de la loterie. Après eux, il nous faut franchir un espace de douze siècles pour retrouver quelques faits relatifs aux loteries. Au xvo siècle, les marchands vénitiens "et génois employaient la loterie pour se débarrasser do leurs vieilles marchandises ou pour vendre des objets d’un grand prix qui auraient trouvé difficilement des acquéreurs. ■ La loterie fut introduite en France, en 1533, par les Italiens qui vinrent à la suite de Catherine de Médicis. En 1539, François fer rendit un édit qui octroyait à un sieur Jean Laurent la permission d’établir autant de loteries qu’il voudrait, à charge de payer un droit annuel de 2,000 livres tournois. À cette époque les loteries étaient désignées sous le nom vulgaire de bianques ou bianques. L’édit dé François I« était basé sur ce prétexte qu’il fallait « détourner les nobles, bourgeois et marchands enclins et désirant jeux et esbattements des jeux dissolus, où auscuns

consomment tout leur bien et substances. » La vérité est qu’il fallait combler une partie des vides causés par la guerre dans le trésor public. Le prix du billet était de 10 sous 6 deniers-. Cette loterie avait des succursales en province.

Simon Maîolo, canoniste du xvie siècle, disait : « La loterie est une espèce de contrat fréquemment en usage en Europe ; i ! peut être pratiqué publiquement ou en particulier. Dans le premier cas, le consentement du prince est nécessaire ; dans le second, il est libre, et ne s’observe qu’entre un certain nombre d’amis et de personnes connues. Un homme, par exemple, a un cheval qu’il estime 50 louis d’or ; il le fait voir et propose do le tirer au sort. Four y parvenir, il partage cette somme en plusieurs parties et fait un pareil nombre de numéros ou de billets qu’il débité à ceux qui en veulent prendre au prix qu’il les aura taxés, et qui composent tous ensemble celui du cheval. Ces billets sont ensuite mêlés et tirés au sort. Le lot du cheval tombe à l’un des contractants, les autres il’ont rien. Il en est de même des bijoux, des livres et des autres effets dont on veut se défaire par cette voie du sort. » Voilà la loterie bien définie. C’est vers le temps de Maîolo qu’on place généralement l’invention de la loterie telle que nous la concevons. Les uns attribuent cette invention à Lorenzo Tonti, qui vivait au xviie siècle ; les autres à Benedetto Gentili ; d’autres enfin au batteur d’or Chuynes, qui ouvrit une blanque à Paris en 1656.

Mais en réalité les loteries sont antérieures au xvie siècle ; cela ne saurait faire aucun doute, puisque déjà en 1514 cette institution avait été l’objet d’une dissertation théologique à l’université de Tubingue et, en 1520, d’une thèse présentée par le vice-chancelier de l’université de Louvain, Jean Briard.

Vers l’an 1600, la loterie ne fut plus seulement un jeu pour les particuliers ; elle commença à être exploitée par les gouvernements. Elle était devenue la base d’un système de finances régulier en Angleterre et à Venise ; elle servait à soudoyer les troupes en temps de guerre ; dans d’autres États elle fournissait les fonds aux grandes entreprises publiques.

La première loterie de bienfaisance fut organisée à Malines, le 13 septembre 1519, «en faveur de la grande confrérie de M. saint Georges et de l’église de Saint-Pierre, pour subvenir aux grandes affaires d’icelie confrérie. » L’autorisation en fut donnée par Charles-Quint. Une autre loterie de chanté fut tirée à Lille en 1527 ; elle s’appelait loterie de l’église Saint-Étienne. En 153S, autre loterie à Bruges. En 156^ nous voyons le prince de Navarre, depuis Henri IV, prendre part à une blanque qui se tirait dans le cloître de Saint-Germaiu-l’Auxerrois. En 15C6, le comte de Retz proposa de la part du roi, au conseil d’État, l’établissement d’une blanque de 4 millions, dont le bénéfice serait employé a prêter aux marchands au denier dix ; le conseil d’État rejeta la proposition.

En 1572, Louis de Gonzague, duc de Nivernais, fonda une blanque perpétuelle de 1,000 ôcus, en faveur des soixante jeunes filles les plus pauvres et les plus sages, habitant les villages de Picardie, du Bourbonnais, du Berry, du Nivernais, etc., où il possédait des seigneuries.

La fraude et l’abus se glissèrent de bonne

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heure dans les Manques de toute espèce ; le parlement de Paris, sous Henri IV, porta plusieurs arrêts contre les teneurs de blanques.

En 160S, le parlement fit saisir une loterie ouverte dans la ville de Soissons ■ a la ruine des habitants d’icelie, "dit l’arrêt. L’année suivante les loteries furent interdites à Amiens. Les blanques commerciales faisaient une si terrible concurrence aux marchands forains, que les échevins protestèrent, et qu’en diverges circonstances les souverains leur donnèrent gain de cause en empêchant l’établissement de ces spéculations foraines.

Au xvii* et même au xvie siècle, la réclame venait en aide aux loteries : des prospectus, à défaut d’affiches, étaient répandus à profusion ; alors, comme aujourd’hui, on sollicitait le patronage do personnages influents et considérés, on excitait la cupidité publique par l’exposition des lots, etc.

Il n’y eut pas de loterie sous Louis XIII ; mais on en’compta de cinq sortes sous Louis XIV : loterie delibéralité, loterie de spéculation particulière, loterie d’État, loterie de charité, loterie commerciale. Le 4 mai 1685, Louis XIV donna une loterie de trois mille billets gratuits aux daines de sa cour, Une autre loterie fastueuse fut organisée par le roi dans la même année, à l’occasion du mariage de Ml’e de Nantes et du duc de Bourbon. Les nobles et les financiers suivirent l’exemple du roi. Parmi les loteries de spéculation particulière il faut citer celle de la duchesse de Bourgogne, au capital de 20,000 pistoles, qui eut heu en 1700, et fut tirée devant la cour. Le gros lot, de 4,000 louis, fut gagne par un garde du corps. Il y eut aussi des loteries de banquet, où les gagnants mangeaient gratis. Les précieuses de l’hôtel Rambouillet mirent leurs néologismes en loterie. Chaque billet sortant portait inscrit un des mots baroques admis dans cette réunion, et la personne à qui était échu un de ces billets devait mettre le mot à la mode en le reproduisant dans sa conversation.

La plus importante des loteries de spéculation fut celle du Florentin Tonti qui voulut, par ce moyen, reconstruire en pierre le pont de bois qui unissait les galeries du Louvre au faubourg Saint-Germain. Le billet était de 2 louis ; il y en avait 50,000, représentant une valeur de 1,200,000 livres. La moitié devait être consacrée aux travaux et l’autre moitié à 1,215 lots, dont un de 30,000 livres ; Tonti devait’garder 60 lots pour lui. Cette affaire échoua.

k Le 11 mai 1700, Louis XIV fit organiser une grande loterie dans le but de créer une ressource à l’État. Cette loterie, au capital de 10 millions, se composait de 440,000 billets à 2 louis. Elle comptait 485 lots en argent et 500,000 livres de rente viagère. Le gros lot consistait en 20,000 livres de rente. « Sa Majesté, était-il dit dans le décret, ayant remarqué l’inclination naturelle de la plupart de ses sujets à mettre de l’argent aux loteries particulières, et désirant leur procurer un moyen agréable et commode de se faire un revenu sur et considérable pour le reste de leur vie, et même d’enrichir leur famille, en donnant au hasard des sommes si légères qu’elles ne pussent leur causer aucune incommodité, a jugé à propos.d’établir une loterie royale de 10 millions. » Nos banquistes n’ont jamais trouvé mieux en fait de boniment. Cette loterie reçut diverses modifications. En 1704, les billets étaient de 100 livres, et devaientproduire 100,000 livres de rente viagère

et 100,000 de rente perpétuelle ; en 1707, les billets furent réduits à 20 francs, .

Les vingt quartiers de Paris furent, en 1701, dotés de pompes à incendie au moyen de loteries. Ce fut par une loterie que fut érigé l’hôpital général de Paris, en 1658. Beaucoup d’édifices religieux, notamment l’église de Saint-Sulpice, ont eu la même origine,

La province suivit 1 exemple de Paris, et les principales villes du royaume organisèrent des loteries de bienfaisance ou autres. Les plus importantes furent ; celle de Lyon, en 1699, au profit des pauvres, à la suite des guerres du Dauphiné ; celle d’Angers, pour la réparation du collège de cette ville ; celle d’Amiens, en faveur de l’hôpital général de Saint-Charles.

Sous le règne de Louis XV, les loteries furent encore plus nombreuses. En dehors de la loterie publique, créée le 21 août 1717, par le régent, pour l’extinction des billets d’État, une quantité considérable de loteries officielles furent organisées.

Les loteries passèrent en Angleterre au commencement du xvn° siècle. Jacques Ier, en 1612, ouvrit une loterie de 30,000 livres sterling. La plus colossale des loteries fut celle de 1692, sous le roi Guillaume, au»capital de 30 millions. Joseph Ier, empereur d’Allemagne, avait fondé en 1718, pour créer

un hôpital militaire, une loterie où les billets coûtaient 4 florins ; le gros lot était de 10,000 florins. À la loterie de Bruxelles, en 1716, il y avait un gagnant sur quatre. Une loterie allemande offrit à gagner une ville tout entière, vingt-neuf villages, un palais immense, 30,000 arpents de bois, 4,000 arpents de terres labourables, deux manufactures ; le billet était de 20 francs.

Nous avons réservé à dessein la grande loterie française, une des hontes de notre histoire nationale. Le 23 janvier 17-11, parut

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un arrêt du conseil du roi pour la création d’une loterie générale, au capital de 10 millions, divisé en 5,135 lots de 1,000 livres à 300,000 livres, à répartir par tirages successifs. Le billet était de 200 livres payables par termes, et vingt-cinq notaires étaient commis, à titre de receveurs, pour opérer les recettes. Les bénéfices, fixés à 12 pour 100, étaient destinés a des œuvres pies. En réalité, cette loterie n’était qu’un emprunt déguisé, et il n’eut qu’un demi-succès. La vraie loterie nationale, telle qu’elle a fonctionné pendant près de quatre-vingts ans, ne fut définitivement constituée que par un nouvel arrêt du conseil du 31 août 1762. Voici à quelle occasion.

Les finances de l’État étaient complètement ruinées. Le contrôleur général, M. de Boulogne, avait épuisé les crédits, les emprunts et les anticipations ; M. Duverney était en quête de fonds pour son école militaire et no savait où les prendre, lorsque se présentèrent, avec un plan de loterie U la main, trois aventuriers italiens, dont le plus hardi, Casanova, était devenu fameux pour s’être échappé des plombs de Venise. Le plan reposait sur les combinaisons que peuvent former entre eux tous les nombres, depuis l jusqu’à 90. D’uno roue contenant ces 00 nombres il devait en être tiré 5, qui seraient les gagnants. Le public était appelé à parier soit pour un seul nombre, soit pour plusieurs à sortir au hasard ou dans un ordre déterminé, ce qui constituait, dans le jargon de cette sorte de jeu, des extraits, des ambes, des ternes, des quaternes et des quines, combinaisons infernales qui dissimulaient habilement, surtout poulles deux derniers termes, l’exiguïté des chances et mettaient en relief au contraire la brillante perspective des résultats. Le plan des Italiens fut adopté, l’arrêt du conseil rendu, et une fort belle instruction à l’appui, signée de M. de Sartines, convia le public à se ruiner au profit des escrocs et des agioteurs impudents. Le premier tirage donna une recette brute de 2 millions et un bénéfice net de 600,000 francs.

Dire quels ravages exerça cette sorte de peste italienne, ce serait ajouter une chronique scandaleuse aux autres scandales de l’époque. Le public ignorant et crédule se rua sur la loterie comme sur une source de richesses certaines. La cupidité fut allumée jusqu’au délire. Revenu du riche, épargne du pauvre, tout y passa. Sous le couvert royal, la corruption s’infiltra dans toutes les veines de la nation. Des crieurs publics racolaient les chalands dans un langage absurde et ampoulé, et les chassaient vers les aventureux bureaux de la loterie, toujours ouverts, qui étalaient tout un appareil de billets préparés, de roues de fortune, d’inscriptions pompeuses, de rubans entrelacés, prétendue livrée de l’espérance et du bonheur. Ce ne fut pas tout : la mise, qui était au minimum de trois livres, n’était pas accessible à toutes les bourses ; il se créa des sortes de sociétés en participation qui l’a divisèrent jusqu’à 1 denier. L’indigent même put jouer à la loterie. La veille du tirage, on ne vivait plus. Toutes les pensées étaient concentrées sur la roue d’où devaient tomber les ternes et les quaternes. Les désespoirs se traduisaient le lendemain par des suicides. Que de vols domestiques, que de ruines, et munie que de crimes n’eurent d’autre cause secrète que la loterie I Les escrocs ne manquèrent pas, comme de raison, d’exploiter la superstition populaire. On vendait des combinaisons infaillibles. Pour sonder la profondeur de la sottise humaine, il suffirait d’exposer au grand jour les mystères de la loterie.

Et cependant il aurait suffi d’un peu de bon sen 3 pour s’apercevoir que ia loterie royale jouait à coup sûr et ne pouvait promeure à ses clients que des richesses imaginaires. Elle était combinée de telle sorte qu on pouvait y jouer de sept manières différentes, avec plus ou moins de chances de bénéfices. Nous allons en donner une idée succincte. Dans la première combinaison, qui s’appelait l’extrait simple, la loterie payait soixante-quinze fois la mise pour une chance sur quatre-vingt-dix, de telle sorte qu’elle s’attribuait un bénéfice de 10 2/3 pour 100 ; sur la seconde combinaison (extrait déterminé), elle avait 23 pour 100 ; sur la troisième (ambo simple), 32 1/2 pour 100 ; sur la quatrième (ambe déterminé), as 1/2 pour 100 ; sur la cinquième (terne), 53 1/5 pour,100 ; sur la sixième (quaterne), 85 1/3 pour 100, et enfin sur la septième {le quine), la loterie prenait 98 pour 100.

Or, comme le calcul abstrait des probabilités demande des études et des réflexions au-dessus de la portée du plus grand nombre, et que d’autre part les quaternes et les quine3

Îiortaient plus vivement à l’imagination que es simples extraits, il arriva, conformément aux prévisions des escrocs italiens, que les chances ordinaires furent délaissées pour les chances presque impossibles, et qu’une foule d’imbéciles poursuivirent leur vie entière et nourrirent (c’était le mot consacré) un quine imaginaire, qui -ne paraissait jamais, ce qui n’a rien d’étonnant, puisqu’il n’offrait qu’une seule chance sur 43,949,203. Et fût-il sorti que la loterie en eût été quitte à bon marché, puisqu’elle ne payait que 15,000 francs ce qui lui en avait rapporté 100,000.

En dépit des malédictions des philosophes et des moralistes, l’institution corruptrice