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aurait sur son peuple. « Mais, répliquait La Fontaine, si les rois sont maîtres de nos biens, de nos vies et de tout, il faut qu’ils aient droit de nous regarder comme des fourmis à leur égard, et je me rends, si vous me faites voir que cela soit autorisé par l’Écriture. — Eh quoi, dit M. Racine, vous ne savez donc pas ce passage de l’Écriture : Tanquam formica deambulatis coram rege vestro ? » Ce passage était de son invention, car il n’est point dans l’Écriture ; mais il le fit pour se moquer de La Fontaine, qui le crut bonnement. » Sa crédulité paraît encore manifeste dans le duel qu’il eut, à cause de sa femme, avec un de ses amis, le capitaine Poignan. Mais ici, est-ce vraiment de la crédulité ? Le capitaine Poignan se plaisait dans la maison de La Fontaine et surtout avec sa femme, dont le fabuliste n’était pas encore séparé. Poignan n’était ni d’âge ni de figure à troubler le repos d’un mari ; cependant, on en fit de mauvais rapports à La Fontaine, et on lui dit qu’il était déshonoré s’il ne se battait pas. Frappé de cette idée, il sort de bon matin et va frapper à la porte de son ami, l’éveille, lui dit de s’habiller et de le suivre. Poignan, qui ne savait ce que tout cela signifiait, sort avec lui. Ils arrivent dans un endroit écarté, hors de la ville. « Je veux me battre avec toi, on me l’a conseillé, » lui dit La Fontaine, et, après lui en avoir expliqué le motif, il tire son épée et se met en garde, sans attendre la réponse de Poignan, qui en fait autant de son côté. Le combat ne fut pas long ; le capitaine lui fit sauter, du premier coup, l’épée de la main, et le poëte se déclara satisfait. « On a voulu que nous nous battions, dit-il à son ami en lui prenant le bras ; nous nous sommes battus. Maintenant, viens déjeuner et retourne chez ma femme tant que cela te plaira. »

L’indépendance des idées et du caractère de La Fontaine, indépendance qui est visible par le trait cité par Brossette, fut sans doute pour quelque chose dans le peu de faveur dont le fabuliste jouissait à la cour de Louis XIV. Le grand roi daigna pourtant le recevoir ; mais là encore son étourderie lui joua un mauvais tour. Il devait présenter au monarque le manuscrit de quelques nouveaux livres de ses fables, et, après la présentation, se confondant en saluts assez gauches, il se mit à retourner avec inquiétude toutes les poches de son habit. Peine inutile ! le manuscrit était resté à la maison. « Ce sera pour une autre fois, monsieur de La Fontaine, » lui dit Louis XIV en souriant avec bonté. Néanmoins, on peut croire qu’un bonhomme si distrait devait peu convenir au monarque à grande perruque, si strict sur l’étiquette. Le genre de la fable devait, en outre, sembler trop mesquin à un homme d’un esprit si solennel. C’est ce que Voltaire a si bien expliqué : « Vous me demandez, dit-il dans une de ses lettres, pourquoi Louis XIV ne fit pas tomber ses bienfaits sur La Fontaine comme sur les autres gens de lettres qui firent honneur au grand siècle. Je vous dirai d’abord qu’il ne goûtait pas assez le genre dans lequel ce conteur charmant excella. Il traitait les fables de La Fontaine comme les tableaux de Teniers, dont il ne voulait voir aucun dans ses appartements. » On connaît le mot de Louis XIV : « Ôtez-moi ces magots ! » La réception de La Fontaine à l’Académie française donna au roi l’occasion de manifester son déplaisir.

La mort de Colbert (1683) ayant laissé un fauteuil vacant, deux candidats se présentèrent, La Fontaine et Boileau. Louis XIV donna ouvertement son appui à ce dernier, et il est hors de doute que la muse sévère de Boileau lui agréait mieux que celle qui inspira les Contes et même les Fables : il aimait mieux lire l’épître sur le Passage du Rhin et l’ode sur la Prise de Namur, toute mauvaise qu’elle est, que Joconde ou Belphégor. Le parti dévot objectait aux partisans de La Fontaine, non-seulement ses vers, mais sa vie, et, par surcroît, le Bonhomme était, dit-on, à cette époque même et quoique âgé de soixante-trois ans, l’ami beaucoup trop intime de la Champmeslé. L’Académie montra une indépendance véritable. Malgré les pressions, de toutes sortes, elle nomma La Fontaine. Mais Louis XIV fit attendre plusieurs mois la sanction royale. Le poëte lui adressa, sur ses victoires de la guerre des Flandres, une ode qui radoucit un peu le monarque ; néanmoins, il fallut qu’un autre fauteuil fût devenu vacant, et qu’il eût été donné à Boileau, pour qu’il ratifiât en même temps les deux élections. Il le fit par ces paroles caractéristiques : « Le choix que vous avez fait de M. Despréaux m’est fort agréable ; il sera approuvé de tout le monde. Vous pouvez incessamment recevoir La Fontaine ; il a promis d’être sage. »

La Fontaine aimait beaucoup l’Académie ; il se rendait à toutes les séances, et l’on disait quelquefois que c’était principalement pour toucher le jeton de présence, dont la valeur était d’un écu, petite somme qui n’était pas à négliger, dans l’état de détresse où se trouvaient toujours ses finances. Il y mettait cependant de la discrétion. On rapporte qu’un jour il arriva en retard ; son nom était déjà barré sur la feuille ; mais, comme tout le monde l’aimait, les académiciens dirent, d’un commun accord, qu’il fallait faire, en sa faveur, une exception à la règle. « Non, messieurs, leur dit-il, cela ne serait pas juste ; je suis venu trop tard, c’est ma faute. »

C’est à l’Académie, et par suite d’une distraction, qu’il eut sa grande querelle avec Furetière, querelle -d’autant plus remarquable qu’on ne lui en connaît que deux dans toute sa vie, car ce beau génie, ce grand poëte, dont le fonds était la mansuétude, la bonté, la tendresse, ne se mit en colère que deux fois. Quand l’Académie mit aux voix l’exclusion de Furetière, comme ayant fait injure au corps tout entier en publiant prématurément son dictionnaire, La Fontaine, qui voulait mettre une boule blanche, se trompa et mit une boule noire. Furetière, n’écoutant que son ressentiment, ne voulut point accueillir cette justification et publia contre le fabuliste un pamphlet, un de ses factums, où il le tournait en ridicule. Il lui reprochait, entre autres choses, de n’avoir jamais su, quoique maître des eaux et forêts, distinguer le bois de grume du bois de marmenteau, ce que La Fontaine lui avait naïvement avoué lui-même, en lui disant que cet article de son dictionnaire l’avait vivement intéressé. Furetière partait de là pour lui reprocher son ignorance crasse. Le Bonhomme lui décocha malignement cette épigramme, qui avait trait à un accident de l’existence de son adversaire :

Toi qui crois tout savoir, merveilleux Furetière,
Qui décides toujours, et sur toute matière.
    Quand, de tes chicanes outré,
    Guilleragues t’eut rencontré,
Et, frappant sur ton dos comme sur une enclume,
Eut, à coups de bâton, secoué ton manteau,
Le bâton, dis-le-nous, était-ce bois de grume
    Ou bien du bois de marmenteau ?

La seconde grande colère du Bonhomme eut aussi une cause toute littéraire, où le bon droit était de son côté. Lulli lui ayant demandé, à bref délai, les paroles d’un opéra, dont la musique devait être merveilleuse, La Fontaine se mit courageusement à la besogne, esquissa le scénario, dessina le dialogue, le remania et le ratura au gré du compositeur difficile ; puis, quand tout est prêt, il apprend que Lulli a transporté toute sa musique à l’opéra de Quinault, Proserpine, et que son travail lui reste en portefeuille. Il y avait de quoi se fâcher ; aussi lança-t-il à Lulli quelques bonnes épigrammes, entre autres celle qui commence par ces vers ;

Le Florentin
Montre à la fin
Ce qu’il sait faire.

Des épigrammes ! la haine de La Fontaine n’allait pas au delà. Encore se réconcilia-t-il avec Lulli, parce que Mme de Thianges les fit trouver face à face à un excellent dîner.

Malgré sa promesse d’être sage, promesse enregistrée par Louis XIV, La Fontaine ne changeait pas de manière de vivre ; à soixante ans et plus, il parlait encore d’amour et mettait même, dans ses affections passagères, la même inconstance qu’à vingt ans. C’est ce dont il s’excuse, d’une manière si charmante, dans une épître à Mme de La Sablière :

Ne point errer est chose au-dessus de mes forces ;
Mais aussi de se prendre à toutes les amorces,
Pour tous les faux brillants courir et s’empresser !
J’entends que l’on me dit : « Quand donc veux-tu cesser ? »

Plus tard encore, chez Mme d’Hervart, dans une société de jeunes femmes, gracieuses et séduisantes, il trouvait encore moyen de s’enflammer. « Vous pouvez vous moquer de moi tant qu’il vous plaira, écrivait-il à l’abbé Vergier au sujet d’une de ses passions, je vous le permets ; et si cette jeune divinité, qui est venue troubler mon repos, y trouve un sujet de se divertir, je ne lui en saurai pas mauvais gré. À quoi servent les radoteurs, qu’à faire rire les jeunes filles ? »

Ses dernières années furent exemplaires. Son indolence vis-à-vis de la religion, comme en tout le reste, était notoire ; le clergé entreprit d’y mettre bon ordre et de le convertir bel et bien. Du reste, La Fontaine, sûr de sa conscience et de la sincérité de son cœur, ne croyait pas avoir accompli de grands méfaits. Le difficile était de lui faire désavouer publiquement ses Contes. Le Bonhomme croyait si peu avoir mérité tant de colères en les composant, qu’étant malade et exhorté, par son confesseur, à réparer le scandale de sa vie et de ses œuvres à l’aide d’aumônes : « Je ne suis pas riche, répondit-il ; mais tenez, on va faire une nouvelle édition de mes Contes, j’en donne le prix aux pauvres. » Le confesseur, presque aussi simple que lui, accepta de grand cœur ; il dut être bien reçu quand il rapporta cette nouvelle à la congrégation ! La conversion en règle du poëte fut entreprise par le P. Pouget, oratorien, qui sut gagner ses bonnes grâces. Il lui fit lire le Nouveau Testament. En lui rendant le volume : « Je vous assure, dit le malade, que le Nouveau Testament est un bon livre ; oui, par ma foi, un fort bon livre ; mais il y a un article sur lequel je ne me suis pas rendu, c’est celui de l’éternité des peines. Je ne comprends pas comment cette éternité peut s’accorder avec la bonté de Dieu. » Il dit de même à son directeur, qui lui avait prêté un saint Paul : « Je vous rends votre livre ; ce saint-là n’est pas mon homme. » Ainsi la bonté, qui faisait le fonds de son caractère, persistait chez lui jusqu’au bout et le dominait au milieu de toutes les autres préoccupations. Enfin, le P. Pouget le décida au désaveu de ses Contes. Le 12 février 1693, en présence d’une députation de l’Académie, il déclara désapprouver cette partie profane de ses œuvres, les détester du fond du cœur, et fit vœu, s’il revenait en bonne santé, de ne plus consacrer son talent qu’à des œuvres pieuses. Le clergé avait réussi. On prétend même qu’à partir de ce jour il porta un cilice, ce que Louis Racine a rapporté dans ces vers :

Vrai dans tous ses écrits, vrai dans tous ses discours,
Vrai dans sa pénitence à la fin de ses jours,
Du maître qu’il approche il prévient la justice,
Et l’auteur de Joconde est armé d’un cilice.

Toujours est-il que La Fontaine passa les deux dernières années de sa vie dans des pratiques de piété, tout au moins dans des lectures et des pensées graves. Voici une des dernières lettres qu’il ait écrites ; elle est adressée à son ami Maucroix : « Tu te trompes assurément, mon cher ami, s’il est bien vrai, comme M. de Soissons me l’a dit, que tu me croies plus malade d’esprit que de corps. Il me l’a dit pour tâcher de m’inspirer du courage, mais ce n’est pas de quoi je manque. Je t’assure que le meilleur de tes amis n’a pas à compter sur quinze jours de vie. Voilà deux mois que je ne sors point, si ce n’est pour aller à l’Académie, afin que cela m’amuse. Hier, comme j’en revenais, il me prit, au milieu de la rue du Chantre, une si grande faiblesse, que je crus véritablement mourir. Ô mon cher ! mourir n’est rien ; mais songes-tu que je vais comparaître devant Dieu ? Tu sais comme j’ai vécu. Avant que tu reçoives ce billet, les portes de l’éternité seront, peut-être, ouvertes pour moi ! »

La Fontaine expira peu de temps après avoir écrit cette lettre ; il était âgé de près de soixante-quatorze ans.

Résumons, en quelques traits rapides, le caractère de son génie. Sa gloire poétique est fondée sur ses Contes et sur ses Fables. Les premiers outragent trop souvent la morale, mais sont pleins de finesse élégante et de verve spirituelle. Les fables ont un charme irrésistible et sont devenues le livre universel, le manuel de tous les âges et de toutes les conditions. On n’a rien fait de plus achevé que le Chêne et le Roseau, les Animaux malades de la peste, le Meunier, son fils et l’âne, l’Huitre et les plaideurs, le Berger et le roi, le Paysan du Danube, le Vieillard et les trois jeunes hommes, le Savetier et le financier, les Deux amis, les Deux pigeons et cent autres perles de composition et de style, qui sont dans toutes les mémoires et qu’on relira à jamais. La Fontaine a fait de l’apologue, genre inférieur jusqu’à lui, un petit drame complet dans un cadre resserré. S’il a emprunté le plus grand nombre de ses sujets, il les a interprétés avec une délicieuse originalité, et il en a fait de véritables créations. Quel imitateur que celui qui a mérité ce surnom d’Inimitable, consacré par toutes les nations ! Nul n’a retrouvé, en effet, cette grâce exquise, cette bonhomie malicieuse, cette naïveté piquante, ce naturel et cette simplicité unis à un art si parfait, cette souplesse de génie, ce bon sens supérieur, cette candeur charmante avec laquelle il fait parler et agir ses personnages. Sa morale n’est pas toujours irréprochable, et il lui est échappé quelques préceptes d’égoïsme pratique. Mais, en général, ses œuvres sont empreintes de sa douceur enjouée, de sa bonté native et de sa sensibilité.

La Fontaine a aussi composé des comédies, des opéras, des poëmes et des poésies diverses, où se retrouvent quelques-unes de ces qualités, mais qui n’ont rien ajouté à sa gloire. Citons seulement les Amours de Psyché et de Cupidon (1669, in-8o), roman mêlé de vers, imité d’Apulée ; le Quinquina, poème (1682, in-8o) ; la Captivité de saint Malo, poème (1673). Parmi ses comédies, l’Eunuque, traduit de Térence ; le Florentin ; la Coupe enchantée ; Je vous prends sans vert ; Ragotin. Ces œuvres ont été réunies sous le titre de Pièces de théâtre de J. La Fontaine (La Haye, 1702, in-12).

Fénelon a fait de lui ce magnifique éloge : « Dites si Anacréon a su badiner avec plus de grâce, si Horace a paré la philosophie d’ornements poétiques plus variés et plus attrayants, si Térence a peint les mœurs des hommes avec plus de naturel et de vérité, si Virgile, enfin, a été plus touchant et plus harmonieux. »

V. dans ce Dictionnaire les articles consacrés aux contes et surtout aux fables de La Fontaine.

La Fontaine (ÉDITIONS ILLUSTRÉES DE). Nous avons dit un mot, dans l’article que nous avons consacré aux Fables de La Fontaine, des belles éditions anciennes avec gravures : celle d’Amsterdam (1685, 2 vol. in-8o), gravures de Romain de Hooge ; celle de Paris (1695), gravure d’Eisen, édition dite des Fermiers généraux ; celle d’Oudry, gravée par Cochin (1755, 4 magnifiques in-fol.). Ces beaux livres ne sont pas des éditions illustrées comme on les comprend de nos jours ; les gravures d’Eisen sont d’une touche fine et spirituelle ; les dessins d’Oudry, au nombre de 275, sont admirables ; mais on n’y trouve pas ce qu’il y a dans les illustrations contemporaines, l’interprétation originale qui superpose une seconde œuvre à la première et ouvre à l’artiste une plus large carrière. Deux dessinateurs contemporains, Grandville et Gustave Doré, ont interprété La Fontaine de deux manières bien différentes.

Nul autre mieux que Grandville, le peintre ordinaire des animaux et des plantes, ne semblait appelé à traduire supérieurement

Cette ample comédie aux cent actes divers

du fabuliste ; il n’est cependant parvenu à faire qu’une œuvre ingénieuse. Presque tous ses personnages humains sont manqués ; il leur donne des laideurs et des difformités que rien n’explique ; en revanche, les animaux sont parfaitement saisis, pleins d’expression et de malice. Les plus réussies des vignettes de Grandville sont le Renard et le Corbeau, les Voleurs et l’Âne, la Cigale et la Fourmi. Dans cette dernière, le dessinateur a représenté la fourmi par une bonne et grosse fermière, chaudement vêtue ; la cigale est une pauvre chanteuse des rues, à peine vêtue de mauvaises loques et réduite à demander l’aumône. Le plus souvent, Grandville dessine la scène telle que l’a dépeinte le fabuliste, et l’interprète dans les fonds ; ainsi, pour le Renard et le Corbeau, les deux animaux sont au premier plan ; maître corbeau du haut de son arbre laisse tomber le fromage que guette maître renard ; au second plan, un chasseur enjôle une paysanne. De même pour les Voleurs et l’Âne ; derrière la scène principale, deux fantassins se querellent à propos d’une bonne d’enfant, et un sergent madré intervient comme troisième larron. Le La Fontaine illustré, par Grandville, est de 1838 (in-8o) ; celui de Gustave Doré, magnifique in-fol., orné de cent grandes gravures et d’un nombre considérable de vignettes, est de 1867. Il sort de la maison Hachette. Toute comparaison est impossible entre ces deux œuvres si dissemblables. Grandville s’était proposé de traduire les fables elles-mêmes, d’interpréter la pensée de l’auteur, de donner à ses animaux les vices et les ridicules que le fabuliste avait eu l’intention de flageller. Tout autre était le but de Gustave Doré ; ce qu’il voulait faire, c’était un de ces beaux livres illustrés à grand format, dans lesquels la partie décorative est la principale. C’était bien l’affaire d’un artiste qui a plus de fougue et de fécondité que de délicatesse et de fini. Il n’en a pas moins montré une grande souplesse de talent dans les dessins placés en tête de chaque fable et dans les culs-de-lampe qui les terminent. Certains de ces morceaux sont de petits chefs-d’œuvre de grâce et de naïveté. Mais c’est surtout dans les grandes compositions, alors que son Crayon peut courir en liberté, qu’il retrouve les qualités qui lui ont valu une réputation si méritée. Qu’un sujet se prête aux grandes lignes architecturales, qu’il appelle les châteaux de la Renaissance aux balustrades armoriées, les bois touffus et ombreux où un filet de lumière se joue d’une façon capricieuse, qu’il comporte les paysages désolés, les vallées mystérieuses ou les scènes fantastiques, et le crayon de l’artiste retrouve aussitôt son incomparable magie. Parmi les plus remarquables compositions, nous citerons : les Animaux malades de la peste, le Chêne et le Roseau, le Lion et le Moucheron, le Cerf se voyant dans l’eau, le Loup et les Brebis, la Mort et le Bûcheron, le Renard et les Raisins, le Lion amoureux. Dans certaines de ces compositions, on trouve parfois comme une réminiscence des scènes espagnoles et de Don Quichotte, notamment dans le Meunier, son fils et l’âne ; somme toute, l’illustration des fables de La Fontaine fait honneur à l’imagination de l’artiste et à la fécondité de son crayon.

La Fontaine (HISTOIRE DE LA VIE ET DES OUVRAGES DE), par Walckenaër (1824, in-8o). L’ouvrage, malgré l’intérêt du sujet et l’exactitude des recherches, est trop volumineux pour plaire à tous les lecteurs, et nous reconnaissons, avec M. de Feletz, « que le bon La Fontaine serait extrêmement étonné s’il pouvait voir le gros volume dont il est la matière et le sujet. Il aurait quelque peine à concevoir que l’histoire de cet homme, qui passait une partie de son temps à dormir et l’autre à ne rien faire, occupât tant d’espace, et que sa vie, dont il nous a donné un si plaisant abrégé, offrît tant de matériaux à la critique, et pût s’étendre dans une narration de 500 pages et plus. » Disons, toutefois, que, si La Fontaine lisait cette biographie, il ne la trouverait peut-être pas trop longue, et qu’il serait enchanté de son historien. Il se féliciterait d’avoir été jugé par un homme qui le connaît si bien et qui aime tant sa personne et ses ouvrages. Cette étude est divisée en six livres ; on y suit la vie et les travaux du fabuliste depuis sa naissance jusqu’à l’âge de quarante ans, puis de quarante à quarante-huit, de quarante-huit à cinquante-huit, de cinquante-huit à soixante-quatre, et enfin de soixante-quatre à soixante-quatorze ans, époque de sa mort. Personne, avant Walckenaër, n’avait indiqué avec tant de soin la corrélation qui existe entre telle ou telle production de La Fontaine et tous les petits événements de son existence intime. Ce n’est pas seulement le poëte que Walckenaër a su faire revivre. Il ne l’a point séparé de son milieu. Il l’a placé devant nous avec tout son entourage. Le siècle entier se retrouve dans ce livre excellent, et l’auteur ne se contente pas d’aimer tous les personnages qu’il met en scène, il les fait aimer aux lecteurs. On souhaiterait seulement que ce livre fût écrit