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LXXVI
PRÉFACE.

le faire dévier de la ligne qu’il s’est tracée, ou l’amener à affaiblir la libre expression de ce qu’il croit être la vérité. C’est aux journaux, c’est aux feuilles publiques qu’incombe la tâche de faire connaître l’œuvre qui s’élabore péniblement autour d’eux. Un ancien disait excellemment : « Si mon ami me trompe, tant pis pour lui. » Le journalisme a pour mission d’encourager les efforts des travailleurs qui consument leur vie à faire fructifier le champ de l’idée. S’il faillit à ce devoir, disons comme l’ancien : « Tant pis pour lui ! »

Un mot encore, mais un mot très-important. Ce qui, dans le Dictionnaire, frappe surtout les esprits sérieux, et par ce mot nous entendons ceux qui sont accoutumés à déguster ce qu’ils lisent, ceux qui ne jugent de l’amande qu’après avoir cassé le noyau, c’est qu’il règne dans les diverses parties de cet ouvrage une même idée, une idée personnelle. L’économie politique ne fait pas disparate avec la philosophie de l’histoire, et les sciences donnent fraternellement la main à la littérature comme aux beaux-arts. Cette unité, non plus que dans l’harmonie des mondes matériels, n’est pas l’œuvre du hasard : voilà la part que nous nous réservons, sans parler des nombreuses parties neuves qui distinguent le Grand Dictionnaire de toutes les œuvres de même nature, et dont l’auteur s’attribue la paternité exclusive ; et les détails dans lesquels nous sommes entré prouvent que cette prétention n’est pas sans fondement.

Mais parce qu’un général a pris toutes ses dispositions pour le combat, parce qu’il a soigneusement visité ses avant-postes avant la bataille et qu’il a mangé à la gamelle du soldat, il n’en résulte pas que lui seul ait remporté la victoire, et, dans le bulletin du lendemain, les noms des capitaines et des lieutenants doivent figurer à côté du sien. Il serait aussi impossible à un seul homme d’édifier le Grand Dictionnaire, de parler tour à tour et sciemment histoire, philosophie, politique, science, beaux-arts, philologie, littérature, etc., qu’il l’eût été à Napoléon de gagner seul la bataille d’Austerlitz. Il est vrai que, dans le cas contraire, c’est lui seul qui l’aurait perdue, mais la réciproque n’est pas rigoureuse.

C’est donc dans un bulletin de cette nature que vont figurer ici les noms de nos laborieux et savants collaborateurs. Toutefois comme, à l’heure où nous écrivons, la victoire est loin d’être remportée, et que nous ne sommes encore qu’à la première heure de cette chaude journée, nous allons nous borner à une simple et sèche énumération. Au dernier volume, quand l’ennemi sera en fuite, c’est-à-dire quand tous les obstacles auront été vaincus, nous nous réservons — et c’est un devoir qui sera pour nous un plaisir — de restituer à chacun la part qui lui reviendra dans l’œuvre accomplie. En cela, c’est encore Diderot que nous prendrons pour modèle : nous sommes bien loin de son génie, mais nous rougirions de lui céder en justice et en désintéressement.

Mes collaborateurs dans le travail du Grand Dictionnaire ont été, jusqu’à ce jour, MM. :

ABRANT (J. Alex.), mon secrétaire et celui de

la rédaction ;

ACCOYER-SPOLL, homme de lettres ;

BOISSIÉRE, auteur du Dictionnaire analogique ;

BONASSIES, docteur en médecine ;

CAIGNARD, conservateur du musée à l’Hôtel des

Monnaies de Paris ;

CATALAN, professeur d’analyse mathématique à

l’Université de Liège ;

CHAUMELIN (Marius), collaborateur à l’Histoire

des peintres ;

CHÉSUROLLES, lexicographe ;

COMBES (Louis), auteur d’une Histoire de la Grèce ;

COSSE (Victor), homme de lettres ;

DEBERLE (Alfred), membre de la Société des

gens de lettres ;

DUPUIS, ancien professeur d’histoire naturelle à

l’Institut agronomique de Grignon ;

DURAND (Charles), rédacteur de l’Illustration ;

FÉLIX CLÉMENT, compositeur de musique ;

FILET, médecin vétérinaire ;

GANNEAU (Charles), orientaliste ;

GEORGES, géographe ;

GOTTARD, économiste ;

GOURDON DE GENOUILLAC, directeur du journal

le Monde artiste ;

HUMBERT, lexicographe ;

LE MANSOIS DUPREZ, professeur de littérature ;

MAXIMILIEN MARIE, répétiteur de mathématiques

à l’École Polytechnique ;

NICOLLE (Théod.), ancien professeur au lycée

Louis-le-Grand ;

PILLON (François), docteur en médecine ;

POURRET, lexicographe ;

PRODHOMME, lexicographe ;

SCHNERB, homme de lettres.

Mais nous devons une mention toute particulière à M. François Pillon, notre compatriote et notre ami, dont la collaboration nous a été précieuse surtout pour les sciences philosophiques et sociales.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ici, que notre plume s’entoure d’un crêpe de deuil, car la faux aveugle a déjà frappé parmi nous ; oh ! bien aveugle ! puisque la tête qui a été abattue dans nos rangs dominait toutes les autres de cent coudées. Le plus hardi et le plus profond penseur du XIXe siècle, Pierre-Joseph PROUDHON, par une lettre que nous avons rendue publique, nous annonçait en ces termes qu’il collaborerait au Grand Dictionnaire ; « Je suis satisfait de votre mot Anarchie… Lorsque vous en serez aux articles Dieu et Propriété, prévenez-moi. Vous verrez par quelques mots d’explication qu’il y a autre chose que des paradoxes dans ces propositions : Dieu, c’est le mal, et la Propriété c’est le vol, propositions dont je maintiens le sens littéral, sans que pour cela je songe à faire un crime de la foi en Dieu, pas plus qu’à abolir la propriété. » Ce vœu, en quelque sorte testamentaire, sera religieusement accompli. Oui, illustre philosophe, quand nous en serons à ces deux phrases si perfidement incomprises, et qui ont soulevé tant d’ennemis contre ta mémoire, toutes les ténèbres hypocritement accumulées tomberont.

20 Décembre 1865.

Pierre LAROUSSE.