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LXXI
PRÉFACE.

que tous ces personnages si vivants, si originaux, dont le caractère se dessine avec une netteté si pittoresque, n’animent pas l’histoire littéraire d’un souffle plus puissant et surtout plus poétique que la biographie de tel ou tel général, préfet ou sénateur ne donne de piquant et de relief au cadre des existences réelles ? Ces personnalités sont entrées dans le domaine de la littérature, par le droit de conquête et par le droit du génie qui les a créées ; on cite leurs actions, leurs maximes ; on rappelle leur caractère, leurs habitudes ; on invoque leur opinion sur une question douteuse ou débattue ; en un mot, on les assimile d’une manière complète aux réalités de l’histoire. Comment se fait-il donc qu’on n’ait jamais songé à tracer leur monographie, à faire, pour ces illustrations du monde de la poésie, de l’imagination et de l’idée, ce que le moindre principicule a obtenu de nos biographes complaisants ? C’est cet inexplicable oubli que nous venons réparer. Ces individualités si originales, si brillantes et souvent si populaires, jouiront désormais du droit de bourgeoisie dans toute encyclopédie bien conçue, et nous croyons pouvoir affirmer que ce ne sont pas ces noms-là qu’on cherchera le moins souvent. Au reste, pour une foule d’anciens personnages dont la vie et les exploits sont semi-historiques et semi-fabuleux, on ne pourra trouver que dans les nouveaux articles que nous leur consacrons les détails propres à éclaircir ou à rectifier les idées quelquefois vagues, obscures ou fausses qu’on s’en est formées ; la notice purement biographique ne suffira jamais à satisfaire la curiosité. Achille, Agamemnon, Ulysse, Nestor, Diomède, Ajax, Priam, Hector, Andromaque, Énée, Didon, Anchise, Turnus, Lavinie, doivent bien plus leur existence à Homère et à Virgile qu’à Hérodote ou à Tite-Live, et c’est leur arracher tout à fait l’auréole poétique qui les entoure, que de ramener ces grandes figures aux mesquines proportions que leur prête la plume des historiens.

Il est un autre domaine, infiniment plus étendu, neuf, encore inculte, mais qui est appelé à produire des fruits magnifiques, et dont nous avons entrepris la difficile exploitation. C’est peut-être la plus lourde partie de notre tâche, et nous avons dû nous en représenter sans cesse l’immense utilité pour ne pas être tenté cent fois de l’abandonner ; nous voulons parler de la bibliographie complète de tous les temps et de tous les pays. Au nom même d’un auteur, dans un dictionnaire historique, on trouve quelquefois une appréciation superficielle, maigre et sèche de ses œuvres ; quant aux critiques faites largement, aux analyses consciencieuses, rédigées en pleine connaissance de cause, il faut les chercher dans une foule d’ouvrages dont on ignore le plus souvent l’existence. Comment faire son profit de ces renseignements dispersés de’toutes parts et qu’on ne sait où aller puiser ? À quel auteur s’adresser, par exemple, pour obtenir des notions suffisantes sur tel ouvrage d’un érudit allemand, d’un savant anglais, d’un écrivain français ? Où trouver, quand on n’a pas une riche bibliothèque sous sa main, le compte rendu d’une pièce de théâtre, d’un roman, d’un poëme, surtout si l’œuvre qu’on veut connaître est celle d’un contemporain ? Il faudra alors fouiller plusieurs collections de journaux ou de revues, et encore, bien souvent en sera-t-on pour sa peine et son temps perdu. Eh bien, nous avons recueilli tous ces documents épars ; nous avons étudié, analysé toutes ces œuvres, toutes ces productions de l’esprit humain ; nous en avons constitué un ensemble formidable, où chacune d’elles a trouvé une place proportionnée à sa valeur, à l’importance du rôle qu’elle a joué et de l’influence qu’elle a exercée dans le monde sans limites de la pensée. Toutes ces créations du talent, de l’imagination, de la fantaisie et du génie, tenues jusqu’ici à l’écart de la masse des lecteurs par la spécialité même des idées qu’elles développent, mais que, dans une circonstance donnée, ou ne fût-ce que pour contenter les exigences d’une curiosité légitime, on peut avoir besoin de connaître et d’apprécier, nous les avons tirées de leur obscurité relative et mises au grand jour dans notre ouvrage, où chacun les trouvera à l’ordre alphabétique de leurs titres, avec une analyse détaillée qui en fait ressortir rigoureusement le plan, les qualités, les défauts, la pensée qui a présidé à leur rédaction, les doctrines et les systèmes qu’elles mettent en saillie ; en un mot, les vices de forme ou de fond qui les ont condamnées en naissant à l’indifférence et à l’oubli, les côtés brillants qui leur ont attiré ou leur promettent une vogue passagère, ou les idées fécondes qui leur assurent une éternelle vitalité. C’est ainsi que nous avons évoqué au tribunal d’une critique impartiale : poëmes, romans, contes, tragédies, comédies, drames, vaudevilles, pamphlets, histoires, mémoires, ouvrages de sciences, de linguistique, d’érudition, de philosophie, de théologie, lettres ou correspondances des hommes célèbres, jusqu’aux journaux et aux revues des temps modernes et anciens, jusqu’aux chansons populaires qui ont bercé notre enfance et égayé quelquefois notre maturité. Nous adressant aux lecteurs de toutes les classes, quels que soient leur âge et leurs goûts, nous n’avons rien dédaigné, et nous avons voulu que le savant et l’ignorant, l’homme sérieux et l’homme frivole, le vieillard et l’enfant, pussent prendre chacun leur part à l’immense banquet qui est dressé pour tous dans le Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle.

Des deux parties que nous venons d’examiner découle, pour la langue littéraire, une autre source de richesses, et ce n’est pas la moins féconde, alimentée qu’elle est encore par le concours que lui apportent l’histoire, la mythologie et les langues mortes ou vivantes. Les héros littéraires, historiques ou mythologiques, ont accompli des actions célèbres ou fait entendre des paroles remarquables, auxquelles les écrivains font des allusions répétées ; les livres, les pièces de théâtre ont formulé des maximes piquantes, résumé des situations dramatiques, par un mot, une phrase qui a fait fortune et a passé ensuite dans la langue littéraire, et celle-ci s’est ainsi trouvée enrichie d’une multitude de locutions originales, pittoresques, dans lesquelles les personnes peu instruites ne découvrent aucun rapport apparent avec l’idée que l’auteur a voulu exprimer, et qui lui com-