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LXVII
PRÉFACE.


appelés indo-européens) et plusieurs de l’Asie. Puis arrivent les admirables travaux de Bopp, de Schlegel, de Humboldt, de Pott, de Grimm, de Rask, de Weber, de Max Müller, qui achèvent la révolution ébauchée par leurs prédécesseurs.

Sans anticiper ici sur l’article étendu que nous consacrerons dans cet ouvrage à la langue sanscrite, nous ferons remarquer que le sanscrit n’est pas, comme on le croit trop généralement, la souche des langues indo-européennes ; c’est tout au plus une branche collatérale (pour la période védique). Dans nombre de cas, le sanscrit classique trahit même, par des symptômes non équivoques, son âge moins avancé par rapport au latin, au zend, etc. Nous signalerons, par exemple, la substitution des palatales aux gutturales dans les racines. L’importance du sanscrit ne consiste donc pas, comme on pourrait le supposer, dans son antiquité, mais bien plutôt dans son intégrité, dans l’état de conservation de ses nombreux monuments littéraires. Il nous a ainsi fourni des éléments de comparaison d’une valeur inappréciable, pour grouper tous les idiomes congénères, combler les lacunes qui les séparent, et renouer des liens rompus par des accidents inconnus.

Ces quelques considérations suffiront, nous l’espérons, pour faire comprendre à nos lecteurs l’importance de la science nouvelle, et leur expliqueront pourquoi nous avons cru devoir lui consacrer une aussi large place dans le Dictionnaire du XIXe siècle.

M. Max Müller range parmi les sciences naturelles la linguistique, qu’on avait à tort, suivant lui, classée jusqu’ici parmi les sciences historiques. Nous reconnaissons volontiers que l’application de la méthode des sciences naturelles à la linguistique a produit, entre les mains de M. Max Müller et des savants allemands, de merveilleux résultats ; mais nous croyons cependant que les considérations historiques sont d’une importance extrême dans la linguistique, et que la science du langage est mixte, qu’elle touche à la fois au domaine naturel et au domaine historique. Cette restriction faite, nous reconnaissons sans difficulté le côté ingénieux et neuf de la théorie de M. Max Müller. Rien, en effet, ne ressemble plus à un anatomiste armé du scalpel et fouillant un cadavre pour lui arracher les secrets de la vie organique, qu’un linguiste analysant, disséquant un mot, dégageant au milieu des affixes et des suffixes, et des différentes modifications phonétiques internes, une racine primitive. Des deux côtés il faut la même habileté de praticien, la même sûreté de main, la même intelligence, la même sagacité. Le linguiste a, lui aussi, ses œuvres merveilleuses de restitution inductive ; sur un fragment de livre, sur une phrase, sur un mot, il reconstruit une langue tout entière avec la même infaillibilité que le paléontologiste restitue, sur une vertèbre, sur une dent, un animal, un monde entier. Nous pouvons même dire que, dans certains cas, les résultats obtenus par la linguistique semblent encore plus étonnants que ceux qui le sont par la paléontologie. Les lignes suivantes, empruntées à M. J. Perrot, feront parfaitement comprendre ce fait aux lecteurs :

« Bien mieux que l’enquête archéologique, si brillamment inaugurée, il y a une trentaine d’années, dit M. J. Perrot, par les savants du nord de l’Europe, l’étude des langues et de leurs formes les plus anciennes nous permet de remonter dans ce vague et obscur passé, où se dérobent les premiers vagissements et les premiers pas de l’humanité, bien au delà du point où s’arrêtent la légende et la tradition même la plus incertaine. Ni ces grands amas de coquilles, si patiemment remués et examinés par les antiquaires norwégiens ; ni ces lacs italiens et suisses, dont M. Troyon et ses émules explorent les rivages et interrogent du regard et de la sonde les eaux transparentes ; ni les cavernes fouillées par M. Lartet ; ni ces antiques sépultures d’un peuple sans nom, qui se retrouvent des plateaux de l’Atlas aux terres basses du Danemark, ne nous livrent d’aussi curieux secrets que ces riches et profondes couches du langage, où se sont déposées, et comme pétrifiées, les premières conceptions de l’homme naissant à la pensée, les premières émotions qu’il ait éprouvées en face de la nature, les premiers sentiments qui aient fait battre son cœur. Reste des grossiers festins de nos sauvages ancêtres, débris de leurs légères demeures suspendues au-dessus de ces eaux qui les protégeaient et les nourrissaient tout à la fois, monuments authentiques de leur ingénieuse et opiniâtre industrie, faibles instruments qui les aidaient dans leurs premières luttes contre la nature, armes fragiles et émoussées qui leur servaient à se défendre contre les bêtes fauves, étranges bijoux, gauches et naïves parures ou se révèlent des instincts de coquetterie contemporains, chez l’un et chez l’autre sexe, des premiers rudiments de la vie sociale, tout cela n’est ni aussi instructif, ni aussi clair et aussi précis, tout cela ne nous en apprend pas autant sur ces longs siècles d’enfance et de lente croissance, que l’analyse même des mots, que l’explication de toutes ces métaphores hardies dont nous avons hérité et que nous employons encore tous les jours sans plus les comprendre, que l’examen de tous ces termes figurés, qui, même dans les plus raffinés et les plus philosophiques de nos idiomes modernes, subsistent toujours comme les vivants témoins d’un inoubliable passé, et semblent protester, par le rôle qu’ils continuent à jouer dans la langue, contre les victoires et les conquêtes de l’abstraction. ».

M. Max Müller embrasse sous le nom de science du langage les différentes études successivement appelées philologie comparée, etymologie scientifique, phonologie, glossologie, linguistique, etc., appellations dont il blâme l’impropriété. Il est évident que, comme terme générique, science du langage est un mot très-heureux, très-large, qui permet de grouper en un seul faisceau les différentes sciences auxquelles l’étude du langage sert de base. Ces différentes sciences, qui relèvent immédiatement de la science du langage, et dont elles ne sont, en quelque sorte, que les annexes, sont les suivantes :