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LXIV
PRÉFACE.

en Europe. Le seul que possède la France a figuré au catalogue des livres vendus en octobre 1860 par H. Labitte, et il n’a pu trouver d’acquéreur.

Nous venons d’établir le bilan des richesses amassées par nos devanciers ; dans cette analyse rapide des œuvres qu’ils nous ont léguées, nous croyons avoir accordé une juste place au blâme et à l’éloge, en les mesurant sur une appréciation faite consciencieusement. Pourquoi eussions-nous appelé à notre aide l’amertume de la critique ou un esprit de dénigrement systématique ? Nous n’en avions pas besoin. Aux yeux de tout lecteur impartial, leurs qualités et leurs défauts s’affirment avec une irrécusable évidence. Nous le répétons, deux de ces monuments du génie de l’homme s’imposent surtout à notre admiration, le Dictionnaire historique et critique de Bayle et l’Encyclopédie de Diderot, parce que ces deux œuvres immortelles, même dans leur actuelle insuffisance, sont sorties d’une inspiration dégagée de toute préoccupation mercantile, et ont assis pour jamais, sinon inauguré, le principe d’où devait jaillir l’ère des sociétés modernes. Mais ces travaux d’Hercule du monde de la pensée suffisent-ils aujourd’hui aux aspirations de notre siècle ? Personne n’oserait le soutenir. Ce ne sont plus que des édifices majestueux, mais incomplets, des troncs vénérables que le voyageur, nous voulons dire l’homme d’étude, salue encore avec respect, mais chez lesquels toute trace de végétation active a presque disparu. Quant à la plupart des autres encyclopédies, M. Victor Hugo les a nettement caractérisées « spéculations de librairie, » c’est-à-dire publications entreprises en vue d’exploiter tel besoin, telle tendance de l’époque ; nul cachet de généralité et surtout d’originalité ; aucune idée élevée, franchement accusée, qui s’en dégage ; tout au plus des prétentions mal justifiées ou un esprit étroit qui étend chaque article sur le lit de Procuste dressé par une coterie. Et puis, ces ouvrages eussent-ils même, à l’époque de leur apparition, rempli consciencieusement un large programme, qu’aujourd’hui encore ils laisseraient un vide immense dans le cadre général qu’ils devaient embrasser. Les sciences, les arts, l’industrie, luttent de vitesse avec les locomotives de nos chemins de fer, avec le télégraphe électrique lui-même ; il faut les suivre dans cette course rapide, les devancer même quelquefois, si l’on veut arriver à temps ; il faut surtout faire dominer cette vaste exposition de nos connaissances actuelles par un principe large, fécond, qui repousse loyalement toute suggestion, toute exigence de parti, pour ne sacrifier qu’aux droits imprescriptibles de la justice et de la vérité, sans se laisser détourner de sa voie ni par des atténuations intempestives des fausses doctrines, ni par la perspective des périls que l’on court quelquefois lorsqu’on prend courageusement les droits de la pensée comme devise de son drapeau.

Aurons-nous échappé aux défauts que nous avons signalés dans les travaux de nos devanciers ? Nous avons du moins la conviction de n’avoir rien négligé pour cela. On pourra critiquer l’exécution de l’œuvre immense que nous avons entreprise, mais on n’en attaquera pas l’esprit sans blesser l’équité. Nous avons pu nous tromper sur des questions de détail ; nous croyons fermement n’avoir point erré quant à l’idée générale. Notre foi est celle de la France, qui revient, après plus d’un demi-siècle de tâtonnements, à sa vraie tradition politique et philosophique, aux idées qui ont vivifié la grande âme de nos pères.

Nous vivons à une époque où la fiévreuse activité des intelligences, détournée violemment des spéculations politiques, semble s’être repliée un instant sur elle-même pour se lancer ensuite, avec un élan irrésistible, dans la carrière où les sciences et les arts lui ouvrent un horizon sans bornes. Jamais la soif d’apprendre, de savoir, de juger, ne s’était emparée plus impérieusement des esprits ; jamais la pensée, surexcitée sans cesse par de nouvelles découvertes, n’avait abordé un ensemble plus étendu de questions et de problèmes hardis, mais d’une solution féconde ; jamais la raison ne s’était sentie plus affranchie des errements des siècles passés, et n’avait interrogé les mystères de toute science avec une plus indépendante curiosité. Nos savants produisent tous les jours d’excellents ouvrages, et ceux qui peuvent se les procurer et qui ont le temps de les lire, se trouvent ainsi en mesure de satisfaire à tous ces immenses appétits de l’esprit ; mais l’ensemble de ces ouvrages forme une véritable bibliothèque, et il n’est pas donné à tout le monde d’acheter une bibliothèque entière, tout le monde surtout n’a pas le temps qu’il faudrait pour la lire. C’est un livre unique, contenant toutes choses, qui pourrait seul mettre toutes les connaissances à la portée du grand nombre, et que possédons-nous en ce genre ? Encore une fois, des ouvrages surannés au point de vue philosophique et critique, arriérés de vingt ou trente ans au moins sous le rapport scientifique, n’embrassant que quelques spécialités traitées comme les moines de Clairvaux l’eussent fait sous l’œil de saint Bernard, avec une timidité qui laisse le moins de prise possible aux points d’interrogation toujours menaçants du pouvoir où de l’index. Le Grand Dictionnaire universel vient donc à son jour, à son heure ; il vient, ce qui sera désormais une nécessité séculaire, dresser la véritable statistique, offrir l’inventaire de la science moderne ; il vient satisfaire des impatiences généreuses, des avidités de savoir légitimes ; il apporte au savant, au littérateur, à l’historien, au philosophe, à l’industriel, au commerçant, à l’artiste, à l’ouvrier, à tout ce qui imagine, à tout ce qui exécute, un inépuisable approvisionnement, un arsenal formidable où sont rassemblés, classés, étiquetés, tous les moyens, toutes les ressources, toutes les forces, toutes les armes que le génie, la patience, les recherches, la science, les méditations des grands hommes, ont mis au service de l’intelligence. Jamais, nous le disons sans être arrêté par une feinte modestie, jamais un si vaste amas de matériaux précieux, de renseignements utiles ou