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LXIII
PRÉFACE.

qu’elle peut puiser dans son propre fonds, il est impossible que la Hollande reste longtemps étrangère au grand mouvement qui pousse de toutes parts à la vulgarisation de la science.

Dictionnaire chinois paï-wen-yun-fou (le). Les missionnaires de Pékin, dans leurs mémoires concernant les Chinois, ont signalé ce précieux monument de linguistique, et cependant les sinologues européens semblent presque en ignorer l’existence. Cet oubli tient d’abord à la difficulté qu’éprouveraient à étudier ce dictionnaire, à juste titre nommé le Robert Estienne chinois, les personnes qui ne sont pas profondément versées dans la langue et la littérature de ce peuple ; ensuite à la rareté de cet ouvrage, qui fut imprimé aux frais de l’État et distribué gratis à quelques savants, sans entrer dans le domaine de la librairie.

Toutefois, à une époque d’études philologiques et historiques comme la nôtre, au moment où la civilisation européenne tend à se mettre en contact avec celle de ce peuple jusqu’ici presque inconnu, il n’est pas sans intérêt d’étudier ce vaste répertoire de ses connaissances. Dans cet ouvrage, en effet, on trouve non-seulement la langue et l’écriture des Chinois, mais encore leur histoire, la description de leur pays, leurs mœurs, leurs croyances philosophiques et religieuses, leurs sciences, leurs arts, leur industrie ; en un mot, tout ce qui les concerne dans l’ordre physique et moral.

C’est à Khangh-hi, le plus grand des empereurs et peut-être des savants que la Chine ait possédés, que l’on doit la publication de cet immense recueil. Frappé de l’utilité qui résulterait, pour la philologie chinoise, d’un monument qui contînt toutes les richesses de cette langue dont il faisait ses délices, et dans laquelle il a écrit des ouvrages remarquables, il conçut le projet de remplir ce vide et d’illustrer ainsi son règne. À cet effet, il convoqua dans son palais tous les savants distingués de l’empire, et, ayant mis à leur disposition tous les ouvrages anciens et modernes que l’on put découvrir, il les chargea de recueillir avec soin tous les mots, toutes les locutions, les allusions, les figures dont la langue chinoise peut fournir des exemples dans les différents styles ; de classer les articles principaux d’après la prononciation des mots ; de consacrer un paragraphe distinct à chaque locution spéciale, et d’appuyer chaque paragraphe de plusieurs citations tirées des auteurs originaux. Soixante-seize lettrés se réunirent à Pékin, et, grâce à la collaboration et à la correspondance active des docteurs répandus dans toutes les provinces, l’ouvrage fut terminé au bout de huit ans (1711) et imprimé aux frais de l’État, en 127 gros volumes dont l’empereur revit tous les matériaux. Lui-même composa la préface de cette vaste encyclopédie ; et nous croyons intéresser nos lecteurs en mettant sous leurs yeux la traduction d’un passage extrait de ce morceau, où l’on observera une simplicité vraiment remarquable chez un écrivain oriental :

« Ceci m’a inspiré le désir de former un dictionnaire universel qui embrassât tous les ouvrages existants et ne présentât aucune erreur grave. À cette fin, ayant réuni dans le palais Han-lin tous les docteurs de l’Académie, je me suis livré avec eux à un examen profond des divers dictionnaires ; nous avons corrigé les fautes qu’on y avait commises, et y avons ajouté ce qu’on avait oublié. S’il y avait, dans tel ou tel livre classique ou historique, un caractère ou un fait que l’on n’eût pas relaté, j’étais toujours là pour le faire ajouter. Peu à peu on a fait un volume ; mais comme il n’était pas encore bien certain que notre travail fût complet, j’ai donné de nouveaux ordres aux grands mandarins de l’empire, afin que l’on multipliât les recherches et que l’on ne laissât plus rien à ajouter ni à retrancher. Quand on eut rassemblé les additions faites dans la capitale et celles que l’on nous avait envoyées des provinces, on en forma un tout qui fut appelé Paï-wen-yun-fou.

» Dans la quarante-troisième année de mon règne, à la douzième lune, j’ai fait ouvrir le palais U-im, et j’y ai réuni les docteurs de l’Académie pour entreprendre avec eux la révision de tout l’ouvrage. Ce que l’on faisait chaque jour m’était d’abord soumis, et était ensuite confié aux graveurs ; enfin, dans la cinquantième année de mon règne, à la dixième lune, l’ouvrage fut entièrement terminé, et se composa de 106 livres, contenant en tout 18,000 et quelques feuilles. Il embrasse tout ce que les anciens et les modernes ont écrit, — soit grand, soit petit ; de telle sorte que de tous les dictionnaires, même les plus étendus, il n’en est aucun qui puisse égaler celui-ci.

» Quand l’ouvrage fut terminé, tout le corps des docteurs est venu me prier d’en écrire la préface. »

C’est donc, d’après l’empereur Khang lui-même, le dictionnaire le plus complet qui existe dans la littérature chinoise. On est étonné, en effet, d’y trouver dans un même article trois cents, quatre cents, souvent même jusqu’à six cents combinaisons différentes du mot principal, combinaisons qui toutes modifient plus ou moins le sens de celui-ci, et qui, avec les exemples inscrits à la suite de chacune, forment, pour ainsi dire, la monographie complète du sujet.

En vérité, le Grand Dictionnaire ne s’attendait pas à trouver un tel concurrent dans l’empire du Milieu, et surtout composé par un fils du ciel. Mais ce qui est de nature à nous consoler, c’est que probablement le Paï-wen-yun-fon ne donne pas, comme nous, à ses lecteurs chinois une traduction de toutes les locutions latines, empruntées à Horace et à Virgile.

Aujourd’hui, ce dictionnaire est devenu très-rare, même en Chine, et l’on n’en connaît que deux ou trois exemplaires