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L
PRÉFACE.

notes où il semble avoir déversé toutes ses vieilles rancunes et qui renchérissent sur les malveillances et les appréciations haineuses des articles primitifs. Cependant lui-même avait été mêlé aux événements de la Révolution, et il avait joué un rôle actif, soit comme meneur des sociétés populaires de Nantes, soit comme substitut de l’accusateur public du tribunal révolutionnaire de cette ville. Mais il était de mode alors d’affecter un zèle excessif pour les idées monarchiques et religieuses. La réaction aveugle contre le XVIIIe siècle et la Révolution n’avait fait naturellement que s’accroître sous la Restauration, et les savants collaborateurs de Michaud, outre qu’ils subissaient dans une certaine mesure son énergique impulsion, étaient pour la plupart infectés de ce détestable esprit ; ils avaient perdu la tradition nationale, et ce n’est pas dans les bureaux de la Biographie qu’ils la pouvaient retrouver.

Tout ce qui concerne la Révolution est dans le sentiment qui dominait à cette époque : négation du droit, altération des faits, diffamation des hommes. Toute la philosophie de cette grande histoire se résumait alors, comme on le sait, dans cette théorie étrange qui faisait considérer l’ensemble de ces événements prodigieux comme une longue saturnale, une série de brigandages, et les acteurs comme de purs scélérats. Cette appréciation, qui nous semble si naïvement absurde aujourd’hui, était alors la doctrine officielle. C’est celle qui a généralement inspiré les rédacteurs de la Biographie dans leurs travaux, et c’est ce qui fait que leur œuvre a vieilli si vite. Ce n’est pas impunément qu’on peut mentir à l’histoire et outrager la vérité. Parmi cette génération de grands esprits, les uns avaient été égarés dans cette voie par des traditions de famille, par la fatalité des circonstances ; d’autres, par des calculs d’ambition ; d’autres encore, dont le talent avait grandi au milieu des événements, pendant que leur caractère s’abaissait, répudiaient naturellement les passions et les idées de leur jeunesse, qui condamnaient les calculs de leur âge mûr. Mais tout ce qu’ils ont écrit contre la Révolution l’a été sur le sable, et cette partie de leur œuvre nous apparaît déjà comme de vaines imprécations contre la civilisation et la liberté.

Terminons par une révélation assez piquante : la vie de Michaud aîné, l’acrimonieux historien des croisades, est écrite dans un esprit à demi hostile et empreinte même, vers la fin, d’une singulière aigreur. Cet article, qui a paru dans le Supplément, est de M. Parisot ; et s’il n’a pas été inspiré par Michaud jeune, il n’a pas été non plus amendé par lui. Cependant, il ne se gênait nullement pour arranger et quelquefois pour mutiler le travail de ses collaborateurs, sans révérence pour leur célébrité. Cela est bien connu, et les auteurs n’étaient souvent prévenus des changements que par la réception du volume imprimé. Nous avons sous les yeux une lettre de Suard, appartenant au cabinet de M. Gabriel Charavay, où le célèbre académicien se plaint très-amèrement des mutilations que Michaud fait subir à ses articles. « Je ne suis point, dit-il, habitué à ces légèretés-là ; mais la sottise est faite, il faut la boire. » La sottise est faite, cela signifiait qu’elle était imprimée.

Biographie universelle et portative des contemporains, ou Dictionnaire historique des hommes vivants, par Rabbe, Vieilh de Boisjolin et Sainte-Preuve ; 5 vol. in-8°, à 2 col., Paris, 1834. — Entreprise en 1827 par Em. Babeuf, fils du fameux Caïus Gracchus, tribun du peuple, elle fut dirigée jusqu’à la lettre C par Boquillon, qui dut ensuite céder la rédaction en chef à Rabbe. Par son talent et par son expérience, Rabbé était capable de diriger une opération littéraire ; mais la nature de son esprit, que dominait une vive imagination, le rendait médiocrement apte à gouverner une entreprise pleine de périls et d’embarras. Aussi, dès la dix-septième livraison, l’imprimeur-éditeur se crut-il obligé de décharger Rabbe de ce lourd fardeau, pour le confier à Vieilh de Boisjolin, qui déjà soutenait la publication par ses propres travaux. Le supplément, qui est compris dans le 5e volume, fut publié sous ses auspices.

La Biographie de Rabbe et Boisjolin est sans contredit le plus-vaste et le plus utile des dictionnaires historiques contemporains qui ont paru depuis la Révolution ; il est écrit dans l’esprit libéral et un peu chauvin de la Restauration. Le publiciste, l’historien, le biographe chercheraient vainement ailleurs les notes précises, les informations sûres, les aperçus judicieux, les innombrables articles que contiennent ces dix mille colonnes de texte serré. Tous les personnages marquants, français et étrangers, de 1788 à 1834, y figurent dans une mesure généralement proportionnée à leur mérite ou au rôle qu’ils ont joué. Quelques-uns, cependant, n’avaient pas des titres assez incontestables pour être admis dans ce vaste musée. Tous ces hommes furent les héros, les martyrs, les victimes, les défenseurs, les adversaires, les apostats ou les continuateurs de la Révolution. Beaucoup existent encore. Dans quel esprit, à quel point de vue ont-ils été jugés Les directeurs de la Biographie nous paraissent les avoir appréciés, soit avec la sympathie, soit avec la réserve d’écrivains libéraux inclinant aux théories républicaines, et cette tendance n’est point ici une partialité systématique. Pour caractériser équitablement les hommes de la Révolution, le seul moyen était de demander à la vie de ces hommes dans quelle mesure et dans quel sens ils avaient servi, détourné ou combattu les principes et les conséquences de ce grand phénomène politique et social.

Ce dictionnaire est redevable à Rabbe d’un grand nombre d’excellents articles, entre autres ceux du ministre Canning,