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AMI

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et à dépendre, au lieu de à vendre et à dépendre, vient de ce qu’autrefois dépendre se prenait pour dépenser, d’où nous est resté le mot dépens :À ses dépens, c’est-à-dire à sa dépense. ■L’avoir n’est fait que pour despendre.

J. de Meuno.

li Ami au prêter, ennemi au rendre, L’ami oui aime à emprunter devient un ennemi dès qu’il s’agit de rendre, de rembourser. Les Anglais disent, à peu près dans le mémo sens : Qui prête del’aryent à un ami perd au double, c’est-à-dire l’argent et l’ami ; et l’on trouve dans quelques-uns de nos vieux auteurs : Au prêter Dieu, au rendre diable.

0 Jamais honteux n’eut belle amie, En amour, il faut être hardi, entreprenant, il Bien servir fait amis, et vrai diréennemis, L’obligeance fait naître l’amitié ; la trop grande « franchise engendre souvent la haine, n Le faux ami ressemble à l’ombre d’un cadran, C’est-à-dire disparaît à l’approche de l’adversité, -comme l’ombre qui, visible lorsque le soleil brille, s’efface aussitôt qu’il est voilé par les nuages. Les anciens comparaient les taux amis aux hirondelles, qui arrivent au commencement do la belle saison et s’éloignent à la mauvaise. Il Pour se dire amis, il faut avoir mangé ensemble un minot de sel. L’amitié ne peut se former subitement ; elle a besoin d’être cimentée par le temps.

— Le mot ami, qui répond à un des sentiments les plus nooles de l’âme, à un des besoins les plus impérieux du cœur, et qui joue un si grand rôle dans le langage de tous les peuples, a dû aussi donner naissance, dans tous les idiomes, à une foule do proverbes remarquables par leur formo vive, saisissante, originale, et empreints en même temps d’un grand caractère de vérité. Pour n’en donner qu’un exemple, nous allons citer les suivants, empruntés au patois languedocien : Vâou mai ami en plàsso q’arjhen en bourso (vaut mieux ami en place qu’argent en bourse), Les protections nous sont plus utiles que l’argent, il A *’ami lou ségré ou lou régré {à l’ami le secret ou le regret), On doit confier a son ami ses secrets ou ses peines, ses remords. Il Ami qé noun vàlio, coulel qé noun tàlio, se lou pèrdès^noun t’en chàlio (ami qui ne vaut, couteau qui ne coupe, si tu le perds, ne t’en chagrine), Un ami qui n’est pas sincère, dévoué, un couteau qui ne coupe pas, ne valent pas la peine qu’on regrette leur perte. Il Ami dé cadun, ami dé déyun (ami de chacun, ami de personne), L’ami do tout le monde n’est en réalité l’ami de personne. Il A douro drêcho, hés d’abri, a pàour’ orné jhes dm (à vent du nord point d’abri, à pauvre homme point d’amis), Quand la bise ou le mistral souffle, on ne peut trouver un abri ; quand on est pauvre, on n’a point d’amis.

— Gramm. On a dit ami avec : Claveret, avec qui il était ami, avait été celui qui avait fait courir cette pièce. (Volt.) M. Littré pense que cette construction peut être admise, parce qu’elle ne choque pas la grammaire. Nous croyons que !a grammaire n a rien à faire ici, et nous préférons l’opinion suivante, de Charles Nodier : • Comme le nom de Voltaire est une

frande autorité, à fort juste titre, et que peu e personnes ont écrit plus purement que 1 auteur de la phrase citée, il n’est pas inutile de dire aux. jeunes gens et aux étrangers que cette construction est extrêmement mauvaise, et qu’on n’est pas ami avec quelqu’un «. (Ch. Nou.) Il Mais on peut dire ami à : Quelque ami que vous lui soyez. (Mol.)"ta neutralité entre

Heu qu’avec des pronoms qui se mettent avant le verbe. Du reste, elle a un peu vieilli.

— Syn. E«io ami, o>oir ito 1 a.uillc. Être

ami dit plus qu’avoir de l’amitié : Citer Deleyre, sans être votre ami, /ai de i/amitib pour vous, et je suis alarmé de l’état où vous êtes. (J.-J. Rouss.)

— Homonymes. Amiot.

— Eplthètes. Sincère, fidèle, sûr, discret, « constant, dévoué, noble, honorable, solide,

vrai, véritable, sévère, cher, tendre, intime, ardent, chaud, courageux, loyal, obligeant,

teux, inconstant, infidèle, trompeur, lâche, perfide, tiède, froid, suspect, jaloux, envieux, bizarre, indiscret, fâcheux, incommode, importun, fatigant.

— Anecdotes. Un ami, atteint d’une maladie grave, disait à son ami : • Pourquoi tout ce monde dans ma chambre ? il ne devrait y avoir que toi, puisque mon mal est contagieux. »

« La Fontaine ayant perdu Mme de la Sablière, près de laquelle il vivait depuis longtemps, fut rencontré dans la rue par un de ses amis, riche financier, oui invita l’insoucieux fabuliste à venir s’établir chez lui ; « Mon ami, répondit le bonhomme, j’y allai ?. ■

J’ai perdu hier deux cents pistoles sur rôle, et je dois les payer aujourd’hui ; si v les avez, envoyez-les-moi ; dans le cas c traire, enipruntez-les. a

Un jour que Philippe de Macédoine faisait vendre comme esclaves des prisonniers de guerre, un d’eux’lui fit remarquer que sa robe était ouverte d’une manière indécente : « Je ne savais pas, dit Philippe, que cet homme fût de mes amis ; qu’on le mette sur-le-champ en liberté. »

Les jeunes gens sont ceux qui abusent le plus volontiers du mot ami. Les Orientaux partagentàcesujetl’opinionde notre fabuliste. Un proverbe persan dit : « Cherche un véritable ami, puis repose-toi. • Urihommedemar.daitun jour a son fils, qui rentrait fort tard, d’où il venait : « Mon père, répondit le jeune homme, j’ai passé la soirée avec mes amis. — Avec vos amis ? repartit le père, vous en avez donc beaucoup ? Voilà plus de soixante ans que je suis au monde, et je n’ai pu encore en trouver

Eudamidas, de Corinthe, touchait à sa dernière heure, et laissait sa mère et sa fille dans la plus grande indigence. Il n’en fut nullement alarmé, et jugeant des cœurs de deux fidèles amis parole sien propre, il fit ce testament : « Je lègue à Aréthus le soin de nourrir ma mère et de l’entretenir dans sa vieillesse ; à Calixène, celui de doter ma fille et de la marier. Et si l’un des deux vient à mourir, je substitue l’autre à sa place. • Ces deux citoyens généreux remplirent scrupuleusement les dernières intentions de leur ami.

Le philosophe Aristippe s’était brouillé avec Eschine, son ami. « Qu’est devenue votre amitié ? lui dit quelqu’un. — Elle dort, répondu Aristippe, mais je vais la réveiller. > Aussitôt il court chez Eschino : « Attendrons-nous, pour nous réconcilier, que le bruit de notre rupture se soit répandu dans tous les carrefours et ait fait de nous la risée de ta ville ?-Mon ami, je suis tout prêt h vous. — N oubliez pas au moins tjPP<y tue je suis plus ancien qi

  • -• tait les premiers pas ;

reprit Ariscommencé la querelle, et j’ai voulu la fini ;

Callisthène, qui suivait Alexandre dans ses conquêtes, était à peu près le seul qui parlât librement contre les honneurs divins que le conquérant se faisait décerner. Celui-ci, après avoir fait mutiler le philosophe, le jeta dans une cage de fer et Je traîna ainsi a la suite de l’armée. Lysimaque, un des généraux d’Alexandre, ami fidèle de Callisthène, osa seul aller le consoler ; et comme Callisthène lui

visiterai tous les jours, lui dit Lysimaque. S le roi vous voyait abandonné des gens ver tueux, il pourrait vous croire coupable et n’é prouverait plus de remords. »

Las amis de l’heure présente Ont le naturel du melon : U faut en essayer cinquante

Claude Mekmet.

— AUus.littér. :

yom nu>i», Uniui, ce

illusion à un vers célèb de Corneille dans Cinna, acte V, scène i Auguste, après la scène où il a montré à Cin : qu’il connaît tous les détails de sa cons| ration, apprend qu’il est également trahi p ceux qu’il chérit le-plus tendrement. C’est alo qu’il s écrie dans un transport sublime : En est-ce asseï, o ciel ! et le sort, pour me nuire, A-t-il quelqu’un des miens qu’il veuille encor sédui] Qu’il joigne a ses efforts le secours des enfers, Je suis maître de moi comme de l’univers : Je le suis, je veux l’être ! O siècles ! 6 mémoire ! Conservez a jamais ma dernière victoire, Je triomphe aujourd’hui du plus juste courroux De qui le souvenir puisse aller jusqu’à vous. — Soyons amis,

)st moi qui I’ t’ai donné la n lâche desse

Dans l’application que l’on fait de ce vers, on ne cite généralement que le premier hémistiche, Soyons amis, Cinna, et presque toujours dans un sens plaisant et familier :

« Talma, en m’écoutant, avait des larmes dans ses beaux yeux bleus. • Déjeunons, » me dit-il du ton avec lequel Auguste dit à Cinna ; « Prends un siège, Cinna t » Puis il essuya ses yeux d’un revers de main : ■ Vous m’attendrissez, me dit-ii, avec ces images de père, de mère, de sœurs, plus encore qu’avec vos beaux vers bibliques. Soyons amis, ajouta-t-il en souriant. » Lamartine.

« Allons, Gubetta, mon vieux complice, dit VauvineJ, en prenant Bixiou par la taille, ne te fâche pas ; il te faut de l’argent, en bienI je

| puis bien emprunter trois mille francs à mon ami Ccrizet, au lieu de deux mille... Et, Soyons amis, Cinna !... » Balzac.

« Puisse le génie de l’humanité qui t’a inspiré un si beau commentaire du Soyons amis, Cinna, convaincre ceux qui nous gouvernent qu’il ne peut y avoir de constitution sans morale, et que la seule bonne politique est de se montrer justeI Ah ! s’ils avaient le courage de dire à ces deux cent mille citoyens qu’on appelle suspects : Soyons amis, ces deux mots sauveraient la république bien plus sûrement que le million d’hommes armés pour la défendre. »

Lettre d’un patriote à C. Desmoulins. J’allais, pour m’affranchir, vous braver, Emilie ; Mais, tout lier que j’étais, un regard m’étonna ; Un sourire me dit : Soyons amis. Cinna !

Et je m’engageai pour la vie. Demoubtier. — Allus. littér. :

Vers de La Fontaine dans l’Ours et l’Amateur des jardins. L’ours, apercevant une mouche incommode sur le nez de son ami plongé dans

Les deux vers qui font l’objet de cet article sont passés en proverbe, et sont souvent cités pour qualifier les fâcheux effets d’une amitié maladroite, irréfléchie et sans jugement :

« Le marché parait d’or pour le prince, car nous donnons et il reçoit : il n’a que la peine de prendre ; mais lui, sans débourser de fait, y met beaucoup du sien, et trop s’il diminue son capital dans le cœur de ses sujets ; c’est spéculer fort mal et se faire grand tort. Qui le conseille ainsi n’est pas de ses amisvou, comme dit l’autre, mieux vaudrait un sage ennemi. » P.-L. Courier.

« Comment peut-on avoir assez peu le sentiment des convenances et de ce qu’on doit à l’empereur pour aller attacher de l’importance à savoir ce qu’étaient ses ancêtres ? Soldat, magistrat et souverain, il doit tout à son épée et à l’amour de son peuple... Si, en donnant dans son article généalogique la plus illustre origine à la maison Bonaparte, l’écrivain a cru faire la cour à l’empereur, c’est bien le cas de dire : Il n’y a rien de dangereux comme un sot ami. » Napoléon 1er.

— Allus. littér. : Le. Deux Aui., titre d’une fable que La Fontaine a consacrée à l’amitié, et qui est tout à’ la fois un chef-d’œuvre de style, de sentiment et de délicatesse. C’est dans cette fable que se trouvent les trois vers suivants, restés proverbes :

Deux vrais amis vivaient au Monomotapa.

Qu’un ami véritable est uni douce chose !

H bous tpari/nc la pudeur * ctBar

Les allusions à ces vers sont très-fréquentes :

o L’amitié si tendre, si familière, que nous voyons établie entre Vauvenargues *&l Saint-Vincens, nous permet de nous figurer en la personne de ce dernier un de ces amis dont La Fontaine avait vu des exemples autre paît encore qu’au Monomotapa.

De près, Saint-Vincens avait dû, en plus d’un cas, lire dans les yeux de son ami ses besoins et ses désirs, et aller au-devant de ses paroles. » Sainte-Beuve.

t Je reçois ta lettre. Tu es de la vraie race des amis du Monomotapa. Mais quel enfantillage 1 Voilà la cause de ton brusque retour I Un rien, un méchant cauchemar, qui, deux nuits de suite, te fait entendre ma voix t’appelant à mon secours. Ah I fruits amers de la détestable cuisine allemande 1 u

Oct, Feuillet.

« Lorsque la mort vint lui enlever sa protectrice, il fut aussitôt recueilli par Mme <)e la Sablière, dont la générosité pourvut à tous ses besoins et dont la délicatesse prévint tous ses désirs. C’est sans doute la reconnaissance qu’elle lui inspirait qui arracha du cœur de La Fontaine ce vers, que tant d’autres ont pu depuis répéter avec amertume ;

Qu’un ami véritable est une douce chose ! •

Géruzez.

« Corrupteur aimable, concussionnaire généreux, Fouquet oppose encore aujourd’hui aux sévérités de l’histoire l’amitié de Mme de Sévigné, le dévouement de Pellisson, la douleur de La Fontaine, la gratitude de Corneille. Celleci fut sans réserve, parce que Corneille ne se croyait jamais quitte envers ceux qui lui épargnaient la pudeur de demander. »

GÉEUZEZ.

■mil. Vers d

les Femmes savantes, acte III, scène u. Armande, Bélise et’Philumtnlc, en compagnie de Trissotin, forment le plan d’une académie où elles se proposent de faire sortir la femme de l’infériorité littéraire, philosophique et scientifique dans laquelle l’homme la tient depuis trop longtemps, où elles seront les oracles du bel esprit et les distributrices des réputations :

Platon s’est au projet simplement i Quand de sa République il à Tait 1, Mais a l’effet <

traité ;

papier en prose accommodée, v-u. *wn.i jo...e Gonsun étrange dépit Du tort que l’on nous fait du côté de l’esprit ; Et je veux nous venger, toutes tant que nous sommes, De cette indigne classe où nous rangent les hommes, De borner nos talents & des futilités, Et nous fermer la porte aux sublimes clartés.

ns, par nos lois, les juges des ouvrqges ;


uver a rc

Ce vers, qui accuse des prétentions si ridiculement outrées, et qui est d’un comique si achevé, méritait de rester proverbial et de devenir une des perles de notre langage figuré ;

«Depuis une "-vingtaine d’années, M. Félix Passot lutte avec l’Académie pour lui fairo. admettre un principe, une loi astronomique. Mais à l’Académie les astronomes tiennent le haut du pavé, et il n’y a pas de danger qu’ils consentent à modifier cette règle suprême : Nul n’aura de l’esprit, hors nous et nos amis.

« Le mémoire de M. Félix Passot a été éliminé. • Le Charivari.

« Mais que cet autre soit heureux dans ses essais ; qu’à force de jouer des coudes il soit parvenu à franchir le redoutable cordon sanitaire qui entoure la république des lettres, qui porte inscrit sur son drapeau ;

Nul n’aura de l’esprit, liors nous el nos amis ; qu’il y prenne pied, et ses détracteurs de la veille deviendront ses admirateurs du lendemain. ■ Antonio Pérès.

Le mot esprit est souvent l’objet d’une variante amenée par la circonstance :

■ M. Duchdtel est auteur d’un livre intitulé. la Charité, où il expose comme principe gouvernemental la nécessité d’empêcher le mariage entre les prolétaires, afin de diminuer la. population des classes pauvres. À voir la marche que prennent les doctrinaires et M. Duchâtel lui-même, il paraît qu’ils ont fait une variante à un vers fameux, et qu’ils se sont dit : Nul n’aura des enfants que nous et nos amis.lieuue des Deux-Mondes.

« Je ne rabats rien aux éloges que l’auteur donne à quelques gens de lettres, à charge de revanche. Je crains seulement que ces louanges ne perdent leur prix aux yeux de ceux qui ent que l’auteur est lié avec la plupart :

JVuln

, Ann. litt,

— Allus. littér. :

Oui, puisgue je retrouve un ami si fidèle.

Ma fortune va prendre une face nouvelle.

Vers de Racine dans Andromaque. acte I, scène i, adressés par Oreste à Pylade en le retrouvant à la cour de Pyrrhus. Ce passage si touchant a été, dans une circonstance terrible, l’objet de la plus poignante ironie. Chénier et son ami le poète Roucher, qu’il n’avait pas vu depuis longtemps et dont il ignorait le sort, se rmeontvèrent sur la charrette fatale qui conduisaità l’échafaud les victimes du tribunal révolutionnaire. À la vue de l’auteur des Mois, le front de l’infortuné Chénier s’illumina d’un triste sourire, et le chantre de la Jeune Captioe s’écria, en saisissant la main lui tendait :

qu

Oui, puisque je


si fidèle,

Ce vers est devenu l’objet de fréquentes allusions, mais dans des circonstances heureusement moins funèbres.

— AllUS. littér. : L’ami du genrn humain

n’c»i point du tau* mou tait. Vers de Molière dans le Misanthrope, acte I, scène i. Alceste reproche énergiquement à son ami Philinte d’avoir accueilli avec de grandes démonstrations un homme qui lui était presque inconnu et comme Philinte s’excuse en disant qu’il n a fait ainsi que suivre les usages de la bonito société, Alceste lui réplique par cette éloquente

De tous ces grands faiseurs de protestations. Ces affables donneurs d’embrassades frivoles, Ces obligeants diseurs d’inutiles paroles.

Et traitent du môme air l’honnête homme et le fat.