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La Villa des Ancolies

— Oui, quelques instants seulement, il me reste un petit travail à terminer ce soir, une action à préparer pour signification.

— Mon cher Jean, que je vous plains ! avec votre sensibilité de poète, ce doit être une vie affreuse que de faire journellement de la misère aux gens.

— Puisque je vous dis que je suis devenu un homme positif, sans sensibilité, presque cruel… et puis, que voulez-vous, c’est la vie… et la profession. De plus, la cause dont je vous parle est si cocasse, si désopilante… Imaginez-vous qu’il s’agit dans cette affaire d’une vieille fille avare et rébarbative, vivant, en notre bonne ville de Saint-Hyacinthe, une véritable vie de Robinson Crusoé, en la seule compagnie de son chien. Or, son chien vient de mordre un de mes clients et nous avons requis notre brave anachorète de se débarrasser de son chien ou de « copper ». Prise entre son affection ridicule pour sa bête et son amour de l’argent, elle se débat comme un diable dans l’eau bénite. Elle a essayé de mettre toute la ville en branle, depuis le curé de sa paroisse jusqu’au patron de mon client, sans oublier quelques vieilles dévotes et nombre de commères, pour nous induire à abandonner la partie. Devant ces tentatives de conciliation, mon ami est resté ferme et demain nous allons la sommer au nom du Roi de se présenter en Cour et de répondre à l’accusation grave qui pèse sur sa tête. Ma petite Yo, je donnerais bien trois jours de ma vie pour voir, demain, la binette qu’elle va faire quand mon huissier lui présentera le papier timbré : « George V, par la grâce de Dieu, Roi du royaume uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande et des possessions britanniques au-delà des mers, Défenseur de la foi, Empereur des Indes ». Avec un tel préambule, notre vieille sorcière va se croire à deux doigts de la prison ! C’est une vraie situation de comédie ou