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La Villa des Ancolies

plus, mes patrons trouvent encore moyen de m’envoyer en cour, surtout depuis que nous avons perdu notre clerc.

— Comment ? Tu vas en cour ?

— Pas pour plaider, pour prendre des brefs, demander des exécutions, faire des rapports d’actions et autres besognes ennuyeuses en elles-mêmes ; mais qui nous permettent de nous absenter quelques instants du bureau et de prendre un peu d’air.

— Pauvre petite, quelle vie affreuse tu mènes !

— Mais je ne me trouve pas à plaindre du tout, marraine, je suis très heureuse de mon sort, je vous l’affirme sincèrement. Mes patrons m’honorent de leur estime et de leur confiance ; ils sont très aimables pour moi. Depuis quatre ans que je suis dans ce bureau, je suis en quelque sorte de la famille. Je commence mon travail à neuf heures et demie le matin, je termine à cinq heures le soir, j’ai une heure et demie pour prendre mon dîner ; le samedi, les bureaux sont fermés à une heure de l’après-midi et, bon an, mal an, je reçois vingt-cinq piastres par semaine, c’est amplement pour mes besoins.

— Et où demeures-tu ? Es-tu encore au Foyer ?

— Toujours au Foyer, depuis quatre ans.

— Tu t’y plais ?

— C’est un peu comme au bureau, après quatre ans, je me sens de la famille. D’ailleurs, nous sommes une cinquantaine de jeunes filles dans cette institution, nous faisons du chant, de la musique, quelques fois nous allons au théâtre ; c’est un feu roulant de plaisir et de gaité. Mais vous, Marraine, demeurez-vous continuellement seule ici ?

— Seule avec mes souvenirs, mes fleurs, mes livres et mon chien…

— Même l’hiver ?

— Pourquoi pas ?

— Mais votre vie doit être terriblement triste et monotone ?