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77 Il souleva sa tète lourde très lourde, et ébaucha un geste de stupeur en découvrant ses mains et scs habits tachés de sang, nia culés de boue. Un moment il demeura hébété. Puis un souvenir terrible bouleversa son esprit malade. Il se revit, tout à coup, penché sur LA PE TITE MODISTE, enfonçant un poignard . ... non une paire de ciseaux flans le sein de la jeune femme ! 11 frison na. Cela était il possible ? Lui, Alban Ruel, avoir commis un meurtre ?..Cela ne se pou vait pas... cela n’avait pas été ! Et pour tant ces mains ensanglantées, cet habit cou vert de sang et cette boue ! Mais cette boue...d’où pouvait venir cette boue en cette saison d’hiver ? Il fouilla encore son souvenir, sa mémoire rebelle... Mais il ne se rappelait rien, hor mis la scène du meurtre ! Et encore ce cri me monstrueux n’était il à sa pensée qu’un vague reflet, qu’une vision imprécise, comme ces visions que l’esprit fatigué a perçues dans un rêve ! Tout de même l’épouvante lui serra le ventre. Une sueur abondante le noya, et, incapable de demeurer plus longtemps dans I incertitude, il se leva. Devant lui se trouvait un chiffonnier à glace. Dans la glace il regarda. 11 recula aussitôt en poussant une exclamation d’ef froi ; il avait aperçu une figure livide, ver dâtre, tachée elle aussi de sang et de boue ! Flageolant comme un homme saoul de vin, il se laissa choir sur le bord de son lit. mit les deux coudes sur les genoux, et, le men ton dans les mains il demeura songeur. Quelles sombres pensées alors l’empoigné ren t ! Ah ! il était à présent un assassin !... Mais quelle folie l’avait poussé à ce meurtre ? II se le demandait avec une rage féroce. Mal heureusement, il ne pouvait réussir à pc nétrer ce mystère. Longtemps il demeura ainsi absorbé dans ces pensées sinistres. Des larmes coulaient abondamment de ses yeux des plaintes expiraient sur ses lèvres desséchées. Enfin, il se mit debout en s’écriant : —Oh ! je ne peux plus rester ainsi ! Il faut que je sache... que je sache... ! Mais où donc suis je ici ? Machinalement il alla tirer les rideaux d ? la fenêtre. Dehors l’aube naissait. Il leva le chas sis pour rafraîchir son front brûlant, car il étouffait. Il promena un regard inquiet sur la rue déserte et silencieuse et sur les constructions avoisinantes. Il lui semblait qu’il avait vu cet endroit de la ville, et pourtant il ne pou vait lui donner un nom. Il voyait une place. Là haut, un monu ment sous le givre se détachait en blancheur sur la masse sombre d’une haute con s truc tion placée à Tarière plan. Il regarda encore ! Tout à coup il reconnut la Place Jacques Cartier. Là, en bas, le Marché Bonsecours. Plus loin, par dessus les toits, une vapeur blanche s’élevait au dessus des glaces du fleuve. Son regard ricocha vers le haut de la Place, par delà la rue Notre Dame, et sur les bâtiments sombres il put mettre un nom : Le Palais de .Justice ! Il frissonna de nouveau. Car sa conscience le tenaillait le tiraillait effroyablement ! Car il avait commis un cri me odieux ! Car il était un monstre, un de ces monstres qui la société châtie de la hart au col ! iCar ce Palais de .Justice allait être son premier pas vers l’affreux calvaire ...vers 1 échafaud rouge ! Tremblant, horrifié par ses propres pen sées, il rentra la tête et referma le châssis presque violemment. Mais à présent l’obcession le’poussait vers la ru ? Demontigny. Il savait maintenant qu’il était logé dans un hôtel de second ordre. Comment était il venu là ! A quoi bon se le demander ! Il n’avait plus qu’une chose à faire : sortir de cet hôtel, courir rue Demontigny et, de là... Eh bien ! oui. puisqu’il le faudrait, de là il irait se livrer à la police et confesserait son crime ! Mais il pouvait fuir ! Fuir ?... Cette idée ne lui vint même pas ! Non...tout ce qu’il voulait maintenant celait savoir ! Car, tout au tréfonds de son être, il doutait en dépit de l’évidence (fue lui fournissait son souvenir et le sang et la boue dont il était recouvert, sol..s ceissno iarnelrtfl il chercha son paletot, il ne le vit pas. Il chercha son chapeau...sa canne..Bien ! Un sourire amer crispa scs lèvres. Etait il possible qu’il fût venu dans cet état de la rue Demontigny jusqu’à cet hôtel ? Avait il pu traverser ainsi la moitié de la ci té Mais qu’avaient dû penser ceux qui l’a vaient hospitalisé ? avait croisés sur son chemin ? Une pensé ? nouvelle surgit à son cerveau : dès qu il tenterait de franchir le seuil de cette chambre des policiers, postés à sa porte, le saisiraient ! On l’avait laissé dor mir en paix, afin qu’il fût reposé et pût mieux subir l’interrogatoire de la Justice ! Oui, oui..dans cette chambre il était prison nier ! Il se reniait tellement compte de cette vérité, maintenant, qu’il n’osait aller tire le bouton de la porte, sûr qu’’on l’avait enfermé là ! N’importe encore ! 11 fallait savoir

savoir... savoir ! La nouvelle d’un malheur vaut encore mieux que l’incertitude ! Alban, d’une main frémissante tourna le bouton de la porte, tira à lui doucement, e* à sa très grande surprise la porte s’ouvrit. Il aperçut un corridor vaguement éclairé par une ampoule électrique. Désert et si lencieux était ce corridor. Alban quitta le seuil de la chambre, ga gna un escalier qu’il descendit à pas de loup. Un second corridor, puis un second escalier, et il se trouva l’instant d’après dans nue vas te salle où il aspira un relent de fumée de tabac. Il aperçut une porte vitrée. Il s’v diri gea en toute hâte.