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Aux régions d’en bas je m’égare souvent ;
Vous que Dieu mène et qui pénétrez plus avant,
Quand mon esprit s’arrête aux choses relatives,
Vous m’ouvrez tout à coup de larges perspectives,
Et, dans un horizon où vous seul avez lu,
Par delà nos soleils vous montrez l’absolu.

Quand j’écris, je ne sais, — tant l’un sent comme l’autre,
Si la page tracée est mon œuvre ou la vôtre.
De ces vers fraternels je vous rends la moitié,
Et sur l’humble fronton j’inscris notre amitié.

Marchons unis toujours ; la nuit tombe, nous sommes
Des étrangers perdus dans la cité des hommes ;
Nous y parlons tout seuls une langue à nous deux,
Et nous comprenons mal ce qu’ils disent entre eux.
Nous ne sommes pas faits aux chemins de traverse ;
Le but n’est pas le même où la route est diverse ;
Si des noirs carrefours nous tentons les hasards,
Nous serons terrassés et broyés par les chars.

Veillons ! plus d’un assaut se prépare dans l’ombre ;
Le présent est mauvais et l’avenir plus sombre,
Plein d’outrages, d’effroi, de labeurs desséchants…
— Nous pourrons être heureux si nous sommes méchants !
Mais, ô frère en douleurs, restons dans notre voie,
Sans renier, pourtant, ni blasphémer la joie.
Il est, même ici-bas, des vestiges de Dieu,
Et le monde meilleur, parfois, s’y montre un peu ;
Il est dans la tourmente, au bout de la mer triste,
Un phare ardent et fixe allumé pour l’artiste
Et versant des rayons pleins de sérénité…
— Viens ! homme de désir, marchons vers la beauté !