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Par des murs anguleux les champs sont divisés ;
Les fleuves gracieux, dans leurs lits maîtrisés,
Ont aligné les plis de leurs courbes divines ;
Un lourd niveau s’étend sur le sein des collines,
Et le jour n’est pas loin où nous ne verrons plus
Un seul arbre debout sur ces monts chevelus ;
Jusqu’au dernier sommet, les nations accrues
Décharnent le granit sous le fer des charrues.

O chênes, ô forêts, ô lieux doux et sacrés,
Temple où les premiers dieux à nous se sont montrés,
Où de nos jours encor l’esprit d’en haut se cache,
Mon cœur saigne pour vous à chaque coup de hache !
Je sens une même âme entre nous s’échanger ;
Ailleurs que parmi vous je me crois étranger ;
Il pleut de vos rameaux des visions sans nombre,
Et l’intime soleil me luit mieux sous votre ombre !

Quand l’homme, ainsi vainqueur des fleuves et des bois,
Au plus lointain désert aura donné des lois
Et mis à nu des monts les squelettes énormes,
Et serré tes beaux flancs de réseaux uniformes,
O globe, dépouillé de ta vieille splendeur,
Pourras-tu d’idéal parler dans ta laideur ?

— Ami de mes secrets et de mes solitudes,
Ah ! laisse-moi sourire à tes inquiétudes !
L’homme te fait trembler pour nos abris charmants,
Et tu le vois déjà vainqueur des éléments.
C’est ainsi, je le sais, que parlent vos prophètes ;
Vos Titans sont tout prêts à trôner sur mes faîtes ;
Ils partagent déjà mes dépouilles entre eux,
Et sillonnent mes flancs de leurs fers orgueilleux.
Mais ils n’ont pas encore avec leur main rebelle
Ébranlé les créneaux de l’antique Cybèle ;