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Du faîte de leurs tours les Alpes m’ont fait signe,
Et sur leurs blancs degrés j’ai versé ma sueur.

Plus haut que le sapin, plus haut que le mélèze,
Sur la neige sans tache au soleil j’ai marché ;
Dans l’éther créateur je me baigne à mon aise ;
Le monde où j’aspirais, mes deux pieds l’ont touché.

J’ai dormi sur les fleurs qui viennent sans culture,
Dans les rhododendrons j’ai fait mon sentier vert ;
J’ai vécu seul à seule avec vous, ô nature !
Je me suis enivré des senteurs du désert.

Je me suis garanti de toute voix humaine
Pour écouter l’eau sourdre et la brise voler ;
J’ai fait taire mon cœur et gardé mon haleine
Pour recevoir l’esprit qui devait me parler ;

Et voilà qu’entouré des cimes argentées,
Cueillant le noir myrtil, buvant un flot sacré,
Goûtant sous les sapins les ombres souhaitées,
Libre dans mes déserts, voilà que j’ai pleuré !

Le soleil dore en vain les Alpes jusqu’au faîte ;
Si je plonge en mon cœur, toujours de l’ombre au fond ;
J’ai rencontré le sphinx en cherchant le prophète ;
L’avide immensité m’absorbe et me confond.

Est-ce donc par orgueil que ton front nous attire,
Est-ce pour éblouir que ton œil resplendit,
O nature ! et n’as-tu rien de plus à me dire
Que ces mots : Je suis grande et vous êtes petit ?

Est-ce pour mieux sentir ma défaillance intime
Que je suis venu, seul et si loin, t’implorer ?