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Ta chute a dispersé tout ce peuple sonore ;
Mille êtres avec toi tombent anéantis ;
À ta place, dans l’air, seuls voltigent encore
Quelques pauvres oiseaux qui cherchent leurs petits.

Tes rameaux ont broyé des troncs déjà robustes ;
Autour de toi la mort a fauché largement.
Tu gis sur un monceau de chênes et d’arbustes ;
J’ai vu tes verts cheveux pâlir en un moment.

Et ton éternité pourtant me semblait sûre !
La terre te gardait des jours multipliés…
La sève afflue encor par l’horrible blessure
Qui dessécha le tronc séparé de ses pieds.

Oh ! ne prodigue plus la sève à ces racines,
Ne verse pas ton sang sur ce fils expiré,
Mère ! garde-le tout pour les plantes voisines :
Le chêne ne boit plus ce breuvage sacré.

Dis adieu, pauvre chêne, au printemps qui t’enivre :
Hier, il t’a paré de feuillages nouveaux ;
Tu ne sentiras plus ce bonheur de revivre :
Adieu, les nids d’amour qui peuplaient tes rameaux !

Adieu, les noirs essaims bourdonnant sur tes branches,
Le frisson de la feuille aux caresses du vent,
Adieu, les frais tapis de mousse et de pervenches
Où le bruit des baisers t’a réjoui souvent !

Ô chêne ! je comprends ta puissante agonie !
Dans sa paix, dans sa force, il est dur de mourir ;
À voir crouler ta tête, au printemps rajeunie,
Je devine, ô géant ! ce que tu dois souffrir.