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Sans jeter, inquiète, un regard vers la grève ;
Chaste couple, flottant étroitement uni,
Comme deux alcyons seuls dans le même nid.
Et quand de mes soupirs, de mes airs de tristesse,
La plainte répétée alarmait sa tendresse,
Étonnée, et croyant à quelque mal soudain,
Et des larmes aux yeux, et me prenant la main,
Elle m’interrogeait : * Est-ce le corps ou l’âme ?
Pour tous deux le soleil verse un puissant dictame.
Le printemps ne peut rien, ami, sur vos douleurs ?
Dites où vous souffrez. Les arbres sont en fleurs,
L’air embaume, les flots chantent, le ciel rayonne ;
Les hommes sont bien loin, et Dieu nous environne,
Et vous êtes mon frère, et nous sommes tous deux :
Que vous faut-il de plus, ami, pour être heureux ? »
Et moi, plus ivre encore, et par tant d’innocence
Troublé, je l’accusais de froide indifférence,
Et parlais de bonheurs inconnus, et qu’un jour
Je voudrais être enfin aimé d’un autre amour.
Elle : * Entre Dieu, ce monde et tous ceux que l’on aime,
L’amour est divisé ; mais c’est toujours le même.
Comment désirer plus, et pourquoi me blâmer ?
Est-il dans votre cœur deux manières d’aimer ?
J’aime de cet amour dont les plantes nouvelles
Chérissent le soleil, et s’unissent entre elles,
Que les flots caressants ont pour les grands roseaux,
Qu’avec l’ombre et les fleurs échangent les oiseaux,
Dont le souffle éternel, courant d’un pôle à l’autre,
Vient effleurer toute âme, et fait chanter la vôtre.
Ce que Dieu m’a donné de sa vie en m’aimant,
Moi je le rends à tous, quoique inégalement ;
Et vous qui vous plaignez, vous n’avez de rivale
Que ma mère : sa part à la vôtre est égale. »