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Ô chêne, je comprends ta puissante agonie !
Dans sa paix, dans sa force, il est dur de mourir ;
A voir crouler ta tête, au printemps rajeunie,
Je devine, ô géant ! ce que tu dois souflrir.

Ainsi jusqu’à ses pieds l’homme t’a fait descendre ;
Son fer a dépecé les rameaux et le tronc ;
Cet être harmonieux sera fumée et cendre,
Et la terre et le vent se le partageront !

Mais n’est-il rien de toi qui subsiste et qui dure ?
Où s’en vont ces esprits d’écorce recouverts ?
Et n’est-il de vivant que l’immense nature,
Une au fond, mais s’ornant de mille aspects divers ?

Quel qu’il soit, cependant, ma voix bénit ton être
Pour le divin repos qu’à tes pieds j’ai goûté.
Dans un jeune univers, si tu dois y renaître,
Puisses-tu retrouver la force et la beauté !

Car j’ai pour les forêts des amours fraternelles ;
Poète vêtu d’ombre, et dans la paix rêvant,
Je vis avec lenteur, triste et calme ; et, comme elles,
Je porte haut ma tête, et chante au moindre vent.

Je crois le bien au fond de tout ce que j’ignore ;
J’espère malgré tout, mais nul bonheur humain :
Comme un chêne immobile, en mon repos sonore,
J’attends le jour de Dieu qui nous luira demain.

En moi de la forêt le calme s’insinue ;
De ses arbres sacrés, dans l’ombre enseveli,